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11/03/2025 | FRANCE | N°24MA00022

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 4ème chambre, 11 mars 2025, 24MA00022


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, avant-dire droit, d'ordonner une expertise médicale afin de fixer et chiffrer son déficit fonctionnel permanent, et, d'autre part, de condamner la commune de Martigues à lui verser une somme de 210 500 euros en réparation des préjudices subis.



Par un jugement n° 2107097 du 2 novembre 2023, le tribunal administratif de Marseille a condamné la commune de Martigues à verser à M. B...

une somme de 6 500 euros.



Procédure devant la Cour :



Par une requête et un ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, avant-dire droit, d'ordonner une expertise médicale afin de fixer et chiffrer son déficit fonctionnel permanent, et, d'autre part, de condamner la commune de Martigues à lui verser une somme de 210 500 euros en réparation des préjudices subis.

Par un jugement n° 2107097 du 2 novembre 2023, le tribunal administratif de Marseille a condamné la commune de Martigues à verser à M. B... une somme de 6 500 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 janvier et 28 novembre 2024, M. B..., représenté par Me Carmier, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'ordonner avant-dire droit une expertise afin d'établir la réalité, la nature et l'étendue du déficit fonctionnel permanent dont il est victime ;

2°) de réformer le jugement du 2 novembre 2023 en ce qu'il ne fait que partiellement droit à sa demande ;

3°) de condamner la commune de Martigues à lui verser la somme de 259 380 euros en réparation des préjudices issus de ses manquements successifs ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Martigues la somme de 2 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761- 1 du code de justice administrative et 37 de la loi de 1991.

Il soutient que :

- le jugement sera confirmé en tant qu'il a retenu une faute de la commune à raison de de l'éviction illégale dont il a été l'objet ;

- en revanche, c'est à tort que les premiers juges ont écarté le moyen tiré du manquement de sa hiérarchie à son obligation de protection alors qu'il subissait une situation de persécution de ses collègues de travail ;

- c'est à tort que les premiers juges ont fixé le montant de son préjudice moral à hauteur de seulement 1 500 euros, somme qui devra être portée à un montant de 100 000 euros ;

- le calcul des premiers juges quant à l'évaluation du préjudice tiré de la perte de chance de terminer son stage est erroné ; l'indemnisation octroyée à ce titre ne saurait être inférieure à 6 480 euros ;

- le préjudice de perte de chance d'être titularisé est établi et doit être fixé à 122 400 euros ;

- il justifie de frais annexes qui devront être indemnisés à hauteur de 5 120 euros ;

- c'est à tort que les premiers juges ont refusé de faire droit à la demande d'expertise avant-dire droit afin de caractériser et d'estimer son déficit fonctionnel permanent ; en tout état de cause, il est évident que ce taux ne saurait être inférieur à 5 %, de sorte qu'il est fondé à solliciter une indemnisation de 12 500 euros pour ce poste de préjudice.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 octobre et 12 décembre 2024, la commune de Martigues, représentée par Me Phelip, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à la confirmation du jugement attaqué sauf en ce qu'il a jugé l'éviction de M. B... illégale et lui a octroyé une somme de 6 500 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) à ce que soit mise à la charge du requérant la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ;

- à titre subsidiaire, l'éventuelle indemnité susceptible d'être allouée au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ne saurait excéder une somme de 1 500 euros ;

- le préjudice de perte de chance de ne pas avoir terminé le stage n'est en rien démontré et la somme réclamée en rien justifiée dans son quantum ;

- le préjudice résultant d'une supposée perte de chance d'être titularisé n'est pas établi, de sorte que le jugement devra être réformé en tant qu'il a octroyé une somme de 5 000 euros à ce titre à M. B... ;

- la demande qui porte sur un déficit fonctionnel permanent n'est appuyée sur aucune pièce médicale, et une éventuelle indemnité à ce titre ne saurait excéder 5 000 euros ;

- les préjudices financiers allégués ne sont pas caractérisés.

Un courrier du 31 octobre 2024 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article

R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.

Par une ordonnance du 23 décembre 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Par une lettre du 10 janvier 2025, la Cour a demandé à M. B..., sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, de produire tout élément permettant de justifier du montant et des périodes au cours desquelles il a bénéficié du versement de l'aide au retour à l'emploi.

