Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 13 juillet 2023 par lequel la directrice générale du centre hospitalier Valvert lui a infligé la sanction de la révocation à compter du 31 juillet 2023.
Par un jugement n° 2307030 du 17 mai 2024, le tribunal administratif de Marseille a, avant de statuer sur sa demande, décidé de procéder à une expertise confiée à un médecin expert spécialisé en psychiatrie et réservé jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 1er juillet et 18 décembre 2024 et le 14 janvier 2025, le centre hospitalier Valvert, représenté par la Selarl Walgenwitz Avocats, agissant par Me Walgenwitz, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 17 mai 2024 du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il a ordonné une expertise ;
2°) de mettre à la charge de M. A... B... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que le tribunal a ordonné une expertise qui présente un caractère inutile.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 novembre 2024 et le 7 janvier 2025, M. B..., représenté par Me Journault, conclut à la confirmation du jugement attaqué, à titre subsidiaire, à ce que la cour juge que les pièces produites aux débats suffisent à établir que sa détresse psychologique est de nature à avoir altéré son discernement et, enfin, à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier Valvert la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que le moyen soulevé par le centre hospitalier Valvert n'est pas fondé et que la sanction contestée est manifestement disproportionnée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mahmouti,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me Allala, représentant le centre hospitalier Valvert, et de Me Journault, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 13 juillet 2023 par lequel la directrice générale du centre hospitalier Valvert lui a infligé la sanction disciplinaire de la révocation à compter du 31 juillet 2023. Par un jugement du 17 mai 2024, le tribunal administratif de Marseille a, avant de statuer sur sa demande, décidé de procéder à une expertise confiée à un médecin expert spécialisé en psychiatrie et réservé jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'a pas expressément statué. Le centre hospitalier Valvert relève appel de ce jugement en tant qu'il a ordonné une expertise.
Sur le bienfondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le cadre juridique applicable :
2. D'une part, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. (...) ".
4. Enfin, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose à l'administration comme au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement devenu définitif, tandis que la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction administrative. Il n'en va autrement que lorsque la légalité de la décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale, l'autorité de la chose jugée s'étendant alors exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal.
En ce qui concerne la matérialité des faits reprochés :
5. Pour prendre l'arrêté du 13 juillet 2023 infligeant à M. B... la sanction de révocation, la directrice générale du centre hospitalier Valvert lui a reproché, d'une part, d'avoir agressé physiquement son supérieur hiérarchique le 21 décembre 2023, et, d'autre part, d'avoir, dans les semaines suivantes, tenu des propos et adopté des comportements menaçants et insultants à l'égard de son supérieur hiérarchique et d'autres agents du centre hospitalier.
6. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des attestations concordantes et circonstanciées des témoins, que, le 21 décembre 2023, M. B..., alors en congé maladie, est entré, le visage dissimulé sous une cagoule et armé d'une matraque, dans la salle de repos où se trouvait son supérieur hiérarchique, sur lequel il s'est jeté et à qui il a porté plusieurs coups. Ces faits, qui ont entraîné pour la victime une fracture des os et du coude et dont M. B... a admis la réalité dans le cadre de la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité qui a donné lieu à une ordonnance d'homologation du 5 septembre 2023 du tribunal correctionnel de Marseille, sont matériellement établis.
7. De même, il ressort des pièces du dossier qu'informé de sa suspension, M. B... a adressé au chef des ressources humaines des mails, le 4 janvier 2023, où il a écrit : " je n'ai plus rien à perdre ", " la prochaine fois que la G (...) me contacte ou m'écrit en ce faisant passer pour vous je montrerai que je sais encore plus qu'elle faire la (...). Perdant perdant pas gagnant gagnant ". La circonstance qu'un jugement du tribunal correctionnel de Marseille du 14 septembre 2023 ait relaxé M. B... des fins des poursuites engagées contre lui pour ces faits ne fait pas obstacle à ce que ceux-ci fussent retenus pour motiver une sanction disciplinaire prononcée contre le requérant, dès lors qu'il ressort des mentions du jugement précité que l'existence matérielle des faits dont s'agit n'a pas été niée par cette décision du juge pénal.
