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13/02/2025 | FRANCE | N°23MA01749

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 1ère chambre, 13 février 2025, 23MA01749


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... E... A... et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif de Nice de condamner la commune de la Turbie à leur verser la somme de 650 000 euros en réparation des préjudices qu'elles estiment avoir subis en raison de l'illégalité de la décision du 12 août 2015 par laquelle le maire de la commune s'est opposé à la déclaration préalable, valant division, déposée le 31 juillet 2015.



Par un jugement n° 2002205 du 1er juin 2023, le tribuna

l administratif de Nice a condamné la commune de la Turbie à leur verser la somme de 250 000 euros et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... A... et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif de Nice de condamner la commune de la Turbie à leur verser la somme de 650 000 euros en réparation des préjudices qu'elles estiment avoir subis en raison de l'illégalité de la décision du 12 août 2015 par laquelle le maire de la commune s'est opposé à la déclaration préalable, valant division, déposée le 31 juillet 2015.

Par un jugement n° 2002205 du 1er juin 2023, le tribunal administratif de Nice a condamné la commune de la Turbie à leur verser la somme de 250 000 euros et a rejeté le surplus de leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 7 juillet 2023, et des mémoires, enregistrés les 6 septembre et 8 novembre 2024, la commune de la Turbie, représentée par Me Plénot, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de Mme D... et de Mme A... présentée devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de Mme D... et Mme A... une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'illégalité de la décision d'opposition à déclaration préalable du 12 août 2015 n'a pas causé de préjudice direct et certain à Mme D... et Mme A..., dès lors que leurs parcelles ne peuvent être construites en application de l'arrêté préfectoral du 20 juin 2012 portant création d'une zone de protection de biotope " Falaise de la Riviera " au sein de laquelle se trouvent ces parcelles, et en l'absence de négociations avancées en vue de la vente de ces parcelles, l'offre d'achat présentée étant postérieure à la décision d'opposition ;

- cette offre d'achat comportait deux clauses résolutoires, liées à l'obtention de deux permis de construire purgés de tous recours et d'un accord de financement bancaire ;

- l'arrêté de biotope interdit, en ses articles 5 et 6, les constructions et tous travaux de terrassement, sauf autorisation préfectorale délivrée après avis du comité de suivi et de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites ; l'acquéreur aurait nécessairement été informé de l'inconstructibilité du terrain résultant de cet arrêté lors de la signature du compromis de vente, ce qui l'aurait amené à renoncer à l'achat ; c'est donc le classement des parcelles de Mme D... et Mme A... dans le périmètre de l'arrêté de biotope qui est à l'origine du préjudice qu'elles invoquent ;

- après l'annulation de la décision d'opposition à déclaration préalable par le jugement du tribunal administratif du 6 avril 2018, qui n'a pas prononcé d'injonction, Mme D... et Mme A... n'ont pas confirmé leur demande dans les six mois, en application de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme ;

- le permis de construire valant division délivré préalablement sur les parcelles le 9 juillet 2012 n'a jamais été mis en œuvre, en dépit d'une prorogation jusqu'au 9 juillet 2016 ; la caducité de ce permis de construire, prononcée par un arrêté du 27 juillet 2017, a été validée par un jugement du tribunal administratif de Nice du 16 octobre 2019 ;

- Mme D... et Mme A... ont vendu leur terrain le 12 décembre 2018 ;

- les quatre demandes de permis de construire déposées par la SCI Urfa, qui a acquis le terrain, on fait l'objet de refus à raison de l'inconstructibilité résultant de l'arrêté de biotope du 20 juin 2012, refus dont la légalité a été confirmée par deux jugements du tribunal administratif de Nice des 4 avril et 16 mai 2024 ;

- la délivrance de permis de construire sur le terrain en litige était pour le moins incertaine, car soumise à l'obtention d'une dérogation, qui n'aurait vraisemblablement pas été accordée compte tenu de l'importance des travaux de terrassement et d'exhaussement nécessaires eu égard à la typologie des parcelles en forte pente ;

- l'autorisation de défrichement du 22 juillet 2011, préalable à la délivrance du permis de construire du 9 juillet 2012, renouvelée le 30 mars 2015 sans prise en compte de l'arrêté de biotope, n'a pas été mise en œuvre et aurait dû être transférée à la société qui projetait d'acquérir le terrain en 2015 ; ce transfert aurait été refusé par le préfet à raison de l'arrêté de biotope ; l'absence d'autorisation de défrichement est un des motifs des refus opposés ultérieurement à la SCI Urfa, qui a acquis les parcelles ;

- les parcelles de Mme D... et Mme A... sont classées, comme tout le périmètre de l'arrêté de biotope, en zone naturelle du plan local d'urbanisme en cours de révision.

