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21/01/2025 | FRANCE | N°23MA02305

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 4ème chambre, 21 janvier 2025, 23MA02305


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... K... et Mme D... G... épouse K... ont demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, de condamner l'Etat à leur verser une somme globale de 182 088,25 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'inondation de leur propriété et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens, dont les frais et honoraires de l'experti

se confiée par le juge des référés à un collège d'experts.

Par ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... K... et Mme D... G... épouse K... ont demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, de condamner l'Etat à leur verser une somme globale de 182 088,25 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'inondation de leur propriété et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens, dont les frais et honoraires de l'expertise confiée par le juge des référés à un collège d'experts.

Par un jugement n° 2104776 du 27 juin 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande et mis à leur charge ces frais et honoraires d'expertise liquidés et taxés, en ce qu'ils les concernent, à la somme de 4 280,63 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 5 septembre 2023, et les 30 juillet, 10 septembre et 15 octobre 2024, M. et Mme K..., représentés par Me Duffay, demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 27 juin 2023 ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser les sommes de :

. 381 euros, au titre de la franchise contractuelle ;

. 6 662,25 euros, au titre de la vétusté non récupérable ;

. 55 000 euros, au titre de la perte de la valeur vénale de leur maison ;

. 40 045 euros, en réparation du préjudice lié au trouble dans les conditions d'existence ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens, en ce compris les frais et honoraires d'expertise d'un montant de 4 280,63 euros.

Ils soutiennent que :

- les inondations de septembre 2002 et de décembre 2003 ne relèvent pas d'un cas de force majeure de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité ;

- l'évènement de décembre 2003 a été aggravé par l'état défectueux des ouvrages de protection ;

- sur la responsabilité pour dommages de travaux publics :

. la responsabilité de l'Etat en matière de prévention des inondations est établie ;

. la responsabilité de la puissance publique pour manquement au principe de précaution peut être retenue ;

. le pont de la RD 500 est nécessairement un ouvrage public dont l'entretien incombe à la puissance publique ;

. le Rhône est inscrit à la nomenclature du domaine public fluvial navigable ; l'Etat est chargé de l'entretien et du curage des cours d'eaux domaniaux ; les manquements de l'Etat dans l'entretien du Rhône ont favorisé les inondations qu'ils ont subies ;

- sur la responsabilité pour faute :

. c'est par une appréciation inexacte de la législation applicable que le tribunal administratif de Marseille a retenu que les dispositions de l'article L. 562-1 du code de l'environnement s'imposaient à l'Etat depuis le 22 décembre 2015 ;

. l'Etat a commis une faute de sécurité des biens et des personnes et de gestion du risque inondation ;

. l'Etat a commis une faute dans la délivrance des permis de construire des 13 novembre 1966, de 1967 et du 7 octobre 1980 ;

. l'Etat a commis une faute au titre de sa carence dans l'adoption de tout document d'urbanisme ;

- ils établissent le lien de causalité entre l'action ou l'omission de l'Etat et le dommage ;

- ils établissent le caractère certain de leurs préjudices ;

- ils demandent l'indemnisation des préjudices en raison de l'absence de réparation de l'intégralité des dégâts matériels subis, soit les meubles, les équipements et les murs de leur habitation causés par les inondations, par leur compagnie d'assurance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 septembre 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, conclut au rejet de la requête ou, à tout le moins que l'indemnité allouée à M. et Mme K... soit réduite au chiffrage établi par le collège d'experts.

Il fait valoir que :

- contrairement à ce que soutiennent M. et Mme K..., le jugement attaqué n'est pas entaché d'irrégularité ;

- la crue du Gardon de septembre 2002, qui est à l'origine de l'inondation de la commune de Montfrin, constitue un cas de force majeure tout comme la crue de 2003 ;

- la responsabilité sans faute de l'Etat ne saurait être engagée ;

. à supposer que les évènements météorologiques ayant mené à la situation, objet du présent litige, ne relèvent pas de la force majeure, c'est sans erreur de droit que le tribunal administratif de Marseille a jugé qu'il n'était pas en mesure d'apprécier le défaut d'entretien d'un ouvrage public spécifique et, par suite, son lien de causalité avec les dommages allégués ; en tout état de cause, le collège d'experts a conclu à l'absence de manquement des services de l'Etat ;