M. B... a répondu à cette demande en produisant le 14 janvier 2025 des pièces qui ont été communiquées à la commune de Martigues.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille du 24 janvier 2025.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- le code du travail ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 ;

- le décret n° 92-1194 du 4 novembre 1992 ;

- le décret n° 2006-1691 du 22 décembre 2006 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Martin,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- les observations de Me Gardoni, substituant Me Carmier, représentant M. B...,

- et les observations de Me Kaïssis, substituant Me Phelip, représentant la commune de Martigues.

Une note en délibéré, présentée pour M. B... par Me Carmier, a été enregistrée le 25 février 2025.

Considérant ce qui suit :

1. Par courrier du 14 avril 2021, M. B..., qui avait été recruté par la commune de Martigues en tant qu'agent temporaire non titulaire affecté au service funéraire par plusieurs contrats à durée déterminée à compter de l'année 2015, a saisi le maire de cette commune d'une demande indemnitaire préalable fondée sur les fautes commises par la collectivité, ayant consisté, d'une part, à l'avoir licencié alors qu'il avait été nommé en qualité d'agent stagiaire depuis moins de six mois, et, d'autre part, à avoir manqué à son obligation de protection à son égard alors qu'il était victime de faits de harcèlement sur son lieu de travail. Cette demande ayant été rejetée, M. B... a saisi le tribunal administratif de Marseille lequel, par un jugement du 2 novembre 2023, a estimé que la responsabilité de la commune était seulement engagée au titre d'une faute résultant de son éviction irrégulière, et l'a condamnée à verser à l'intéressé la somme de 6 500 euros en réparation des préjudices ayant résulté de cette faute. Par la présente requête, M. B... demande à la Cour de réformer ce jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses demandes. Et par la voie de l'appel incident, la commune de Martigues demande à la Cour de réformer ce jugement en tant qu'il a reconnu sa responsabilité au titre d'une éviction irrégulière et l'a condamnée à indemniser M. B... à ce titre.

Sur la responsabilité :

2. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 5 du décret du 4 novembre 1992 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires stagiaires de la fonction publique territoriale : " Le fonctionnaire territorial stagiaire peut être licencié pour insuffisance professionnelle lorsqu'il est en stage depuis un temps au moins égal à la moitié de la durée normale du stage ". Et aux termes de l'article 8 du décret du 22 décembre 2006 portant statut particulier du cadre d'emplois des adjoints techniques territoriaux : " Les candidats recrutés en qualité d'adjoint technique territorial de 2ème classe sur un emploi d'une collectivité territoriale (...), sont nommés stagiaires par l'autorité territoriale investie du pouvoir de nomination pour une durée d'un an. (...) ".

3. Sous réserve d'un licenciement intervenant en cours de stage et motivé par ses insuffisances ou manquements professionnels, tout fonctionnaire stagiaire a le droit d'accomplir son stage dans des conditions lui permettant d'acquérir une expérience professionnelle et de faire la preuve des capacités pour les fonctions auxquelles il est destiné. S'il est loisible à l'autorité administrative d'alerter, en cours de stage, l'agent sur ses insuffisances professionnelles et, le cas échéant, sur le risque qu'il court de ne pas être titularisé s'il ne modifie pas son comportement, la collectivité employeur ne peut, avant l'issue de la période probatoire, prendre d'autre décision que celle de licencier son stagiaire pour insuffisance professionnelle dans les conditions limitativement définies à l'article 5 du décret du 4 novembre 1992.

