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11/03/2025 | FRANCE | N°24MA00816

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 4ème chambre, 11 mars 2025, 24MA00816


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 18 juin 2021 par lequel la maire de Cassis lui a infligé la sanction disciplinaire de blâme, ensemble la décision implicite portant rejet de son recours gracieux, et, d'autre part, de mettre à la charge de la commune de Cassis une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2109373 du 7 févr

ier 2024, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ainsi que les ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 18 juin 2021 par lequel la maire de Cassis lui a infligé la sanction disciplinaire de blâme, ensemble la décision implicite portant rejet de son recours gracieux, et, d'autre part, de mettre à la charge de la commune de Cassis une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2109373 du 7 février 2024, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ainsi que les conclusions présentées par la commune de Cassis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 5 avril 2024, Mme A..., représentée par Me Pontier, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 7 février 2024 en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à l'annulation de cet arrêté de la maire de Cassis du 18 juin 2021 et de cette décision implicite portant rejet de son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Cassis la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les faits qui lui sont reprochés sont erronés et insusceptibles de fonder une sanction disciplinaire ; le tribunal administratif de Marseille a donc commis une erreur d'appréciation en ne retenant pas le caractère illégal de cette sanction tout comme la maire de Cassis en l'édictant ;

- l'enquête administrative n'a pas été diligentée avec loyauté et impartialité ;

- cette sanction est l'un des actes constitutifs du harcèlement moral commis à son encontre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2024, la commune de Cassis, représentée par Me Burtez-Doucède, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que le jugement attaqué doit être confirmé dès lors que c'est par une exacte appréciation et sans dénaturation des faits que le tribunal administratif de Marseille a écarté les moyens soulevés par Mme A... et jugé qu'elle n'était pas victime d'un harcèlement moral.

Par une ordonnance du 12 décembre 2024, la clôture de l'instruction, initialement fixée au 12 décembre 2024, a été reportée au 15 janvier 2025, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lombart,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- les observations tant de Me Durand, substituant Me Pontier, représentant Mme A..., que de cette dernière,

- et les observations de Me Claveau, substituant Me Burtez-Doucède, représentant la commune de Cassis.

Considérant ce qui suit :

1. Conseillère territoriale des activités physiques et sportives principale, Mme A... exerçait les fonctions de directrice des sports et loisirs au sein des services de la commune de Cassis lorsque, par un arrêté du 18 juin 2021, la maire de Cassis lui a infligé la sanction disciplinaire de blâme. Par la présente requête, Mme A... relève appel du jugement du tribunal administratif de Marseille du 7 février 2024 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté et de la décision implicite portant rejet de son recours gracieux.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué et la légalité de l'arrêté de la maire de Cassis du 18 juin 2021 :

En ce qui concerne la partialité de l'enquête :

2. En l'absence de disposition législative contraire, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire, à laquelle il incombe d'établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public, peut apporter la preuve de ces faits devant le juge administratif par tout moyen. Toutefois, tout employeur public est tenu, vis-à-vis de ses agents, à une obligation de loyauté. Il ne saurait, par suite, fonder une sanction disciplinaire à l'encontre de l'un de ses agents sur des pièces ou documents qu'il a obtenus en méconnaissance de cette obligation, sauf si un intérêt public majeur le justifie. Il appartient au juge administratif, saisi d'une sanction disciplinaire prononcée à l'encontre d'un agent public, d'en apprécier la légalité au regard des seuls pièces ou documents que l'autorité investie du pouvoir disciplinaire pouvait ainsi retenir.

3. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'autorité administrative aurait, dans la conduite de la procédure disciplinaire, manqué à l'impartialité requise ou manifesté une animosité particulière à l'égard de Mme A..., ni davantage que l'enquête diligentée l'aurait été à charge et de manière déloyale. Ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Marseille aux points 6 à 7 par des motifs qu'il convient d'adopter, ce moyen doit donc être écarté.

En ce qui concerne la matérialité des propos reprochés à Mme A... et de leur qualification de fautes disciplinaires :

4. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

5. Aux termes de l'article 29 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire (...) ".

6. Si les fonctionnaires ont, comme tout citoyen, le droit à la liberté d'opinion, ils sont tenus, lorsqu'ils s'expriment, de le faire dans des conditions qui ne constituent pas une méconnaissance de leur part de l'obligation de réserve à laquelle ils restent tenus envers leur administration. Par ailleurs, le comportement d'un fonctionnaire en dehors du service peut constituer une faute de nature à justifier une sanction s'il a pour effet de perturber le bon déroulement du service ou de jeter le discrédit sur l'administration.

