Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association Générations futures, l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF) et l'association Agir pour l'environnement ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler les décisions du 27 septembre 2017 par lesquelles la directrice générale déléguée de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a autorisé la mise sur le marché français des produits phytopharmaceutiques " Closer " et " Transform ", produits par la société Dow Agrosciences SAS.
Par un jugement n°s 1704687, 1704689, 1705145 et 1705146 du 29 novembre 2019, ce tribunal a annulé ces décisions.
Par un arrêt n° 20MA00410 du 17 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la société Dow Agrosciences SAS, devenue Corteva Agriscience France SAS, contre ce jugement.
Par une décision n° 461634 du 15 mars 2024, le Conseil d'Etat a, sur pourvoi de la société Corteva Agriscience France SAS, annulé l'arrêt de la cour et renvoyé l'affaire à celle-ci.
Procédure devant la cour après renvoi :
Par trois mémoires en défense enregistrés les 19 avril 2024, 27 juin 2024 et 1er octobre 2024, l'UNAF et l'association Agir pour l'environnement, représentées par Me Fau, concluent au rejet de la requête de la société Corteva Agriscience France SAS et à ce que soient mises à la charge de cette dernière les sommes de 5 000 euros, pour chacune d'entre elles, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles font valoir que :
- l'ANSES a évalué les produits sans tenir compte de la formulation globale des produits phytopharmaceutiques ;
- la méthodologie d'évaluation des produits n'est pas conforme aux exigences du règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 ;
- les moyens soulevés par la société Corteva Agriscience France SAS ne sont pas fondés.
Par trois mémoires, enregistrés les 28 mai 2024, 16 septembre 2024 et 25 octobre 2024, la société Corteva Agriscience France SAS, représentée par Me Nigri, demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1, 3 et 4 de ce jugement du tribunal administratif de Nice du 29 novembre 2019 ;
2°) de rejeter les demandes des associations Générations futures et Agir pour l'environnement et de l'UNAF devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de l'association Générations futures et de l'UNAF, ou, à défaut, de l'association Agir pour l'environnement, le versement de la somme de 5 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les demandes de première instance de l'association Agir pour l'environnement étaient irrecevables en l'absence d'autorisation du conseil d'administration donnée à son président pour agir en justice ;
- les autorisations de mise sur le marché litigieuses n'ont pas été accordées en méconnaissance du principe de précaution ;
- elle a procédé à une évaluation de la formulation globale des deux produits en cause ;
- elle a mis en œuvre la méthodologie adéquate d'évaluation des produits.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 octobre 2024, l'association Générations futures, représentée par Me Lafforgue, conclut, à titre principal, au non-lieu à statuer, à titre subsidiaire, au rejet de la requête, en tout état de cause, à ce que soit mise à la charge de la société Corteva Agriscience France SAS la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions présentées par la société Corteva Agriscience France SAS, l'utilisation de produits à base de sulfoxaflor étant désormais interdite en France ;
- les décisions prises par l'ANSES ont méconnu le principe de précaution et le règlement d'exécution n° 2015/1295 de la Commission du 27 juillet 2015 ;
- elles ont été prises en violation des articles 4 et 29 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009, ainsi que du règlement (UE) n° 546/2011 de la Commission du 10 juin 2011.
Une note en délibéré, présentée pour l'ANSES, a été enregistrée le 7 février 2025.
Une note en délibéré, présentée pour la société Corteva Agriscience France SAS, a été enregistrée le 11 février 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ;
- le règlement (UE) n° 546/2011 de la Commission du 10 juin 2011 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Danveau,
- les conclusions deMme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me Nigri, représentant la société Corteva Agriscience France SAS, de Me Fau, représentant l'UNAF et l'association Agir pour l'environnement, de Me Baron, représentant l'association Générations futures et de Mme A..., représentant l'ANSES.