. si, dans leur requête d'appel, M. et Mme K... identifient un ouvrage public particulier, à savoir le pont de la RD 500, ils le font sans précision, ce qui ne saurait suffire à constater, d'une part, le défaut d'entretien ou de conception dont serait responsable, selon eux, l'Etat et, d'autre part, le lien de causalité entre ce défaut et leur dommage ;

. comme le note le collège d'experts, l'entretien du lit du Gardon ne relève pas de la compétence de l'Etat et, en tout état de cause, M. et Mme K... n'établissent pas un défaut d'entretien normal du lit du fleuve ;

- la responsabilité pour faute de l'Etat ne saurait être engagée :

- la sécurité des biens n'est pas, en elle-même, au nombre des intérêts que le principe de précaution a vocation à protéger ;

- sur les préjudices :

. le montant des préjudices dont M. et Mme K... se prévalent est excessif ;

. le chef de préjudice tenant à la valeur vénale devra être écarté ;

. ni le préjudice moral, ni le préjudice de santé ne sont établis ;

. à tout le moins, les conclusions indemnitaires devront être réduites au chiffrage établi par le collège d'experts ;

- les conclusions présentées par M. et Mme K... au titre des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet de leurs conclusions principales.

Un courrier du 16 septembre 2024 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.

Par une ordonnance du 18 novembre 2024, mise à la disposition, sur l'application informatique Télérecours, des parties, à 11 heures 53, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire, présenté par la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, a été enregistré le 18 novembre 2024, à 20 heures 11, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.

En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, le conseil de M. et Mme K... a été invité, le 12 décembre 2024, à produire :

. une copie complète des courriers du 2 juin 2020 adressés au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, et au ministre de la transition écologique et solidaire, produits comme pièces jointes sous les nos 5 et 7 ;

. une copie des quatre ordonnances n° 0608837 du 16 janvier 2018 portant taxation et liquidation des frais et honoraires d'expertise.

En réponse, des pièces ont été produites le 17 décembre 2024, pour M. et Mme K..., par Me Duffay.

Vu

- les quatre ordonnances nos 0608837 du 16 janvier 2018 par lesquelles le premier vice-président du tribunal administratif de Marseille a taxé et liquidé les frais et honoraires des membres du collège d'experts ;

- le jugement n° 1800308 du tribunal administratif de Bastia du 19 décembre 2019 qui ramène à la somme globale de 954 579,55 euros ces frais et honoraires, et les met provisoirement à la charge des parties ayant sollicité la désignation du collège d'experts ou l'extension des opérations d'expertise ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure ;

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 95-101 du 2 février 1995 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lombart,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Me Duffay, représentant M. et Mme K....

Considérant ce qui suit :

1. Propriétaires des parcelles cadastrées section AH nos 208 et 209, et section AI nos 62 et 67, d'une superficie totale de 441 m2, situées aux 6 et 13 rue René-Cassin, sur le territoire de la commune de Montfrin, et sur lesquelles sont notamment édifiées des maisons à usage d'habitation, M. et Mme K... relèvent appel du jugement du 27 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, rejeté leur demande tendant principalement à la condamnation de l'Etat à leur verser une somme globale de 182 088,25 euros, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'inondation de leur propriété et, d'autre part, mis à leur charge les frais d'expertise liquidés et taxés, en ce qu'ils les concernent, à la somme de 4 280,63 euros.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

S'agissant de la force majeure :

2. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport établi par collège d'experts désigné par une ordonnance n° 0608837 du juge des référés du 1er mars 2007 et déposé au greffe du tribunal administratif de Marseille le 30 juillet 2017 que la cause de l'inondation survenue sur le territoire de la commune de Montfrin est la crue du Gardon en septembre 2002. Or, malgré leur importance et leur intensité exceptionnelles, et alors même que l'état de catastrophe naturelle a été reconnu, pour la commune de Montfrin, par un arrêté conjoint du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire du 19 septembre 2002, il ne résulte pas de l'instruction que, en l'état des connaissances scientifiques de l'époque, et alors que le Sud de la vallée du Rhône connaît des crues très importantes, dont les principales au cours des deux derniers siècles ont été celles de 1840, 1856 et de 1994, ces inondations survenues, notamment, sur le territoire de cette commune, ont présenté un caractère de violence imprévisible constituant un cas de force majeure.

