Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 27 novembre 2020 par laquelle la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande tendant à la requalification de ses contrats d'engagement en contrat à durée indéterminée.
Par un jugement n° 2100676 du 18 octobre 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de Mme A....
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 décembre 2023 et 4 octobre 2024, Mme A..., représentée par Me Michel, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du 18 octobre 2023 ainsi que la décision du 27 novembre 2020 ;
2°) d'enjoindre au département des Bouches-du-Rhône de la recruter en qualité d'agent non titulaire en contrat à durée indéterminée à temps plein ;
3°) de mettre à la charge du département des Bouches-du-Rhône la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable dès lors que la décision attaquée fait grief ;
- le jugement sera confirmé en ce qu'il a écarté l'exception de chose jugée opposée par le département ;
- la décision attaquée est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- elle est entachée d'une erreur de qualification juridique des faits ; en effet, en ce qui concerne la nature juridique de l'engagement, elle ne remplit pas les conditions pour être recrutée en qualité de vacataire ; le jugement du tribunal administratif de Marseille sera confirmé sur ce point ;
- en revanche, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Marseille, la décision en litige, qui rejette sa demande de requalification des contrats d'engagement en contrat à durée indéterminée, a pour effet de lui refuser un avantage qui constitue un droit ; conformément aux exigences de la loi du 26 janvier 1984 et de l'article 21 de la loi du 12 mars 2012, elle démontre avoir exercé son emploi de médecin-expert de façon permanente depuis vingt-six années au sein du conseil départemental et doit bénéficier du statut d'agent non titulaire bénéficiant d'un contrat à durée indéterminée à plein temps.
Un courrier du 3 juillet 2024 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juillet 2024, le département des Bouches-du-Rhône, représenté par Me Urien, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la requérante la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'elle est dirigée contre une décision purement confirmative de décisions antérieures définitives ;
- à titre subsidiaire, le jugement attaqué est erroné dès lors que, contrairement à ce qu'il affirme, Mme A... a exercé ses missions en qualité de vacataire et non en qualité d'agent non titulaire ; ce statut de vacataire a d'ailleurs acquis un caractère définitif à la suite de l'arrêt n° 16MA01483 du 6 février 2018 de la Cour ;
- le jugement attaqué sera confirmé par substitution de motifs, la succession de contrats, même sur une longue période, ne donnant aucun droit à obtenir une requalification de cet acte en contrat à durée déterminée ou à durée indéterminée pour les vacataires ;
- à titre subsidiaire, le jugement attaqué sera confirmé en ce qu'il refuse à Mme A... le bénéfice des dispositions de l'article 21 de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique.
Par une ordonnance du 30 octobre 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Martin,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me Urien, représentant le département des Bouches-du-Rhône.
Une note en délibéré, présentée par Me Urien, pour le département des Bouches-du-Rhône, a été enregistrée le 5 mars 2025.
Une note en délibéré, présentée par Me Michel, pour Mme A..., a été enregistrée le 7 mars 2025.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... a été recrutée par le département des Bouches-du-Rhône par un arrêté du 1er octobre 2013 pour exercer, en qualité de vacataire et pour une durée d'un an, les fonctions de médecin évaluateur des demandes d'allocation personnalisée d'autonomie. Son engagement a ensuite été constamment renouvelé à son échéance annuelle, jusqu'au 30 septembre 2024 au moins. Par lettre du 30 septembre 2020, Mme A... a demandé à la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône le bénéfice d'un contrat à durée indéterminée à temps plein en qualité d'agent non titulaire. Par une décision du 27 novembre 2020, la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande. Par la présente requête, Mme A... relève appel du jugement du 18 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le département des Bouches-du-Rhône :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...). ".
3. La décision attaquée, par laquelle a été rejetée la demande de Mme A..., présentée par courrier de son conseil du 30 septembre 2020, tendant au bénéfice d'un contrat à durée indéterminée à temps plein en qualité d'agent non titulaire pour l'exercice de ses fonctions de médecin-expert auprès de la direction des personnes handicapées et des personnes du bel âge, n'a pas le même objet que les arrêtés annuels successifs par lesquels le conseil départemental des Bouches-du-Rhône l'a recrutée en qualité de médecin vacataire depuis l'année 2013. Dans ces conditions, cette décision ne peut être regardée comme ayant un caractère purement confirmatif de ces arrêtés. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le département des Bouches-du-Rhône, tirée de la tardiveté de la requête, doit être écartée.