Considérant ce qui suit :
1. Par deux décisions du 27 septembre 2017, la directrice générale déléguée en charge du pôle " produits règlementés " de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a autorisé la mise sur le marché français des produits phytopharmaceutiques " Transform " et " Closer ", produits par la société Dow Agrosciences SAS, devenue Corteva Agriscience France SAS. Par un jugement du 29 novembre 2019, le tribunal administratif de Nice a annulé ces décisions. Par un arrêt du 17 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par cette dernière contre ce jugement. Par une décision n° 461634 du 15 mars 2024, le conseil d'Etat a cependant annulé, sur le pourvoi de la société Corteva Agriscience France SAS, cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour.
Sur le non-lieu à statuer :
2. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité d'une décision d'autorisation de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques au vu de la situation de fait et de droit qui prévalait à la date de son édiction. Il suit de là que l'association Générations futures ne peut, dans ces conditions, soutenir que la requête d'appel présentée par la société Corteva Agriscience France SAS serait dépourvue d'objet au motif que les produits phytopharmaceutiques " Closer " et " Transform " contiennent une substance active dont l'utilisation est désormais interdite par l'article D. 253-46-1 du code rural et de la pêche maritime dans sa version entrée en vigueur le 15 novembre 2022. Par suite, les conclusions à fin de non-lieu présentées par l'association Générations futures ne peuvent qu'être rejetées.
Sur la recevabilité des demandes de première instance de l'association Agir pour l'environnement :
3. Une association est régulièrement engagée par l'organe tenant de ses statuts le pouvoir de la représenter en justice, sauf stipulation de ses statuts réservant expressément à un autre organe la capacité de décider de former une action devant le juge administratif.
4. L'association Agir pour l'environnement a produit devant le tribunal le procès-verbal du 24 novembre 2017 de la réunion au cours de laquelle son conseil d'administration, et non son bureau ainsi que l'ont mentionné par erreur les premiers juges, a habilité le président à ester en justice au nom de l'association. Par suite, la société Corteva Agriscience France SAS n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir que les demandes présentées en première instance par le président de cette association n'étaient pas recevables.
Sur le bien-fondé du jugement :
5. Il résulte des dispositions du règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, notamment de son article 28, que ces produits ne peuvent, sauf exception, être mis sur le marché ou utilisés sans autorisation préalable de l'Etat membre concerné conformément au règlement. Le 2. de l'article 31 du même règlement dispose que " L'autorisation énonce les exigences relatives à la mise sur le marché et l'utilisation du produit phytopharmaceutique. Ces exigences comprennent au minimum les conditions d'emploi nécessaires pour satisfaire aux conditions et prescriptions prévues par le règlement approuvant les substances actives, phytoprotecteurs et synergistes. / (...) ". L'article 55 de ce même règlement dispose enfin que " Les produits phytopharmaceutiques doivent faire l'objet d'une utilisation appropriée. Une utilisation appropriée inclut l'application des principes de bonnes pratiques phytosanitaires et le respect des conditions fixées conformément à l'article 31 et mentionnées sur l'étiquetage. ".
6. Il ressort des pièces du dossier que les décisions en litige autorisent la mise sur le marché du " Closer " et du " Transform ", produits phytopharmaceutiques comprenant du sulfoxaflor comme substance active. En l'espèce, le règlement d'exécution (UE) de la commission du 27 juillet 2015, portant approbation de la substance active " sulfoxaflor ", était assorti de dispositions afin que les Etats membres accordent une attention particulière aux risques portés aux insectes pollinisateurs, en particulier les abeilles et bourdons, et prévoient des conditions d'utilisation comprenant des mesures d'atténuation de ces risques.
