Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par une demande enregistrée le 19 février 2021, la société anonyme Leroy Merlin a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 25 septembre 2020 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement pour motif disciplinaire de M. G... Baron, ensemble la décision du 17 décembre 2020 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 2100990 du 21 février 2024, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du 25 septembre 2020 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement pour motif disciplinaire de M. Baron et la décision du 17 décembre 2020 rejetant le recours gracieux de la société Leroy Merlin.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 avril 2024 et le 27 février 2025, ainsi qu'un mémoire enregistré le 15 avril 2025 et non communiqué, M. Baron, représenté par Me Novalic, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice n° 2100990 du 21 février 2024 ;
2°) de mettre à la charge de la société Leroy Merlin la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Il soutient que :
- le jugement s'appuie sur un rapport d'un cabinet privé de consultants, qui n'a pas eu un caractère contradictoire et qui est intervenu en méconnaissance des prérogatives du comité social et économique de l'entreprise ;
- le tribunal administratif de Nice n'a pas pris en compte l'enquête contradictoire menée par l'inspecteur du travail, les auditions des quinze salariés, ni la démonstration de l'inspecteur du travail ;
- la demande d'autorisation de licenciement ne repose sur aucun élément sérieux et vérifiable ; les faits reprochés ne sont pas démontrés ;
- aucune photographie n'a été produite ;
- le grief d'autoritarisme n'est pas démontré ;
- le harcèlement n'est pas démontré ;
- la mesure de licenciement est constitutive d'une discrimination syndicale.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 22 octobre 2024 et le 27 mars 2025, la société Leroy Merlin, représentée par Me Schwal, demande à la Cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de M. Baron la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 25 février 2025, la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles conclut à l'annulation du jugement et au rejet de la demande de première instance de la société Leroy Merlin.
La ministre s'en rapporte au mémoire présenté par la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Provence-Alpes-Côte d'Azur devant le tribunal.
Par ordonnance en date du 28 mars 2025, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 avril 2025.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. François Point, rapporteur,
- les conclusions de M. Olivier Guillaumont, rapporteur public,
- les observations de Me Novalic pour M. Baron,
- et les observations de Me Fraisier pour la société Leroy Merlin.
Considérant ce qui suit :
1. M. Baron exerce les fonctions de conseiller de vente au sein de la société Leroy Merlin. Il détient des mandats en tant que membre titulaire du comité social et économique d'établissement, conseiller du salarié et délégué syndical. Par un courrier, reçu le 4 août 2020, la société Leroy Merlin a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier M. Baron, pour des faits de harcèlement moral et d'autoritarisme. Par une décision du 25 septembre 2020, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de l'intéressé. Par une décision du 17 décembre 2020, l'inspecteur du travail a rejeté le recours gracieux présenté par la société Leroy Merlin contre la décision du 25 septembre 2020. La société Leroy Merlin a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler ces décisions des 25 septembre et 17 décembre 2020. M. Baron relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nice a fait droit à cette demande d'annulation.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail : " (...) / (...) le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. / (...) / Si un doute subsiste, il profite au salarié ".
3. Pour refuser l'autorisation de procéder au licenciement de M. Baron, l'inspecteur du travail a considéré que les deux griefs allégués par la société Leroy Merlin, tirés du harcèlement moral exercé à l'encontre de M. F... et de l'autoritarisme manifesté à l'égard de certains employés, n'étaient pas matériellement établis et que le comportement de M. Baron n'était pas fautif. Pour annuler cette décision, le tribunal administratif de Nice a considéré que les faits allégués par la société Leroy Merlin étaient établis et qu'ils avaient un caractère fautif et grave. M. Baron conteste les faits et les fautes qui lui sont reprochés.
S'agissant des faits de harcèlement moral :
4. Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail : " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Il résulte de ces dispositions que le harcèlement moral se caractérise par des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. Il s'en déduit que, pour apprécier si des agissements sont constitutifs d'un harcèlement moral, l'inspecteur du travail doit, sous le contrôle du juge administratif, tenir compte des comportements respectifs du salarié auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et du salarié susceptible d'en être victime, indépendamment du comportement de l'employeur. Il appartient, en revanche, à l'inspecteur du travail, lorsqu'il estime, par l'appréciation ainsi portée, qu'un comportement de harcèlement moral est caractérisé, de prendre en compte le comportement de l'employeur pour apprécier si la faute résultant d'un tel comportement est d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement.
5. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'alertes relatives à une situation de souffrance au travail d'un salarié, susceptible de revêtir une qualification de harcèlement moral, la société Leroy Merlin a décidé de confier au cabinet Phosphore / RH Partners le soin de conduire une enquête aux fins de déterminer si le harcèlement moral était avéré. Le cabinet Phosphore / RH Partners a remis son rapport le 8 juillet 2020. Ce rapport mentionne que douze des dix-huit salariés entendus ont fait état de " pratiques limites, concernant les faits dénoncés " et conclut que les " comportements dénoncés peuvent rentrer dans le cadre de la définition du harcèlement moral ". L'inspecteur du travail, qui a eu connaissance de ce rapport, sans avoir pu obtenir auprès du cabinet Phosphore / RH Partners ou de la société Leroy Merlin les comptes rendus d'audition, a lui-même procédé, au cours de l'enquête contradictoire qu'il a menée, à l'audition de quinze salariés de l'entreprise.
6. Pour justifier le grief de harcèlement moral, la société Leroy Merlin a reproché à M. Baron une surveillance excessive exercée à l'encontre de M. F... et la prise de photographies sur le lieu de travail. Toutefois, l'inspecteur du travail a relevé dans sa décision du 25 septembre 2020 que la société Leroy Merlin n'avait produit que trois photographies, sur une durée de trois ans, dont l'une n'avait pas été prise par M. Baron. L'inspecteur du travail a précisé que les photographies prises par M. Baron ne visaient pas spécifiquement M. F..., qui n'y apparaissait qu'en arrière-plan " dans une situation professionnelle relativement anodine ". L'inspecteur du travail a également considéré que la prise de ces photographies était en lien avec un problème précis de sécurité au travail, lié à la surcharge des véhicules. L'inspecteur du travail a ainsi relevé que les prises de vues en cause étaient ponctuelles, non ciblées, et justifiées par la volonté de rendre compte à la hiérarchie de problèmes liés à sécurité au travail, alors que M. Baron était un membre du CHSCT particulièrement actif sur les questions de sécurité. L'analyse de l'inspecteur du travail sur ces points, corroborée par les comptes rendus d'audition versés au dossier, n'est pas sérieusement contestée par la société Leroy Merlin. Par suite, c'est à juste titre que l'inspecteur du travail a considéré que les faits reprochés à M. Baron concernant la prise de photographie n'avaient pas un caractère fautif et que les allégations de surveillance excessives n'étaient pas fondées.
7. Pour justifier le grief de harcèlement moral, la société Leroy Merlin a également reproché à M. Baron des comportements vexatoires vis-à-vis de M. F.... Il ressort toutefois des auditions conduites par l'inspecteur du travail que les remarques adressées par M. Baron à M. F... étaient liées à la sécurité au travail et qu'elles n'ont jamais eu un caractère excessif ou arbitraire. Les nombreux témoignages recueillis par l'inspecteur du travail dans le cadre de l'enquête contradictoire qu'il a menée attestent de manière concordante que le comportement de M. Baron à l'encontre de M. F... n'a jamais un caractère humiliant ou déstabilisant. Les éléments en sens contraire versés au dossier par la société Leroy Merlin, notamment les attestations de Mme B... datée du 29 octobre 2010, de Mme D... du 25 octobre 2020, de Mme A... du 19 octobre 2020, de Mme C... du 22 octobre 2020, ou celle de M. H... en date du 12 octobre 2020, qui font état de pressions subies par M. F... ou de conditions de travail dégradées, sont vagues et imprécis. Ces témoignages comportent de nombreux faits et considérations qui ne mettent pas en cause spécifiquement M. Baron et attestent tout au plus d'une ambiance dégradée entre certains employés de l'entreprise. Ni ces témoignages, ni les autres éléments versés au dossier par la société Leroy Merlin ne permettent de contredire utilement l'analyse de l'inspecteur du travail. Par ailleurs, l'inspecteur du travail a relevé qu'aucun des messages adressés par M. Baron à sa hiérarchie ne comprenait de propos dégradant ou dévalorisant à l'encontre de M. F.... En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que si M. F... souffre d'un état de stress et d'angoisse, il n'est pas établi que cet état résulterait principalement de sa situation au travail et du comportement de M. Baron à son égard, ainsi que l'a relevé l'inspecteur du travail. Par suite, c'est à juste titre que l'inspecteur du travail a considéré que les comportements vexatoires reprochés à M. Baron n'étaient pas démontrés et que son attitude vis-à-vis de M. F... n'avait pas un caractère fautif.
