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20/12/2024 | FRANCE | N°24MA00378

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 20 décembre 2024, 24MA00378


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par un jugement n° 1900283 du 17 octobre 2019, le magistrat désigné près le tribunal administratif de Bastia a enjoint à la SARL Ingénierie touristique hôtelière et à Mme B... de remettre la plage de Cala Rossa à Lecci, occupée par une terrasse et quatre engins motorisés, en son état initial, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard suivant un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.



Par un jugement n° 2001283 du 29 a

vril 2021, le tribunal administratif de Bastia a enjoint à la SARL Ingénierie touristique hôtelière et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par un jugement n° 1900283 du 17 octobre 2019, le magistrat désigné près le tribunal administratif de Bastia a enjoint à la SARL Ingénierie touristique hôtelière et à Mme B... de remettre la plage de Cala Rossa à Lecci, occupée par une terrasse et quatre engins motorisés, en son état initial, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard suivant un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.

Par un jugement n° 2001283 du 29 avril 2021, le tribunal administratif de Bastia a enjoint à la SARL Ingénierie touristique hôtelière et à Mme D..., sa nouvelle gérante, de remettre la plage de Cala Rossa à Lecci, occupée par une terrasse, des matelas et parasols, trois engins motorisés ainsi qu'un ponton débarcadère, en son état initial, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard à compter de la notification de ce jugement.

Par un jugement n° 2101516, 2200164 du 30 janvier 2024, le président du tribunal administratif de Bastia a procédé, au titre des périodes du 23 février au 11 mars 2020 puis du 24 juin 2020 au 30 janvier 2024, à la liquidation des astreintes prononcées en les modérant. Il a ainsi condamné la SARL Ingénierie touristique hôtelière et Mme D... à payer à l'Etat la somme de 500 000 euros.

Procédure devant la cour :

I°) Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 février, 13 et 23 mai, 20 juin, 30 août et 5 septembre 2024 sous le n° 24MA00378, ainsi qu'un mémoire enregistré le 7 octobre 2024 et non communiqué, la SARL Ingénierie touristique hôtelière et Mme A... D..., représentées par la SELARL cabinet d'avocats Genty, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 30 janvier 2024 ;

2°) de suspendre toute liquidation d'astreinte ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il prononce la jonction de deux dossiers qui ne concernent pas les mêmes personnes ;

- l'astreinte a été liquidée à l'encontre Mme D... y compris s'agissant de l'exécution du jugement du 17 octobre 2019 alors que celui-ci ne la concerne pas ;

- les deux jugements prononçant les astreintes n'ont pas été notifiés régulièrement ;

- l'Etat n'a pris aucune mesure en vue de faire exécuter les injonctions relatives au ponton ;

- les ouvrages n'ont pas été implantés irrégulièrement et leur présence ne conduit pas à un usage privatif de la plage ;

- la démolition du ponton porterait atteinte à l'intérêt général ; il est un instrument d'évacuation et permet un accès sécurisé à la plage, un chenal a d'ailleurs été constitué ; il sert depuis peu de temps au développement d'un herbier de cymodocée noueuse, espèce protégée au titre du code de l'environnement, qui serait détruit en cas de démolition ; une telle destruction est interdite par l'article L. 411-1 du code de l'environnement, sauf dérogation qu'il appartient au préfet de délivrer ; l'exécution de l'injonction se heurte ainsi à une impossibilité relevant de la force majeure ;

- il en est de même de la démolition de la terrasse qui porterait également atteinte à deux genévriers oxycèdres, dont l'espèce est aussi protégée.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 août et 13 septembre 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.

Par un mémoire, enregistré le 28 octobre 2024, Mme C... B... conclut à sa mise hors de cause.

Elle soutient qu'elle n'est plus gérante de la SARL Ingénierie touristique hôtelière depuis le 22 juin 2018.

II°) Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 mars et 13 mai 2024 sous le n° 24MA00758, la SARL Ingénierie touristique hôtelière et Mme A... D..., représentées par la SELARL cabinet d'avocats Genty, demandent à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du 30 janvier 2024.

Elles soutiennent que :

- ni la SARL, ni sa gérante ne disposent de la trésorerie permettant de s'acquitter des sommes en cause ; en l'absence de suspension, une procédure collective devra être ouverte ;

- les moyens énoncés dans l'instance enregistrée sous le n° 24MA00378 sont sérieux.

Par un mémoire, enregistré le 9 août 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Le président de la Cour a désigné Mme Aurélia Vincent, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Poullain,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Genty, représentant la SARL Ingénierie touristique hôtelière et Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Par un premier jugement du 17 octobre 2019, le magistrat désigné près le tribunal administratif de Bastia a jugé la SARL Ingénierie touristique hôtelière et Mme B... coupables d'une contravention de grande voirie à raison notamment de la présence d'une terrasse de 299 m² et de quatre engins motorisés sur la plage de Cala Rossa à Lecci, occupant illégalement le domaine public. Il leur a enjoint de remettre les lieux en leur état initial, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard suivant un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement. Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 29 octobre 2021, devenu définitif par suite de la non-admission, par le Conseil d'Etat, du pourvoi formé à son encontre.

2. Par un second jugement, du 29 avril 2021, le tribunal administratif de Bastia a jugé la SARL Ingénierie touristique hôtelière et Mme D..., sa nouvelle gérante, coupables d'une contravention de grande voirie à raison de la présence de la même terrasse, de matelas et parasols, de trois engins motorisés ainsi que d'un ponton débarcadère de 282 m² sur la même plage, occupant illégalement le domaine public. Il leur a enjoint de remettre les lieux en leur état initial, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard à compter de la notification de ce jugement. Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 17 février 2023, devenu définitif par suite de la non-admission, par le Conseil d'Etat, du pourvoi formé à son encontre.