S'agissant de la responsabilité de l'Etat :

Quant à la responsabilité pour dommage de travaux publics :

3. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel. Le maître d'ouvrage ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure.

4. Par ailleurs, la qualification d'ouvrage public peut être déterminée par la loi. Présentent aussi le caractère d'ouvrage public notamment les biens immeubles résultant d'un aménagement, qui sont directement affectés à un service public, y compris s'ils appartiennent à une personne privée chargée de l'exécution de ce service public.

5. M. et Mme K... recherchent tout d'abord la responsabilité de l'Etat à raison des dommages accidentels causés par les inondations qu'ils ont subies en invoquant l'existence ou le mauvais entretien des ouvrages du Rhône par rapport auxquels ils ont la qualité de tiers. Toutefois, par son jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a relevé qu'ils n'établissaient pas de lien de causalité entre un ouvrage public identifié, dont l'Etat serait le gardien, et les dommages qu'ils alléguaient dès lors qu'ils mettaient en cause l'intégralité des ouvrages de protection du Rhône, fleuve qui s'étend sur plusieurs centaines de kilomètres, et alors qu'au surplus, l'Etat n'est pas le gestionnaire de la plupart de ces ouvrages. Devant la Cour, M. et Mme K... incriminent désormais le pont de la " RD " 500 qui surplombe le Gardon, qui est un affluent du Rhône et qui est situé en aval de Montfrin. Toutefois, les appelants n'établissent, ni même n'allèguent que ce pont appartiendrait à l'Etat. A cet égard, ils ne contestent d'ailleurs pas les observations du collège d'experts selon lesquelles le Gardon " semble être globalement du domaine privé sauf pour les derniers kilomètres avant le Rhône, en aval de Comps " et que " l'entretien serait alors l'affaire des riverains, éventuellement fédérés en syndicat ". Les appelants ne démontrent pas, en tout état de cause, que ce pont serait la cause de l'inondation de leurs parcelles. En effet, si, dans son rapport déposé au greffe du tribunal administratif de Marseille le 30 juillet 2017, le collège d'experts indique qu'un tel ouvrage est nécessairement insuffisant pour faire face à une crue telle que celle survenue en septembre 2002, il relève néanmoins qu'il " semble correctement dimensionné, et aux dires mêmes des requérants, l'étude Sogreah de 91 le confirmant avec une capacité suffisante pour un événement de récurrence 150 ans (100 ans dans son état actuel avec une capacité diminuée de 10%) ", avant de conclure que " l'épisode de crue de septembre 2002 sur le Gardon est un épisode exceptionnel qui dépasse le cadre de sécurité défini par les recommandations de l'Etat et de la commune en termes de construction. Le débit extrême lié à des précipitations extraordinairement fortes sur le bassin cévenol est la cause de niveaux d'eau lors de la crue bien supérieurs à ceux historiquement connus sur Montfrin ". Plus généralement, en reprenant une argumentation reposant sur une succession d'affirmations et de citations de textes ou de rapports, et demeurant, par là-même, imprécise, M. et Mme K... n'établissent pas davantage en appel qu'en première instance de lien de causalité entre un quelconque ouvrage public appartenant à l'Etat ou dont ce dernier serait gardien et leurs dommages. En outre, en se bornant à citer les dispositions de l'ancien article 14 du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, et d'autres textes ou documents, les appelants ne démontrent pas que des manquements imputables à l'Etat dans l'entretien du Rhône, et notamment son curage, auraient favorisé les inondations survenues en septembre 2002, d'autant que, dans son rapport, le collège d'experts indique, après avoir rappelé que sa mission ne porte pas sur le choix technique d'aménagement du Gardon par l'Etat, qu'il n'a relevé aucun lien de causalité entre l'intervention des services de l'Etat et ces phénomènes d'inondation, s'agissant de l'application des règles contractuelles de gestion des ouvrages. Enfin, faute de démontrer que le Rhône aurait fait l'objet d'un aménagement suffisant, les appelants n'établissent pas que ce fleuve devrait être regardé comme constituant, dans son intégralité, un ouvrage public. M. et Mme K... ne relevant, ni n'établissant la défaillance d'aucun aménagement ou ouvrage précis sur le Gardon, le lit de cette rivière ne saurait davantage être regardé comme constitutif d'un ouvrage public. Il s'ensuit que les appelants ne démontrent ni la présence ou le fonctionnement défectueux d'un ouvrage public dont l'Etat serait le gardien, ni qu'un défaut d'entretien ou de curage imputable à l'Etat serait en lien avec les dommages résultant de l'inondation de septembre 2002. Ils ne sont dès lors pas fondés à rechercher la responsabilité sans faute de l'Etat.

