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13/02/2025 | FRANCE | N°24MA02738

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 1ère chambre, 13 février 2025, 24MA02738


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'arrêté du 23 septembre 2024 par lequel le préfet du Var a procédé au renouvellement, pour une durée de quarante-cinq jours, de l'assignation à résidence dont il a fait l'objet le 30 juillet 2024.



Par un jugement n° 2403337 du 25 octobre 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulon a fait droit à sa demande et a enjoint au préfet du Var de procéder, sous un mois,

au réexamen de sa situation.



Procédure devant la Cour



Par une requête et un mémo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'arrêté du 23 septembre 2024 par lequel le préfet du Var a procédé au renouvellement, pour une durée de quarante-cinq jours, de l'assignation à résidence dont il a fait l'objet le 30 juillet 2024.

Par un jugement n° 2403337 du 25 octobre 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulon a fait droit à sa demande et a enjoint au préfet du Var de procéder, sous un mois, au réexamen de sa situation.

Procédure devant la Cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 et 7 novembre 2024, le préfet du Var demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif ;

Il soutient que la mesure d'éloignement prise par le préfet des Alpes-Maritimes à l'encontre de M. B... le 14 avril 2023 a mis fin à son droit au séjour en France en qualité de demandeur d'asile, notamment à son droit de travailler, si bien que le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulon ne pouvait se fonder sur les obligations professionnelles de l'intéressé pour regarder comme disproportionnées les mesures de surveillances énoncées dans l'arrêté du 23 septembre 2024 prolongeant l'assignation à résidence du 30 juillet 2024.

Par des mémoires, enregistrés les 11 décembre 2024 et 21 janvier 2025, M. B..., représenté par Me Bertelle, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens invoqués par le préfet ne sont pas fondés ;

- il n'a pas été destinataire de l'arrêté par lequel le préfet des Alpes-Maritimes lui a fait obligation de quitter le territoire français ;

- l'arrêté portant assignation à résidence est insuffisamment motivé, en violation de l'article L. 732-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- il n'a pas été notifié par l'intermédiaire d'un interprète en langue turque, en méconnaissance de l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision d'exécuter l'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le renvoi en Turquie est contraire à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Courbon, présidente assesseure,

- et les observations de Me Bertelle, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant turc né le 12 décembre 1999, est entré en France le 12 septembre 2021 selon ses déclarations. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 28 février 2022, décision confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 4 juillet 2022. M. B... a, en conséquence, fait l'objet, le 14 avril 2023, d'un arrêté du préfet des Alpes-Maritimes l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours. A la suite de son interpellation et de son placement en retenue administrative, le préfet du Var a pris à son encontre, le 30 juillet 2024, un arrêté prononçant son assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Le 2 septembre 2024, cet arrêté d'assignation à résidence a été renouvelé une première fois, pour la même durée, à compter du 13 septembre 2024. Par un arrêté du 23 septembre 2024, le préfet du Var a renouvelé cette assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours à compter du 18 octobre 2024. Le préfet du Var relève appel du jugement du 25 octobre 2024 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulon a annulé ce dernier arrêté.

2. Aux termes de l'article L. 731-1 du code de justice administrative : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : / 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; (...) ". Aux termes de l'article L. 732-3 du même code : " L'assignation à résidence prévue à l'article L. 731-1 ne peut excéder une durée de quarante-cinq jours. / Elle est renouvelable deux fois dans la même limite de durée. ". Aux termes de l'article L. 733-1 de ce code : " L'étranger assigné à résidence en application du présent titre se présente périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie. / (...) ". Aux termes de l'article R. 733-1 de ce code : " L'autorité administrative qui a ordonné l'assignation à résidence de l'étranger en application des articles L. 731-1, L. 731-3, L. 731-4 ou L. 731-5 définit les modalités d'application de la mesure : 1° Elle détermine le périmètre dans lequel il est autorisé à circuler muni des documents justifiant de son identité et de sa situation administrative et au sein duquel est fixée sa résidence ; 2° Elle lui désigne le service auquel il doit se présenter, selon une fréquence qu'elle fixe dans la limite d'une présentation par jour, en précisant si l'obligation de présentation s'applique les dimanches et les jours fériés ou chômés ; 3° Elle peut lui désigner une plage horaire pendant laquelle il doit demeurer dans les locaux où il réside ".

3. En premier lieu, il ressort des termes de l'arrêté contesté que le préfet du Var a renouvelé, pour la deuxième fois, l'assignation à résidence dont M. B... a fait l'objet le 30 juillet 2024, pour une durée de quarante-cinq jours à compter du 18 octobre 2024. Si cet arrêté ne précise pas l'adresse du domicile de l'intéressé, une telle mention, qui n'est, au demeurant, pas exigée par les dispositions précitées de l'article R. 733-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, figurait dans l'arrêté initial portant assignation à résidence du 30 juillet 2024 qu'il vise. Par ailleurs, l'arrêté en litige, en dépit de la mention selon laquelle M. B... est assigné à résidence " dans le département du Var, à la commune du Var " ne méconnait pas cet article, dès lors qu'il détermine le périmètre dans lequel l'intéressé est autorisé à circuler, au sein duquel est fixée sa résidence, à savoir le département du Var. Par suite, c'est à tort que le premier juge a retenu qu'en l'absence d'indication de l'adresse du domicile de M. B..., l'arrêté du 23 septembre 2024 méconnaissait l'article R. 733-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

4. En second lieu, aux termes de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Lorsqu'un recours contre la décision de rejet de l'office a été formé dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou, s'il est statué par ordonnance, à la date de la signature de celle-ci. (...) ".

