Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... et Mme B... L... épouse D... ont demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, de condamner solidairement l'Etat et la commune de Boulbon, ou l'un à défaut de l'autre, à leur verser une somme globale de 117 259 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'inondation de leur propriété, avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter du 2 juin 2020 en ce qui concerne leur préjudice moral, et de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la commune " d'Orange ", ou l'un à défaut de l'autre, une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens, dont les frais et honoraires de l'expertise confiée par le juge des référés à un collège d'experts.
Par un jugement n° 2104767 du 27 juin 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande et mis à leur charge les frais d'expertise liquidés et taxés, en ce qu'ils les concernent, à la somme de 4 280,63 euros, avant de rejeter le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 11 septembre 2023, et les 28 juin, 30 juillet, 10 septembre et 15 octobre 2024, M. et Mme D..., représentés par Me Duffay, demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 27 juin 2023 ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser les sommes de :
. 380 euros, au titre de la franchise contractuelle ;
. 100 000 euros, au titre de la perte de la valeur vénale de leur maison ;
. 5 000 euros, en réparation du préjudice lié aux troubles dans leurs conditions
d'existence ;
. 11 879 euros, en réparation de leur préjudice moral ;
3°) d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2020 ainsi que de la capitalisation de ces intérêts ;
4°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la commune de Boulbon ou, de l'un à défaut de l'autre, une somme 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens, en ce compris les frais et honoraires d'expertise d'un montant de 4 280,63 euros.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable et la fin de non-recevoir tirée de sa tardiveté opposée par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, et la commune de Boulbon doit être écartée ;
- leur demande n'est pas prescrite ;
- les inondations de décembre 2003 ne relèvent pas d'un cas de force majeure de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité ;
- l'évènement de décembre 2003 a été aggravé par l'état défectueux des ouvrages de protection ;
- sur la responsabilité pour dommages de travaux publics :
. la responsabilité de l'Etat en matière de prévention des inondations est établie ;
. la responsabilité de la puissance publique pour manquement au principe de précaution peut être retenue ;
. le collège d'experts a relevé que la digue de la Montagnette est l'ouvrage qui a eu le plus d'impact sur le niveau de la plaine ;
. le Rhône est inscrit à la nomenclature du domaine public fluvial navigable ; l'Etat est chargé de l'entretien et du curage des cours d'eaux domaniaux ; les manquements de l'Etat dans l'entretien du Rhône ont favorisé les inondations qu'ils ont subies par le rehaussement de la ligne d'eau, ayant eu pour effet de favoriser la surverse ;
- sur la responsabilité pour faute :
. c'est par une appréciation inexacte de la législation applicable que le tribunal administratif de Marseille a retenu que les dispositions de l'article L. 562-1 du code de l'environnement s'imposaient à l'Etat depuis le 22 décembre 2015 ;
. l'autorisation d'urbanisme en cause ne mentionne aucune prescription relative au risque d'inondation ;
- ils établissent le lien de causalité entre l'action ou l'omission de l'Etat et le dommage ;
- ils établissent le caractère certain de leurs préjudices ;
- ils demandent l'indemnisation des préjudices en raison de l'absence de réparation de l'intégralité des dégâts matériels subis, soit les meubles, les équipements et les murs de leur habitation causés par les inondations, par leur compagnie d'assurance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mai 2024, la commune de Boulbon, représentée par Me Faure-Bonaccorsi, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce que l'Etat soit condamné à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre et, en tout état de cause, à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. et Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est tardive et doit dès lors être rejetée comme irrecevable ;
- la circonstance que le tribunal administratif de Marseille ne s'est pas prononcé sur l'absence de caractère de force majeure demeure sans incidence sur la régularité du jugement attaqué ;
- c'est à bon droit que le tribunal administratif de Marseille a jugé que M. et Mme D... ne l'avaient pas mis à même d'apprécier l'existence d'un défaut d'entretien de l'ouvrage public ;
- c'est à bon droit que le tribunal administratif de Marseille a jugé que le lit du Rhône n'était pas un ouvrage public ;
