Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL Vivarelli Building Compagny a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 22 mars 2021 par lequel le maire de la commune de Bastia s'est opposé à sa déclaration préalable de travaux déposée le 15 mars 2021 pour la régularisation d'une modification d'ouverture et de la création d'un balcon en façade côté quai des martyrs au dernier étage d'un immeuble implanté sur la parcelle cadastrée section AN n° l6l à l'adresse 6 rue des zéphyrs à Bastia, ensemble la décision du 25 juin 2021 par laquelle le préfet de la région Corse a rejeté son recours préalable obligatoire contre le refus d'accord de l'architecte des Bâtiments de France du 16 mars 2021.
Par un jugement n° 2100855 du 22 décembre 2023, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 février 2024 et 18 mars 2025, la SARL Vivarelli Building Compagny, représentée par Me Poletti, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 22 décembre 2023 ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Bastia la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle entend se référer à l'ensemble de ses moyens et conclusions de première instance ;
- en limitant son instruction de la déclaration préalable à la seule application des dispositions réglementaires, l'architecte des Bâtiments de France ne s'est pas livré à une appréciation personnelle des conséquences esthétiques ou d'intégration du projet de terrasse ;
- le préfet n'a pas répondu à son argumentation tirée de l'illégalité des dispositions réglementaires de l'article 4.3 interdisant les balcons en façade, pourtant appliquées tant par l'architecte des Bâtiments de France que par le maire dans la décision en litige ;
- ces dispositions réglementaires sont illégales au regard de leur motif s'appuyant sur l'absence de balcon en façades de bâtiments anciens ;
- il n'est pas justifié de l'application légale à l'immeuble en cause de ces dispositions réglementaires, relatives seulement aux immeubles remarquables ;
- en tout état de cause, compte tenu de l'existence de balcons dans les immeubles alentour, la réalisation du balcon en litige peut se justifier par l'ordonnancement existant de la façade et des façades alentour, au sens de ces dispositions réglementaires.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2025, la commune de Bastia, représentée par Me Muscatelli, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'appelante la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune fait valoir que :
- le préfet de région n'avait pas à répondre à tous les moyens du recours préalable de la société, et a suffisamment motivé son avis ;
- l'exception d'illégalité du site patrimonial remarquable de Bastia n'est pas suffisamment précise en ce qu'elle porte sur l'identification de l'édifice en cause, en immeuble remarquable, et inopérante en ce qu'elle s'appuie sur la situation factuelle existante ;
- le dernier moyen d'appel n'est pas fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2025, la ministre de la culture conclut au rejet de la requête, en faisant valoir que les moyens d'appel ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code du patrimoine ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la Cour a désigné M. Revert, président assesseur, pour présider la formation de jugement de la 4ème chambre, en application des dispositions de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- et les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. A l'occasion des travaux de rénovation de l'immeuble situé au 6 rue des Zéphyrs à Bastia, la SARL Vivarelli Building Compagny, propriétaire de l'appartement situé au dernier étage, a fait réaliser en façade arrière un balcon sur trois mètres de longueur et 1 mètre 20 de profondeur, sans autorisation, et pratiquer une ouverture dans la toiture, non plus en partie centrale, mais à gauche du toit. Le 4 mars 2021 le maire de Bastia a dressé un procès-verbal de constat d'infraction à la législation d'urbanisme et au règlement du site patrimonial remarquable de Bastia approuvé le 12 mars 2019, concernant la réalisation du balcon. Le 15 mars 2021, la SARL a déposé une déclaration préalable de régularisation relative au balcon et à l'ouverture en toiture. Mais l'immeuble concerné étant compris dans le périmètre du site patrimonial remarquable de Bastia, le maire a consulté, en application de l'article L. 632-1 du code du patrimoine, l'architecte des Bâtiments de France qui a refusé de donner son accord à ce projet le 16 mars 2021. Par un arrêté du 22 mars 2021, le maire de Bastia s'est opposé à la déclaration préalable de la SARL. Par un jugement du 22 décembre 2023, dont la SARL Vivarelli Building Compagny relève appel, le tribunal administratif de Bastia rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté et de la décision du 25 juin 2021 par laquelle le préfet de Corse a rejeté son recours préalable obligatoire contre le désaccord exprimé par l'architecte des Bâtiments de France.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le cadre juridique applicable :
2. Aux termes de l'article L. 421-7 du code de l'urbanisme : " Lorsque les constructions, aménagements, installations et travaux font l'objet d'une déclaration préalable, l'autorité compétente doit s'opposer à leur exécution ou imposer des prescriptions lorsque les conditions prévues à l'article L. 421-6 ne sont pas réunies. ". Aux termes de l'article L. 632-1 du code du patrimoine : " Dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable, sont soumis à une autorisation préalable les travaux susceptibles de modifier l'état des parties extérieures des immeubles bâtis, y compris du second œuvre, ou des immeubles non bâtis (...) / L'autorisation peut être refusée ou assortie de prescriptions lorsque les travaux sont susceptibles de porter atteinte à la conservation ou à la mise en valeur du site patrimonial remarquable. ". Le I de l'article
L. 632-2 du même code ajoute que : " - L'autorisation prévue à l'article L. 632-1 est, sous réserve de l'article L. 632-2-1, subordonnée à l'accord de l'architecte des Bâtiments de France, le cas échéant assorti de prescriptions motivées. A ce titre, ce dernier s'assure du respect de l'intérêt public attaché au patrimoine, à l'architecture, au paysage naturel ou urbain, à la qualité des constructions et à leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant. Il s'assure, le cas échéant, du respect des règles du plan de sauvegarde et de mise en valeur ou du plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine. (...) ". Aux termes de l'article R. 423-54 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est situé dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable ou dans les abords des monuments historiques, l'autorité compétente recueille l'accord ou, pour les projets mentionnés à l'article L. 632-2-1 du code du patrimoine, l'avis de l'architecte des Bâtiments de France. ".
