Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
I- Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 10 juin 2024 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de sa destination.
Par un jugement n° 2403353 du 20 août 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
II- M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 10 juin 2024 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de sa destination.
Par un jugement n° 2403356 du 20 août 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
I- Par une requête enregistrée sous le n° 24MA02430 le 13 septembre 2024 et un mémoire complémentaire, enregistré le 21 octobre 2024, Mme B..., représentée par Me Bessis-Osty, demande à la Cour :
1°) de l'admettre à l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler le jugement du 20 août 2024 du magistrat désigné du tribunal administratif de Nice ;
3°) d'annuler l'arrêté du 10 juin 2024 du préfet des Alpes-Maritimes ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à son conseil sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de fait et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur de fait et méconnaît les articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 33 de la convention de Genève.
La procédure a été communiquée au préfet des Alpes-Maritimes, qui n'a pas produit de mémoire.
Mme B... a été admise à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 novembre 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.
II- Par une requête enregistrée sous le n° 24MA02431 et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 septembre et 21 octobre 2024, M. C..., représenté par Me Bessis-Osty, demande à la Cour :
1°) de l'admettre à l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler le jugement du 20 août 2024 du magistrat désigné du tribunal administratif de Nice ;
3°) d'annuler l'arrêté du 10 juin 2024 du préfet des Alpes-Maritimes ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à son conseil sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de fait et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur de fait et méconnaît les articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 33 de la convention de Genève.
La procédure a été communiquée au préfet des Alpes-Maritimes, qui n'a pas produit de mémoire.
M. C... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 novembre 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Claudé-Mougel, rapporteur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... et M. C..., de nationalité russe, demandent l'annulation des jugements par lesquels le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a rejeté leurs demandes dirigées contre les arrêtés du 10 juin 2024 par lesquels le préfet des Alpes-Maritimes leur a refusé la délivrance de titres de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de leur destination.
Sur la jonction :
2. Les requêtes susvisées n° 24MA02430 et n° 24MA02431, présentées pour Mme B... et M. C..., présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur les demandes d'aide juridictionnelle provisoire :
3. Par des décisions du 29 novembre 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille a statué sur les demandes d'aide juridictionnelle présentées par les requérants et a admis chacun d'eux au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale pour les présentes instances d'appel. Dès lors, les conclusions présentées par Mme B... et M. C... tendant à ce que la Cour les admette provisoirement à l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet à la date du présent arrêt.
Sur la régularité des jugements attaqués :
4. Si les requérants soutiennent que les jugements attaqués sont irréguliers car entachés d'une erreur de fait et d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ces moyens, qui relèvent d'ailleurs du contrôle du juge de cassation et non de celui du juge d'appel, sont sans incidence sur la régularité des jugements attaqués, et ne peuvent donc qu'être écartés comme inopérants.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
5. En premier lieu, les moyens tirés de ce que les arrêtés contestés seraient entachés d'une erreur de fait ne sont pas assortis des précisions permettant à la Cour d'en apprécier le bien-fondé.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. A supposer que les requérants entendent soutenir que les arrêtés litigieux méconnaissent les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ils se prévalent seulement à cette fin de leur arrivée en France " il y a un et demi ", soit à une date récente, et d'un témoignage rédigé le 31 juillet 2024, soit postérieurement à la date des décisions contestées, par leur professeure de français. Ils n'établissent ainsi pas avoir transféré en France le centre de leurs intérêts privés et familiaux. Dans ces conditions, le préfet des Alpes-Maritimes, en les obligeant à quitter le territoire français, n'a pas porté au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels ces obligations ont été prises. Par suite, le moyen tiré de ce que les décisions contestées méconnaîtraient les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
8. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatif à la désignation du pays de renvoi : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
9. L'autorité administrative ne saurait légalement désigner comme pays de renvoi d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un pays dans lequel il risque d'être exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de la violation de ces stipulations conventionnelles peut être utilement invoqué par l'intéressé devant le juge de l'excès de pouvoir au soutien de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi. En revanche, il n'en va pas de même au soutien de conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français elle-même qui, en vertu de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est une décision distincte de celle fixant le pays de renvoi.
