Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Esquirol a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 21 février 2022 par laquelle la commune de Gignac-la-Nerthe a exercé son droit de préemption sur la parcelle AX 278 située 21 avenue Louis Pasteur.
Par un jugement n° 2203353 du 22 avril 2024, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 24 juin 2024, 26 septembre 2024, 11 décembre 2024 et 6 janvier 2025, la commune de Gignac-la Nerthe, représentée par
Me Del Prete de la Selarl Borel et Del Prete, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 2203353 du 22 avril 2024 du tribunal administratif de Marseille et de rejeter la demande de la société Esquirol ;
2°) de mettre à la charge de la société Esquirol la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a commis une erreur dans la qualification des faits en écartant l'opération d'aménagement ; la préemption du bien sis 21 avenue Louis Pasteur est bien constitutive d'une opération d'aménagement au sens des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme, qui a pour objet la mise en œuvre d'un projet urbain ou encore de permettre le renouvellement urbain ; ainsi, le projet d'installation du centre communal d'action sociale à cet endroit s'inscrit dans un projet de renouvellement urbain et de revitalisation du centre-ville dans le prolongement des opérations qui ont été réalisées dans le centre-ville ; l'intention réelle de la commune est établie ;
- le tribunal a commis une erreur d'appréciation sur l'absence de caractère réel du projet tout en ne remettant pas en cause l'intérêt général du projet ; l'exercice du droit de préemption sur le bien en litige situé avenue Louis Pasteur présente un intérêt pour mener à bien le projet de renouvellement urbain du centre ancien ; le plan d'aménagement et de développement durable de 2019 illustre le projet urbain de la commune pour redynamiser son centre ancien ; la volonté d'installer un centre communal d'action sociale à cet endroit participe à cette logique de redynamisation du centre-ville ;
- l'intérêt général du projet est établi et n'a d'ailleurs pas été remis en cause par le tribunal ;
- les autres moyens soulevés en première instance par la société Esquirol seront écartés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 août, 20 novembre et 23 décembre 2024, la société Esquirol, représentée par Me Leonetti, conclut au rejet de la requête, à la confirmation du jugement attaqué, et demande à la Cour de mettre à la charge de la requérante la somme de
3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les moyens soulevés par la commune de Gignac-la Nerthe ne sont pas fondés ;
- la décision en litige est par ailleurs entachée du vice d'incompétence de son signataire ;
- en ne notifiant pas les dispositions en vigueur de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme, ainsi que l'exigent les dispositions de l'article D. 213-13-4 de ce code, la commune n'a pas suspendu le délai de préemption, de sorte que la décision attaquée est intervenue tardivement ;
- ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Marseille, la décision attaquée méconnaît les articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme en l'absence d'opération d'aménagement et de caractère réel du projet ; en outre, ce projet ne répond pas à un intérêt général.
Un courrier du 27 septembre 2024 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article
R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.
Par une ordonnance du 20 janvier 2025, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Martin,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Baillargeon, substituant Me Del Prete, représentant la commune de Gignac-la Nerthe.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 21 février 2022, le maire de la commune de Gignac-la Nerthe a décidé d'exercer le droit de préemption concernant un bien immobilier édifié sur la parcelle cadastrée section AX n° 278, située au 21 de l'avenue Louis Pasteur, ayant fait l'objet d'une déclaration d'intention d'aliéner le 2 novembre 2021 pour un montant de 65 000 euros. Saisi par la société Esquirol, acquéreur évincé, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du 21 février 2022, par un jugement du 22 avril 2024 dont la commune de Gignac-la Nerthe relève appel dans la présente instance.
Sur la légalité de la décision du 21 février 2022 :
2. En premier lieu, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. L'appelante ne peut donc utilement se prévaloir de ce que le jugement attaqué serait entaché d'une erreur dans la qualification juridique des faits ainsi que d'une erreur d'appréciation.