4. Par courrier du 27 avril 2018, l'adjoint au maire délégué au budget, au personnel et aux grands projets de la commune de Martigues a informé M. B... de ce que ses fonctions d'agent contractuel d'accueil technique et conducteur de four au service du crématorium communal prendraient fin au 31 mai 2018. Pour justifier de la qualité d'agent contractuel de M. B... à cette date, la commune de Martigues entend se prévaloir d'un contrat de travail qu'elle a conclu à cette fin avec l'intéressé pour une période de trois mois à compter du 1er février 2018. Toutefois, outre que ce contrat, signé le 9 avril 2018 alors que M. B... était en arrêt maladie en raison de troubles dépressifs, lui a été notifié le 26 avril 2018 soit la veille du courrier l'informant de la fin de ses fonctions à compter du 31 mai 2018, il résulte de l'instruction que, par un courrier du 29 janvier 2018, le maire de la commune de Martigues avait informé M. B... de ce qu'il était procédé à sa nomination à compter du 1er février 2018 en qualité d'adjoint technique territorial stagiaire au service maintenance des bâtiments funéraires. Si la commune persiste à soutenir, en cause d'appel, qu'en dépit de ce courrier, aucun arrêté de nomination n'est intervenu, de sorte que M. B... n'aurait jamais été nommé en qualité de stagiaire, il résulte d'abord de l'instruction que l'intéressé a été déclaré apte à remplir les fonctions auxquelles il était destiné, par un certificat médical établi le 18 janvier 2018 par un médecin agréé dans le cadre d'un examen médical en vue de sa stagiairisation dans la fonction publique territoriale. Ensuite, par un arrêté du 29 janvier 2018, visant un arrêté nommant l'appelant en qualité d'adjoint technique stagiaire, l'adjoint au maire délégué au personnel a fixé le régime indemnitaire de l'intéressé en cette qualité à compter du 1er février 2018. De plus, outre que les bulletins de paie de M. B... établis pour les mois de février et mars 2018 portaient la mention " stagiaire CNRACL ", la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) l'a informé de son affiliation à compter du 1er février 2018, par courrier du 6 février 2018, après étude du dossier transmis par la commune de Martigues elle-même. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que celle-ci ne pouvait, sans méconnaître les dispositions et principes rappelés aux points 2 et 3, conclure un nouveau contrat de travail pour une durée de trois mois avec un agent qui avait la qualité de stagiaire et bénéficiait, par suite, du droit d'accomplir son stage dans des conditions lui permettant d'acquérir une expérience professionnelle et de faire la preuve des capacités pour les fonctions auxquelles il était destiné pendant la durée d'un an prévue par l'article 8 du décret du 22 décembre 2006. Ce faisant, le courrier du 27 avril 2018 par lequel M. B... a été informé de ce que ses fonctions prendraient fin au 31 mai 2018 doit être regardé comme constituant une décision de licenciement en cours de stage, intervenue avant l'expiration du délai de six mois, correspondant à la moitié de la durée normale du stage,

à compter du 1er février 2018, et donc, de ce fait, en méconnaissance des conditions définies à l'article 5 du décret du 4 novembre 1992. Une telle illégalité constituant une faute, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la responsabilité de la commune de Martigues était engagée à ce titre.

5. En second lieu, et d'une part, aux termes de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail ". En outre, aux termes de l'article 2-1 du décret du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale : " Les autorités territoriales sont chargées de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité ".

Aux termes de l'article 3 de ce décret, dans sa version applicable au litige : " En application de l'article 108-1 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée, dans les services des collectivités et établissements mentionnés à l'article 1er, les règles applicables en matière de santé et de sécurité sont, sous réserve des dispositions du présent décret, celles définies aux livres Ier à V de la quatrième partie du code du travail et par les décrets pris pour leur application (...) ".

Et aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. (...) ".

6. D'autre part, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : /

1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ".

7. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

8. Si M. B... réitère son affirmation selon laquelle la commune de Martigues a manqué à son obligation de sécurité, en ce qu'elle n'est pas intervenue alors qu'il était victime de faits de harcèlement moral perpétrés par des collègues de travail, il n'apporte pas plus en cause d'appel qu'en première instance d'éléments de nature à faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. A cet égard, l'attestation nouvellement produite, rédigée le 26 janvier 2024 par son père, qui indique qu'il aurait été malmené et maltraité, ne suffit pas, à elle seule et en l'absence de tout autre élément, à faire présumer de l'existence d'un tel harcèlement, dès lors, notamment, que son rédacteur n'était pas présent au moment des faits. S'il est certes exact que M. B... a été placé en congé maladie à compter du 19 février 2018, et que par un certificat du 26 mars 2018, le psychiatre qui assure son suivi évoque une possible reprise de l'activité professionnelle en dehors du service funéraire, ce seul document ne suffit pas davantage à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, ce d'autant plus que le médecin se borne à évoquer l'existence de troubles dépressifs réactionnels à des évènements de vie difficiles pour expliquer l'arrêt de travail, et que M. B... n'établit pas ni même n'allègue avoir alerté sa hiérarchie des faits qu'il affirme avoir subis. Dans ces conditions, et alors que M. B... ne produit pas davantage d'élément de fait susceptibles de faire présumer de l'existence de pratiques empreintes de discrimination, la commune de Martigues ne peut être regardée comme ayant méconnu son obligation de sécurité posée par les dispositions citées au point 5.