8. Au vu de l'ensemble des éléments recueillis au cours son enquête contradictoire, l'inspecteur du travail a pu considérer à bon droit que les faits allégués et les témoignages relatés dans le rapport du cabinet Phosphore / RH Partners du 8 juillet 2020 n'étaient pas étayés et ne pouvaient être regardés comme établis. Pour les mêmes raisons, c'est sans commettre d'erreur de fait, d'erreur de droit ou d'erreur d'appréciation que l'inspecteur du travail a considéré que les propos vexatoires reprochés à M. Baron n'étaient pas démontrés, que les faits de dénigrement n'étaient pas établis, et que les photographies prises par M. Baron étaient justifiées par l'exercice de ses missions de sécurité et n'avaient pas un caractère fautif. Il en résulte que l'inspecteur du travail n'a pas commis d'erreur d'appréciation en considérant que le comportement de M. Baron vis-à-vis de M. F... ne caractérisait pas une situation de harcèlement moral.
S'agissant du grief d'autoritarisme :
9. Pour justifier la mesure de licenciement envisagée, la société Leroy Merlin a reproché à M. Baron son autoritarisme vis-à-vis de certains salariés. L'inspecteur du travail a toutefois relevé que M. Baron n'avait aucun pouvoir hiérarchique et qu'aucun témoignage ne permettait d'attester sérieusement l'existence d'un tel comportement. Cette appréciation est étayée par le contenu des procès-verbaux des auditions réalisées par l'inspecteur auprès des salariés de l'entreprise. L'analyse de l'inspecteur du travail concernant l'absence d'autoritarisme de la part de M. Baron n'est pas sérieusement contredite par la société Leroy Merlin. Le témoignage de M. H... en date du 12 octobre 2020, qui fait état d'un comportement " malveillant " de M. Baron et " d'abus de pouvoir en tant qu'élu ", en des termes vagues et imprécis, n'est pas de nature à remettre en cause les conclusions de l'inspecteur du travail sur ce point. Il en va de même pour le témoignage de Mme E... daté du 12 octobre 2020, qui se plaint seulement de relations dégradées avec M. Baron et ne mentionne que des faits anodins. L'inspecteur du travail a également relevé dans sa décision du 25 septembre 2020 que le motif tiré du non-respect par M. Baron de ses obligations professionnelles n'était appuyé par aucun élément factuel. Par suite, l'inspecteur du travail n'a pas entaché sa décision d'erreur de fait ou d'erreur d'appréciation en considérant que le grief d'autoritarisme reproché à M. Baron n'était pas démontré.
10. Il résulte de ce qui précède que M. Baron est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur la gravité suffisante des faits qui lui étaient reprochés pour annuler les décisions de l'inspecteur du travail des 25 septembre et 17 décembre 2020.
11. Toutefois, il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par la société Leroy Merlin devant le tribunal administratif et devant la Cour.
12. Aux termes de l'article L. 411-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La décision rejetant un recours administratif dirigé contre une décision soumise à obligation de motivation en application des articles L. 211-2 et L. 211-3 est motivée lorsque cette obligation n'a pas été satisfaite au stade de la décision initiale. ".
13. Il ressort de l'examen de la décision initiale du 25 septembre 2020 que cette dernière comporte de manière détaillée l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, cette décision est suffisamment motivée. Dans ces conditions, la décision du 17 décembre 2020 rejetant le recours gracieux formé par la société Leroy Merlin contre cette décision, qui ne reposait sur aucun élément nouveau, n'était pas soumise à une obligation de motivation supplémentaire. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision du 17 décembre 2020 doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué et sur les autres moyens de la requête, que M. Baron est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du 25 septembre 2020 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser son licenciement pour motif disciplinaire et la décision du 17 décembre 2020 rejetant le recours gracieux de la société Leroy Merlin.
Sur les dépens :
15. En l'absence de dépens, les conclusions présentées par M. Baron tendant à ce que les dépens soient mis à la charge de la société Leroy Merlin doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Leroy Merlin, partie perdante, la somme de 2 000 euros à verser à M. Baron au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. Baron, qui n'est pas la partie perdante, la somme réclamée sur ce fondement par la société Leroy Merlin.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice n° 2100990 du 21 février 2024 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Leroy Merlin devant le tribunal administratif de Nice et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : La société Leroy Merlin versera la somme de 2 000 euros à M. Baron en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... Baron, à la société Leroy Merlin et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Copie en sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Délibéré après l'audience du 25 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Anne-Laure Chenal-Peter, présidente,
- Mme Aurélia Vincent, présidente assesseure,
- M. François Point, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mai 2025.
2
N° 24MA00942