Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
I. Sous le n° 1901483, la société civile immobilière (SCI) Chiosaccio a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'annuler l'arrêté du 2 février 2017 par lequel le maire de San-Nicolao a accordé un permis de construire à la société à responsabilité limitée (SARL) Merendella en vue de l'extension et du réaménagement de l'espace piscine de son camping, sur les parcelles cadastrées section B nos 577 et 579, situées au lieu-dit " Monticciole ", sur le territoire communal, ainsi que l'arrêté du 22 juillet 2019 par lequel ce même maire lui a délivré un permis de construire modificatif et, d'autre part, de mettre à la charge de la commune de San-Nicolao et de la SARL Merendella une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
II. Sous le n° 2100221, la SCI Chiosaccio et la SARL Résidence hôtelière San-Lucianu ont demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'annuler la décision du 15 février 2021 par laquelle le maire de San-Nicolao a refusé de retirer ses arrêtés susvisés des 2 février 2017 et 22 juillet 2019, d'autre part, d'enjoindre audit maire de procéder à ces retraits, dans un délai de trente jours suivant la notification du jugement à intervenir et sous astreinte de 1 000 euros par jour, et, enfin, de mettre à la charge de la commune de San-Nicolao et de
la SARL Merendella une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Après avoir joint ces deux demandes, le tribunal administratif de Bastia a, par un jugement nos 1901483, 2100221 du 28 septembre 2023, annulé ces deux arrêtés du maire de
San-Nicolao des 2 février 2017 et 22 juillet 2019, constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions du recours enregistré sous le n° 2100221 tendant à l'annulation de la décision de ce même maire du 15 février 2021 et mis à la charge solidaire de la commune de San-Nicolao et de la SARL Merendella une somme de 1 500 euros à verser à la SCI Chiosaccio au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 29 novembre 2023, et les 25 septembre, 8 novembre, et 9 décembre 2024, et un mémoire récapitulatif produit en application de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistré le 9 janvier 2025, la SARL Merendella, représentée par Me Tasciyan, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 28 septembre 2023 en tant qu'il annule les deux arrêtés susvisés du maire de San-Nicolao des 2 février 2017 et 22 juillet 2019, et de rejeter la demande de première instance, enregistrée au greffe de cette juridiction sous le n° 1901483, présentée par la SCI Chiosaccio, après avoir ordonné avant dire droit à cette société et à Me Cauvin-Colombani de produire le procès-verbal de constat d'huissier de justice que ce dernier a dressé le 9 avril 2019 ;
2°) de rejeter l'appel incident présentée par la SCI Chiosaccio et par la SARL Résidence hôtelière San-Lucianu ;
3°) de mettre à la charge de la SCI Chiosaccio et de la SARL Résidence hôtelière
San-Lucianu une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la " requête en annulation " est irrecevable :
. le recours de la SCI Chiosaccio contre le permis de construire initial du 2 février 2017 est irrecevable car tardif ; en écartant la fin de non-recevoir afférente, le tribunal administratif de Bastia a entaché son jugement d'erreurs d'appréciation ;
. la " requête " basée sur la prétendue fraude et enregistrée au mois de février 2021 revêtait un caractère tardif ;
. la SCI Chiosaccio n'a pas intérêt pour agir à l'encontre tant du permis de construire initial que du permis de construire modificatif au sens de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme ; le tribunal administratif de Bastia aurait donc dû écarter son recours pour ce motif ;
. les moyens de première instance de la SCI Chiosaccio au soutien de ses conclusions tendant à l'annulation du permis de construire initial sont irrecevables car soulevés dans un mémoire ampliatif du 22 décembre 2020 alors que, dans sa demande introductive d'instance du
12 novembre 2019, cette société n'a invoqué des moyens qu'à l'encontre du permis de construire modificatif et que le délai de recours est expiré ;
- son projet ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 121-16 du code de l'urbanisme ;
- sur l'appel incident :
. cet appel incident formé le 9 octobre " 2023 " est tardif par application des dispositions de l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme ;
. la décision portant rejet de la demande de retrait de la SCI Chiosaccio et de la SARL Résidence hôtelière San-Lucianu présente le caractère d'une décision confirmative ;
. les conclusions à fin d'annulation des permis de construire sont tardives ;
. la " requête introductive d'instance " ne contient l'exposé d'aucun moyen tendant à demander l'annulation des permis de construire, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;
. à titre subsidiaire, et s'agissant de la SCI Chiosaccio, cette société ayant déjà formé un recours en annulation contre les arrêtés litigieux, elle n'est pas fondée, dans le cadre de la " présente instance ", à formuler des conclusions à fin d'annulation des deux permis en cause ;
