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28/02/2025 | FRANCE | N°24MA00327

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 28 février 2025, 24MA00327


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner La Poste à lui verser la somme de 16 893,16 euros à parfaire en réparation des préjudices matériel et moral qu'il estime avoir subis du fait de l'absence de paiement de ses congés payés annuels de 2016 à 2019 et de mettre à la charge de La Poste la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Par un jugement n° 2006496 du 18 décem

bre 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la requête de M. A....



Procéd...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner La Poste à lui verser la somme de 16 893,16 euros à parfaire en réparation des préjudices matériel et moral qu'il estime avoir subis du fait de l'absence de paiement de ses congés payés annuels de 2016 à 2019 et de mettre à la charge de La Poste la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2006496 du 18 décembre 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la requête de M. A....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistré les 14 février 2024 et 22 janvier 2025, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. B... A..., représenté par Me Lucchini, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de condamner La Poste à lui verser la somme de 16 893,16 euros en réparation des préjudices matériel et moral qu'il estime avoir subis du fait du refus de paiement des congés annuels non pris de 2016 à 2019 ;

3°) de mettre à la charge de La Poste le paiement de la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que le tribunal a omis de statuer sur certains de ses moyens et conclusions ;

- il a droit au paiement des congés payés non pris au titre des années 2016 à 2019 en application de la directive 2003/88 du 4 novembre 2003 ;

- La Poste ne pouvait retrancher du calcul des jours dus au titre des années 2018 et 2019 des jours dus au titre de l'année 2016 ;

- la période de disponibilité d'office du 17 février 2019 au 16 mai 2019 ouvrait droit à congés ;

- La Poste a commis une faute en tardant à le placer à la retraite, ce qui lui a fait perdre ses droits à congés au titre de l'année 2017.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 novembre 2024, La Poste, représentée par Me Andreani, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête de M. A... ;

2°) de mettre à la charge de M. A... le paiement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- M. A... n'a pas lié le contentieux s'agissant de la faute afférente à une mise à la retraite tardive ;

- les moyens de la requête sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vincent,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Lucchini pour M. A... et de Me Tosi pour La Poste.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., exerçant les fonctions d'encadrant au service distribution du courrier de La Poste, a été placé en congé de longue maladie du 17 février 2016 au 16 février 2019, puis en disponibilité d'office du 17 février 2019 au 16 mai 2019 et, enfin, à la retraite pour invalidité à compter du 17 mai 2019. Par une lettre en date du 22 avril 2020, il a présenté à La Poste une demande tendant à l'indemnisation des préjudices matériel et moral qu'il estime avoir subis du fait du refus de paiement des congés annuels non pris de 2016 à 2019. Une décision implicite de rejet est née sur cette demande. M. A... interjette appel du jugement du 18 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Tandis que M. A... avait fait valoir, dans son mémoire enregistré au greffe du tribunal le 11 août 2021, d'une part, que La Poste ne pouvait retrancher des congés dus au titre des années 2018 et 2019 des jours de congés réglés au titre de l'année 2016 et, d'autre part, qu'en ne le plaçant à la retraite que le 17 mai 2019 alors qu'il avait formulé une demande le 7 septembre 2018, La Poste avait commis une faute à l'origine de la perte de droits à congés annuels dus au titre des années 2017 et, pour partie, 2019, le tribunal a omis de statuer sur des moyens qui n'étaient pas inopérants et a, par suite, entaché le jugement attaqué d'irrégularité. Il y a lieu, dès lors, d'annuler ledit jugement et, dans les circonstances de l'espèce, de statuer par la voie de l'évocation sur les conclusions présentées par M. A....

Sur la fin de non-recevoir soulevée par La Poste :

3. Si La Poste fait valoir que les conclusions présentées par M. A... sont irrecevables en ce qu'elles tendraient à la réparation de préjudices nés d'une faute dans la gestion de sa demande de mise à la retraite, dès lors qu'aucune demande indemnitaire n'avait été présentée sur ce fondement, il est constant que M. A..., bien qu'il soulève un tel moyen, ne présente des conclusions indemnitaires qu'en réparation des préjudices qu'il estime consécutifs à la perte de ses droits à congés annuels de 2016 à 2019. Par suite, la fin de non-recevoir soulevée par La Poste doit être écartée.

Sur les conclusions indemnitaires présentées par M. A... :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'Etat : " Le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par le chef de service. / Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice ".

5. Aux termes de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ". En application de la partie B de l'annexe I de cette directive, le délai de transposition de l'article 7 était fixé au 23 mars 2005.

6. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), notamment dans son arrêt du 6 novembre 2018 " Stadt Wuppertal " et " Volker Willmeroth " (C-569/16 et C-570/16), lorsque la relation de travail prend fin, la prise effective du congé annuel payé n'est plus possible. Afin de prévenir que, du fait de cette impossibilité, toute jouissance par le travailleur de ce droit, même sous forme pécuniaire, soit exclue, l'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88/CE prévoit que le travailleur a droit à une indemnité financière, qui n'est soumise à aucune autre condition que celle tenant au fait, d'une part, que la relation de travail a pris fin, et, d'autre part, que le travailleur n'a pas pris tous les congés annuels auxquels il avait droit à la date où cette relation a pris fin. Ce droit est conféré directement par cette directive et ne saurait dépendre de conditions autres que celles qui y sont explicitement prévues. Les dispositions de l'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88/CE remplissent ainsi les conditions requises pour produire un effet direct. En outre, dans son arrêt rendu le 6 novembre 2018 " Kreuziger " (C-619/16), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88/CE s'oppose à des législations ou réglementations nationales qui prévoient que, lors de la fin de la relation de travail, aucune indemnité financière au titre de congés annuels payés non pris n'est versée au travailleur qui n'a pas été en mesure de prendre tous les congés annuels auxquels il avait droit avant la fin de cette relation de travail. Par suite, les dispositions de l'article 5 du décret du 26 octobre 1984, qui ne prévoient le report des congés non pris au cours d'une année de service qu'à titre exceptionnel, sans réserver le cas des agents qui ont été dans l'impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d'un congé de maladie, et s'opposent à l'indemnisation de ces congés lorsqu'il est mis fin à la relation de travail, sont incompatibles dans cette mesure avec les dispositions de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003.