Sur les préjudices :

9. En principe, toute illégalité commise par l'administration constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain. La responsabilité de l'administration ne saurait en revanche être engagée pour la réparation des dommages qui ne trouvent pas leur cause dans cette illégalité.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

10. En premier lieu, l'éviction illégale de M. B... est à l'origine directe d'un préjudice financier résultant de la circonstance qu'il a été privé de la possibilité de poursuivre son stage jusqu'à l'issue de la période probatoire d'un an qui a débuté le 1er février 2018. Compte tenu des traitements dont il aurait bénéficié s'il était demeuré stagiaire jusqu'au 31 janvier 2019, soit un montant mensuel moyen de 1 761 euros eu égard aux bulletins de paie des mois de février et mars 2018 versés dans l'instance, et des sommes qu'il a perçues pendant cette période au titre de l'aide au retour à l'emploi après son éviction illégale, telles qu'elles sont mentionnées dans les attestations éditées par Pôle emploi, il sera fait une exacte appréciation du préjudice financier correspondant à la perte de rémunération pour la période du 1er juin 2018 au 31 janvier 2019 en le fixant à 10 500 euros.

11. En deuxième lieu, si la nomination de M. B... en qualité de stagiaire n'impliquait pas sa titularisation, il avait toutefois vocation à être titularisé à l'issue de son stage. Il est par ailleurs constant que M. B... a donné entière satisfaction tout au long de son parcours professionnel au sein de la commune de Martigues en qualité d'agent contractuel entre 2017 et le 31 janvier 2018, raison pour laquelle le maire a décidé de le nommer fonctionnaire stagiaire à compter du 1er février 2018. Il est tout aussi constant qu'à la suite de cette nomination, M. B... a été affecté dans le même service et sur les mêmes fonctions que celles qu'il occupait précédemment. Dans ces conditions, il bénéficiait d'une chance très sérieuse d'être titularisé à l'issue de la période probatoire d'un an qui a débuté le 1er février 2018.

Par conséquent, il a droit à être indemnisé de la perte de chance d'être titularisé, préjudice qui trouve son origine dans l'illégalité de la décision d'éviction dont il a fait l'objet. Néanmoins, outre qu'il n'a pas contesté la décision d'éviction du 27 avril 2018 en sollicitant du maire son retrait ou du juge son annulation, il ne conteste pas qu'il n'a donné aucune suite à l'invitation qui lui a été faite d'adresser son curriculum vitae ainsi qu'une lettre de motivation afin que lui soient proposés des postes pouvant lui correspondre lors de ses rencontres avec les services de la direction des ressources humaines de la commune les 30 octobre 2019 et 11 février 2020, ainsi que cela est mentionné dans le courrier que lui a adressé le maire le 7 juin 2021 en réponse à sa demande indemnitaire préalable. Dans ces conditions, M. B... doit être regardé comme ayant renoncé à poursuivre son activité professionnelle au sein de la commune de Martigues à compter du 30 octobre 2019. Par conséquent, en tenant compte du traitement mensuel de 1 800 euros allégué et non contesté en défense auquel il aurait pu prétendre, et du montant mensuel de l'aide au retour à l'emploi perçu par l'intéressé, il sera fait une juste appréciation du préjudice de perte de chance d'être titularisé en le fixant à 8 000 euros.