- c'est à bon droit que le tribunal administratif de Marseille a jugé que l'article L. 562-1 du code de l'environnement impose à l'Etat, depuis le 22 décembre 2015, la réalisation de plans de prévention dans certains secteurs à risques naturels importants et qu'un plan de prévention du risque inondation n'était pas légalement exigible à la date de délivrance du permis du construire accordé à M. et Mme D... le 8 octobre 1999 ; en toute hypothèse, il n'est pas établi que l'Etat aurait commis une faute en s'abstenant d'approuver un tel document avant le 8 octobre 1999, sachant qu'elle-même n'est pas compétente en la matière ;
- c'est à bon droit que le tribunal administratif de Marseille a jugé que M. et Mme D... ont été informés du caractère inondable et submersible de leur parcelle ;
- si par extraordinaire le jugement du tribunal administratif était annulé, la Cour ne pourrait que rejeter les demandes présentées par M. et Mme D... :
. la prescription est acquise ;
. sa responsabilité ne saurait être utilement recherchée dès lors que, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme D..., son maire n'a pas commis de faute en leur délivrant un permis de construire par un arrêté du 8 octobre 1999 ; en tout état de cause, quand bien même par impossible la Cour considérait que sa responsabilité était susceptible d'être recherchée, elle serait néanmoins écartée eu égard à la faute des victimes et leur acceptation du risque ;
. si sa responsabilité devait être mise en cause, elle entend expressément appeler en garantie l'Etat de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre dès lors que la responsabilité de l'Etat peut, par exception, être engagée, d'une part, sur le fondement de sa responsabilité du fait de travaux publics ou d'un mauvais entretien d'ouvrages publics et, d'autre part, sur le fondement d'une carence dans l'élaboration des plans de prévention des risques inondation ;
. M. et Mme D... n'établissent pas l'existence d'un lien de causalité entre son action ou omission et la survenance du dommage allégué ; leurs demandes indemnitaires seront donc rejetées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 août 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, et si, par extraordinaire, la Cour devait retenir sa responsabilité pour faute, au titre de la délivrance du permis de construire, à ce qu'il soit garanti en tout ou partie de toute condamnation prononcée à son encontre par la commune de Boulbon et au rejet de l'appel en garantie formé contre lui par cette même commune.
Il fait valoir que :
- la requête est tardive et doit dès lors être rejetée comme irrecevable ;
- contrairement à ce que soutiennent M. et Mme D..., le jugement attaqué n'est pas entaché d'irrégularité ;
- l'inondation de 2003 constitue un cas de force majeure ;
- la responsabilité sans faute de l'Etat ne saurait être engagée ;
. à supposer que les évènements météorologiques ayant mené à la situation, objet du présent litige, ne relèvent pas de la force majeure, c'est sans erreur de droit que le tribunal administratif de Marseille a jugé qu'il n'était pas en mesure d'apprécier le défaut d'entretien d'un ouvrage public spécifique et, par suite, son lien de causalité avec les dommages allégués ; en tout état de cause, le collège d'experts a conclu à la parfaite gestion des ouvrages dont l'Etat avait la responsabilité ;
. si, dans leur requête d'appel, M. et Mme D... identifient un ouvrage public particulier, à savoir la digue de la Montagnette, à l'origine, selon eux, de leur dommage accidentel, cette digue est gérée par le syndicat mixte interrégional d'aménagement des digues du delta du Rhône et de la mer (SYMADREM) ; en tout état de cause, le collège d'experts n'a pas relevé que l'existence de cette digue aurait été à l'origine d'un tel dommage ;
. M. et Mme D... n'établissent pas un défaut d'entretien normal du lit du fleuve ;
- la responsabilité pour faute de l'Etat ne saurait être engagée ;
- la sécurité des biens n'est pas, en elle-même, au nombre des intérêts que le principe de précaution a vocation à protéger ;
- sur les préjudices :
. le montant des préjudices dont M. et Mme D... se prévalent est excessif ;
. il n'est pas démontré que M. et Mme D... aurait subi une perte de valeur vénale ; en tout état de cause, à la supposer réelle, le lien de causalité entre cette perte de valeur vénale et la prétendue faute de l'Etat n'est pas établi ;
. le préjudice moral devra être ramené à une plus juste appréciation ;
- alors qu'aucune faute ne peut être reprochée à l'Etat, l'appel en garantie formé à son encontre par la commune de Boulbon doit être rejeté ;
- la commune de Boulbon, qui avait une parfaite connaissance des risques d'inondation, avait, au titre de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, tous les moyens d'assortir le permis de construire de prescriptions spéciales et appropriées, sur un terrain exposé à un risque d'inondation, afin de prévenir le risque couru par les propriétaires ; il demande donc que cette commune le garantisse, en tout ou partie, de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre ;
- les conclusions présentées par M. et Mme D... au titre des articles L. 761-1 et
R. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet de leurs conclusions principales.