7. Il ressort des pièces du dossier que l'ANSES a assorti ses autorisations litigieuses de nombreuses prescriptions limitant l'utilisation de ses produits. Ainsi, une prescription SPe 8 a été définie pour les insectes pollinisateurs, en préconisant de ne pas utiliser les produits en présence d'abeilles, de ne pas appliquer les produits durant la floraison et les périodes de production d'exsudats, lorsque des adventices en fleurs sont présentes et, dans tous les cas, à partir de cinq jours avant le début de la floraison pour les applications en préfloraison. Une restriction supplémentaire est prévue pour le produit " Closer " qui s'utilise, à l'inverse du " Transform ", sous abri, l'utilisateur devant éviter toute exposition inutile, protéger ou retirer les colonies des insectes pollinisateurs durant le traitement et dans les cinq jours suivant le traitement et, enfin, respecter un délai de deux mois après traitement, avant introduction des insectes auxiliaires. Le respect de ces prescriptions est contrôlé par les services du ministère chargé de l'agriculture conformément à l'article 68 du règlement n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 et à l'article L. 253-13 du code rural et de la pêche maritime, et dont la méconnaissance est punie en application de l'article L. 253-17 du même code. Il suit de là que les conditions d'usage et d'emploi ainsi énoncées, s'inspirant des phrases types prévues à l'annexe III du règlement (UE) n° 547/2011 de la Commission du 8 juin 2011 portant application du règlement (CE) n° 1107/2009, étaient déterminées de manière suffisamment précise et permettaient aux utilisateurs professionnels avertis de ces produits de déterminer un usage adapté pour assurer l'effectivité des interdictions et prescriptions ainsi énoncées.
8. Il suit de là que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a, pour annuler les décisions du 27 septembre 2017 litigieuses, considéré que les conditions d'emploi ainsi définies étaient insuffisantes au motif qu'elles présentaient une portée générale et n'étaient assorties d'aucune obligation pour les utilisateurs du produit, de telle sorte que le principe de précaution était méconnu.
9. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'UNAF, l'association Agir pour l'environnement et l'association Générations futures devant le tribunal administratif et devant la cour.
Sur les autres moyens :
En ce qui concerne l'examen de la formulation globale des produits :
10. Il résulte des dispositions du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil que la commercialisation et l'utilisation de tels produits, sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne, n'est possible qu'après approbation des substances actives, phytoprotecteurs et synergistes qu'ils contiennent par la Commission européenne, au regard du projet de rapport d'évaluation établi par l'Etat membre rapporteur et des conclusions adoptées par l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaire, et après autorisation de mise sur le marché et utilisation par l'autorité compétente de l'Etat membre concerné. Aux termes de l'article 4 de ce même règlement : " 2. Les résidus des produits phytopharmaceutiques, résultant d'une application conforme aux bonnes pratiques phytosanitaires et dans des conditions réalistes d'utilisation, satisfont aux conditions suivantes: / a) ils n'ont pas d'effet nocif sur la santé des êtres humains, y compris les groupes vulnérables, ou sur la santé des animaux, compte tenu des effets cumulés et synergiques connus lorsque les méthodes d'évaluation scientifiques de ces effets, acceptées par l'Autorité, sont disponibles, ou sur les eaux souterraines ; / b) ils n'ont pas d'effet inacceptable sur l'environnement. ".