Par des mémoires, enregistrés les 31 juillet, 10 octobre et 26 novembre 2024, Mme D... et Mme A..., représentées par Me Aonzo, concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune de la Turbie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Courbon, présidente assesseure,

- les conclusions de M. Quenette, rapporteur public,

- et les observations de Me Barrandon, représentant la commune de la Turbie et de Me Aonzo, représentant Mme D... et Mme A....

Une note en délibéré présentée pour Mme D... et Mme A... a été enregistrée le 06 février 2025 et n'a pas été communiquée.

Considérant ce qui suit :

1. L'indivision successorale D... était propriétaire des parcelles cadastrées section OD n° 236 et 237, situées 13 chemin du Serrier, lieudit Moyen Serrier sur la commune de la Turbie. Le 31 juillet 2015, l'indivision D... a déposé une déclaration préalable en vue de la division de ce terrain en deux lots en vue de bâtir. Par un arrêté en date du 12 août 2015, le maire de la Turbie s'est opposé à cette déclaration. Par un jugement n° 1600132 du 6 avril 2018, le tribunal administratif de Nice a annulé cet arrêté. Par un courrier du 5 mars 2020, Mme D... a, au nom de l'indivision successorale, sollicité de la commune de la Turbie une indemnisation en réparation du préjudice subi en raison de l'illégalité de l'arrêté du 12 août 2015. Sa demande a été rejetée par une décision du 8 avril 2020. Par un jugement du 1er juin 2023, dont la commune de la Turbie relève appel, le tribunal administratif de Nice l'a condamnée à verser une somme de 250 000 euros à Mmes B... D... et C... A... en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de cette décision.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. La décision par laquelle l'autorité administrative s'oppose illégalement à une opération de lotissement constitue une faute de nature à engager sa responsabilité. Dans le cas où l'autorité administrative pouvait, sans méconnaître l'autorité absolue de la chose jugée s'attachant au jugement d'annulation de cette décision, légalement rejeter la demande d'autorisation ou s'opposer à la déclaration préalable, au motif notamment que le lotissement projeté était situé dans un secteur inconstructible en vertu des règles d'urbanisme applicables, l'illégalité commise ne présente pas de lien de causalité direct avec les préjudices résultant de l'impossibilité de mettre en œuvre le projet immobilier projeté. Dans les autres cas, la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison du refus illégal opposé à la demande d'autorisation de lotissement revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation. Il en va, toutefois, autrement si le requérant justifie de circonstances particulières, telles que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs des lots ou l'état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain. Ce dernier est alors fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu'il pouvait raisonnablement attendre de cette opération.

3. Par un arrêté en date du 12 août 2015, le maire de la commune de la Turbie s'est opposé à la déclaration préalable en vue d'une division foncière en vue de bâtir présentée par l'indivision D... au motif que le projet méconnaissait les dispositions de l'arrêté préfectoral du 20 juin 2012 portant création d'une zone de protection de biotope dite " Falaise de la Riviera ", au sein de laquelle se situent le terrain d'assiette du projet. Ainsi qu'il a été dit au point 1 ci-dessus, le tribunal administratif de Nice a, par un jugement devenu définitif, annulé cet arrêté au motif qu'eu égard au principe d'indépendance des législations, les dispositions de l'arrêté du 20 juin 2012 n'étaient pas opposables à une déclaration préalable en vue d'une division. L'illégalité de l'arrêté d'opposition à déclaration préalable du 12 août 2015 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.