3. Par ailleurs, l'article R. 424-14 du code de l'urbanisme précise que : " Lorsque le projet est situé dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable ou dans les abords des monuments historiques, le demandeur peut, en cas d'opposition à une déclaration préalable ou de refus de permis fondé sur un refus d'accord de l'architecte des Bâtiments de France, saisir le préfet de région, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, d'un recours contre cette décision dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'opposition ou du refus ".
4. D'une part, il résulte des dispositions qui viennent d'être citées que le pétitionnaire doit, avant de former un recours pour excès de pouvoir contre un refus de permis de construire portant sur un immeuble situé dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable et faisant suite à un refus d'accord de l'architecte des Bâtiments de France, saisir le préfet de région d'une contestation de ce refus. La décision du préfet, qu'elle soit expresse ou tacite, se substitue à celle de l'architecte des Bâtiments de France.
5. D'autre part, si, lorsque la délivrance d'une autorisation administrative est subordonnée à l'accord préalable d'une autre autorité, le refus d'un tel accord, qui s'impose à l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, ne constitue pas une décision susceptible de recours, des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision.
En ce qui concerne les moyens d'appel :
6. En premier lieu, la SARL ne peut utilement critiquer la légalité du refus d'accord de l'architecte des Bâtiments de France en soutenant que celui-ci n'a pas exercé pleinement sa compétence faute d'avoir apprécié l'insertion de son projet dans le milieu urbain environnant,
dès lors, ainsi qu'il a été dit au point 4, que la décision de refus du préfet de région, prise sur recours préalable obligatoire formé par la société, s'est entièrement substituée à ce premier refus et que pour rejeter ce recours, le préfet s'est quant à lui livré à une telle appréciation, conformément aux dispositions du I de l'article L. 632-2 du code du patrimoine, citées au point 3.
7. En deuxième lieu, s'il résulte du huitième alinéa de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration que " doivent être motivées les décisions qui : (...) /
8° rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire ", la décision du préfet de région rejetant le recours préalable de la SARL contre le refus d'accord de l'architecte des Bâtiments de France, qui énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde et n'avait pas à répondre à l'ensemble des arguments soulevés par la SARL à l'appui de son recours est, contrairement à ce qu'elle soutient, suffisamment motivée.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 631-1 du code du patrimoine : " Sont classés au titre des sites patrimoniaux remarquables les villes, villages ou quartiers dont la conservation, la restauration, la réhabilitation ou la mise en valeur présente, au point de vue historique, architectural, archéologique, artistique ou paysager, un intérêt public. (...) / Le classement au titre des sites patrimoniaux remarquables a le caractère de servitude d'utilité publique affectant l'utilisation des sols dans un but de protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine culturel. ". Aux termes de l'article L. 642-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine : " Une aire de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine peut être créée à l'initiative de la ou des communes ou d'un établissement public de coopération intercommunale lorsqu'il est compétent en matière d'élaboration du plan local d'urbanisme, sur un ou des territoires présentant un intérêt culturel, architectural, urbain, paysager, historique ou archéologique./Elle a pour objet de promouvoir la mise en valeur du patrimoine bâti et des espaces dans le respect du développement durable. Elle est fondée sur un diagnostic architectural, patrimonial et environnemental, prenant en compte les orientations du projet d'aménagement et de développement durables du plan local d'urbanisme, afin de garantir la qualité architecturale des constructions existantes et à venir ainsi que l'aménagement des espaces. / L'aire de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine a le caractère de servitude d'utilité publique. ". L'article L. 642-2 du même code, dans sa rédaction également antérieure à cette loi, dispose que :