11. Aux termes de l'article 29 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement et du Conseil du 21 octobre 2009 : " Conditions d'autorisation de mise sur le marché / 1. Sans préjudice de l'article 50, un produit phytopharmaceutique ne peut être autorisé que si, selon les principes uniformes visés au paragraphe 6, il satisfait aux exigences suivantes : a) ses substances actives, phytoprotecteurs et synergistes ont été approuvés ; (...) f) la nature et la quantité de ses substances actives, phytoprotecteurs et synergistes et, le cas échéant, les impuretés et coformulants importants sur le plan toxicologique, écotoxicologique ou environnemental peuvent être déterminés à l'aide de méthodes appropriées ; (...) 2. Le demandeur est tenu de prouver le respect des exigences énoncées au paragraphe 1, points a) à h). (...) 6. Des principes uniformes d'évaluation et d'autorisation des produits phytopharmaceutiques comprennent les exigences énoncées à l'annexe VI de la directive 91/414/CEE et sont définis dans des règlements adoptés selon la procédure consultative visée à l'article 79, paragraphe 2, sans modifications substantielles. Les modifications ultérieures apportées à ces règlements sont adoptées en vertu de l'article 78, paragraphe 1, point c). En vertu de ces principes, l'interaction entre la substance active, les phytoprotecteurs, les synergistes et les coformulants doit être prise en compte lors de l'évaluation des produits phytopharmaceutiques. ". Aux termes de l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime : " Les conditions dans lesquelles la mise sur le marché et l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et des adjuvants vendus seuls ou en mélange et leur expérimentation sont autorisées, ainsi que les conditions selon lesquelles sont approuvés les substances actives, les coformulants, les phytoprotecteurs et les synergistes contenus dans ces produits, sont définies par le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil, et par les dispositions du présent chapitre. (...) ".
12. Il résulte de ces dispositions que le ministre chargé de l'agriculture ne peut autoriser la mise sur le marché d'un produit phytopharmaceutique que si les substances actives contenues dans ce produit sont inscrites sur la liste communautaire des substances actives autorisées ou bénéficient d'une dérogation prévue par la réglementation communautaire, et après que l'instruction de la demande d'autorisation a établi l'innocuité, l'efficacité et la sélectivité du produit. L'interaction entre la substance active, les phytoprotecteurs, les synergistes et les coformulants doit être également prise en compte lors de l'évaluation des produits phytopharmaceutiques.
13. Il incombe au ministre, dans l'hypothèse où il estime qu'une substance inscrite sur la liste des substances actives autorisées qui constitue l'un des composants d'une préparation ne remplit pas, dans cette préparation, l'une des fonctions qui caractérisent une des " actions générales ou spécifiques " mentionnées ci-dessus et qu'elle n'y est donc pas " active ", de l'établir.
14. Il résulte des mentions de la fiche de données de sécurité du produit " Transform " que cette préparation comporte quatre composants, qui sont le sulfoxaflor, dont le degré de concentration est de 50 %, le silicate d'aluminium ou kaolin et l'urée formaldehyde, représentant respectivement entre 20 % et 30 % et entre 10 % et 20 % du produit, et le sodium N-methyl-N-oleoyltaurine dont le degré de concentration est inférieur à 5 %. Il ressort par ailleurs de la fiche de données de sécurité du produit " Closer " que celui-ci est composé de sulfoxaflor et de propylèneglycol, le degré de concentration étant de 11,4 % pour le premier composant et étant inférieur à 5 % pour le second. Il est constant que le sulfoxaflor, l'urée formaldehyde et le silicate d'aluminium présentent, en application des règlements d'exécution (UE) 2015/1295 du 27 juillet 2015,
n° 540/2011 du 25 mai 2011 et n° 571/2012 du 28 juin 2012, les caractéristiques d'une substance active pharmaceutique, et que les règlements d'exécution prévoient notamment que le silicate d'aluminium ne peut être autorisé à être utilisé que comme répulsif, alors que l'urée ne peut être employé que comme appât et fongicide. Contrairement à ce que fait valoir la société Corteva Agriscience France SAS, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'ANSES aurait pris en considération d'autres substances actives et de coformulants que le sulfoxaflor, les conclusions de l'évaluation et les décisions attaquées ne mentionnant en tout état de cause que la seule présence du sulfoxaflor dans les préparations. Les seules références, dans les rapports d'évaluation de l'ANSES, aux noms de code " GF-2372 " et " GF -2626 ", correspondant respectivement aux produits " Transform " et " Closer ", ne sauraient démontrer que l'évaluation a porté sur les effets cumulés de l'ensemble des composants des préparations phytopharmaceutiques en cause. De surcroît, l'ANSES, qui n'a pas défendu en appel, ne s'est prévalue en première instance que de la seule présence du sulfoxaflor dans les deux produits en cause, confirmant en outre, s'agissant du " Transform ", que ce " produit ne contient qu'une seule substance active, le sulfoxaflor ". Or, l'évaluation préalable à la délivrance d'une autorisation de mise sur le marché doit porter sur les effets du produit phytopharmaceutique pris au vu de l'ensemble de ses composants et tel qu'il doit être commercialisé, et non sur les seuls effets d'un seul de ses composants. En l'espèce, aucun des éléments invoqués par la société Corteva Agriscience France SAS ne permet de connaître avec une certitude suffisante la fonction de chacun des composants des produits " Transform " et " Closer ", et leurs effets dans ces préparations, à savoir s'ils remplissent effectivement les fonctions de substance active ou de coformulant. Par suite, en l'absence de mise en œuvre d'une procédure d'évaluation complète des effets des préparations en cause, et indépendamment des mesures de précaution imposées, les décisions d'autorisations de mise sur le marché français des produits phytopharmaceutiques " Transform " et " Closer " apparaissent entachées d'illégalité.