4. En premier lieu, si la commune de la Turbie fait valoir qu'elle pouvait légalement s'opposer à la déclaration préalable, dès lors que le lotissement projeté est situé dans un secteur inconstructible, elle ne l'établit pas en se bornant à invoquer, une nouvelle fois, les dispositions de l'arrêté de protection de biotope du 20 juin 2012, lequel n'est pas opposable aux autorisations d'urbanisme, s'agissant d'une protection édictée en application des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement. Il ne résulte pas de l'instruction que l'autorisation de défrichement dont bénéficiait l'indivision, renouvelée postérieurement à l'arrêté de protection de biotope du 20 juin 2012, n'aurait pas pu être transférée à l'acquéreur des parcelles objet de la déclaration de division en vue de bâtir. La commune de la Turbie ne saurait davantage, pour remettre en cause le lien de causalité entre la faute commise et le préjudice allégué par Mmes D... et A..., se prévaloir de la caducité du permis de construire valant division délivré sur le terrain le 10 juillet 2012 et transféré à l'indivision D..., dès lors que cette caducité, prononcée par un arrêté du 27 juillet 2017, au demeurant postérieur à l'arrêté du 12 août 2015, est, en elle-même sans incidence sur les conséquences dommageables qui ont pu résulter de cette dernière décision. Il en va de même de la circonstance que l'indivision n'aurait pas confirmé, en application de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme, sa demande de déclaration préalable après le jugement du 6 avril 2018, d'autant qu'il ressort des pièces du dossier que le maire de la Turbie a procédé, par un arrêté du 4 juin 2021, à la prorogation de la décision tacite de non-opposition à déclaration préalable, née, selon les termes de cet arrêté, le 6 mai 2018 et transférée le 28 mars 2019 à la SCI Urfa. Enfin, si, comme le relève la commune de la Turbie, l'indivision D... a vendu le terrain d'assiette du projet de lotissement à la SCI Urfa le 12 décembre 2018, cette vente, intervenue au prix de 101 280 euros, payé par compensation avec le coût de la remise en état d'un mur de soutènement pris en charge par cette société, remise en état rendue nécessaire à la suite de désordres survenus sur le terrain en 2017 dans le cadre de travaux mis en œuvre par l'indivision pour faire échec à la péremption du permis de construire du 10 juillet 2012, n'est pas, eu égard à la date et aux conditions dans lesquelles elle est intervenue, de nature à faire échec à la responsabilité encourue par la commune à raison de l'illégalité de la décision du 12 août 2015.

5. En deuxième lieu, Mmes D... et A... font état d'un préjudice résultant de la perte de bénéfices découlant de l'impossibilité de réaliser la vente des lots issus de la division de leur terrain, consécutive au refus illégal opposé à la demande de lotissement de l'indivision D..., en se prévalant de l'existence de négociations commerciales avancées avec deux acquéreurs potentiels. Toutefois, le courrier de la société Maisons Avenir Tradition daté du 31 juillet 2017, selon lequel un de leur client a présenté une offre le 3 juin 2015 pour l'acquisition de l'un des lots au prix de 225 000 euros, avant de se désister en raison de l'opposition à déclaration préalable du 12 août 2015, ne suffit pas à établir l'existence d'un engagement d'un acquéreur, ni même de négociations commerciales avancées. S'il ressort des pièces du dossier que des négociations commerciales étaient en cours avec la société Db Foncier, celle-ci ayant présenté, le 18 août 2015, préalablement à la notification de la décision du 12 août 2015, intervenue, selon les affirmations, non contredites, de Mmes D... et A..., le 24 août 2015, une offre d'achat au prix de 420 000 euros, la promesse de vente devant être conclue " dès retour de votre accord de DP ", cette offre, présentée sur papier libre et sans aucun formalisme, était soumise à deux conditions suspensives, à savoir l'obtention de deux permis de construire purgés de tout recours et un accord de principe du financement bancaire de l'opération. Quand bien même le courrier du 18 décembre 2015 de la société DB Foncier mentionne qu'elle retire son offre à raison de la décision d'opposition à déclaration préalable, l'existence de ces conditions suspensives, en particulier celle portant sur l'obtention de permis de construire purgés de tout recours, et les modalités selon lesquelles l'offre d'achat a été présentée, ne permettent pas de faire regarder le préjudice résultant de la non-réalisation de la vente du terrain comme direct et certain, et ce alors que l'existence d'une autorisation de lotir n'est aucunement, en elle-même, de nature à garantir que des permis de construire pourront être ultérieurement délivrés sur les lots issus de la division. Il s'ensuit que Mmes D... et A... ne peuvent prétendre à aucune indemnisation en conséquence de l'illégalité de l'arrêté d'opposition à déclaration préalable du 12 août 2015.

6. Il résulte de ce qui précède que la commune de la Turbie est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Nice l'a condamnée à verser une somme de 250 000 euros à Mmes D... et A... en réparation du préjudice subi à raison de l'illégalité de l'arrêté du 12 août 2015.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de la Turbie, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par Mmes D... et A... sur ce fondement. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ces dernières une somme à verser à la commune de la Turbie en application de ces dispositions.

D É C I D E:

Article 1er : Le jugement n° 2002205 du tribunal administratif de Nice du 1er juin 2023 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mmes D... et A... devant le tribunal administratif de Nice est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de la commune de la Turbie est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par Mmes D... et A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de la Turbie, à Mme B... D... et à Mme C... A....

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Portail, président,

- Mme Courbon, présidente assesseure,

- M. Claudé-Mougel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 février 2025.

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N° 23MA01749


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23MA01749
Date de la décision : 13/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-05-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Services de l'urbanisme. - Permis de construire.


Composition du Tribunal
Président : M. PORTAIL
Rapporteur ?: Mme Audrey COURBON
Rapporteur public ?: M. QUENETTE
Avocat(s) : SELARL PLENOT-SUARES-ORLANDINI

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-13;23ma01749 ?
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