8. Ainsi, les faits reprochés à M. B... sont établis et constituent un manquement particulièrement grave de l'agent à ses obligations de dignité et, de ce fait, pourraient justifier le prononcé d'une sanction sauf situation particulière.
En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction :
9. M. B... a soutenu devant les premiers juges qu'au moment des faits qui lui sont reprochés, son discernement était altéré. Le tribunal s'est estimé insuffisamment éclairé sur ce point pour apprécier la proportionnalité de la sanction prononcée à son encontre, raison pour laquelle il a ordonné une expertise.
10. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le médecin qui a réalisé le 9 mars 2023 l'examen psychologique de l'intéressé, alors en garde à vue, a indiqué que M. B... n'était pas atteint d'une maladie mentale et qu'il était accessible à une sanction pénale et que, dans l'hypothèse d'une culpabilité, il n'y avait pas d'altération ou d'abolition de son discernement ou de contrôle de ses actes. Il notait toutefois " une personnalité borderline à limite décompensive sur un mode dépressif " et " une capacité à l'impulsivité forte signant une grande fragilité ". Il en ressort encore que le médecin psychiatre qui suivait M. B... au moment des faits reprochés atteste précisément le suivre pour des troubles anxieux anciens et que son patient, lorsqu'il a été hospitalisé en janvier 2023, faisait montre de délires interprétatifs, d'une impulsivité et de " labilité thymique ". De tels éléments, par lesquels deux médecins experts portent une appréciation contradictoire sur l'altération éventuelle du discernement de M. B..., ne permettent pas, et ainsi que l'a estimé à bon droit le tribunal, de se prononcer en toute connaissance de cause sur le moyen soulevé par l'intéressé.
11. D'autre part, le centre hospitalier Valvert soutient que le juge administratif est tenu par l'autorité attachée à l'ordonnance d'homologation du 5 septembre 2023 qui, prononçant une condamnation pénale à l'encontre de M. B..., a implicitement mais nécessairement jugé que le discernement de celui-ci n'était ni aboli ni altéré, outre que l'intéressé lui-même n'a jamais invoqué une quelconque altération de son discernement devant le juge pénal et au contraire a procédé à la reconnaissance des actes qui lui sont reprochés dans le cadre d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Toutefois, l'appréciation portée par le juge pénal sur le discernement de M. B... ne constitue pas une constatation matérielle de fait et, au demeurant, n'est pas mentionnée dans ladite ordonnance d'homologation, tandis que par ailleurs, la légalité de la sanction contestée n'est pas subordonnée à la condition que les faits qui les fondent constituent une infraction pénale. Il s'en suit qu'en l'espèce, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose pas au juge administratif s'agissant de l'altération éventuelle du discernement de M. B... au moment des faits qui lui sont reprochés.
12. Enfin, le centre hospitalier Valvert ne saurait davantage se prévaloir des décisions rendues par le juge administratif des référés en l'espèce, dont les ordonnances ne sont pas revêtues de l'autorité de la chose jugée et ne lient par conséquent pas le juge du fond.
13. Dans ces conditions et contrairement à ce que soutient le centre hospitalier Valvert, l'expertise ordonnée par le tribunal sur le degré de conscience et de contrôle que l'intéressé pouvait avoir de ses actes lors des faits qui lui sont reprochés ne présente pas un caractère frustratoire.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier Valvert n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a, avant de statuer sur la demande de M. B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 juillet 2023 prononçant sa révocation, décidé de procéder à une expertise confiée à un médecin expert spécialisé en psychiatrie et réservé jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le jugement.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au centre hospitalier Valvert au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cet établissement public la somme de 1 500 euros que réclame M. B... à ce même titre.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du centre hospitalier Valvert est rejetée.
Article 2 : Le centre hospitalier Valvert versera à M. B... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier Valvert et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 27 février 2025 où siégeaient :
- Mme Fedi, présidente de chambre,
- Mme Rigaud, présidente-assesseure,
- M. Mahmouti, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mars 2025.
2
N° 24MA01679
cm