. à titre subsidiaire, et s'agissant de la SARL Résidence hôtelière San-Lucianu, cette société ne peut pas présenter de conclusions à fin d'annulation dans le cadre du " présent recours " dès lors que celui-ci est tardif ;
- la SCI Chiosaccio et la SARL Résidence hôtelière San-Lucianu ayant eu connaissance des permis de construire et de leur portée depuis le début de l'année 2019, leurs conclusions à fin de retrait des arrêtés en litige sont irrecevables car tardives ;
. par application des dispositions de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, et pour les mêmes raisons que la SCI Chiosaccio, la SARL Résidence Hôtelière San-Lucianu ne dispose pas d'un intérêt pour agir dès lors qu'à la date de la demande de délivrance du permis de construire initial, elle n'exploitait pas l'hôtel en cause ;
. elle n'a pas obtenu frauduleusement les permis de construire.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 28 mars, 9 octobre et 20 novembre 2024, et un mémoire récapitulatif produit en application de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistré le 8 janvier 2025, la SCI Chiosaccio et la SARL Résidence Hôtelière San-Lucianu, représentées par Me Giorsetti, doivent être regardées comme concluant :
- au rejet de la requête ;
- à l'annulation, par la voie de l'appel incident, du jugement attaqué en tant qu'il constate un non-lieu à statuer sur les conclusions du recours enregistré sous le n° 2100221 tendant à l'annulation de la décision du maire de San-Nicolao du 15 février 2021, ensemble cette décision, et à ce qu'il soit enjoint audit maire, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de retirer ses arrêtés des 2 février 2017 et 22 juillet 2019, dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 1 000 euros par jour ;
- à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune de San-Nicolao au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles font valoir que :
- le recours de la SCI Chiosaccio dirigé contre les deux permis de construire litigieux n'était pas tardif ;
- la SCI Chiosaccio dispose d'un intérêt pour agir à l'encontre tant du permis de construire initial que du permis de construire modificatif délivrés à la SARL Merendella ;
- contrairement à ce que soutient la SARL Merendella, son recours en annulation contenait des moyens de légalité interne dirigés contre l'arrêté portant délivrance du permis de construire initial ;
- les moyens soulevés par la SARL Merendella ne sont pas fondés et le jugement attaqué devra donc être confirmé en tant qu'il annule les deux arrêtés ;
- sur son appel incident :
. contrairement à ce qu'allègue la SARL Merendella, les dispositions de l'article
R. 600-5 du code de l'urbanisme ne s'appliquent pas ;
. cet appel incident est recevable et il est fondé dès lors que les deux arrêtés litigieux ont été obtenus par fraude.
La procédure a été communiquée à la commune de San-Nicolao qui n'a pas produit de mémoire.
Un courrier du 10 décembre 2024, adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article
R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.
Par une ordonnance du 11 février 2025, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lombart,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- les observations Me Tasciyan, représentant la SARL Merendella, et celles de Me Giorsetti, représentant la SCI Chiosaccio et la SARL Résidence hôtelière San-Lucianu.
Une note en délibéré, présentée, pour la SARL Merendella, par Me Tasciyan, a été enregistrée le 6 mai 2025.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté en date du 2 février 2017, le maire de San-Nicolao a délivré à la société à responsabilité limitée (SARL) Merendella, qui exploite un camping sur les parcelles cadastrées section B nos 577 et 579, au lieudit " Monticciole ", à " Moriani plage ", sur le territoire communal, un permis de construire en vue de l'extension et du réaménagement de son espace piscine, avec notamment la création des toboggans aquatiques et un nouveau bassin pour ces toboggans, ainsi que la surélévation du bâtiment existant abritant les vestiaires pour la réalisation d'un espace dédié aux massages avec un accueil, des sanitaires, une terrasse panoramique et un snack. Cet arrêté a été complété par un arrêté du 23 février 2017 qui impose à la SARL Merendella le respect des observations et des prescriptions émises dans le rapport prévention ERP n° 16/224 du
12 décembre 2016, avant que, par un arrêté du 22 juillet 2019, le maire de San-Nicolao ne délivre à ce même pétitionnaire un permis de construire modificatif visant, notamment, à modifier la hauteur de ces toboggans, l'implantation des bassins et l'édicule de support desdits toboggans avec végétalisation. Par un jugement du 28 septembre 2023, le tribunal administratif de Bastia a, à la demande de la SCI Chiosaccio, annulé ces arrêtés du maire de San-Nicolao des 2 février 2017 et 22 juillet 2019, et constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions présentées par cette société et la SARL Résidence hôtelière San-Lucianu tendant à l'annulation de la décision du 15 février 2021 par laquelle ce même maire a refusé de procéder au retrait de ces deux arrêtés.