En ce qui concerne la méthodologie d'évaluation des risques des produits :
15. Il résulte du 3. de l'article 29 du règlement précité (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 que " le respect des exigences énumérées au paragraphe 1, point b) et points e) à h) ", imposant notamment que le produit phytopharmaceutique n'ait aucun effet inacceptable sur l'environnement, est assuré " par des essais et des analyses officiels ou officiellement reconnus, dans des conditions agricoles, phytosanitaires et environnementales correspondant à l'emploi du produit phytopharmaceutique en question et représentatives des conditions prévalant dans la zone où le produit est destiné à être utilisé ". Le point 2.5.2.3 du B de la partie I de l'annexe au règlement (UE) n° 546/2011 du 10 juin 2011, portant sur les principes uniformes pour l'évaluation et l'autorisation des produits phytopharmaceutiques, établis conformément à l'article 29 paragraphe 6 du règlement (CE) n° 1107/2009 dispose que : " Les États membres apprécient la possibilité d'exposition des abeilles communes au produit phytopharmaceutique dans les conditions d'utilisation proposées ; si cette possibilité est réelle, ils évaluent l'ampleur du risque à court et à long terme auquel les abeilles communes pourraient être exposées après l'application du produit selon les conditions d'utilisation proposées. ". Le point 2.5.2.3 du C de la partie I de ce règlement dispose que : " Il n'est pas accordé d'autorisation, lorsque des abeilles communes peuvent être exposées, si les quotients de danger d'exposition des abeilles par contact ou par voie orale sont supérieurs à 50, à moins qu'une évaluation appropriée du risque n'établisse clairement que, dans des conditions naturelles, l'utilisation du produit phytopharmaceutique dans les conditions d'utilisation proposées n'entraîne pas d'effets inacceptables sur les larves d'abeilles, le comportement des abeilles ou la survie et le développement de la colonie. ". Enfin, selon l'article 36 du règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 : " 1. L'État membre examinant la demande procède à une évaluation indépendante, objective et transparente, à la lumière des connaissances scientifiques et techniques actuelles en utilisant les documents d'orientation disponibles au moment de la demande. Il donne à tous les États membres de la même zone la possibilité de faire part de leurs observations, qui seront examinées lors de l'évaluation. / Il applique les principes uniformes d'évaluation et d'autorisation des produits phytopharmaceutiques visés à l'article 29, paragraphe 6, pour déterminer, dans la mesure du possible, si le produit phytopharmaceutique satisfait aux exigences prévues à l'article 29 dans la même zone, lorsqu'il est utilisé conformément à l'article 55 et dans des conditions réalistes d'emploi ".