7. En l'absence de dispositions législatives ou réglementaires fixant ainsi une période de report des congés payés qu'un agent s'est trouvé, du fait d'un congé maladie, dans l'impossibilité de prendre au cours d'une année civile donnée, le juge peut en principe considérer, afin d'assurer le respect des dispositions de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, que ces congés peuvent être pris au cours d'une période de quinze mois après le terme de cette année. La CJUE a en effet jugé, dans son arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011, qu'une telle durée de quinze mois, substantiellement supérieure à la durée de la période annuelle au cours de laquelle le droit peut être exercé, est compatible avec les dispositions de l'article 7 de la directive. Toutefois ce droit au report s'exerce, en l'absence de dispositions, sur ce point également, dans le droit national, dans la limite de quatre semaines prévue par cet article 7, ce qui représente 24 jours pour les agents ayant des obligations hebdomadaires de 6 jours sur 7.

8. Si le droit à indemnisation financière au titre des congés payés non pris pendant un congé de maladie d'un agent dont la relation de travail a pris fin est conditionné par la circonstance que la cessation de la relation de travail soit intervenue dans le délai de 15 mois à compter du terme de l'année civile au cours de laquelle les congés sont dus, il n'est, en revanche, pas subordonné à la présentation d'une demande d'indemnisation dans lesdits 15 mois, cette demande restant régie par les seules règles de prescription des créances.

9. D'une part, il résulte de l'instruction qu'à la date de la fin de la relation de travail, soit le 17 mai 2019, date de mise à la retraite pour invalidité, le droit au report des congés annuels de M. A... au titre des années 2016 et 2017 était expiré. Si M. A... fait valoir, s'agissant de l'année 2017, que ses droits à indemnisation au titre des congés annuels non pris n'auraient pas été expirés s'il avait été placé à la retraite avant le 31 mars 2019, soit dans le délai de 15 mois précité, il ne résulte pas de l'instruction que le délai entre sa demande de placement à la retraite déposée le 7 septembre 2018 et l'ouverture de ses droits à pension le 17 mai 2019 aurait été, alors que le comité médical ne s'est prononcé que le 16 janvier 2019 sur ses taux d'invalidité, excessif et, par suite, fautif.

10. D'autre part, il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 8 du présent arrêt que, s'agissant des droits à congés annuels dus au titre de l'année 2018, M. A..., qui travaillait 6 jours sur 7, peut prétendre au bénéfice d'une indemnisation, dans la limite maximale de 24 jours. S'agissant de l'année 2019, le droit à indemnisation du requérant ne peut s'étendre à la période du 17 février au 16 mai au cours de laquelle il a été placé, sans qu'il résulte de l'instruction que ce placement soit fautif, en position de disponibilité d'office dès lors que, dans cette position, il était placé hors de son administration d'origine et avait cessé de bénéficier de ses droits à congés annuels. Ses droits à congés annuels au titre de l'année 2019 s'élèvent donc à 3 jours (47 jours du 1er janvier au 16 février 2019 X 24 jours maximum par an/ 365). Il résulte de ce qui précède que M. A... était fondé à prétendre à une indemnisation correspondant à 27 jours de congés annuels non pris au titre des années 2018 et 2019.

11. Il résulte toutefois de l'instruction que, par une décision en date du 2 mars 2021, La Poste a indemnisé M. A... à hauteur de 16 jours, après avoir à tort déduit, au titre des congés dus en 2018 et 2019, et alors que le calcul ne peut être effectué qu'année par année, 12 jours payés au titre de l'année 2016. Il suit de là que M. A... est fondé à prétendre à une indemnisation au titre de 11 jours supplémentaires. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi à ce titre par M. A... en l'évaluant, sur la base de son traitement net, à la somme de 920 euros.

12. Par ailleurs, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. A... du fait des multiples demandes infructueuses qu'il a déposées depuis 2018 en l'évaluant à la somme de 1 500 euros.

Sur les frais d'instance :

13. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par La Poste doivent, dès lors, être rejetées. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de La Poste le paiement de la somme globale de 3 000 euros qui sera versée à M. A... au titre des frais d'instance exposés en première instance et en appel en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 2006496 du 18 décembre 2023 est annulé.

Article 2 : La Poste est condamnée à verser à M. A... la somme de 2 420 euros.

Article 3 : La Poste versera à M. A... la somme de 3 000 euros au titre des frais de première instance et d'appel en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à La Poste.

Délibéré après l'audience du 7 février 2025, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 février 2025.

N° 24MA00327 2

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24MA00327
Date de la décision : 28/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-05-04-03 Fonctionnaires et agents publics. - Positions. - Congés. - Congés annuels.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Aurélia VINCENT
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : LUCCHINI

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-28;24ma00327 ?
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