12. En troisième lieu, les documents versés dans l'instance par M. B..., constitués de son avis d'imposition de 2023 au titre de l'impôt sur le revenu de l'année 2022, de l'attestation déjà citée rédigée par son père, d'un tableau récapitulatif des dépenses de ce dernier, établi par ses soins et faisant apparaitre des opérations de paiements de loyer ou encore d'aides ou d'honoraires d'avocats entre mai 2019 et janvier 2024, ne suffisent pas à établir qu'en raison de la faute commise par la commune de Martigues, il aurait subi des découverts bancaires l'ayant contraint à recourir à des prêts familiaux. Enfin, outre que M. B... a bénéficié de l'aide juridictionnelle totale en première instance, les frais d'avocat dont il réclame le remboursement ne sont justifiés par aucune facture et relèvent, en ce qui concerne les frais engagés dans le cadre de la présente requête, des frais exposés et non compris dans les dépens tels que prévus par les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par suite, la demande présentée au titre des frais annexes doit être rejetée.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

13. En premier lieu et d'une part, c'est par une juste appréciation que les premiers juges ont fixé à 1 500 euros le montant du préjudice moral subi par M. B... et imputable à la faute commise par la commune de Martigues. D'autre part, si l'appelant persiste à soutenir qu'il a subi des troubles dans ses conditions d'existence, la décision d'éviction ayant entraîné selon lui une dépression réactionnelle nécessitant un suivi psychiatrique, une hospitalisation d'un mois en hôpital psychiatrique, des conséquences sur sa vie sociale et affective et la reconnaissance par la maison départementale des personnes handicapées des Bouches-du-Rhône de son statut de travailleur handicapé, les seuls éléments versés au dossier ne permettent pas d'établir un lien de causalité direct entre les problèmes de santé de M. B... et son éviction, ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges.

14. En second lieu, M. B... n'apporte pas plus en cause d'appel qu'en première instance d'éléments de nature à établir qu'il justifierait d'un déficit fonctionnel permanent imputable à son éviction illégale. A cet égard, et ainsi qu'il a été précédemment dit, la pathologie dépressive ayant justifié son congé maladie à compter du 19 février 2018 est survenue avant la décision d'éviction illégale. Au surplus, les deux seuls certificats médicaux produits dans l'instance ne permettent nullement d'établir l'existence d'un déficit fonctionnel permanent, ni, à plus forte raison, un lien de causalité entre un éventuel préjudice de cette nature et la faute commise par la commune de Martigues, dès lors que celui établi le 26 mars 2018 se borne à évoquer, ainsi qu'il a été dit, l'existence de troubles dépressifs réactionnels à des évènements de vie difficiles, et que celui rédigé le 30 août 2018 atteste seulement de la prolongation des arrêts maladies jusqu'au 1er juillet 2018 inclus à la suite d'une hospitalisation, sans aucune autre précision. Enfin, en l'absence de tout autre document de nature médicale, la seule circonstance que M. B... s'est vu reconnaître la qualité de travailleur handicapé pour la période du 18 mars 2021 au 28 février 2026 ne suffit pas à établir l'existence du préjudice extrapatrimonial allégué. Par suite, la demande formulée à ce titre doit être rejetée, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise avant-dire droit ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a limité l'indemnisation totale mise à la charge de la commune de Martigues à la somme de 6 500 euros, qui doit être portée à un montant de 20 000 euros. Les conclusions d'appel incident de la commune de Martigues tendant à la réformation de ce jugement en tant qu'il a reconnu sa responsabilité au titre d'une éviction irrégulière et l'a condamnée à indemniser M. B... à ce titre doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. D'une part, M. B... n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par la commune de Martigues sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

17. D'autre part, M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Carmier, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de la commune de Martigues la somme de 2 000 euros au titre de la présente instance.

D É C I D E :

Article 1er : La somme de 6 500 euros que la commune de Martigues a été condamnée à verser à M. B... par l'article 1er du jugement n° 2107097 du tribunal administratif de Marseille du 2 novembre 2023, est portée à 20 000 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 2107097 du 2 novembre 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.

Article 3 : La commune de Martigues versera à Me Carmier une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Carmier, et à la commune de Martigues.

Délibéré après l'audience du 25 février 2025, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition du greffe, le 11 mars 2025.

N° 24MA00022 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24MA00022
Date de la décision : 11/03/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Entrée en service - Stage - Licenciement en cours de stage.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Stéphen MARTIN
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : CARMIER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-11;24ma00022 ?
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