La SARL Merendella relève appel de ce jugement en tant qu'il annule ces deux arrêtés tandis que, par la voie de l'appel incident, la SCI Chiosaccio et la SARL Résidence hôtelière San-Lucianu doivent être regardées comme demandant à la Cour de l'annuler en ce qu'il constate ce non-lieu.
Sur l'appel principal de la SARL Merendella :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance enregistrée au greffe du tribunal administratif de Bastia sous le n° 1901483 :
S'agissant du respect du délai de recours contentieux :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme : " Le délai de recours contentieux à l'encontre d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d'un permis de construire, d'aménager ou de démolir court à l'égard des tiers à compter du premier jour d'une période continue de deux mois d'affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l'article R. 424-15. " Cet article R. 424-15 du même code dispose, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Mention du permis (...) doit être affichée sur le terrain, de manière visible de l'extérieur, par les soins de son bénéficiaire, dès la notification de l'arrêté (...) et pendant toute la durée du chantier. (...) / Un arrêté du ministre chargé de l'urbanisme règle le contenu et les formes de l'affichage. " L'article A. 424-15 de ce code prévoit que : " L'affichage sur le terrain du permis de construire, d'aménager ou de démolir explicite ou tacite ou l'affichage de la déclaration préalable, prévu par l'article R. 424-15, est assuré par les soins du bénéficiaire du permis ou du déclarant sur un panneau rectangulaire dont les dimensions sont supérieures à 80 centimètres. " Selon l'article A. 424-16 du même code : " Le panneau prévu à l'article
A. 424-15 indique le nom, la raison sociale ou la dénomination sociale du bénéficiaire, le nom de l'architecte auteur du projet architectural, la date de délivrance, le numéro du permis, la nature du projet et la superficie du terrain ainsi que l'adresse de la mairie où le dossier peut être consulté. / Il indique également, en fonction de la nature du projet : / a) Si le projet prévoit des constructions, la surface de plancher autorisée ainsi que la hauteur de la ou des constructions, exprimée en mètres par rapport au sol naturel ; / b) Si le projet porte sur un lotissement, le nombre maximum de lots prévus ; / c) Si le projet porte sur un terrain de camping ou un parc résidentiel de loisirs, le nombre total d'emplacements et, s'il y a lieu, le nombre d'emplacements réservés à des habitations légères de loisirs ; / d) Si le projet prévoit des démolitions, la surface du ou des bâtiments à démolir. " Aux termes de l'article A. 424-17 dudit code : " Le panneau d'affichage comprend la mention suivante : / "Droit de recours : / "Le délai de recours contentieux est de deux mois à compter du premier jour d'une période continue de deux mois d'affichage sur le terrain du présent panneau (art. R. 600-2 du code de l'urbanisme). / "Tout recours administratif ou tout recours contentieux doit, à peine d'irrecevabilité, être notifié à l'auteur de la décision et au bénéficiaire du permis ou de la décision prise sur la déclaration préalable. Cette notification doit être adressée par lettre recommandée avec accusé de réception dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du recours (art. R. 600-1 du code de l'urbanisme)." ". Enfin, l'article A. 424-18 de ce même code précise que : " Le panneau d'affichage doit être installé de telle sorte que les renseignements qu'il contient demeurent lisibles de la voie publique ou des espaces ouverts au public pendant toute la durée du chantier. "
3. D'une part, s'il incombe au bénéficiaire d'un permis de construire de justifier qu'il a accompli les formalités d'affichage prescrites par les dispositions précitées, le juge doit apprécier la continuité de l'affichage en examinant l'ensemble des pièces qui figurent au dossier qui lui est soumis.
