Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon, par deux actes introductifs d'instance, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2015, 2016 et 2018, ainsi que des majorations correspondantes.
Par un jugement nos 2001230, 2100892 du 17 avril 2023, le tribunal administratif de Toulon l'a déchargé des impositions et majorations en litige et a rejeté ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 juin 2023 et le 21 mars 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er du jugement du 17 avril 2023 du tribunal administratif de Toulon ;
2°) de remettre à la charge de M. B... les impositions et majorations dégrevées en exécution du jugement.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- la modification des règles de calcul de l'exonération prévue à l'article 44 octies A du code général des impôts ne porte pas atteinte au droit au respect des biens protégé par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- en tout état de cause, cette atteinte n'est pas disproportionnée ;
- les autres moyens invoqués par M. B... en première instance sont infondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2024, M. B..., représenté par Me Serra, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du ministre ;
2°) de mettre la somme de 3 000 euros à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés ;
- il exerce une activité non sédentaire, et remplit à ce titre les conditions prévues par l'article 44 octies A du code général des impôts ;
- l'administration s'est fondée à tort sur une réponse ministérielle qui n'a pas été publiée au Bofip-impôts ;
- il peut bénéficier du troisième alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 ;
- la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Mérenne,
- et les conclusions de M. Ury, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... exerce une activité libérale de chirurgien vasculaire et dispose d'un cabinet situé à Toulon, en zone franche urbaine. Il a fait l'objet de deux vérifications de comptabilité portant sur les périodes du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016 et du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2018. Par des propositions de rectification du 19 mars 2018, du 16 et du 23 octobre 2019, l'administration fiscale a remis en cause le bénéfice de l'exonération d'impôt prévue par l'article 44 octies A du code général des impôts pour la part de ses recettes réalisées en dehors d'une zone franche urbaine et l'a assujetti à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique fait appel du jugement du 17 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulon a déchargé M. B... de ces impositions supplémentaires relatives au titre des années 2015, 2016 et 2018, ainsi que des majorations correspondantes.
Sur le moyen retenu par le tribunal administratif :
2. Par la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, le législateur a institué, à l'article 44 octies A du code général des impôts, dans le but d'inciter les entreprises à créer ou exercer des activités dans des zones franches urbaines, une exonération d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés à raison des bénéfices provenant de ces activités, totale pendant une première période de cinq années, puis partielle et dégressive pendant une seconde période de neuf années. Le sixième alinéa du II de l'article 44 octies A du code général des impôts, dans sa rédaction antérieure à la loi du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013 précise que : " Lorsque le contribuable n'exerce pas l'ensemble de son activité dans une zone franche urbaine, le bénéfice exonéré est déterminé en affectant le montant résultant du calcul ainsi effectué du rapport entre, d'une part, la somme des éléments d'imposition à la cotisation foncière des entreprises définis à l'article 1467 afférents à l'activité exercée dans les zones franches urbaines et relatifs à la période d'imposition des bénéfices et, d'autre part, la somme des éléments d'imposition à la cotisation foncière des entreprises du contribuable définis au même article pour ladite période (...) ".
3. Le même alinéa, dans sa rédaction issue de l'article 29 de la loi du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013 précitée, énonce que : " Lorsque le contribuable n'exerce pas l'ensemble de son activité dans les zones franches urbaines, les bénéfices réalisés sont soumis à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés, dans les conditions de droit commun, en proportion du montant hors taxe du chiffre d'affaires ou de recettes réalisé en dehors de ces zones ". Le législateur a ainsi modifié le dispositif, décrit au point 2, de détermination du bénéfice exonéré lorsque le contribuable ne réalise pas l'ensemble de ses activités dans une zone franche urbaine en se fondant, pour son calcul, non plus sur le prorata des bases de cotisation foncière des entreprises afférentes à l'activité exercée dans la zone franche urbaine, mais sur le prorata de chiffre d'affaires ou de recettes réalisé dans cette zone. Ce nouveau dispositif a été rendu applicable aux exercices clos à compter du 31 décembre 2013.
4. La loi du 29 décembre 2013 précitée a eu pour objet de corriger l'inadéquation entre, d'une part, le critère retenu pour déterminer la fraction de bénéfice exonérée en application de l'article 44 octies A du code général des impôts lorsque le contribuable n'exerce pas l'ensemble de ses activités dans une zone franche urbaine, qui induisait des effets d'aubaine notamment pour les contribuables réalisant l'essentiel de leur activité en dehors de la zone au moyen de locaux n'entrant pas dans l'assiette de la cotisation foncière des entreprises, et, d'autre part, l'objectif poursuivi par ce dispositif, visant à favoriser l'installation et l'exercice effectif d'activités économiques ainsi que la création d'emplois dans le périmètre d'une telle zone. Il résulte de l'instruction que les activités de M. B... au titre des années en litige étaient essentiellement exercées en dehors de la zone franche urbaine de Toulon, dans des locaux de cliniques ne constituant pas des éléments de leur imposition à la cotisation foncière des entreprises. Dans ces conditions, eu égard à la portée de la modification en cause, à ce que la contrepartie attendue de l'exonération était une localisation effective des activités dans la zone et à la durée totale de quatorze années pendant laquelle l'exonération était, totalement ou partiellement, garantie en contrepartie de cette localisation, M. B... ne saurait se prévaloir d'une espérance légitime d'en bénéficier selon les modalités en vigueur avant l'intervention du législateur. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon s'est fondé, pour accorder la décharge sollicitée, sur ce que le législateur avait méconnu les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... tant en appel qu'en première instance.
