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21/01/2025 | FRANCE | N°23MA02281

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 4ème chambre, 21 janvier 2025, 23MA02281


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... G... et Mme K... C... épouse G... ont demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, de condamner l'Etat à leur verser une somme globale de 503 890,83 euros, augmentée des intérêts à taux légal, à compter du 8 juin 2020, avec capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'inondation de leur propriété et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-

1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens, dont les fr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... G... et Mme K... C... épouse G... ont demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, de condamner l'Etat à leur verser une somme globale de 503 890,83 euros, augmentée des intérêts à taux légal, à compter du 8 juin 2020, avec capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'inondation de leur propriété et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens, dont les frais et honoraires de l'expertise confiée par le juge des référés à un collège d'experts.

Par un jugement n° 2104801 du 27 juin 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande et mis à leur charge ces frais et honoraires d'expertise liquidés et taxés, en ce qu'ils les concernent, à la somme de 4 280,63 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 5 septembre 2023, et les 30 juillet, 10 septembre et 15 octobre 2024, M. et Mme G..., représentés par Me Duffay, demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 27 juin 2023 ;

2°) de condamner l'Etat à réparer leur préjudice de santé et à leur verser les sommes de :

. 631 euros, au titre de la franchise contractuelle, pour les bâtiments agricoles ;

. 863 euros, au titre de la vétusté non récupérable, pour les bâtiments agricoles ;

. 2 124,23 euros, au titre de la franchise contractuelle, pour l'habitation ;

. 16 772,60 euros, au titre de la vétusté non récupérable, pour l'habitation ;

. 20 000 euros, au titre des troubles dans leurs conditions d'existence ;

. 300 000 euros, au titre de la perte de la valeur vénale de leur maison ;

. 135 000 euros, au titre de la perte de la valeur vénale du hangar de 800 m2 construit en 1978 ;

. 28 500 euros, au titre de la vente de 12 hectares de terres ;

3°) d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter du 8 juin 2020 ainsi que de la capitalisation de ces intérêts ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens, en ce compris les frais et honoraires d'expertise d'un montant de 4 280,63 euros.

Ils soutiennent que :

- les inondations de décembre 2003 ne relèvent pas d'un cas de force majeure de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité ;

- l'évènement de décembre 2003 a été aggravé par l'état défectueux des ouvrages de protection ;

- sur la responsabilité pour dommages de travaux publics :

. la responsabilité de l'Etat en matière de prévention des inondations est établie ;

. la responsabilité de la puissance publique pour manquement au principe de précaution peut être retenue ;

. l'Etat a failli dans l'entretien de l'endiguement de l'île de la Barthelasse ;

. le Rhône est inscrit à la nomenclature du domaine public fluvial navigable ; l'Etat est chargé de l'entretien et du curage des cours d'eaux domaniaux ; les manquements de l'Etat dans l'entretien du Rhône ont favorisé les inondations qu'ils ont subies par le rehaussement établi de la ligne d'eau ;

- sur la responsabilité pour faute :

. c'est par une appréciation inexacte de la législation applicable que le tribunal administratif de Marseille a retenu que les dispositions de l'article L. 562-1 du code de l'environnement s'imposaient à l'Etat depuis le 22 décembre 2015 ; en première instance, ils ont reproché à l'Etat d'avoir sous-évalué l'appréciation du risque de submersion lors de l'élaboration du plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) en 2000 en se basant sur des références erronées et donc, d'avoir contribué à minorer le risque inondation ;

. c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a estimé qu'ils n'étaient pas fondés à soutenir que la responsabilité pour faute de la puissance publique est engagée faute de produire l'autorisation d'urbanisme omettant de les informer du caractère inondable et submersible de leur parcelle ;

- ils établissent le lien de causalité entre l'action ou l'omission de l'Etat et le dommage ;

- ils établissent le caractère certain de leurs préjudices ;

