Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 974 010,95 euros en réparation des préjudices subis du fait du décès de son époux, avec intérêts à compter de sa demande indemnitaire préalable et capitalisation des intérêts, de surseoir à statuer dans l'attente d'une réponse à sa demande de reconnaissance de faute inexcusable et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
Par un jugement n° 2102113 du 21 décembre 2023, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la requête de Mme A... comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés les 20 février 2024, 12 avril 2024, 8 janvier 2025 et 24 janvier 2025, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, Mme A..., représentée par Me Rebhun, doit être regardée comme demandant à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de surseoir à statuer dans l'attente de l'avis de la commission compétente en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles ;
2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 974 010,95 euros en réparation des préjudices subis du fait du décès de son époux, avec intérêts à compter de sa demande indemnitaire préalable et capitalisation des intérêts ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la juridiction administrative est compétente pour statuer sur sa requête indemnitaire ;
- l'administration a commis une faute intentionnelle en refusant de suivre les prescriptions médicales, en mutant son époux sur l'Ile du Levant alors que celui-ci y était isolé, ce qui constituait une sanction déguisée, en ne sanctionnant pas l'auteur du harcèlement moral dont il a été victime et en refusant, dans un premier temps, de reconnaître l'existence d'un accident de service ;
- elle est fondée à prétendre à l'indemnisation de l'ensemble des préjudices matériel et moral subis du fait du décès de son époux.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 janvier 2025, le ministre des armées conclut au rejet de la requête de Mme A....
Il fait valoir que la juridiction administrative est incompétente et qu'en tout état de cause, les moyens de la requête sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 30 décembre 2016 relatif aux règles de recrutement des ouvriers de l'Etat du ministère de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vincent,
- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né le 15 mai 1964, a été recruté, en septembre 1983, au sein de la direction générale de l'armement en qualité d'ouvrier d'Etat au poste de technicien aéronautique. A compter de 2002, il a été affecté sur le site du Mont Coudon, à Toulon, puis, à compter de 2016, sur le site de l'Île du Levant en qualité de technicien moyens tourelles optroniques. Le 15 janvier 2019, M. A... a mis fin à ses jours sur son lieu de travail durant son service. Par une lettre en date du 30 septembre 2020, Mme A..., son épouse, a adressé au ministre des armées une demande préalable en vue de l'indemnisation de l'ensemble des préjudices tant matériel que moral qu'elle estime avoir subis du fait du décès de son époux, constitutif d'un accident de service. Une décision implicite de rejet est née sur cette demande. Mme A... interjette appel du jugement du 21 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses conclusions indemnitaires comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. Aux termes de l'article 25 de l'arrêté du 30 décembre 2016 relatif aux règles de recrutement des ouvriers de l'Etat du ministère de la défense : " A l'issue de leur stage, si les intéressés donnent satisfaction, ils sont affiliés au régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat et signent un contrat à durée indéterminée ". Il résulte de ces dispositions que les ouvriers de l'Etat ne sont pas des fonctionnaires mais ont la qualité d'agents non titulaires.
3. Aux termes des dispositions de l'article L. 142-1 du code de la sécurité sociale : " Le contentieux de la sécurité sociale comprend les litiges relatifs : 1° A l'application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole ; (...) ". Aux termes de l'article L. 142-8 de ce code : " Le juge judiciaire connaît des contestations relatives : 1° Au contentieux de la sécurité sociale défini à l'article L. 142-1 (...) ".
4. En outre, aux termes de l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale, applicable aux ouvriers de l'Etat : " Sous réserve des dispositions prévues aux articles L. 452-1 à L. 452 -5, L. 454-1, L. 455-1, L. 455-1-1 et L. 455-2 aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit ". Aux termes de l'article L. 452-1 du même code : " Lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants ". L'article L. 452-3 de ce code prévoit que : " (...) la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle (...) ". Ce dernier article, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, prévoit que, dans le cas d'une faute inexcusable de l'employeur, la victime a le droit de demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale qui ont résulté pour elle de l'accident. Aux termes de l'article L. 452-5 de ce code : " Si l'accident est dû à la faute intentionnelle de l'employeur ou de l'un de ses préposés, la victime ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre ". En revanche, en dehors des hypothèses dans lesquelles le législateur a entendu instituer un régime de responsabilité particulier, un agent contractuel de droit public, dès lors qu'il ne se prévaut pas d'une faute intentionnelle de son employeur ou de l'un des préposés de celui-ci, ne peut exercer contre cet employeur une action en réparation devant les juridictions administratives, conformément aux règles du droit commun, à la suite d'un accident du travail dont il a été la victime.
5. Il résulte de l'instruction que Mme A... ne se prévalait, en première instance, d'aucune faute intentionnelle du ministre des armées ayant entraîné le décès de son époux. Si, pour la première fois en cause d'appel, la requérante fait usage de l'expression " faute intentionnelle " en faisant valoir que l'administration a refusé de suivre les prescriptions médicales, a muté son époux sur l'Ile du Levant alors que celui-ci y était isolé, ce qui serait constitutif d'une sanction déguisée, n'a pas sanctionné l'auteur du harcèlement moral dont il aurait été victime et a refusé, dans un premier temps, de reconnaître l'existence d'un accident de service, elle ne soutient toutefois pas que le ministre des armées aurait commis des actes volontaires dans l'intention de causer des lésions corporelles ou un dommage psychologique à son époux à l'origine de son décès. Par ailleurs, si Mme A... fait état du harcèlement moral dont aurait été victime son époux, il est constant qu'elle ne sollicite pas la réparation des préjudices que celui-ci aurait subis du fait dudit harcèlement mais uniquement la réparation des préjudices par elle-même subis du fait du décès de son époux, qui a été reconnu comme constitutif d'un accident de service par une décision du ministre des armées en date du 20 septembre 2021. Il résulte de tout ce qui précède que le litige porte donc ainsi exclusivement sur les conséquences d'un accident de service et de la reconnaissance d'une faute inexcusable et non intentionnelle et relève, dès lors, de la compétence de la juridiction de sécurité sociale.
6. Il suit de là, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Sur les frais d'instance :
7. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par Mme A... doivent, dès lors, être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 28 février 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2025.
N° 24MA00398 2
bb