Sur les autres moyens soulevés par M. B... :
6. Ainsi qu'il a été dit, M. B..., chirurgien vasculaire, dispose d'un cabinet situé en zone franche urbaine, à Toulon, où il réalise ses consultations. Il pratique les actes chirurgicaux au sein de deux cliniques à Ollioules et à Toulon, avec lesquelles il a conclu un contrat d'exercice. Les deux cliniques, qui ne sont pas situées en zone franche urbaine, mettent à disposition de M. B... les locaux, le personnel, les équipements et les services nécessaires à l'exercice de son activité chirurgicale, en contrepartie d'une contribution financière. L'administration fiscale a fait application des dispositions nouvelles issues de l'article 29 de la loi du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013 pour limiter le bénéfice de l'exonération et des allègements prévus à l'article 44 octies A du code général des impôts au prorata des recettes réalisées au sein du cabinet de consultation, situé en zone franche urbaine.
7. En premier lieu, pour remettre en cause le prorata appliqué par l'administration fiscale et demander le bénéfice de l'article 44 octies A au titre de l'ensemble de ses recettes, M. B... se prévaut d'une activité non sédentaire, réalisée dans les conditions prévues au neuvième alinéa du I de cet article, qui dispose que : " Lorsque l'activité non sédentaire d'un contribuable est implantée dans une zone franche urbaine - territoire entrepreneur mais est exercée en tout ou partie en dehors d'une telle zone, l'exonération s'applique si ce contribuable emploie au moins un salarié sédentaire à temps plein ou équivalent, exerçant ses fonctions dans les locaux affectés à l'activité, ou si ce contribuable réalise au moins 25 % de son chiffre d'affaires auprès de clients situés dans les zones franches urbaines - territoires entrepreneurs. "
8. Il résulte de l'instruction que, compte tenu des conditions de leur mise à disposition par la voie de contrats d'exercice dans les conditions rappelées au point 6, les locaux des deux cliniques où M. B... réalise son activité chirurgicale doivent être regardés comme relevant de son entreprise, de sorte que M. B... n'exerce pas son activité à l'extérieur de cette dernière. Par suite, il n'est pas fondé à faire valoir que son activité serait non sédentaire au sens du neuvième alinéa du I de l'article 44 octies A. Par ailleurs, la question de savoir si cette activité est ou non réalisée dans des espaces publics au sein de ces cliniques ou si ces cliniques sont ou non chargées de missions de service public, de même que l'existence avérée, par ailleurs, d'autres activités ayant un caractère non sédentaire, y compris dans le secteur médical, sont sans incidence sur cette qualification.
9. En deuxième lieu, pour fonder les impositions supplémentaires en litige, l'administration fiscale s'est fondée, ainsi qu'il a été dit, sur les dispositions de l'article 44 octies A du code général des impôts, et non sur une réponse ministérielle Lévy n° 92955 publiée au Journal officiel de l'Assemblée nationale le 25 octobre 2016, qui, au demeurant, ne fait pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle donnée ci-dessus. M. B... ne peut utilement faire valoir que cette réponse ministérielle n'aurait pas été publiée dans la base Bofip-impôts.
10. Enfin, M. B... sollicite le bénéfice du troisième alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales sans indiquer le texte fiscal qu'il aurait appliqué. Ce moyen doit être écarté comme n'étant pas assorti des précisions permettant d'apprécier le bien-fondé.
11. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles M. B... a été assujetti au titre des années 2015, 2016 et 2018, ainsi que les majorations correspondantes. Par suite, il convient d'annuler l'article 1er du jugement attaqué et de remettre ces impositions supplémentaires à la charge de M. B..., ainsi que les majorations correspondantes.
D É C I D E :
Article 1er : L'article 1er du jugement du 17 avril 2023 du tribunal administratif de Toulon est annulé.
Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles M. B... a été assujetti au titre des années 2015, 2016 et 2018, sont remises à sa charge, ainsi que les majorations correspondantes.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. B... sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée pour information à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025, où siégeaient :
- M. Duchon-Doris, président de la cour,
- M. Platillero, président-assesseur,
- M. Mérenne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2025.
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No 23MA01410