- ils demandent l'indemnisation de leurs préjudices en raison de l'absence de réparation de l'intégralité des dégâts matériels subis, soit les meubles, les équipements et les murs de leur habitation causés par les inondations, par leur compagnie d'assurance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 septembre 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- contrairement à ce que soutiennent M. et Mme G..., le jugement attaqué n'est pas entaché d'irrégularité ;

- l'inondation de 2003, qui est à l'origine de l'inondation de la commune d'Avignon et des dommages subis par M. et Mme G..., constitue un cas de force majeure ;

- la responsabilité sans faute de l'Etat ne saurait être engagée ;

. à supposer que les évènements météorologiques ayant mené à la situation, objet du présent litige, ne relèvent pas de la force majeure, c'est sans erreur de droit que le tribunal administratif de Marseille a jugé qu'il n'était pas en mesure d'apprécier le défaut d'entretien d'un ouvrage public spécifique et, par suite, son lien de causalité avec les dommages allégués ; en tout état de cause, le collège d'experts a conclu à l'absence de manquement des services de l'Etat ;

. si, dans leur requête d'appel, M. et Mme G... identifient un ouvrage public particulier, à savoir le système d'endiguement sur l'île de Barthelasse, à l'origine, selon eux, de leur dommage accidentel, comme le relève le collège d'experts, il s'agit de digues syndicales qui ne relèvent pas de la compétence de l'Etat ; en tout état de cause, le collège d'experts conclut à une mise hors de cause les digues de cette île ;

. M. et Mme G... n'établissent pas un défaut d'entretien normal du lit du fleuve ;

- la responsabilité pour faute de l'Etat ne saurait être engagée ;

- la sécurité des biens n'est pas, en elle-même, au nombre des intérêts que le principe de précaution a vocation à protéger ;

- sur les préjudices :

. le montant des préjudices dont M. et Mme G... se prévalent est excessif ;

. en tout état de cause, le lien de causalité entre la perte de valeur vénale et la crue de 2003 n'est pas établi tout comme le préjudice moral allégué ;

. si, par extraordinaire, la Cour devait estimer ces préjudices établis, M. et Mme G... ont commis une imprudence en ne s'assurant pas eux-mêmes de la sécurité des lieux où ils envisageaient de s'installer dans la maison reçue en donation et de construire leur hangar alors qu'il s'agit d'une île, qui plus est sur une zone déclarée inondable depuis 1911 ; cette imprudence est de nature à exonérer l'Etat de toute responsabilité ;

- les conclusions présentées par M. et Mme G... au titre des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet de leurs conclusions principales.

Un courrier du 16 septembre 2024 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.

Par une ordonnance du 18 novembre 2024, mise à la disposition, sur l'application informatique Télérecours, des parties, à 11 heures 41, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire, présenté par la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, a été enregistré le 18 novembre 2024, à 16 heures 11, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.

En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, le conseil de

M. et Mme G... a été invité, le 12 décembre 2024, à produire :

. une copie complète des courriers du 2 juin 2020 adressés au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, et au ministre de la transition écologique et solidaire, produits comme pièces jointes sous les nos 11 et 12 ;

. une copie des quatre ordonnances n° 0608837 du 16 janvier 2018 portant taxation et liquidation des frais et honoraires d'expertise.

En réponse, des pièces ont été produites le 17 décembre 2024, pour M. et Mme G..., par Me Duffay.

Vu

- les quatre ordonnances nos 0608837 du 16 janvier 2018 par lesquelles le premier

vice-président du tribunal administratif de Marseille a taxé et liquidé les frais et honoraires des membres du collège d'experts ;

- le jugement n° 1800308 du tribunal administratif de Bastia du 19 décembre 2019 qui ramène à la somme globale de 954 579,55 euros ces frais et honoraires, et les met provisoirement à la charge des parties ayant sollicité la désignation du collège d'experts ou l'extension des opérations d'expertise ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure ;

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 95-101 du 2 février 1995 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lombart,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Me Duffay, représentant M. et Mme G....