10. Il appartient au préfet chargé de fixer le pays de renvoi d'un étranger qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, en application de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que les mesures qu'il prend n'exposent pas l'étranger à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La personne à qui le statut de réfugié a été refusé ou retiré ne peut être éloignée que si, au terme d'un examen approfondi et complet de sa situation, et de la vérification qu'elle possède encore ou non la qualité de réfugié, il est conclu, en cas d'éloignement, à l'absence de risque au regard des stipulations précitées.
11. Il ressort des pièces du dossier que les demandes d'asile présentées par les requérants ont été rejetées par des décisions du 31 mai 2023 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmées par une décision du 20 octobre 2023 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Les intéressés produisent toutefois de nouveaux documents, traduits du russe par une experte traductrice-interprétatrice assermentée près la Cour d'appel de Rennes, composés notamment d'un avertissement officiel émis le 27 janvier 2021 à l'encontre de M. C..., relatif à la " commission d'actions créant des conditions propices à la commission de crimes, d'infractions administratives, dont la résolution relève de la compétence de la police, ainsi qu'en cas d'un comportement antisocial ", dont les requérants soutiennent, sans être contredits, qu'il aurait été émis suite à l'interpellation de l'intéressé durant une manifestation contre le régime russe, cette allégation étant accompagnée de photographies de M. C... portant des traces de sévices corporels. Les requérants produisent également une liste des citoyens affectés au dispositif de renforcement du commissariat militaire de la ville de Stavropol, sur laquelle figure, en 16ème position, le nom de M. C.... Les requérants produisent en outre une amende de 30 000 roubles à laquelle a été condamné ce dernier le 11 septembre 2024, soit postérieurement à la décision précitée de la CNDA, laquelle n'a ainsi pas pu prendre en compte cet élément nouveau, sur le fondement des dispositions de l'article 21.5 du code des infractions administratives de la Fédération de Russie, dont il ressort du site de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés, librement accessible tant au juge qu'aux parties, qu'il concerne les amendes infligées aux personnes mobilisées par l'armée russe ne s'étant pas présentées à leur convocation. Par ailleurs, de nombreux rapports établis par les organisations non-gouvernementales (ONG) Human Rights Watch et Amnesty International, ainsi que dans le cadre du Conseil des droits de l'homme des Nations-Unies, font état des conditions inhumaines dans lesquelles a lieu la guerre en cours entre la Russie et l'Ukraine. Dès lors, Mme B... et M. C... établissent être exposés à des risques de traitements ou peines inhumains ou dégradants en cas de retour dans leur pays d'origine, au sens et pour l'application des stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. Dans ces conditions, Mme B... et M. C... sont fondés à soutenir qu'en fixant la Russie comme pays de destination des mesures d'éloignement dont ils font l'objet, le préfet des Alpes-Maritimes a méconnu les articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, précités.
13. Il résulte de ce qui précède que Mme B... et M. C... sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a rejeté leurs demandes dirigées contre les arrêtés du 10 juin 2024 en tant qu'ils fixent la Russie comme pays de destination des mesures d'éloignement dont ils font l'objet, et à demander l'annulation de ces jugements et arrêtés dans cette mesure.
Sur les frais liés aux litiges :
14. Mme B... et M. C... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros pour chacun des requérants, à verser à Me Bessis-Osty au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce au bénéfice de la contribution au titre de l'aide juridictionnelle.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes d'aide juridictionnelle provisoire présentées par Mme B... et M. C....
Article 2 : Les jugements n° 2403353 et n° 2403356 du 20 août 2024 du magistrat désigné du tribunal administratif de Nice sont annulés en tant qu'ils ont rejeté les demandes de Mme B... et M. C... tendant à l'annulation des arrêtés du 10 juin 2024 du préfet des Alpes-Maritimes en tant qu'ils fixent la Russie comme pays de destination des mesures d'éloignement dont ils font l'objet.
Article 3 : Les arrêtés du 10 juin 2024 du préfet des Alpes-Maritimes sont annulés en tant qu'ils fixent la Russie comme pays de destination des mesures d'éloignement dont font l'objet Mme B... et M. C....
Article 4 : L'Etat versera à Me Bessis-Osty la somme totale de 3 000 euros en application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., à M. A... C..., à Me Bessis-Osty et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes et au procureur de la république près le tribunal judiciaire de Nice
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, où siégeaient :
- M. Portail, président,
- Mme Courbon, présidente assesseure,
- M. Claudé-Mougel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 avril 2025
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Nos 24MA02430, 24MA02431
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