16. Il ressort des pièces du dossier, notamment des rapports d'évaluation de l'ANSES, que cette dernière a considéré que les quotients de danger d'exposition des abeilles aux produits " Closer " et " Transform " par contact ou par voie orale étaient supérieurs à 50, conduisant celle-ci à procéder à une évaluation approfondie des risques pour ces insectes. Il ressort des conclusions de ses évaluations que l'ANSES s'est fondée, pour évaluer ces risques, notamment sur le document guide européen Sanco/11244/2011 rev 5, qui peut servir utilement à cette évaluation, mais aussi sur les principes uniformes d'évaluation définis dans le règlement (UE) n° 546/2011 du 10 juin 2011, dont fait partie le point 2.5.2.3 du C de l'annexe de ce règlement. Toutefois, dès lors que ces conclusions se sont fondées sur des essais réalisés dans des conditions semi naturelles " en tunnel ", à l'exclusion de tout essai en milieu naturel alors que les deux produits ont vocation à être utilisés plein champ et à l'air libre, il n'est pas établi que ces études auraient été menées dans les conditions prévues au point 2.5.2.3 du règlement précité, qui impose d'effectuer une évaluation appropriée du risque à la fois dans des conditions naturelles et dans les conditions d'utilisation proposées. Il suit de là que la méthodologie d'évaluation suivie n'a pas permis d'établir de manière suffisamment concrète et précise que l'utilisation des deux produits phytopharmaceutiques dans les conditions prévues n'aurait pas d'effet inacceptable, notamment à long terme, sur les larves d'abeilles, le comportement des abeilles ou la survie et le développement de la colonie. Par suite, et alors qu'il ressort en particulier d'un rapport de l'autorité européenne de sécurité des aliments du 11 mars 2015 que la substance active " sulfoxaflor " augmente le risque de mortalité des abeilles notamment lorsqu'elle est utilisée sous serre, et que les évaluations disponibles n'ont pas permis d'exclure un risque élevé pour les abeilles dans le cas des utilisations en plein champ, cette méthodologie ne peut être regardée comme étant conforme aux exigences prescrites par les règlements précités n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 et n° 546/2011 du 10 juin 2011.
17. Par voie de conséquence, les insuffisances ainsi relevées aux points 14 et 16 quant à l'évaluation des produits phytopharmaceutiques en cause sont de nature à établir que les autorisations de mise sur le marché des produits " Transform " et " Closer " ont été, en dépit des précisions apportées sur leurs conditions d'utilisation, prises en méconnaissance des dispositions précitées des règlements n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 et n° 546/2011 du 10 juin 2011.
18. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés par l'UNAF et les associations Agir pour l'environnement et Générations futures, que la société Corteva Agriscience France SAS n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé les décisions du 27 septembre 2017 par lesquelles la directrice générale déléguée de l'ANSES a autorisé la mise sur le marché français des produits phytopharmaceutiques " Closer " et " Transform ".
Sur les frais liés au litige :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'UNAF, de l'association Agir pour l'environnement et de l'association Générations futures, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la société Corteva Agriscience France SAS. En revanche, en application de ces mêmes dispositions, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière les sommes de 2 000 euros à verser, d'une part, à l'association Générations futures et, d'autre part, globalement, à l'UNAF et à l'association Agir pour l'environnement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Corteva Agriscience France SAS est rejetée.
Article 2 : La société Corteva Agriscience France SAS versera, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 2 000 euros à l'association Générations futures.
Article 3 : La société Corteva Agriscience France SAS versera, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme globale de 2 000 euros à l'association Agir pour l'environnement et à l'Union nationale de l'apiculture française.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Corteva Agriscience France SAS, à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, à l'association Agir pour l'environnement, à l'association Générations futures et à l'Union nationale de l'apiculture française.
Copie du présent arrêt sera adressée à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Délibéré après l'audience du 6 février 2025, où siégeaient :
- Mme Fedi, présidente de chambre,
- Mme Rigaud, présidente assesseure,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 février 2025.
N° 24MA00675