Sur la légalité de la décision du 27 novembre 2020 :
4. En premier lieu, la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction issue de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, fixe aux articles 3-1 à 3-3 les cas dans lesquels les emplois permanents des collectivités territoriales peuvent par exception être pourvus par des agents non titulaires. L'article 136 de cette loi fixe les règles d'emploi de ces agents et précise qu'un décret en Conseil d'Etat déterminera les conditions d'application de cet article. Aux termes de l'article 1er du décret du 15 février 1988 pris pour l'application de l'article 136 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les dispositions du présent décret s'appliquent aux agents contractuels de droit public des collectivités et des établissements mentionnés à l'article 2 de la loi du 26 janvier 1984 (...). Les dispositions du présent décret ne sont toutefois pas applicables aux agents engagés pour une tâche précise, ponctuelle et limitée à l'exécution d'actes déterminés ".
5. Un agent de droit public employé par une collectivité ou un établissement mentionné au premier alinéa de l'article 2 de la loi du 26 janvier 1984 doit être regardé comme ayant été engagé pour exécuter un acte déterminé lorsqu'il a été recruté pour répondre ponctuellement à un besoin de l'administration. La circonstance que cet agent a été recruté plusieurs fois pour exécuter des actes déterminés n'a pas pour effet, à elle seule, de lui conférer la qualité d'agent contractuel. En revanche, lorsque l'exécution d'actes déterminés multiples répond à un besoin permanent de l'administration, l'agent doit être regardé comme ayant la qualité d'agent non titulaire de l'administration.
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a assuré, au plus tard à compter de l'année 2001, une activité de médecin-expert pour le compte du conseil départemental des Bouches-du-Rhône dans le cadre de l'instruction des dossiers de demandes de versement de l'allocation personnalisée d'autonomie. Il est par ailleurs constant qu'au titre de cette activité, la requérante a perçu du conseil départemental la somme de 15 504 euros en 2001, et qu'elle a ensuite été rémunérée à hauteur de 32 747 euros en 2002, 29 369 euros en 2003, et ensuite pour des montants compris entre 35 942 euros en 2004 et 83 017 euros en 2012. Par ailleurs, il ressort des procès-verbaux de constat d'huissier produits dans l'instance que Mme A... a réalisé, selon ses agendas annuels, entre 1 394 visites en 2010 et 1 693 visites en 2020. Alors que le nombre de rendez-vous annuels n'a pas varié dans des proportions particulièrement significatives au cours de cette période, à l'exception de pics d'activités en 2013 avec 1 772 visites et 1 750 visites en 2014, Mme A... affirme, sans être utilement contredite, que ceux-ci, dans leur intégralité, et dont le nombre s'approche au demeurant chaque année du nombre maximum de dossiers qu'elle était autorisée à instruire par les arrêtés annuels de recrutement en qualité de vacataire, correspond exclusivement à son activité de médecin-expert auprès du conseil départemental. Dans ces conditions, en dépit de la circonstance que Mme A... était rémunérée à la vacation, et qu'elle aurait bénéficié d'une liberté d'organisation incompatible avec les obligations pesant sur les agents non-titulaires selon le département, elle doit être regardée, eu égard à la nature, la durée et la constance de ses missions, comme ayant été recrutée non pour effectuer des vacations, mais pour répondre à un besoin permanent du département en qualité d'agent non titulaire relevant des dispositions du décret du 15 février 1988. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que Mme A... devait être regardée comme ayant eu la qualité d'agent non titulaire à la date de la décision attaquée.