" Le dossier relatif à la création de l'aire de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine comporte : un rapport de présentation des objectifs de l'aire. Ces objectifs sont fondés sur le diagnostic mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 642-1 et déterminés en fonction du projet d'aménagement et de développement durables du plan local d'urbanisme s'il est entré en vigueur ;un règlement comprenant des prescriptions ; et un document graphique faisant apparaître le périmètre de l'aire, une typologie des constructions, les immeubles protégés, bâtis ou non, dont la conservation est imposée et, le cas échéant, les conditions spéciales relatives à l'implantation, à la morphologie et aux dimensions des constructions./ Le règlement de l'aire de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine contient des règles relatives :à la qualité architecturale des constructions nouvelles ou des aménagements de constructions existantes ainsi qu'à la conservation ou à la mise en valeur du patrimoine bâti et des espaces naturels ou urbains ;à l'intégration architecturale et à l'insertion paysagère des constructions, ouvrages, installations ou travaux visant tant à l'exploitation des énergies renouvelables ou aux économies d'énergie qu'à la prise en compte d'objectifs environnementaux.". En application des dispositions du II de
l'article 114 de la loi du 7 juillet 2016, le règlement du projet d'aire de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine de Bastia est devenu règlement du site patrimonial remarquable de Bastia, approuvé le 12 mars 2019.
9. Il résulte des dispositions générales du règlement du site patrimonial remarquable de Bastia, que les édifices repérés à la cartographie du site comme remarquables correspondent à des immeubles antérieurs à la deuxième moitié du XXème siècle, identifiés comme tels après diagnostic pour leurs qualités architecturale, patrimoniale, historique, leur potentiel archéologique et leur intérêt dans la composition urbaine. Ainsi la SARL ne peut efficacement soutenir que le caractère remarquable de l'immeuble en cause, au sens de ce règlement, ne serait pas justifié par la commune, en se bornant à invoquer le prétendu état de délabrement de ce bâtiment. En outre, contrairement aux affirmations de l'appelante, l'article 4. 3 de ce règlement, relatif à la modification des façades, et applicable notamment aux édifices remarquables, en ce qu'il prescrit que la création de nouveaux balcons est interdite sauf cas très particulier justifié par l'ordonnancement existant de la façade, n'édicte pas une interdiction générale et absolue. Enfin, une telle prescription, à la fois justifiée par l'objectif de contenir le développement des balcons en façades d'immeubles qui, notamment dans le secteur 2 dit A... ville -Terra Vecchia, dont relève l'immeuble en cause, ne comportaient pas de tels éléments de surplomb ou d'avancée dans la première moitié du XXème siècle, et conforme aux dispositions de l'article L. 631-1 du code du patrimoine, n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation, malgré la présence de balcons sur certains des immeubles de ce secteur et d'autres du centre de Bastia, dont les immeubles adjacents au bâtiment en litige.
10. En dernier lieu, la réalisation d'un balcon au dernier étage de la façade arrière de l'immeuble en cause, qui n'en comporte aucun, mais seulement des oriels aux trois premiers étages, ne peut être regardée comme justifiée par l'ordonnancement existant de cette façade au sens des dispositions de l'article 4.3 du règlement du site patrimonial remarquable de Bastia, un tel ordonnancement s'appréciant au regard des seules façades de l'immeuble concerné par les travaux, et non des façades des immeubles alentour.
11. Le refus d'accord opposé par le préfet de région à la suite de celui de l'architecte des Bâtiments de France étant légal, le maire de la commune de Bastia était tenu de s'opposer à la déclaration préalable de la SARL Vivarelli Building Compagny.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Vivarelli Building Compagny n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement querellé, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du maire de Bastia du 22 mars 2021 s'opposant à sa déclaration préalable du 15 mars 2021, et contre la décision du préfet de Corse rejetant son recours préalable contre le refus d'accord de l'architecte des Bâtiments de France.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Bastia qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de la SARL Vivarelli Building Compagny une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la commune de Bastia et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Vivarelli Building Compagny est rejetée.
Article 2 : La SARL Vivarelli Building Compagny versera à la commune de Bastia une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Vivarelli Building Compagny, à la commune de Bastia et à la ministre de la culture.
Copie en sera adressée au préfet de Corse.
Délibéré après l'audience du 11 mars 2025, où siégeaient :
- M. Revert, président,
- M. Martin, premier conseiller,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 avril 2025.
N° 24MA003382