5. L'arrêté en litige prévoit, en son article 3, que M. B... " ne peut quitter son lieu de résidence entre 9h00 et 12h00 tous les jours de la semaine ". Si l'intéressé exerce effectivement une activité professionnelle, au sein de l'entreprise Keno Bat dont le gérant est son frère, depuis la confirmation, en juillet 2022, de son droit au travail par les services de la préfecture du Var, l'arrêté du 14 avril 2023 du préfet des Alpes-Maritimes l'obligeant à quitter le territoire français sous trente jours et abrogeant l'attestation de demandeur d'asile dont il bénéficiait, intervenu après la décision du 4 juillet 2022 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a rejeté sa demande d'asile, a mis fin à tout droit de l'intéressé à séjourner en France et à y travailler. Si M. B... soutient n'avoir jamais été destinataire de l'arrêté du 14 avril 2023, qui lui a été notifié par courrier recommandé avec accusé de réception dont le pli est revenu " avisé et non réclamé " à l'adresse Forum Réfugiés, 48 route de Canta Galet à Nice, dès lors qu'il n'était plus domicilié à cette adresse, il n'établit pas, ni même n'allègue, avoir informé les services de la préfecture de sa nouvelle adresse. En tout état de cause, il résulte des dispositions énoncées au point 4 que son droit au séjour a pris fin à compter de la date de lecture de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, dont il ressort, au demeurant, de l'extrait Telemofpra produit par le préfet du Var qu'elle lui a été notifiée le 21 juillet 2022. M. B... ne saurait, dès lors, se prévaloir de ses horaires de travail pour soutenir que l'obligation qui lui est faite de rester sur son lieu de résidence tous les matins serait disproportionnée, et ce alors qu'une mesure d'assignation à résidence a pour objet d'organiser le retour de l'étranger dans son pays d'origine et que le préfet du Var l'a informé des modalités de son retour, prévu le 7 octobre 2024. Par suite, c'est à tort que le premier juge a retenu que la mesure de surveillance contenue dans l'arrêté du 23 septembre 2024, consistant en l'obligation, pour M. B..., de rester à son domicile trois heures par jour, était entachée d'erreur d'appréciation.

6. Il appartient toutefois à la Cour de se prononcer, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, sur les autres moyens soulevés en première instance et en appel par M. B....

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 732-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les décisions d'assignation à résidence, y compris de renouvellement, sont motivées. "

8. L'arrêté attaqué portant renouvellement d'assignation à résidence comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle est, par suite, suffisamment motivée.

9. En deuxième lieu, il ne ressort ni des termes de l'arrêté contesté, ni des autres pièces du dossier, que le préfet du Var n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. B... avant de décider de renouveler l'assignation à résidence dont il fait l'objet. Le moyen tiré de l'erreur de droit doit, par suite, être écarté.

10. En troisième lieu, les conditions de notification d'une décision administrative sont sans incidence sur sa légalité. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté du 23 septembre 2024 n'a pas été notifié à M. B... par l'intermédiaire d'un interprète, en méconnaissance de l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit être écarté comme inopérant. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier, et notamment des mentions portées par l'intéressé sur le document précisant les modalités de son éloignement, que la notification de l'arrêté en litige et de ces modalités a été faite le 4 octobre 2024 en présence du frère de M. B..., qui maitrise la langue française.

11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'une part : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, d'autre part : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

12. La décision contestée dans la présente instance, qui porte renouvellement de l'assignation à résidence dont fait l'objet M. B..., n'a ni pour objet, ni pour effet, de séparer l'intéressé de son épouse et de leur enfant, avec lesquels il réside au lieu dans lequel il est assigné à résidence. Dans ces conditions, eu égard notamment aux effets d'une mesure d'assignation à résidence, l'arrêté en litige n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts en vue desquels il a été pris, ni méconnu l'intérêt supérieur de son enfant. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations énoncées au point 11 doivent être écartés.

13. En dernier lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est sans influence sur la légalité de l'arrêté contesté, qui procède au renouvellement d'une assignation à résidence et ne détermine pas le pays à destination duquel M. B... sera renvoyé.

14. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Var est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulon a annulé l'arrêté du 23 septembre 2024 renouvelant pour une durée de quarante-cinq jours la mesure d'assignation à résidence prise à l'encontre du M. B... le 30 juillet 2024.

15. Le préfet du Var n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice ne peuvent qu'être rejetées.

D É C I D E:

Article 1er : Le jugement n° 2403337 du magistrat désigné du tribunal administratif de Toulon du 25 octobre 2024 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Toulon est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées en appel par M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Var.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Portail, président de chambre,

- Mme Courbon, présidente assesseure,

- M. Claudé-Mougel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 février 2025.

2

N° 24MA02738


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24MA02738
Date de la décision : 13/02/2025

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. PORTAIL
Rapporteur ?: Mme Audrey COURBON
Rapporteur public ?: M. QUENETTE
Avocat(s) : SELARL LEXSTONE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-13;24ma02738 ?
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