4. D'autre part, en imposant que figurent sur le panneau d'affichage du permis de construire diverses informations sur le permis, les caractéristiques de la construction projetée et le lieu de consultation du dossier, les dispositions citées au point précédent ont pour objet de permettre aux tiers d'apprécier l'importance et la consistance du projet et de les mettre à même de consulter le dossier du permis. Il s'ensuit que, si les mentions prévues par l'article A. 424-16 du code de l'urbanisme doivent, en principe, figurer sur le panneau d'affichage, une erreur ou omission entachant l'une d'entre elles ne conduit à faire obstacle au déclenchement du délai de recours que dans le cas où cette erreur est de nature à empêcher les tiers d'apprécier, à la seule lecture du panneau d'affichage, l'importance et la consistance du projet ou d'affecter leur capacité à identifier, à la seule lecture de ce panneau, le permis et l'administration à laquelle il convient de s'adresser pour consulter le dossier.
5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, et en particulier du procès-verbal de constat d'huissier de justice établi le 3 décembre 2018, que si le permis de construire délivré à la SARL Merendella par l'arrêté du maire de San-Nicolao du 2 février 2017 a été affiché en bordure de la route territoriale (RT) n° 10, à compter du 2 octobre 2018 et de manière interrompue pendant deux mois, il comportait de nombreuses erreurs. En effet, il mentionnait le 4 août 2017, comme date de délivrance de cette autorisation d'urbanisme, et le 10 septembre 2017, comme date d'affichage. Il indiquait en outre que la nature des travaux consistait en, sans plus de précisions, l'" extension [d'un] bâtiment " et que la surface de plancher était de 250 m². Ainsi que l'ont relevé à raison les premiers juges, d'une part, ayant trait à la nature et à l'ampleur mêmes du projet de construction, ces deux dernières erreurs ont été de nature à empêcher les tiers d'apprécier l'importance et la consistance des travaux à réaliser. D'autre part, la mention du
10 septembre 2017 comme date d'affichage du permis de construire a pu faire obstacle à ce que les tiers puissent préserver leurs droits alors que le panneau indiquait que " [l]e délai de recours contentieux est de deux mois à compter du premier jour d'une période de deux mois d'affichage sur le terrain du présent panneau (article R. 600-2 du code de l'urbanisme) ". Il s'ensuit que l'affichage de ce permis de construire n'était pas conforme aux dispositions réglementaires rappelées au point 2 qui doivent être interprétées comme indiqué au point précédent. Le délai de recours contentieux prévu à l'article R. 600-2 du code l'urbanisme n'a donc pas pu commencer à courir, à l'égard des tiers, à compter du 2 octobre 2018.
6. En deuxième lieu, l'exercice par un tiers d'un recours administratif ou contentieux contre un permis de construire montre qu'il a connaissance de cette décision et a, en conséquence, pour effet de faire courir à son égard le délai de recours contentieux, alors même que la publicité concernant ce permis n'aurait pas satisfait aux dispositions prévues en la matière par l'article A. 424-17 du code de l'urbanisme.
7. Contrairement à ce qu'elle persiste à soutenir devant la Cour, la SARL Merendella n'établit pas, par les pièces versées aux débats, ni davantage par ses développements tenant à la date de création des fichiers " pdf " restituant le dossier de permis de construire et l'étude confiée à une architecte par la SARL Résidence hôtelière San-Lucianu, cette date ne permettant pas de s'assurer du contenu exact de ces fichiers électroniques au moment de leur création, que cette SCI a eu, avant le mois de juillet 2019, connaissance de l'existence du permis de construire délivré le 2 février 2017 et des modalités selon lesquelles elle pouvait le contester devant le juge. Si le recours gracieux que cette dernière société a présenté, le 16 septembre 2019, auprès du maire de San-Nicolao à l'encontre du permis de construire modificatif peut valoir connaissance acquise de l'arrêté du 2 février 2017, la demande de première instance a en tout état de cause été enregistrée le 12 novembre 2019. Par ailleurs, contrairement à ce que l'appelante affirme, il ne ressort pas de l'ordonnance n° 1901482 du 29 novembre 2019 par laquelle le président du tribunal administratif de Bastia, statuant en référé, a rejeté la demande présentée, au demeurant le 12 novembre 2019, par la SCI Chiosaccio sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative tendant à la suspension de l'exécution des arrêtés des 2 février 2017 et 22 juillet 2019 que cette société aurait admis que ses conclusions tendant à l'annulation de cet arrêté du 2 février 2017 étaient tardives.
