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04/04/2025 | FRANCE | N°21MA01210

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 2ème chambre, 04 avril 2025, 21MA01210


Vu la procédure suivante :



Avant de statuer sur l'appel formé par Mme C... F... contre le jugement n° 1801255 du 26 janvier 2021 rendu par le tribunal administratif de Nice, la cour a, par un arrêt avant dire droit du 30 juin 2023, ordonné une expertise.



Par une ordonnance du 18 juillet 2023, la présidente de la cour a désigné M. le Docteur D... E..., M. le Professeur H... B... et M. le Professeur A... G... en qualité d'experts.



Le rapport desdits experts a été enregistré au greffe de la cour le 3 octobre 2024.
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Par une lettre du 8 octobre 2024, les parties ont été informées de la possibilité qui leur...

Vu la procédure suivante :

Avant de statuer sur l'appel formé par Mme C... F... contre le jugement n° 1801255 du 26 janvier 2021 rendu par le tribunal administratif de Nice, la cour a, par un arrêt avant dire droit du 30 juin 2023, ordonné une expertise.

Par une ordonnance du 18 juillet 2023, la présidente de la cour a désigné M. le Docteur D... E..., M. le Professeur H... B... et M. le Professeur A... G... en qualité d'experts.

Le rapport desdits experts a été enregistré au greffe de la cour le 3 octobre 2024.

Par une lettre du 8 octobre 2024, les parties ont été informées de la possibilité qui leur était offerte de produire, dans le délai d'un mois, des observations.

Par un mémoire, enregistré le 15 novembre 2024, Mme C... F..., représentée par Me Dumont-Scognamiglio, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 26 janvier 2021 rendu par le tribunal administratif de Nice ;

2°) à titre principal, de mettre à la charge de l'ONIAM la somme totale de 945 725,42 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis ;

3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer dans l'attente de l'émission d'un avis par la commission de conciliation et d'indemnisation de Provence-Alpes-Côte-d'Azur (CCI PACA) sur sa saisine en date du 14 novembre 2024 ;

4°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle prend acte de ce que, selon le collège d'experts, il n'existe pas, en l'état des connaissances scientifiques, de lien de causalité entre la vaccination contre le virus de l'hépatite B et la cécité de son œil gauche ;

- elle entend tirer toutes les conséquences du rapport d'expertise judiciaire, lequel retient que sa cécité de l'œil gauche constitue en réalité une ophtalmie sympathique, dont l'unique cause réside dans les deux chirurgies oculaires de l'œil droit réalisées le 19 août 2003 et le 14 octobre 2003 et en demande réparation sur le fondement de l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique ;

- elle a, à cet effet, saisi la CCI PACA par une correspondance en date du 14 novembre 2024 ;

- elle a droit à réparation de ses préjudices aux montants suivants :

* au titre de la perte de gains professionnels actuels : 41 148 euros ;

* au titre des dépenses de santé futures : 20 000 euros ;

* au titre de l'assistance tierce personne temporaire : 20 852 euros ;

* au titre de l'assistance tierce personne permanente : 382 165,42 euros ;

* au titre de l'incidence professionnelle : 100 000 euros ;

* au titre du déficit fonctionnel temporaire : 11 010 euros ;

* au titre des souffrances endurées : 15 000 euros ;

* au titre du préjudice esthétique temporaire : 2 000 euros ;

* au titre du déficit fonctionnel permanent : 280 500 euros ;

* au titre du préjudice d'agrément : 28 050 euros ;

* au titre du préjudice esthétique permanent : 5 000 euros ;

* au titre du préjudice sexuel : 20 000 euros ;

* et au titre du préjudice d'établissement : 20 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2024, l'ONIAM, représenté par la SELARLU RRM agissant par Me Roquelle-Meyer, demande à la cour :

1°) à titre liminaire, de déclarer irrecevables les demandes de Mme F... ;

2°) à titre principal, de confirmer le jugement attaqué et de rejeter la requête d'appel de Mme F... ;

3°) en tout état de cause, de constater qu'aucun accident médical n'est constitué et de rejeter la requête d'appel de Mme F....

Il fait valoir que :

- les demandes formulées par Mme F... sur le fondement de l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique sont nouvelles en appel et sont, de ce fait, irrecevables ;

- la matérialité de l'injection de mai 2003 à laquelle Mme F... impute à sa pathologie n'est pas établie ;

- aucun lien de causalité n'a été établi entre la vaccination contre le virus de l'hépatite B et le syndrome de Vogt-Koyanagi-Harada.

Vu :

- l'ordonnance du 17 décembre 2024 par laquelle le président de la cour a liquidé et taxé à la somme de 2 000 euros chacun les frais d'expertise confiée à M. E..., M. B... et M. G... par l'ordonnance du 18 juillet 2023 ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mahmouti,

- et les conclusions de M. Gautron, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Avant de statuer sur l'appel formé par Mme C... F... contre le jugement du 26 janvier 2021 rendu par le tribunal administratif de Nice, la cour a, par un arrêt avant dire droit du 30 juin 2023, ordonné une mesure d'expertise. Par une ordonnance du 18 juillet 2023, M. le Docteur D... E..., M. le Professeur H... B... et M. le Professeur A... G... ont été désignés en qualité d'experts, lesquels ont remis leur rapport au greffe de la cour le 3 octobre 2024.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la demande de Mme F... tendant à la réparation au titre des vaccinations obligatoires :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent titre, est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l'article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale ".