Quant au principe de précaution :

6. Si, dans le cadre des développements de leur requête consacrés à la responsabilité sans faute pour dommage de travaux publics, M. et K... invoquent la méconnaissance du principe de précaution, ils le font en tout état de cause sans les précisions utiles permettant à la Cour d'apprécier ce fondement de responsabilité, à supposer même qu'ils puissent être regardés comme l'ayant invoqué de manière autonome.

Quant à la responsabilité pour faute :

7. D'une part, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, applicable aux projets de construction : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ".

8. D'autre part, en vertu de l'article L. 562-1 du code de l'environnement en vigueur au moment des faits, l'Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles, en particulier pour les risques d'inondations, qui ont notamment pour objet de délimiter les zones exposées aux risques, en tenant compte de leur nature et de leur intensité, d'y interdire les constructions ou la réalisation d'aménagements ou d'ouvrages ou de prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités. L'article L. 562-4 du même code précise que : " le plan de prévention des risques naturels prévisibles approuvé vaut servitude d'utilité publique (...) ".

9. Les prescriptions d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles, élaboré par l'Etat conformément aux articles L. 562-1 et suivants du code de l'environnement, destinées notamment à assurer la sécurité des personnes et des biens exposés à certains risques naturels et valant servitude d'utilité publique, s'imposent directement aux autorisations de construire, sans que l'autorité administrative soit tenue de reprendre ces prescriptions dans le cadre de la délivrance du permis de construire. Il appartient toutefois à l'autorité compétente pour délivrer une autorisation d'urbanisme, si les particularités de la situation l'exigent, de préciser dans l'autorisation, le cas échéant, les conditions d'application d'une prescription générale contenue dans le plan ou de subordonner, en application des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, la délivrance du permis de construire sollicité à d'autres prescriptions spéciales, si elles lui apparaissent nécessaires, que celles qui résultent du plan de prévention des risques naturels prévisibles. L'autorité compétente pour délivrer l'autorisation d'urbanisme peut aussi, si elle estime, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation d'espèce qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation de construire est sollicitée, y compris d'éléments déjà connus lors de l'élaboration du plan de prévention des risques naturels, que les risques d'atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique le justifient, refuser, sur le fondement de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de délivrer un permis de construire, alors même que le plan n'aurait pas classé le terrain d'assiette du projet en zone à risques ni prévu de prescriptions particulières qui lui soient applicables.

10. L'autorité compétente pour délivrer une autorisation d'urbanisme est susceptible d'engager sa responsabilité à l'égard du bénéficiaire de cette dernière lorsque, en application des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme précitées, il lui appartenait, soit de refuser l'autorisation, soit de l'assortir de prescriptions spéciales nécessaires à la préservation de la salubrité ou de la sécurité publique, à la condition qu'il existe un lien de causalité suffisamment direct entre les fautes commises pour délivrer cette autorisation et le préjudice subi par la victime. Si la compétence de l'autorité délivrant l'autorisation d'urbanisme ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité de l'Etat puisse être recherchée ou à ce que ce dernier soit appelé à garantir cette autorité, en raison du contenu du plan de prévention des risques approuvé ou des informations figurant dans les documents graphiques, comme la carte des aléas, portés à la connaissance de l'autorité délivrant l'autorisation d'urbanisme, ce n'est qu'à la condition qu'il existe un lien de causalité suffisamment direct entre la faute ainsi imputable à l'Etat et le préjudice subi par la victime.