8. En troisième et dernier lieu, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment par les tiers un permis de construire, une décision de non-opposition à une déclaration préalable, un permis d'aménager ou un permis de démolir. Si, dans le cas où l'affichage du permis ou de la déclaration, par ailleurs conforme aux prescriptions de l'article R. 424-15 du code de l'urbanisme, n'a pas fait courir le délai de recours de deux mois prévu à l'article R. 600-2 du même code, faute de mentionner ce délai conformément à l'article A. 424-17 de ce code, un recours contentieux doit néanmoins, pour être recevable, être présenté dans un délai raisonnable à compter du premier jour de la période continue de deux mois d'affichage sur le terrain. En règle générale et sauf circonstance particulière dont se prévaudrait le requérant, un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable. Il résulte en outre de l'article R. 600-3 du code de l'urbanisme qu'un recours présenté postérieurement à l'expiration du délai qu'il prévoit n'est pas recevable, alors même que le délai raisonnable mentionné ci-dessus n'aurait pas encore expiré.
9. En l'espèce, dès lors que, comme il a été dit au point 5 ci-dessus du présent arrêt, l'affichage ne répondait aux exigences posées par l'article A. 424-17 du code de l'urbanisme auquel renvoie le dernier alinéa de son article R. 424-15, et alors qu'au surplus, il est constant que le projet de construction porté par la SARL Merendella n'est pas entièrement achevé à ce jour au sens de l'article R. 600-3 de ce même code, la demande de première instance enregistrée sous le n° 1901483 ne saurait être regardée comme ayant été enregistrée tardivement au greffe du tribunal administratif de Bastia, au regard du principe de sécurité juridique.
10. Il s'ensuit que c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de cette demande de première instance opposée en défense devant eux par la SARL Merendella et la commune de San-Nicolao, sans qu'il leur ait été besoin d'ordonner la communication du procès-verbal de constat d'huissier de justice dressé le 9 avril 2019, qu'il n'y a pas davantage lieu pour la Cour de solliciter.
S'agissant de l'intérêt à agir de la SCI Chisosaccio :
11. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. (...) "
12. Il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.
13. Lorsque le requérant conteste simultanément le permis de construire initial et le permis modificatif, son intérêt pour agir s'apprécie au regard du projet de construction pris dans son ensemble.
14. Il ressort des pièces du dossier que, depuis le 15 décembre 2005, la SCI Chiosaccio est propriétaire des parcelles cadastrées section B nos 13 et 427 sur lesquelles une activité hôtelière est exploitée depuis 1974 et qui sont limitrophes du terrain d'assiette du projet de construction porté par la SARL Merendella. Eu égard à cette proximité, à l'ampleur et à la nature de ce projet ainsi que des atteintes que sa réalisation est susceptible de porter aux conditions de jouissance de ses biens par la SCI Chiosaccio, cette société justifie d'un intérêt pour agir à l'encontre tant de l'arrêté du maire de San-Nicolao du 2 février 2017 que de celui du 22 juillet 2019. Dans ces conditions, la fin de non-recevoir tirée de la méconnaissance de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme opposée en première instance par la SARL Merendella et la commune de San-Nicolao a, à bon droit, été écartée par les premiers juges.
S'agissant de la motivation de la demande de première instance :
15. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête (...) contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. "
16. Il ressort des pièces de la procédure devant le tribunal administratif de Bastia que dès l'introduction de sa demande de première instance, le 12 novembre 2019, la SCI Chiosaccio a soulevé des moyens à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation des arrêtés du maire de San-Nicolao des 2 février 2017 et 22 juillet 2019. Contrairement à ce que soutient la SARL Merendella, cette demande de première instance satisfaisait donc aux prescriptions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative.
En ce qui concerne la recevabilité des moyens de première instance :
17. La SARL Merendella soutient que la SCI Chiosaccio n'a discuté, dans sa demande introductive d'instance, que de la légalité de l'arrêté du maire de San-Nicolao du 22 juillet 2019 et qu'elle n'a soulevé des moyens au soutien de ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 février 2017 que, pour la première fois, dans un mémoire complémentaire enregistré le 22 décembre 2020. La société appelante en conclut que ces moyens, ainsi présentés après l'expiration du délai de recours contentieux, étaient irrecevables. Cette fin de non-recevoir doit toutefois être écartée dès lors qu'il ressort de la lecture des écritures de la SCI Chiosaccio que celle-ci a invoqué de tels moyens dès l'enregistrement de sa demande introductive d'instance, soit le 12 novembre 2019.