3. En second lieu, aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaqué : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, à préserver la qualité de la ressource en eau et à permettre l'adaptation des territoires au recul du trait de côte, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. (...) / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 300-1 du même code, dans sa rédaction applicable à la même date : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser la mutation, le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels, notamment en recherchant l'optimisation de l'utilisation des espaces urbanisés et à urbaniser. / L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations. ". Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d'une part, justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.
4. Il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée est motivée par le projet de redynamisation et de revitalisation du centre ancien de la commune de Gignac-la Nerthe, qui comporte l'accueil de nouveaux commerces et services de proximité. La décision du
21 février 2022 ajoute que, dans ce cadre, le bien préempté, dans un contexte d'augmentation démographique et de réalisation de nombreux logements sociaux, doit permettre de compléter l'action sociale de la commune par l'installation du centre communal d'action sociale dont les locaux doivent être adaptés à l'augmentation de ses effectifs.
5. Pour annuler cette décision, le tribunal administratif de Marseille s'est fondé sur la circonstance qu'elle méconnaît les dispositions de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme
dès lors, d'une part, que le projet pour lequel le bien a été préempté ne constitue pas une action ou une opération d'aménagement au sens de ces dispositions, et, d'autre part, que la commune ne justifie pas de la réalité d'un projet répondant aux objectifs visés par celles-ci.
6. S'il est certes exact que la rénovation ou l'aménagement d'immeubles existants dans le but d'y installer les services administratifs d'une commune peut constituer une action ou une opération d'aménagement au sens de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, la commune de Gignac-la Nerthe ne justifie pas, par les pièces versées dans l'instance, de l'antériorité et de la réalité d'un projet de déménagement du centre communal d'action sociale à la date de la décision attaquée ni, au demeurant, de la nécessité d'adapter ce service au regard de l'augmentation de la demande sociale. A supposer même qu'elle puisse se prévaloir d'une opération plus globale de redynamisation du centre ancien, menée depuis plusieurs années et prévue par le plan d'aménagement et de développement durable de 2019, dont l'un des objectifs est de redonner une lisibilité à l'espace central de la commune, et qu'elle justifie avoir procédé à l'acquisition, depuis 2010, de plusieurs biens immobiliers situés dans le secteur, principalement avenue de la République, afin de développer le commerce de proximité, aucune des pièces du dossier ne permet d'établir qu'à à la date de la décision attaquée, cette opération aurait prévu un projet de redéploiement du centre communal d'action sociale, ni même d'ailleurs des services publics communaux en général, ce d'autant plus que le local dans lequel ce service était initialement installé est lui-même situé dans le centre ancien de la commune, à proximité immédiate du bien préempté. Au demeurant, alors que la décision attaquée est intervenue à la suite de la délégation octroyée à la commune par décision du 24 décembre 2021 de la présidente de la métropole
Aix-Marseille-Provence, cette délégation indiquait expressément que l'acquisition poursuivie avait pour objet l'installation d'un commerce de proximité.
7. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la commune de Gignac-la Nerthe ne justifiait pas, à la date à laquelle elle a exercé, par la décision attaquée, son droit de préemption, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Gignac-la Nerthe n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du 21 février 2022 par laquelle elle a exercé son droit de préemption sur la parcelle cadastrée section AX n° 278 située 21 avenue Louis Pasteur. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation de ce jugement doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Esquirol, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la commune sur ce fondement. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la commune de Gignac-la-Nerthe une somme de 2 000 euros à verser à la société Esquirol sur le fondement des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Gignac-la Nerthe est rejetée.
Article 2 : La commune de Gignac-la Nerthe versera la somme de 2 000 euros à la société Esquirol en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Gignac-la Nerthe et à la société Esquirol.
Copie en sera adressée à la métropole Aix-Marseille-Provence et à la Caisse d'Epargne CEPAC.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2025, où siégeaient :
- M. Duchon-Doris, président de la Cour,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 13 mai 2025.
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No 24MA01621