Considérant ce qui suit :

1. Propriétaires d'une maison à usage d'habitation, de bâtiments agricoles et de parcelles en nature de terre agricole situés sur le territoire de la commune d'Avignon, M. et Mme G... relèvent appel du jugement du 27 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, rejeté leur demande tendant principalement à la condamnation de l'Etat à leur verser une somme globale de 503 890,83 euros, augmentée des intérêts à taux légal à compter du 8 juin 2020, avec capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'inondation de leur propriété suite aux fortes pluies survenues sur la vallée du Rhône, du 1er au 4 décembre 2003, auxquelles s'est ajoutée, dans la nuit du 3 au 4 décembre 2003, une tempête marine, et, d'autre part, mis à leur charge les frais d'expertise liquidés et taxés, en ce qu'ils les concernent, à la somme de 4 280,63 euros.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

S'agissant de la force majeure :

2. Il résulte de l'instruction que les précipitations qui ont touché le quart sud-est du territoire métropolitain en décembre 2003 ont été d'une ampleur exceptionnelle et ont provoqué la saturation des sols et des ouvrages hydrauliques. Ainsi qu'il ressort des travaux de la conférence de consensus, initiée par le ministère de l'écologie et du développement durable, chargée d'étudier l'importance de cette crue du Rhône et dont les conclusions ont été rendues publiques le 25 octobre 2005, l'événement de décembre 2003 a été caractérisé par une situation météorologique peu courante avec une forte extension spatiale des pluies supérieures à 150 mm et que, comparé aux événements pluviométriques historiques connus, il est sans précédent. Cet événement, qui est au nombre des trois plus grands des deux derniers siècles, a été qualifié de plus important depuis deux cents ans, pour un phénomène météorologique dit " méditerranéen extensif ", par le rapport intitulé " La sécurité des digues du delta du Rhône - Politique de constructibilité derrière les digues " établi le 20 octobre 2004 par le même ministère. A ce premier phénomène exceptionnel d'une particulière intensité s'est ajoutée une tempête marine, qui a débuté dans la nuit du 3 au 4 décembre 2003 et qui a freiné le déversement des eaux du Rhône. Il résulte de l'instruction, et notamment des conclusions, non sérieusement contestées, de la conférence de consensus auxquelles fait directement référence le collège d'experts désigné par une ordonnance n° 0608837 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille du 1er mars 2007, que le débit de cette crue du Rhône, alors même qu'il est resté inférieur à celui des crues de 1840 et de 1856, était particulièrement fort. La circonstance que les experts désignés par le juge des référés n'aient pas retenu le phénomène marin comme cause des inondations ne fait pas obstacle à ce que soit prise en compte la conjonction exceptionnelle des phénomènes de grande intensité qui présente un caractère imprévisible et irrésistible et qui caractérise un cas de force majeure.

3. Il s'ensuit que la responsabilité de l'Etat à l'occasion de cette inondation de décembre 2003 ne peut être retenue que pour autant que les conséquences dommageables de cet événement ont été aggravées par le défaut de conception ou le mauvais état d'entretien d'un ouvrage lui appartenant ou par des fautes commises par ses services.

S'agissant de la responsabilité de l'Etat :

Quant à la responsabilité pour dommage de travaux publics :

4. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel. Le maître d'ouvrage ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure.

5. Par ailleurs, la qualification d'ouvrage public peut être déterminée par la loi. Présentent aussi le caractère d'ouvrage public notamment les biens immeubles résultant d'un aménagement, qui sont directement affectés à un service public, y compris s'ils appartiennent à une personne privée chargée de l'exécution de ce service public.