Un courrier du 16 septembre 2024 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.
Par une ordonnance du 18 novembre 2024, mise à la disposition, sur l'application informatique Télérecours, des parties, à 12 heures 03, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Un mémoire, présenté par la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, a été enregistré le 18 novembre 2024, à 16 heures 35, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.
En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, le conseil de
M. et Mme D... a été invité, le 12 décembre 2024, à produire :
. une copie complète des courriers du 2 juin 2020 adressés au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, au ministre de la transition écologique et solidaire, et au maire de Boulbon, produits comme pièces jointes sous les nos 11 et 12 et 15 ;
. une copie des quatre ordonnances n° 0608837 du 16 janvier 2018 portant taxation et liquidation des frais et honoraires d'expertise.
En réponse, des pièces ont été produites le 17 décembre 2024, pour M. et Mme D..., par Me Duffay.
Vu
- les quatre ordonnances nos 0608837 du 16 janvier 2018 par lesquelles le premier vice-président du tribunal administratif de Marseille a taxé et liquidé les frais et honoraires des membres du collège d'experts ;
- le jugement n° 1800308 du tribunal administratif de Bastia du 19 décembre 2019 qui ramène à la somme globale de 954 579,55 euros ces frais et honoraires, et les met provisoirement à la charge des parties ayant sollicité la désignation du collège d'experts ou l'extension des opérations d'expertise ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure ;
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 95-101 du 2 février 1995 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lombart,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me Duffay, représentant M. et Mme D..., et celles de Me Faure-Bonaccorsi, représentant la commune de Boulbon.
Considérant ce qui suit :
1. Propriétaires des parcelles cadastrées section OC nos 2260 et 2261, situées au 5 chemin de la Croix du Jubilé, sur le territoire de la commune de Boulbon, et sur lesquelles est implantée une maison à usage d'habitation, M. et Mme D... relèvent appel du jugement du 27 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, rejeté leur demande tendant principalement à la condamnation solidaire de l'Etat et de cette commune, ou de l'un à défaut de l'autre, à leur verser une somme globale de 117 259 euros, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'inondation de leur propriété suite aux fortes pluies survenues sur la vallée du Rhône, du 1er au 4 décembre 2003, auxquelles s'est ajoutée, dans la nuit du 3 au
4 décembre 2003, une tempête marine, et, d'autre part, mis à leur charge les frais d'expertise liquidés et taxés, en ce qu'ils les concernent, à la somme de 4 280,63 euros.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
S'agissant de la force majeure :
2. Il résulte de l'instruction que les précipitations qui ont touché le quart sud-est du territoire métropolitain en décembre 2003 ont été d'une ampleur exceptionnelle et ont provoqué la saturation des sols et des ouvrages hydrauliques. Ainsi qu'il ressort des travaux de la conférence de consensus, initiée par le ministère de l'écologie et du développement durable, chargée d'étudier l'importance de cette crue du Rhône et dont les conclusions ont été rendues publiques le 25 octobre 2005, l'événement de décembre 2003 a été caractérisé par une situation météorologique peu courante avec une forte extension spatiale des pluies supérieures à 150 mm et que, comparé aux événements pluviométriques historiques connus, il est sans précédent. Cet événement, qui est au nombre des trois plus grands des deux derniers siècles, a été qualifié de plus important depuis deux cents ans, pour un phénomène météorologique dit " méditerranéen extensif ", par le rapport intitulé " La sécurité des digues du delta du Rhône - Politique de constructibilité derrière les digues " établi le 20 octobre 2004 par le même ministère. A ce premier phénomène exceptionnel d'une particulière intensité s'est ajoutée une tempête marine, qui a débuté dans la nuit du 3 au 4 décembre 2003 et qui a freiné le déversement des eaux du Rhône. Il résulte de l'instruction, et notamment des conclusions, non sérieusement contestées, de la conférence de consensus auxquelles fait directement référence le collège d'experts désigné par une ordonnance n° 0608837 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille du 1er mars 2007, que le débit de cette crue du Rhône, alors même qu'il est resté inférieur à celui des crues de 1840 et de 1856, était particulièrement fort. La circonstance que les experts désignés par le juge des référés n'aient pas retenu le phénomène marin comme cause des inondations ne fait pas obstacle à ce que soit prise en compte la conjonction exceptionnelle des phénomènes de grande intensité qui présente un caractère imprévisible et irrésistible et qui caractérise un cas de force majeure.