7. En l'espèce, il ressort de la lecture de l'arrêté contesté du 18 juin 2021 que, pour infliger à Mme A... un blâme, la maire de Cassis lui a reproché d'avoir tenu, le 17 mai 2021, au cours d'une réunion du club de rugby de la commune, organisée en vue de la préparation de manifestations, des propos dénigrants à son encontre et à l'endroit de son adjoint délégué aux sports devant une quinzaine de membres du bureau de ce club et d'avoir ainsi porté atteinte à l'image de la commune et manqué à son devoir de réserve. Il ressort des pièces du dossier que ces propos tenus alors que Mme A... estimait que les règles sanitaires induites par la pandémie de covid-19 n'étaient pas respectées, ont été rapportés à la maire de Cassis par plusieurs participants à cette réunion spontanément, comme à l'occasion de l'enquête administrative ultérieurement diligentée. Dans ces conditions, les deux témoignages versés aux débats par Mme A..., dont les auteurs indiquent ne pas avoir entendu ces propos, même si l'un précise toutefois que " Mme A... a (...) dit que si Mme la maire et son élu n'étaient pas au courant des règles sanitaires ils avaient tort et que ce n'était pas responsable mais interdit c'est tout !!! ", ne sont pas, à eux seuls, de nature à remettre en cause la réalité des faits relatés par lesdits participants.

Il est ainsi suffisamment établi que l'appelante a publiquement critiqué les consignes données par la maire de Cassis et son adjoint aux dirigeants des associations sportives et qu'elle a remis en cause la compétence et le sens des responsabilités de ces élus. Alors même que Mme A... n'était pas en service lorsqu'elle s'est rendue à cette réunion et que les propos qui lui sont reprochés ne sont pas injurieux, une telle mise en cause, faite à l'occasion d'une réunion publique au cours de laquelle l'appelante s'est prévalue de sa qualité de directrice des sports, constitue bien un manquement à ses obligations professionnelles, et en particulier à son devoir de réserve, et ont porté atteinte à la considération de la commune de Cassis par les administrés. Excédant le droit à la liberté d'expression, ils présentent le caractère d'une faute disciplinaire de nature à justifier l'infliction d'une sanction, sans que la circonstance que ces propos n'aient pas fait l'objet d'une plus large publicité n'y fasse obstacle.

En ce qui concerne le moyen tiré du harcèlement moral :

8. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. (...) ".

9. En vertu des dispositions citées au point précédent, les fonctionnaires ne peuvent être sanctionnés lorsqu'ils sont amenés à dénoncer des faits de harcèlement moral dont ils sont victimes ou témoins. Toutefois, l'exercice du droit à dénonciation de ces faits doit être concilié avec le respect de leurs obligations déontologiques, notamment de l'obligation de réserve à laquelle ils sont tenus et qui leur impose de faire preuve de mesure dans leur expression. Lorsque le juge est saisi d'une contestation de la sanction infligée à un fonctionnaire à raison de cette dénonciation,

il lui appartient, pour apprécier l'existence d'un manquement à l'obligation de réserve et, le cas échéant, pour déterminer si la sanction est justifiée et proportionnée, de prendre en compte les agissements de l'administration dont le fonctionnaire s'estime victime ainsi que les conditions dans lesquelles ce dernier a dénoncé les faits, au regard notamment de la teneur des propos tenus, de leurs destinataires et des démarches qu'il aurait préalablement accomplies pour alerter sur sa situation.

10. Mme A... soutient que la sanction litigieuse prononcée à son encontre s'inscrit dans un contexte de harcèlement moral dont elle dit avoir être victime alors qu'elle était encore en poste au sein des effectifs de la commune de Cassis. Elle n'apporte toutefois, à l'appui de ses allégations, aucun élément susceptible de démontrer que cette sanction aurait pour fondement, non les propos qu'elle a tenus le 17 mai 2021, mais un tel harcèlement moral. Plus généralement, l'appelante ne produit pas davantage devant la Cour que devant les premiers juges de pièces de nature à faire présumer l'existence d'agissements constitutifs de harcèlement moral à son encontre. Par suite, et alors que, par un arrêt n° 24MA00815 du 11 mars 2025, la Cour a rejeté une autre requête présentée par Mme A... tendant à l'annulation du jugement nos 2200983, 2200995 du 7 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Marseille a refusé de reconnaître que cette dernière a été victime d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral, ce moyen doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré du détournement de pouvoir :

11. Il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard, notamment, à ce qui vient d'être dit au point précédent du présent arrêt, que l'arrêté contesté de la maire de Cassis du 18 juin 2021 serait entaché d'un détournement de pouvoir. Par suite, ce moyen doit également être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation tant de l'arrêté du 18 juin 2021 par lequel la maire de Cassis lui a infligé la sanction disciplinaire de blâme, laquelle n'est au demeurant pas entachée de disproportion, que de la décision implicite portant rejet de son recours gracieux.

Sur les frais liés au litige :

13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "

14. D'une part, ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Cassis, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A... sollicite au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

15. D'autre part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement de ces mêmes dispositions par la commune intimée.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Cassis tendant au bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la commune de Cassis.

Délibéré après l'audience du 25 février 2025, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2025.

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No 24MA00816


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24MA00816
Date de la décision : 11/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09-03-01 Fonctionnaires et agents publics. - Discipline. - Motifs. - Faits de nature à justifier une sanction.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Laurent LOMBART
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : SELARL ABEILLE & ASSOCIÉS - AVOCATS;SELARL ABEILLE & ASSOCIÉS - AVOCATS;SELARL ABEILLE & ASSOCIÉS - AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-11;24ma00816 ?
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