6. M. et Mme G... recherchent tout d'abord la responsabilité de l'Etat à raison des dommages accidentels causés par les inondations qu'ils ont subies en invoquant l'existence ou le mauvais entretien des ouvrages du Rhône par rapport auxquels ils ont la qualité de tiers. Toutefois, par son jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a relevé qu'ils n'établissaient pas de lien de causalité entre un ouvrage public identifié, dont l'Etat serait le gardien, et les dommages qu'ils alléguaient dès lors qu'ils mettaient en cause l'intégralité des ouvrages de protection du Rhône, fleuve qui s'étend sur plusieurs centaines de kilomètres, et alors qu'au surplus, l'Etat n'est pas le gestionnaire de la plupart de ces ouvrages. Devant la Cour, M. et Mme G... incriminent désormais le système d'endiguement sur l'île de la Barthelasse sur laquelle sont situées les parcelles dont ils sont les propriétaires ou qu'ils exploitent. Toutefois, ils ne contestent pas les affirmations du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires qui observe en défense qu'il ressort du rapport déposé au greffe du tribunal administratif de Marseille le 30 juillet 2017 par le collège d'experts qu'il s'agit de digues syndicales dont l'entretien n'incombe pas à l'Etat. Au contraire, ils indiquent eux-mêmes, dans leurs écritures, que " l'ensemble des digues y comprises les digues agricoles le long du bras d'Avignon [sont] gérées par l'Association syndicale constituée d'office (ASCO) des digues et fossés de la Barthelasse ", pour regretter que cette association syndicale n'ait pas disposé des moyens suffisants pour entretenir ces digues. En tout état de cause, dans le rapport dudit collège d'experts, il n'a pas été relevé " de comportement "anormal" " des aménagements de protection de l'île de la Barthelasse ou pouvant avoir eu des conséquences aggravantes sur l'inondation survenue sur le territoire de la commune d'Avignon. Plus généralement, en reprenant une argumentation reposant sur une succession d'affirmations et de citations de textes ou de rapports, et demeurant, par là-même, imprécise, M. et Mme G... n'établissent pas davantage en appel qu'en première instance un lien de causalité entre un quelconque ouvrage public identifié appartenant à l'Etat, ou dont ce dernier serait gardien, et leurs dommages. En outre, en se bornant à citer les dispositions de l'ancien article 14 du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, et d'autres textes ou documents, les appelants ne démontrent pas que des manquements imputables à l'Etat dans l'entretien du Rhône, et notamment son curage, auraient favorisé les inondations survenues en décembre 2003, d'autant qu'il ressort de la lecture de son rapport que le collège d'experts n'a trouvé, dans le rôle et l'action de l'Etat, aucun fait susceptible d'avoir une incidence sur l'origine ou l'importance de ces inondations, en particulier, sur l'île de la Barthelasse. Enfin, faute de démontrer que le Rhône aurait fait l'objet d'un aménagement suffisant, les appelants n'établissent pas que ce fleuve devrait être regardé comme constituant, dans son intégralité, un ouvrage public. Il résulte, par ailleurs, du rapport d'expertise que si certains des aménagements dont ce cours d'eau domanial a fait l'objet pourraient être regardés comme constituant des ouvrages publics, M. et Mme G... n'identifient avec précision aucun de ces ouvrages, dont la gestion n'incombe au demeurant pas, ainsi que les premiers juges l'ont à juste titre relevé, à l'Etat, pour la plupart d'entre eux. Il s'ensuit que les appelants ne démontrent pas que la présence ou le fonctionnement défectueux d'un ouvrage public dont l'Etat serait le gardien, ni qu'un défaut d'entretien ou de curage imputable à l'Etat auraient aggravé les effets de l'inondation de décembre 2003. Ils ne sont dès lors pas fondés à rechercher la responsabilité sans faute de l'Etat.

Quant au principe de précaution :

7. Si, dans le cadre des développements de leur requête consacrés à la responsabilité sans faute pour dommage de travaux publics, M. et Mme G... invoquent la méconnaissance du principe de précaution, ils le font en tout état de cause sans les précisions utiles permettant à la Cour d'apprécier ce fondement de responsabilité, à supposer même qu'ils puissent être regardés comme l'ayant invoqué de manière autonome.

Quant à la responsabilité pour faute :

8. D'une part, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, applicable aux projets de construction : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ".

9. D'autre part, en vertu de l'article L. 562-1 du code de l'environnement en vigueur au moment des faits, l'Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles, en particulier pour les risques d'inondations, qui ont notamment pour objet de délimiter les zones exposées aux risques, en tenant compte de leur nature et de leur intensité,

d'y interdire les constructions ou la réalisation d'aménagements ou d'ouvrages ou de prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités. L'article L. 562-4 du même code précise que : " le plan de prévention des risques naturels prévisibles approuvé vaut servitude d'utilité publique (...) ".