7. En deuxième lieu, l'autorité relative de la chose jugée ne peut être utilement invoquée en l'absence d'identité d'objet, de cause et de parties. Or, si Mme A... a, préalablement à la présente instance contentieuse, saisi le tribunal administratif de Marseille d'une requête contre l'arrêté du 1er octobre 2013 par lequel le président du conseil général des Bouches-du-Rhône l'a recrutée en qualité de vacataire pour une durée d'un an, et que, par un jugement du 24 février 2016, confirmé par un arrêt de la Cour du 6 février 2018, ce recours a été définitivement rejeté, ce précédent contentieux porte sur un acte distinct de la décision en litige dans la présente instance, et qui n'avait pas le même objet. Par suite, le département des Bouches-du-Rhône n'est pas fondé à se prévaloir de l'autorité de chose jugée s'attachant à l'arrêt de la cour administrative d'appel du 6 février 2018 pour soutenir que le statut de vacataire de Mme A... a acquis un caractère définitif.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-3 de la loi du 26 janvier 1984, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " Par dérogation au principe énoncé à l'article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée (...) des emplois permanents peuvent être occupés de manière permanente par des agents contractuels dans les cas suivants : / 1° Lorsqu'il n'existe pas de cadre d'emplois de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions correspondantes ; 2° Lorsque les besoins des services ou la nature des fonctions le justifient et sous réserve qu'aucun fonctionnaire n'ait pu être recruté dans les conditions prévues par la présente loi ; (...) / Les agents ainsi recrutés sont engagés par contrat à durée déterminée d'une durée maximale de trois ans. Ces contrats sont renouvelables par reconduction expresse, dans la limite d'une durée maximale de six ans. Si, à l'issue de cette durée, ces contrats sont reconduits, ils ne peuvent l'être que par décision expresse et pour une durée indéterminée. ".
9. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 qu'à la date de la décision attaquée, Mme A... avait la qualité d'agent non titulaire de l'administration depuis plus de six ans. Par ailleurs, les arrêtés annuels successifs la recrutant comme vacataire depuis 2013 doivent être regardés comme des engagements justifiés par les besoins du service, pris sur le fondement des dispositions citées au point précédent du 2° de l'article 3-3 de la loi du 26 janvier 1984, le département des Bouches-du-Rhône n'établissant pas que des fonctionnaires titulaires auraient pu être recrutés dans les conditions prévues par la loi du 26 janvier 1984. Par conséquent, le département des Bouches-du-Rhône, qui a explicitement manifesté sa volonté de poursuivre la relation de travail avec Mme A... au-delà d'un délai de six ans, ne pouvait légalement, par la décision attaquée, refuser de reconduire son engagement sous contrat à durée indéterminée. Dès lors, la requérante est fondée à soutenir que la décision du 27 novembre 2020 est illégale et doit être annulée.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 27 novembre 2020. Par suite, tant ce jugement que cette décision doivent être annulés.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ".
12. Sous réserve d'un changement dans la situation de l'intéressée, eu égard aux motifs de l'annulation prononcée par le présent arrêt, et à la circonstance que postérieurement à la décision annulée, le département des Bouches-du-Rhône a entendu poursuivre la relation de travail avec Mme A... au titre des années 2022, 2023 et 2024, il y a lieu d'enjoindre au département des Bouches-du-Rhône de prendre une décision expresse tendant à l'engagement de Mme A..., à compter de la date de réception de sa demande du 30 septembre 2020, sous contrat à durée indéterminée à temps plein pour l'exercice de ses fonctions de médecin évaluateur des demandes d'allocation personnalisée d'autonomie, et ce, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le département des Bouches-du-Rhône demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du département des Bouches-du-Rhône une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2100676 du 18 octobre 2023 du tribunal administratif de Marseille, et la décision du 27 novembre 2020 par laquelle le département des Bouches-du-Rhône a rejeté la demande de Mme A... tendant au bénéfice d'un contrat à durée indéterminée à temps plein en qualité d'agent non titulaire, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au département des Bouches-du-Rhône de prendre une décision expresse tendant à l'engagement de Mme A..., à compter de la date de réception de sa demande du 30 septembre 2020, sous contrat à durée indéterminée à temps plein pour l'exercice de ses fonctions de médecin évaluateur des demandes d'allocation personnalisée d'autonomie, et ce, dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir.
Article 3 : Le département des Bouches-du-Rhône versera une somme de 2 000 euros à Mme A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... et au département des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 25 février 2025, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 11 mars 2025.
N° 23MA02997 2