3. Saisis d'un litige individuel portant sur la réparation des conséquences pour la personne concernée d'une vaccination présentant un caractère obligatoire, il appartient aux juges du fond, dans un premier temps, non pas de rechercher si le lien de causalité entre la vaccination et l'affection présentée est ou non établi, mais de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant eux, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Il leur appartient ensuite, soit, s'il ressort de cet examen qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe, de rejeter la demande, soit, dans l'hypothèse inverse, de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et de ne retenir alors l'existence d'un lien de causalité entre la vaccination obligatoire subie par la victime et les symptômes qu'elle a ressentis que si ceux-ci sont apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressort pas du dossier qu'ils peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que la vaccination.

4. Mme F... a soutenu devant le tribunal puis la cour souffrir de la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada et en a imputé l'apparition à la vaccination obligatoire contre le virus de l'hépatite B qu'elle a subie dans le cadre de sa formation au sein de l'institut de formation d'aide-soignant.

5. Il résulte toutefois de l'instruction, notamment de l'expertise diligentée par la cour, que le diagnostic de syndrome de Vogt-Koyanagi-Harada dont Mme F... pensait être atteinte a été posé par erreur et qu'elle souffre en réalité d'une ophtalmie sympathique, laquelle est une inflammation de son œil gauche survenue à la suite de deux chirurgies oculaires de l'œil droit réalisées le 19 août 2003 et le 14 octobre 2003. Dans ses écritures produites après expertise, Mme F... admet cette analyse et ne la conteste pas. Il s'en suit que les dommages dont elle demande l'indemnisation résultent d'une autre cause que la vaccination obligatoire dont elle a été l'objet. Elle n'est, dès lors, pas fondée à demander à être indemnisée par l'ONIAM à ce titre.

En ce qui concerne les conclusions de Mme F... tendant à la réparation au titre des accidents médicaux :

6. D'une part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa version applicable le 19 mars 2018, date d'enregistrement de la requête de première instance de Mme F... : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. ". La décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur. La victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur.

7. D'autre part, aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. ".

8. Mme F... expose dans ses dernières écritures que les dommages dont elle est atteinte résultent non pas de la vaccination obligatoire dont elle a fait état mais d'un accident médical subi à l'occasion de la réalisation de deux chirurgies oculaires de l'œil droit le 19 août 2003 et le 14 octobre 2003 et soutient avoir droit à la réparation, au titre des dispositions mentionnées au point précédent, des conséquences dommageables qui en ont résulté. Toutefois, elle invoque, ce faisant, un fait générateur distinct de celui dont elle a saisi initialement l'ONIAM, le tribunal administratif de Nice puis la cour. Dès lors, elle présente des conclusions qui ne relèvent pas du litige tranché par le jugement attaqué. Par conséquent, et sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer dans l'attente de l'émission d'un avis par la commission de conciliation et d'indemnisation de Provence-Alpes-Côte-d'Azur (CCI PACA) sur sa réclamation indemnitaire en date du 14 novembre 2024, les conclusions de Mme F..., en tant qu'elles tendent à la condamnation de l'ONIAM à l'indemniser des préjudices causés par deux chirurgies oculaires de l'œil droit réalisées le 19 août 2003 et le 14 octobre 2003, sont nouvelles en appel. Elles sont, dès lors, comme le fait valoir l'ONIAM en défense, irrecevables.

9. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que Mme F... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande et, d'autre part, que les conclusions de Mme F... tendant à la réparation au titre de l'accident médical doivent être rejetées.

Sur la charge des frais d'expertise :

10. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".

11. L'expertise ordonnée par la cour a permis d'éclairer Mme F... sur les causes de la survenue de sa cécité et lui sera utile dans le cadre de sa demande d'indemnisation au titre de la solidarité nationale. Compte tenu de ces circonstances particulières, il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM les frais d'expertise judiciaire taxés et liquidés par l'ordonnance du 17 décembre 2024 à hauteur de 2 000 euros pour chacun des trois experts missionnés.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'ONIAM qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par Mme F... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme F... est rejetée.

Article 2 : Les frais d'expertise judiciaire taxés et liquidés à hauteur de 2 000 euros pour chacun des trois experts missionnés par la cour sont mis à la charge définitive de l'ONIAM.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... F... et à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Copie en sera adressée aux experts.

Délibéré après l'audience du 27 mars 2025 où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- Mme Rigaud, présidente-assesseure,

- M. Mahmouti, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 avril 2025.

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N° 21MA01210

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA01210
Date de la décision : 04/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-03 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Service des vaccinations.


Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Jérôme MAHMOUTI
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : JASPER AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-04;21ma01210 ?
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