10. Les prescriptions d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles, élaboré par l'Etat conformément aux articles L. 562-1 et suivants du code de l'environnement, destinées notamment à assurer la sécurité des personnes et des biens exposés à certains risques naturels et valant servitude d'utilité publique, s'imposent directement aux autorisations de construire, sans que l'autorité administrative soit tenue de reprendre ces prescriptions dans le cadre de la délivrance du permis de construire. Il appartient toutefois à l'autorité compétente pour délivrer une autorisation d'urbanisme, si les particularités de la situation l'exigent, de préciser dans l'autorisation, le cas échéant, les conditions d'application d'une prescription générale contenue dans le plan ou de subordonner, en application des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, la délivrance du permis de construire sollicité à d'autres prescriptions spéciales,

si elles lui apparaissent nécessaires, que celles qui résultent du plan de prévention des risques naturels prévisibles. L'autorité compétente pour délivrer l'autorisation d'urbanisme peut aussi,

si elle estime, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation d'espèce qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation de construire est sollicitée,

y compris d'éléments déjà connus lors de l'élaboration du plan de prévention des risques naturels, que les risques d'atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique le justifient, refuser, sur le fondement de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de délivrer un permis de construire, alors même que le plan n'aurait pas classé le terrain d'assiette du projet en zone à risques ni prévu de prescriptions particulières qui lui soient applicables.

11. L'autorité compétente pour délivrer une autorisation d'urbanisme est susceptible d'engager sa responsabilité à l'égard du bénéficiaire de cette dernière lorsque, en application des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme précitées, il lui appartenait, soit de refuser l'autorisation, soit de l'assortir de prescriptions spéciales nécessaires à la préservation de la salubrité ou de la sécurité publique, à la condition qu'il existe un lien de causalité suffisamment direct entre les fautes commises pour délivrer cette autorisation et le préjudice subi par la victime. Si la compétence de l'autorité délivrant l'autorisation d'urbanisme ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité de l'Etat puisse être recherchée ou à ce que ce dernier soit appelé à garantir cette autorité, en raison du contenu du plan de prévention des risques approuvé ou des informations figurant dans les documents graphiques, comme la carte des aléas, portés à la connaissance de l'autorité délivrant l'autorisation d'urbanisme, ce n'est qu'à la condition qu'il existe un lien de causalité suffisamment direct entre la faute ainsi imputable à l'Etat et le préjudice subi par la victime.

12. En premier lieu, si les dispositions de l'article L. 566-7 du code de l'environnement imposent à l'Etat, depuis le 22 décembre 2015, la réalisation de plans de gestion des risques d'inondation dans certains bassins ou groupements de bassins à risques naturels importants,

il résulte de l'instruction qu'en l'espèce, le préfet de Vaucluse a approuvé le plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) du Rhône, par un arrêté n° 133 du 20 janvier 2000. Dès lors aucune faute tirée du retard pris par les services de l'Etat dans l'élaboration de ce plan ne saurait être reprochée à l'Etat.

13. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme G..., il ne résulte pas de l'instruction que, lorsqu'il a approuvé ce PPRI, par cet arrêté du 20 janvier 2000 ou lorsqu'il a mis ce document en révision le 7 mai 2002, le préfet de Vaucluse se serait basé sur des données erronées ou aurait, au regard des méthodes et des instruments scientifiques de prévision existants, sous-évalué les risques de submersion et d'inondation.