3. Il s'ensuit que la responsabilité de l'Etat à l'occasion de cette inondation de décembre 2003 ne peut être retenue que pour autant que les conséquences dommageables de cet événement ont été aggravées par le défaut de conception ou le mauvais état d'entretien d'un ouvrage lui appartenant ou par des fautes commises par ses services.
S'agissant du principe de responsabilité :
Quant à la responsabilité pour dommage de travaux publics :
4. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel. Le maître d'ouvrage ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure.
5. Par ailleurs, la qualification d'ouvrage public peut être déterminée par la loi. Présentent aussi le caractère d'ouvrage public notamment les biens immeubles résultant d'un aménagement, qui sont directement affectés à un service public, y compris s'ils appartiennent à une personne privée chargée de l'exécution de ce service public.
6. M. et Mme D... recherchent tout d'abord la responsabilité de l'Etat à raison des dommages accidentels causés par les inondations qu'ils ont subies en invoquant l'existence ou le mauvais entretien des ouvrages du Rhône par rapport auxquels ils ont la qualité de tiers. Toutefois, par son jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a relevé qu'ils n'établissaient pas de lien de causalité entre un ouvrage public identifié, dont l'Etat serait le gardien, et les dommages qu'ils alléguaient dès lors qu'ils mettaient en cause l'intégralité des ouvrages de protection du Rhône, fleuve qui s'étend sur plusieurs centaines de kilomètres, et alors qu'au surplus, l'Etat n'est pas le gestionnaire de la plupart de ces ouvrages. Devant la Cour, M. et Mme D... incriminent désormais la digue de la Montagnette. Toutefois, ils ne contestent pas l'affirmation du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires qui observe en défense qu'il ressort du rapport déposé au greffe du tribunal administratif de Marseille le 30 juillet 2017 par le collège d'experts que cette digue est gérée par le syndicat mixte interrégional d'aménagement des digues du delta du Rhône et de la mer (SYMADREM). En tout état de cause, dans ce même rapport, ce collège d'experts n'a pas relevé de dysfonctionnement de cette digue. Au contraire, il a souligné son " rôle essentiel ", avant de préciser qu'il " ne trouve dans le rôle et l'action du SYMADREM aucun fait susceptible d'avoir une incidence sur l'origine ou l'importance des inondations (...) en décembre 2003, sur les secteurs situés en rive gauche du Rhône en amont de la digue de la Montagnette et notamment vis-à-vis d'un défaut éventuel d'entretien de cette dernière ". Plus généralement, en reprenant une argumentation reposant sur une succession d'affirmations et de citations de textes ou de rapports, et demeurant, par là-même, imprécise, M. et Mme D... n'établissent pas davantage en appel qu'en première instance de lien de causalité entre un quelconque ouvrage public appartenant à l'Etat ou dont ce dernier serait gardien et leurs dommages. En outre, en se bornant à citer les dispositions de l'ancien article 14 du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, et d'autres textes ou documents, les appelants ne démontrent pas que des manquements imputables à l'Etat dans l'entretien du Rhône, et notamment son curage, auraient favorisé les inondations survenues en décembre 2003, d'autant qu'il ressort de la lecture de son rapport que le collège d'experts n'a trouvé, dans le rôle et l'action de l'Etat, aucun fait susceptible d'avoir une incidence sur l'origine ou l'importance des inondations en décembre 2003, en particulier, sur le territoire de la commune de Boulbon. Enfin, faute de démontrer que le Rhône aurait fait l'objet d'un aménagement suffisant, les appelants n'établissent pas que ce fleuve devrait être regardé comme constituant, dans son intégralité, un ouvrage public. Il résulte, par ailleurs, du rapport d'expertise que si certains des aménagements dont ce cours d'eau domanial a fait l'objet pourraient être regardés comme constituant des ouvrages publics,
M. et Mme D... n'identifient avec précision aucun de ces ouvrages, dont la gestion n'incombe au demeurant pas, ainsi que les premiers juges l'ont à juste titre relevé, à l'Etat, pour la plupart d'entre eux. Il s'ensuit que les appelants ne démontrent pas que la présence ou le fonctionnement défectueux d'un ouvrage public dont l'Etat serait le gardien, ni qu'un défaut d'entretien ou de curage imputable à l'Etat auraient aggravé les effets de l'inondation de décembre 2003. Ils ne sont dès lors pas fondés à rechercher la responsabilité sans faute de l'Etat, ni davantage, et en tout état de cause, celle de la commune de Boulbon.