En ce qui concerne le motif d'annulation contesté en appel par la SARL Merendella :
18. En application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, il appartient au juge d'appel, saisi d'un jugement annulant un acte en matière d'urbanisme, de se prononcer sur les différents motifs d'annulation retenus par les premiers juges, dès lors que ceux-ci sont contestés devant lui, et d'apprécier si l'un au moins de ces moyens justifie la solution d'annulation.
19. Pour faire droit à la demande de la SCI Chiosaccio tendant à l'annulation des arrêtés du maire de San-Nicolao des 2 février 2017 et 22 juillet 2019, le tribunal administratif de Bastia a accueilli les moyens tirés, en premier lieu, de ce que le projet porté par la SARL Merendella ne faisait pas partie de ceux autorisés par les dispositions des articles 2.5 et 2.9 de la section I du chapitre I relatif aux dispositions applicables à la zone N du règlement du plan local d'urbanisme (PLU) de la commune de San-Nicolao, en deuxième lieu, que les permis de construire délivrés ne portaient pas sur l'ensemble des éléments de construction qui ont eu pour effet de modifier le bâtiment tel qu'il avait initialement été autorisé et, en troisième et dernier lieu, que ces deux arrêtés avaient été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-16 du code de l'urbanisme, telles que précisées par le PADDUC.
20. La SARL Merendella ne conteste en cause d'appel que le dernier de ces motifs.
21. Aux termes de l'article L. 121-16 du code de l'urbanisme : " En dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage ou des plus hautes eaux pour les plans d'eau intérieurs désignés au 1° de l'article L. 321-2 du code de l'environnement. "
22. Il résulte de ces dispositions, qui n'ont au demeurant pas pour objet d'interdire tout aménagement des constructions ou installations déjà existantes, que, sur la bande littorale des cent mètres, ne peuvent être autorisés que les projets réalisés dans des espaces urbanisés, caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions, eux-mêmes contenus dans l'enveloppe urbaine d'un village ou d'une agglomération, à la condition qu'ils n'entraînent pas une densification significative de ces espaces.
23. Le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC), qui précise, en application du I de l'article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales, les modalités d'application des dispositions citées ci-dessus, formule quatre critères, à appliquer cumulativement, pour déterminer le caractère urbanisable d'une parcelle ou d'une unité foncière située dans la bande des cent mètres et tenant à sa taille limitée, à son inclusion au sein d'un espace urbanisé lui-même inclus dans l'enveloppe urbaine d'un village ou d'une agglomération, à sa situation en continuité immédiate avec des parcelles bâties, et enfin à la préservation du paysage environnant. Ces prescriptions apportent des précisions qui sont compatibles avec les dispositions précitées de l'article L. 121-16 du code de l'urbanisme.
24. Au cas particulier, il ressort des pièces du dossier que le projet porté par la SARL Merendella qui consiste en la surélévation d'un bâtiment existant avec la création, en R+1, d'un espace dédié aux massages et en R+2, d'une terrasse panoramique aménagée en solarium et en la création de nouveaux bassins comprenant un toboggan, est compris dans la bande littorale des cent mètres depuis la limite haute du rivage. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier, et notamment des documents photographiques et cartographiques qui y sont joints, ainsi que des données publiques de référence produites par l'Institut géographique national et librement accessibles aux parties comme au juge sur le site Internet geoportail.gouv.fr, que le terrain d'assiette de ce projet, qui est en outre situé au sein de l'espace remarquable, identifié au PADDUC, sous le n° 2B21, ne peut être regardé comme appartenant à un espace urbanisé compte tenu du nombre limité de constructions dans son périmètre et de leur caractère dispersé, et alors que ce projet n'est pas lui-même dans la continuité des quelques constructions soumises à autorisation, dont la légalité est au demeurant discutée, qui se trouvent dans le camping exploité par la SARL Merendella, lesquelles n'assurent pas de continuité avec l'ensemble des constructions avoisinantes. Ce projet n'est pas non plus compris dans l'enveloppe urbaine d'un village ou d'une agglomération au sens du PADDUC, faute d'assurer une fonction structurante à l'échelle de la micro-région ou de l'armature urbaine de la commune de San-Nicolao. Par suite, le projet en cause n'étant pas au nombre de ceux auxquels ne s'applique pas l'interdiction prévue par l'article
L. 121-16 du code de l'urbanisme, et la SARL Merendella n'établissant, ni même n'alléguant qu'il entrerait dans les dérogations autorisées par les prescriptions du livre II de l'annexe 6 du PADDUC, adopté par l'assemblée de Corse le 2 octobre 2015 et valant schéma de mise en valeur de la mer (SMVM), prise en application du II de l'article L. 4424-12 du code général des collectivités territoriales, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Bastia a annulé le permis de construire en litige au motif qu'il a été délivré en méconnaissance de ces dispositions telles que précisées par ledit PADDUC.