14. En troisième et dernier lieu, M. et Mme G... exposent être propriétaires d'une maison d'habitation, d'un garage et d'un petit bâtiment, de bâtiments agricoles et de parcelles en nature de terres agricoles situés sur le territoire de la commune d'Avignon, sur la presqu'île de la Barthelasse. Ils précisent que M. G... a reçu le 6 juillet 1976 en donation cette maison d'habitation qui a été construite dans les bandes délimitées par le plan des surfaces submersibles adopté en 1911. Il résulte en effet de l'instruction que le risque d'inondation du secteur dans lequel ont été implantés cette maison d'habitation, dont le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires indique, sans être contesté, qu'elle a été construite dans les années 1950, et ses dépendances et dans lequel se trouvent ces parcelles, avait été pris en compte par l'autorité administrative dès lors qu'il est intégré au plan des zones submersibles (PZS), approuvé sur le Rhône par décret du 3 septembre 1911 et le plan des surfaces submersibles (PSS), institué par le décret-loi du 30 octobre 1935. Ainsi, et alors même que les dispositions de l'article L. 562-1 du code de l'environnement issues de la loi susvisée du 2 juillet 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, n'étaient pas entrées en vigueur à la date de construction de cette maison d'habitation, ni à la date d'édiction des arrêtés portant délivrance de permis de construire des 21 février 1972, 16 juin 1977 et 29 décembre 1997, en vue, respectivement, de l'aménagement d'un logement, l'édification d'un hangar et l'extension et la surélévation ou surélévation d'un bâtiment existant, M. et Mme G... ne sont pas fondés à soutenir que l'Etat aurait commis une faute en s'abstenant d'adopter des documents d'urbanisme dans un secteur inondable.

D'ailleurs, il est précisé, dans l'arrêté du 16 juin 1977, que " [l]a construction étant située en zone inondable, l'administration ne pourra être mise en cause en cas de dégâts occasionnés par une crue du Rhône " et, dans celui du 29 décembre 1997, il est rappelé au pétitionnaire que

" son terrain est situé en zone submersible b et de plus les risques encourus du fait des crues du cours d'eau ". S'agissant du permis de construire délivré aux appelants le 31 décembre 2001 en vue de l'extension d'une construction, il ressort de la lecture de l'arrêté afférent que le maire d'Avignon y a encore indiqué que " l'attention du pétitionnaire est attirée sur le fait que le terrain est situé en zone submersible B ". M. et Mme G... rappellent eux-mêmes dans leurs écritures que les biens dont ils sont propriétaires ont été classés en zone RP1 du PPRI, soit les zones " hauteur de crue supérieure à 2 mètres ou danger particulier ". Dans ces conditions, les appelants ne sauraient soutenir que l'autorité administrative aurait commis une faute en s'abstenant de les prévenir du caractère inondable et submersibles de leurs parcelles. Enfin, par leur argumentation, M. et Mme G... n'établissent pas davantage que la délivrance des autorisations d'urbanisme, qu'ils ont au demeurant eux-mêmes sollicitées en toute connaissance de cause, constituerait une faute en tout état de cause imputable à l'Etat et présentant un lien de causalité suffisamment direct avec les dommages qu'ils ont subis du fait des inondations de 2003.

15. Il s'ensuit que M. et Mme G... ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité pour faute de l'Etat.

En ce qui concerne la charge des frais et honoraires d'expertise :

16. Selon l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens. "

17. Eu égard au sens du présent arrêt, il n'y a pas lieu de modifier la charge des frais et honoraires d'expertise, seuls dépens auxquels a donné lieu le présent litige, telle que dévolue par les premiers juges. Les conclusions afférentes présentées par M. et Mme G... doivent donc être rejetées.

18. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme G... ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande et mis à leur charge définitive les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés, en ce qu'ils les concernent, à la somme de 4 280,63 euros.

Sur les frais liés au litige d'appel :

19. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "

20. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à M. et Mme G... de la somme qu'ils sollicitent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme G... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... G..., à Mme K... C... épouse G..., et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Copie en sera adressé à Mme J... D..., à Mme H... A..., à M. G... B... et à M. I... F..., experts de justice.

Délibéré après l'audience du 7 janvier 2025, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2025.

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No 23MA02281


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA02281
Date de la décision : 21/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Travaux publics - Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics - Régime de la responsabilité - Qualité de tiers.

Travaux publics - Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics - Causes d'exonération - Force majeure - Existence.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Laurent LOMBART
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : DUFFAY

Origine de la décision
Date de l'import : 31/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-21;23ma02281 ?
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