Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 18 octobre 2021 par lequel le préfet de la Corse-du-Sud a retiré le permis de construire né tacitement le 20 juillet 2021 et refusé de lui délivrer un permis de construire une maison comprenant un garage sur la parcelle cadastrée section F1 n° 320, lieudit " Ericci ", dans la commune d'Ucciani.
Par un jugement n° 2101481 du 7 juillet 2023, le tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande de Mme A....
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 6 septembre 2023, Mme A..., représentée par Me Paolini, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2101481 du 7 juillet 2023 du tribunal administratif de Bastia ainsi que l'arrêté du 18 octobre 2021 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le retrait du permis tacite est entaché d'un vice de procédure dès lors que le délai de huit jours qui lui avait été imparti pour présenter ses observations était insuffisant ;
- le jugement attaqué est entaché d'une contradiction de motifs ;
- ce jugement est entaché d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 122-5 du code de l'urbanisme ; en l'espèce, le terrain d'assiette du projet est doté d'un accès direct à partir de la route départementale n° 29 ; il est, en outre, desservi par des équipements publics ; le maire est favorable au projet ;
- son terrain est inapte à tout usage agricole, de sorte qu'elle était fondée à soutenir que le préfet a commis une erreur de droit en opposant les dispositions de l'article L. 122-10 du code de l'urbanisme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 octobre 2024, le ministre du logement et de la rénovation urbaine conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 16 octobre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Martin,
- et les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 20 mai 2021, Mme A... a déposé en mairie d'Ucciani une demande de permis de construire portant sur une maison comprenant un garage sur la parcelle cadastrée section F1 n° 320, lieudit " Ericci ", dans la commune d'Ucciani. Par arrêté du 18 octobre 2021, le préfet de la Corse-du-Sud a retiré le permis de construire tacite né du silence gardé par l'administration sur cette demande au terme du délai d'instruction le 20 juillet 2021. Mme A... relève appel, dans la présente instance, du jugement du 7 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 18 octobre 2021.
2. En premier lieu, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La requérante ne peut donc utilement se prévaloir de ce que le jugement attaqué serait entaché d'erreurs de droit ou d'une contradiction de motifs.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme : " La décision de non-opposition à une déclaration préalable ou le permis de construire ou d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peuvent être retirés que s'ils sont illégaux et dans le délai de trois mois suivant la date de ces décisions. (...) ". Aux termes de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. / L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. ".
4. La décision portant retrait d'un permis de construire est au nombre de celles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Elle doit, par suite, être précédée d'une procédure contradictoire, permettant au titulaire du permis de construire d'être informé de la mesure qu'il est envisagé de prendre, ainsi que des motifs sur lesquels elle se fonde, et de bénéficier d'un délai suffisant pour présenter ses observations. Les dispositions précitées font également obligation à l'autorité administrative de faire droit, en principe, aux demandes d'audition formées par les personnes intéressées en vue de présenter des observations orales, alors même qu'elles auraient déjà présenté des observations écrites. Ce n'est que dans le cas où une telle demande revêtirait un caractère abusif qu'elle peut être écartée.
5. En outre, le respect du caractère contradictoire de la procédure prévue par les articles L. 121-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration constitue une garantie pour le titulaire du permis de construire que l'autorité administrative entend rapporter. Eu égard à la nature et aux effets d'un tel retrait, le délai de trois mois prévu par l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme oblige l'autorité administrative à mettre en œuvre la procédure contradictoire préalable à cette décision de retrait de manière à éviter que le bénéficiaire du permis ne soit privé de cette garantie.
6. Il ressort des pièces du dossier que, par une lettre du 7 octobre 2021 notifiée à Mme A... dès le lendemain, le préfet de la Corse-du-Sud l'a informée de ce que le permis de construire tacite du 20 juillet 2021 était entaché de plusieurs illégalités au regard des dispositions des articles L. 122-5 et L. 122-10 du code de l'urbanisme telles que précisées par le plan d'aménagement et de développement durable de Corse (PADDUC). Par ce même courrier, un délai de huit jours lui était accordé pour présenter ses éventuelles observations. Dans les circonstances de l'espèce, au regard du projet poursuivi et des motifs exposés par le préfet, ce délai doit être regardé comme suffisant pour permettre à Mme A... de présenter des observations.
Au demeurant, l'intéressée, qui n'a certes présenté aucune observation, n'établit toutefois pas qu'elle aurait été placée dans l'impossibilité d'obtenir l'assistance d'un conseil du fait de ce délai, ni qu'elle aurait sollicité un délai supplémentaire pour présenter ses observations, et pas davantage qu'elle aurait informé la commune d'Ucciani de ce qu'elle aurait souhaité présenter des observations orales. En outre, la circonstance que, par un courrier du 12 juillet 2021, le préfet aurait informé le maire de ce qu'il aurait signé une décision défavorable sur cette demande de permis de construire, courrier dont la réception en mairie est au demeurant contestée par l'appelante et, en tout état de cause, non établie, n'est pas de nature, par elle-même, à entacher d'irrégularité la procédure suivie au regard des exigences fixées par les dispositions citées au point 3 de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration. Dans ces conditions, et alors que la décision attaquée a été prise le 18 octobre 2021, au-delà du délai de huit jours qui avait été octroyé à l'appelante pour présenter ses observations, le moyen tiré du vice de procédure doit être écarté.