25. Compte tenu de la nature de ce motif retenu à bon droit par le tribunal administratif de Bastia ainsi que de celle des deux autres motifs, non contestés en cause d'appel, que ce tribunal a accueillis, les premiers juges n'ont pas, également à bon droit, exercé les pouvoirs qu'ils tiennent des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.
26. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Merendella n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé les arrêtés du maire de San-Nicolao des 2 février 2017 et 22 juillet 2019 en leur entier.
Sur l'appel incident présenté par la SCI Chiosaccio et la SARL Résidence Hôtelière
San-Lucianu :
27. En premier lieu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le juge administratif dispose, sans jamais y être tenu, de la faculté de joindre deux ou plusieurs affaires. La jonction est, par elle-même, insusceptible d'avoir un effet sur la régularité de la décision rendue et ne peut, par suite, être contestée en tant que telle devant le juge d'appel.
28. En second lieu, le juge de l'excès de pouvoir ne peut, en principe, déduire d'une décision juridictionnelle rendue par lui-même ou par une autre juridiction qu'il n'y a plus lieu de statuer sur des conclusions à fin d'annulation dont il est saisi, tant que cette décision n'est pas devenue irrévocable. Il en va toutefois différemment lorsque, faisant usage de la faculté dont il dispose dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il joint les requêtes pour statuer par une même décision, en tirant les conséquences nécessaires de ses propres énonciations. Dans cette hypothèse, toutes les parties concernées sont, en cas d'exercice d'une voie de recours, mises en cause et celle à laquelle un non-lieu a été opposé, mise à même de former, si elle le souhaite, un recours incident contre cette partie du dispositif du jugement.
29. En procédant à la jonction des deux recours susvisés dont il était saisi et en jugeant, après avoir annulé les arrêtés du maire de San-Nicolao des 2 février 2017 et 22 juillet 2019, que les conclusions à fin d'annulation présentées par la SCI Chiosaccio et la SARL Résidence hôtelière San-Lucianu avaient consécutivement perdu leur objet et qu'il n'y avait donc plus lieu d'y statuer, le tribunal administratif de Bastia a fait une exacte application de son office de juge de l'excès de pouvoir. Son jugement attaqué n'est ainsi entaché à ce titre d'aucune irrégularité. Les conclusions aux fins d'annulation, d'injonction et d'astreinte, présentées, par la voie de l'appel incident, par la SCI Chiosaccio et la SARL Résidence hôtelière San-Lucianu doivent, par conséquent, être rejetées, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir qui y sont opposées par la SARL Merendella, ni plus largement leur recevabilité.
Sur les frais liés au litige :
30. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "
31. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SCI Chiosaccio et de la SARL Résidence hôtelière San-Lucianu, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés par SARL Merendella et non compris dans les dépens.
32. En revanche, et dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SARL Merendella, en application de ces dispositions, une somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SCI Chiosaccio et la SARL Résidence Hôtelière San-Lucianu, et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL Merendella est rejetée.
Article 2 : La SARL Merendella versera à la SCI Chiosaccio et à la SARL Résidence Hôtelière San-Lucianu une somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la SCI Chiosaccio et la SARL Résidence Hôtelière San-Lucianu est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée (SARL) Merendella, à la commune de San-Nicolao, à la société civile immobilière (SCI) Chiosaccio et à la société à responsabilité limitée (SARL) Résidence hôtelière San-Lucianu.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Corse.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2025, où siégeaient :
- M. Duchon-Doris, président de la Cour,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mai 2025.
2
No 23MA02847