11. En premier lieu, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme K..., les dispositions de l'article L. 566-7 du code de l'environnement n'imposent à l'Etat la réalisation de plans de gestion des risques d'inondation dans certains bassins ou groupements de bassins à risques naturels importants que depuis le 22 décembre 2015 et sans, au demeurant, fixer de date butoir. Par suite, et alors que les PPRI ne sont pas les seuls documents de planification au regard desquels les zones à risques peuvent être identifiées et leur aménagement envisagé en conséquence,

M. et Mme K... ne sont pas fondés, sans autre précision, à soutenir que l'Etat aurait commis une faute en s'abstenant d'adopter des documents d'urbanisme dans un secteur inondable.

12. En second lieu, M. et Mme K... soutiennent être les propriétaires des parcelles cadastrées section AH nos 208 et 209 et section AI nos 62 et 67 d'une superficie totale de 441 m2, situées aux 6 et 13 rue René-Cassin, sur le territoire de la commune de Montfrin, et sur lesquelles sont notamment édifiées des maisons à usage d'habitation. Ils ajoutent que les permis de construire qu'ils se sont vus délivrer étaient dépourvus de toute prescription afférente au risque inondation et qu'au cours des opérations expertales, le collège d'experts a relevé, qu'à la différence des plans de surfaces submersibles (PSS) édités en 1911 sur les collectivités présentes le long du Rhône,

il n'existait pas de documents d'urbanisme en vigueur à la date des permis de construire demandés par M. K... sur le territoire de Montfrin, soit les 21 novembre 1966, 16 mai 1967 et

7 octobre 1980. Toutefois, les appelants ne versent aux débats qu'une copie du permis de construire délivré à M. K... le 16 mai 1967 et, dans son rapport, le collège d'experts a conclu " qu'aucune cause de l'ordre de l'urbanisme ne pouvait être retenue ". Enfin, en se bornant à affirmer que la " zone inondée en décembre 2003 éta[it] à peu près identique à celle inondée en 1856 ", alors qu'au surplus les dommages dont ils demandent réparation découlent des inondations de 2002,

M. et Mme K... ne donnent pas suffisamment de précisions à la Cour pour lui permettre de vérifier, au regard des éléments dont l'administration avait connaissance au moment où elle a délivré ces autorisations d'urbanisme, si l'insuffisance des mesures prises ou l'absence de prescription, dont les appelants ne précisent au demeurant pas la nature, ont un caractère fautif présentant un lien de causalité suffisamment direct avec les préjudices qu'ils estiment avoir subis. Dans ces conditions, les appelants ne sauraient établir l'existence d'une faute imputable à l'Etat dans la délivrance de ces permis de construire qu'ils ont, au demeurant, eux-mêmes sollicités.

13. Il s'esnsuit que M. et Mme K... ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité pour faute de l'Etat.

En ce qui concerne la charge des frais et honoraires d'expertise :

14. Selon l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens. "

15. Eu égard au sens du présent arrêt, il n'y a pas lieu de revenir sur la charge des frais et honoraires d'expertise, seuls dépens auxquels a donné lieu le présent litige, telle que dévolue par les premiers juges. Les conclusions afférentes présentées par M. et Mme K... doivent donc également être rejetées.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme K... ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande et mis à leur charge définitive les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés, en ce qu'ils les concernent, à la somme de 4 280,63 euros.

Sur les frais liés au litige d'appel :

17. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "

18. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à M. et Mme K... de la somme qu'ils sollicitent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme K... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... K..., à Mme D... G... épouse K..., et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Copie en sera adressé à Mme J... E..., à Mme I... A..., à M. H... C... et à M. B... L... F..., experts de justice.

Délibéré après l'audience du 7 janvier 2025, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2025.

2

No 23MA02305


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA02305
Date de la décision : 21/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Travaux publics - Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics - Régime de la responsabilité - Qualité de tiers.

Travaux publics - Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics - Causes d'exonération - Force majeure - Absence.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Laurent LOMBART
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : DUFFAY

Origine de la décision
Date de l'import : 31/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-21;23ma02305 ?
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