7. En troisième lieu, pour rejeter la demande de Mme A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 octobre 2021 du préfet de la Corse-du-Sud, le tribunal administratif de Bastia a certes jugé que l'un des motifs de cet arrêté, tiré de la violation des dispositions de l'article L. 122-10 du code de l'urbanisme, ne pouvait légalement justifier le retrait du permis de construire né tacitement le 20 juillet 2021. Toutefois, le tribunal a neutralisé ce motif, après avoir jugé que l'autre motif sur lequel s'est appuyé le préfet pour prendre l'arrêté dont il s'agit, tiré de la violation de l'article L. 122-5 du même code, était fondé et de nature à justifier, à lui seul, la décision attaquée.
8. Aux termes de l'article L. 122-2 du code de l'urbanisme : " Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute personne publique ou privée pour l'exécution de tous travaux, constructions, défrichements, plantations, aménagements, installations et travaux divers (...) ". Selon l'article L. 122-5 de ce même code : " L'urbanisation est réalisée en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants, sous réserve de l'adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l'extension limitée des constructions existantes, ainsi que de la construction d'annexes, de taille limitée, à ces constructions, et de la réalisation d'installations ou d'équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées ". Enfin, l'article L. 122-5-1 du même code précise que " Le principe de continuité s'apprécie au regard des caractéristiques locales de l'habitat traditionnel, des constructions implantées et de l'existence de voies et réseaux ".
9. Il résulte des dispositions précitées, d'une part, qu'il appartient à l'autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d'autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol mentionnée à l'article L. 122-2 du code de l'urbanisme de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de la conformité du projet aux dispositions du code de l'urbanisme particulières à la montagne et, d'autre part, que l'urbanisation en zone de montagne, sans être autorisée en zone d'urbanisation diffuse, peut être réalisée non seulement en continuité avec les bourgs, villages et hameaux existants, mais également en continuité avec les " groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants " et qu'est ainsi possible l'édification de constructions nouvelles en continuité d'un groupe de constructions traditionnelles ou d'un groupe d'habitations qui, ne s'inscrivant pas dans les traditions locales, ne pourrait être regardé comme un hameau. L'existence d'un tel groupe suppose plusieurs constructions qui, eu égard notamment à leurs caractéristiques, à leur implantation les unes par rapport aux autres et à l'existence de voies et de réseaux, peuvent être perçues comme appartenant à un même ensemble. Pour déterminer si un projet de construction réalise une urbanisation en continuité par rapport à un tel groupe, il convient de rechercher si, par les modalités de son implantation, notamment en termes de distance par rapport aux constructions existantes, ce projet sera perçu comme s'insérant dans l'ensemble existant.
10. En outre, le PADDUC, qui peut préciser les modalités d'application de ces dispositions en application du I de l'article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales, adopté par la délibération n° 15/235 AC du 2 octobre 2015 de l'assemblée de Corse, prévoit qu'un bourg est un gros village présentant certains caractères urbains, qu'un village est plus important qu'un hameau et comprend ou a compris des équipements ou lieux collectifs administratifs, culturels ou commerciaux, et qu'un hameau est caractérisé par sa taille, le regroupement des constructions, la structuration de sa trame urbaine, la présence d'espaces publics, la destination des constructions et l'existence de voies et équipements structurants. Ces prescriptions apportent des précisions aux dispositions du code de l'urbanisme particulières à la montagne et sont compatibles avec celles-ci. En revanche, et ainsi que les premiers juges l'ont rappelé à bon droit, le PADDUC se borne à rappeler les critères mentionnés ci-dessus et permettant d'identifier un groupe de constructions traditionnelles ou d'habitations existant et d'apprécier si une construction est située en continuité des bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants.
11. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, que, d'une superficie de 4 870 m² et distant de plusieurs centaines de mètres du centre de la commune d'Ucciani, le terrain d'assiette du projet porté par Mme A..., bordé de parcelles dépourvues de toute construction, est situé au lieudit " Ericci " au sein d'un vaste secteur naturel. Si l'intéressée entend se prévaloir d'un courrier qui lui a été adressé le 22 août 2023 par le maire de la commune d'Ucciani, aux termes duquel plusieurs maisons existent à proximité du terrain d'assiette, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces maisons seraient constitutives d'un bourg, d'un village, d'un hameau existant, ou d'un groupe de constructions traditionnelles ou d'habitations existant au sens des dispositions et principes cités aux points 8 et 9 du présent arrêt. A cet égard, alors que le plan cadastral produit dans le dossier de demande de permis de construire ne fait apparaître que deux constructions sur des parcelles distinctes situées au sud de la propriété de Mme A..., le projet de l'intéressée, compte tenu de ses modalités d'implantation et de la superficie importante de la parcelle sur laquelle il devait être édifié, de surcroît séparé des constructions existantes par une voie publique, ne saurait être regardé comme appartenant à un même ensemble de constructions. Par suite, quand bien même le terrain d'assiette serait desservi par les réseaux publics, le préfet de la Corse-du-Sud était fondé, par l'arrêté en litige, à retirer le permis de construire tacitement délivré à Mme A... en méconnaissance des dispositions de l'article L. 122-5 du code de l'urbanisme.
12. Enfin, il ressort des pièces du dossier que le préfet aurait pris la même décision en ne se fondant que sur le seul motif, légal, tiré de ce que le projet de Mme A... méconnaissait les dispositions de l'article L. 122-5 du code de l'urbanisme. Dans ces conditions, l'intéressée n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui n'est pas entaché d'une contradiction de motifs, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 18 octobre 2021 portant retrait du permis obtenu tacitement et rejet de sa demande de permis de construire. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la ministre chargée du logement.
Copie en sera adressée au préfet de la Corse-du-Sud.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2025, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 4 février 2025.
N° 23MA02312 2