Quant au principe de précaution :
7. Si, dans le cadre des développements de leur requête consacrés à la responsabilité sans faute pour dommage de travaux publics, M. et Mme D... invoquent la méconnaissance du principe de précaution, ils le font en tout état de cause sans les précisions utiles permettant à la Cour d'apprécier ce fondement de responsabilité, à supposer même qu'ils puissent être regardés comme l'ayant invoqué de manière autonome.
Quant à la responsabilité pour faute :
8. D'une part, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, applicable aux projets de construction : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ".
9. D'autre part, en vertu de l'article L. 562-1 du code de l'environnement en vigueur au moment des faits, l'Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles, en particulier pour les risques d'inondations, qui ont notamment pour objet de délimiter les zones exposées aux risques, en tenant compte de leur nature et de leur intensité, d'y interdire les constructions ou la réalisation d'aménagements ou d'ouvrages ou de prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités. L'article L. 562-4 du même code précise que : " le plan de prévention des risques naturels prévisibles approuvé vaut servitude d'utilité publique (...) ".
10. Les prescriptions d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles, élaboré par l'Etat conformément aux articles L. 562-1 et suivants du code de l'environnement, destinées notamment à assurer la sécurité des personnes et des biens exposés à certains risques naturels et valant servitude d'utilité publique, s'imposent directement aux autorisations de construire, sans que l'autorité administrative soit tenue de reprendre ces prescriptions dans le cadre de la délivrance du permis de construire. Il appartient toutefois à l'autorité compétente pour délivrer une autorisation d'urbanisme, si les particularités de la situation l'exigent, de préciser dans l'autorisation, le cas échéant, les conditions d'application d'une prescription générale contenue dans le plan ou de subordonner, en application des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, la délivrance du permis de construire sollicité à d'autres prescriptions spéciales, si elles lui apparaissent nécessaires, que celles qui résultent du plan de prévention des risques naturels prévisibles. L'autorité compétente pour délivrer l'autorisation d'urbanisme peut aussi, si elle estime, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation d'espèce qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation de construire est sollicitée,
y compris d'éléments déjà connus lors de l'élaboration du plan de prévention des risques naturels, que les risques d'atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique le justifient, refuser, sur le fondement de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de délivrer un permis de construire, alors même que le plan n'aurait pas classé le terrain d'assiette du projet en zone à risques ni prévu de prescriptions particulières qui lui soient applicables.
11. L'autorité compétente pour délivrer une autorisation d'urbanisme est susceptible d'engager sa responsabilité à l'égard du bénéficiaire de cette dernière lorsque, en application des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme précitées, il lui appartenait, soit de refuser l'autorisation, soit de l'assortir de prescriptions spéciales nécessaires à la préservation de la salubrité ou de la sécurité publique, à la condition qu'il existe un lien de causalité suffisamment direct entre les fautes commises pour délivrer cette autorisation et le préjudice subi par la victime. Si la compétence de l'autorité délivrant l'autorisation d'urbanisme ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité de l'Etat puisse être recherchée ou à ce que ce dernier soit appelé à garantir cette autorité, en raison du contenu du plan de prévention des risques approuvé ou des informations figurant dans les documents graphiques, comme la carte des aléas, portés à la connaissance de l'autorité délivrant l'autorisation d'urbanisme, ce n'est qu'à la condition qu'il existe un lien de causalité suffisamment direct entre la faute ainsi imputable à l'Etat et le préjudice subi par la victime.
12. En premier lieu, si les dispositions de l'article L. 566-7 du même code imposent à l'Etat, depuis le 22 décembre 2015, la réalisation de plans de gestion des risques d'inondation dans certains bassins ou groupements de bassins à risques naturels importants, à la date de la délivrance par le maire de Boulbon du permis de construire à M. et Mme D..., le 8 octobre 1999, les dispositions de l'article L. 562-1 du code de l'environnement issues de la loi susvisée du 2 juillet 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, n'étaient pas entrées en vigueur. Par ailleurs, ces mêmes dispositions ne fixent pas de date butoir pour la réalisation de ces plans. Dans ces conditions, et alors que les PPRI ne sont pas les seuls documents de planification au regard desquels les zones à risques peuvent être identifiées et leur aménagement envisagé en conséquence, M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que l'Etat aurait commis une faute en s'abstenant d'adopter des documents d'urbanisme dans un secteur inondable.
13. En second lieu, M. et Mme D... exposent avoir acquis un terrain le 26 août 1999, situé chemin de la Croix du Jubilé, sur le territoire de la commune de Boulbon, pour y édifier leur maison d'habitation. Ils soutiennent que le permis de construire afférent qui leur a été délivré
le 8 octobre 1999 n'était assorti d'aucune prescription au sujet du risque d'inondation. Toutefois, les appelants ne démontrent pas qu'en délivrant cette autorisation d'urbanisme, sans l'assortir de prescriptions dont ils ne précisent pas la nature exacte, le maire de Boulbon aurait commis une faute. Il résulte, au demeurant, de l'instruction qu'alors que le certificat d'urbanisme daté
du 15 mars 1999 mentionne que sont applicables les servitudes relatives aux zones submersibles, M. et Mme D... ont été, en outre, destinataires d'un courrier en février 2000 par lequel les services de l'Etat se déclaraient défavorables à leur projet de construction en raison notamment d'un niveau insuffisant des planchers, la pose de ceux-ci à un mètre au-dessus du terrain naturel étant requise. Ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, ils ont d'ailleurs non seulement respecté la préconisation qui leur était faite mais sont allés au-delà, en portant la hauteur de leurs planchers à 1,50 mètres. Le collège des experts conclut à cet égard que cette prescription doit être regardée comme suffisante pour un risque trentenaire, bien qu'elle puisse ne pas l'être au regard d'un risque exceptionnel. Dans ces conditions, les appelants n'établissent pas l'existence d'une faute imputable à l'Etat ou à la commune de Boulbon tirée du défaut d'information du risque d'inondation ou de la délivrance d'une autorisation d'urbanisme, et présentant un lien de causalité suffisamment direct avec les dommages qu'ils estiment avoir subis.
14. Il s'ensuit que M. et Mme D... ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité pour faute de l'Etat et de la commune de Boulbon.
En ce qui concerne la charge des frais et honoraires d'expertise :
15. Selon l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens. "
16. Eu égard au sens du présent arrêt, il n'y a pas lieu de modifier la charge des frais et honoraires d'expertise, seuls dépens auxquels a donné lieu le présent litige, telle que dévolue par les premiers juges. Les conclusions afférentes présentées par M. et Mme D... doivent donc également être rejetées.
17. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de
non-recevoir tirée de la tardiveté de leur requête, ni l'exception de prescription quadriennale opposées en défense, M. et Mme D... ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande et mis à leur charge définitive les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés, en ce qu'ils les concernent, à la somme de 4 280,63 euros.
Sur les appels en garantie :
18. Aucune condamnation n'étant prononcée à leur encontre, les conclusions d'appel en garantie respectivement formées par l'Etat et la commune de Boulbon sont sans objet.
Sur les frais liés au litige d'appel :
19. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "
20. D'une part, ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat et de la commune de Boulbon, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement à M. et Mme D... de la somme qu'ils sollicitent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
21. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Boulbon sur le fondement de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions des intimés est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., à Mme B... L... épouse D..., à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, et à la commune de Boulbon.
Copie en sera adressé à Mme K... F..., à Mme I... A..., à M. H... E... et à M. J... G..., experts de justice.
Délibéré après l'audience du 7 janvier 2025, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2025.
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No 23MA02376