3. Dans l'instance enregistrée sous le n° 24MA00378, la SARL Ingénierie touristique hôtelière et Mme D... relèvent appel du jugement du 30 janvier 2024, par lequel le président du tribunal administratif de Bastia a procédé, au titre des périodes du 23 février au 11 mars 2020 puis du 24 juin 2020 au 30 janvier 2024, à la liquidation des astreintes prononcées par ces deux jugements en les condamnant à payer à l'Etat la somme de 500 000 euros. Dans l'instance enregistrée sous le n° 24MA00758, elles demandent qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement du 30 janvier 2024. Ces deux instances concernant le même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par le même arrêt.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Ainsi que le relèvent les requérantes, le premier juge ne pouvait, par le biais de la jonction à laquelle il a procédé, liquider à la charge de Mme D... une astreinte pour la période antérieure à la notification du jugement du 29 avril 2021, qui seul lui enjoignait, sous astreinte, de remettre les lieux en l'état. Le jugement attaqué est, dès lors, entaché d'irrégularité et doit, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen d'irrégularité, être annulé.

5. Il y a lieu d'évoquer et statuer immédiatement sur la liquidation de l'astreinte prononcée.

Sur l'exécution du jugement du 17 octobre 2019 :

6. En premier lieu, depuis le 22 juin 2018, Mme B... n'est plus gérante de la SARL Ingénierie touristique hôtelière. Cette circonstance fait obstacle à ce que cette dernière remette les lieux occupés par cette société en leur état initial. L'astreinte prononcée à son encontre doit dès lors, dans les circonstances de l'espèce, être supprimée.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 774-6 du code de justice administrative : " Le jugement est notifié aux parties, à leur domicile réel, dans la forme administrative par les soins des autorités mentionnées à l'article L. 774-2, sans préjudice du droit de la partie de le faire signifier par acte d'huissier de justice ".

8. Il résulte de l'instruction que le jugement du 17 octobre 2019 a été notifié le 23 décembre 2019 à la SARL Ingénierie touristique hôtelière, dont le siège social se trouve Cala Rossa à Lecci, en la personne de Mme B..., par la brigade de gendarmerie de Sainte-Lucie de Porto-Vecchio, en ce lieu-dit situé dans la commune de Zonza. Outre que cette notification n'a pas eu lieu au siège social de la société, elle a été réalisée auprès d'une personne qui, depuis le 22 juin 2018, n'en était plus la gérante. Dès lors, le jugement ne peut être regardé comme ayant été notifié à la SARL Ingénierie touristique hôtelière dans les conditions prévues à l'article L. 774-6 du code de justice administrative. Il en résulte que l'astreinte prononcée par l'article 3 dudit jugement à l'encontre de cette société n'a pu commencer à courir. Il n'y a, dès lors, pas lieu de procéder à la liquidation de cette astreinte.

Sur l'exécution du jugement du 29 avril 2021 :

En ce qui concerne la notification :

9. Il ressort sans ambigüité du rapport administratif établi par un lieutenant de la compagnie de gendarmerie de Porto-Vecchio le 17 juin 2021 et du certificat de notification joint, daté du 7 juin 2021, que le jugement du 29 avril 2021, improprement qualifié de " décision de la préfecture " dans ce rapport sans qu'il n'y ait de doute sur la teneur du document en cause, a été dûment notifié en mains propres par voie administrative à Mme D..., en son nom personnel et en sa qualité de gérante de la SARL Ingénierie touristique hôtelière, non à la gendarmerie mais au siège de la société, à Lecci, au plus tard le 17 juin 2021. Cette notification est de nature à avoir rendu ledit jugement exécutoire et à avoir déclenché, à cette dernière date, le cours de l'astreinte à l'encontre tant de la SARL que de Mme D..., alors même que cette dernière n'a pas reçu la décision à son domicile personnel.

En ce qui concerne l'exécution :

10. Il est constant qu'à ce jour, ce jugement, définitif et à l'encontre duquel les requérantes ne sauraient invoquer de prétendues contradictions avec des jugements antérieurs, n'a reçu aucune exécution, si ce n'est l'enlèvement de certains matelas et parasols, ainsi que cela résulte en dernier lieu d'un constat établi par les contrôleurs de la direction de la mer et du littoral Corse le 10 juillet 2024.

11. Si le préfet n'a pas procédé d'office à la remise en état des lieux dans leur état initial, il a saisi le tribunal administratif de Bastia le 8 février 2022 d'une demande tendant à la liquidation de l'astreinte prononcée et n'a jamais manifesté l'intention de renoncer à la libération du domaine public ou à la liquidation de ladite astreinte.

12. Les requérantes ne sauraient utilement se prévaloir de l'intérêt que pourrait présenter le ponton en litige pour la sécurité civile, de l'établissement d'un prétendu chenal d'accès audit ponton ou de la circonstance que l'implantation des ouvrages laisserait un passage libre sur la plage pour remettre en cause le bien-fondé de la libération des lieux ordonnée, alors qu'il n'appartient pas au juge de l'astreinte de remettre en cause les mesures décidées par le jugement dont l'exécution est demandée.

13. Si elles font valoir que l'exécution de ces mesures est impossible dès lors que la démolition de la terrasse ou du ponton les exposerait à détruire ou perturber intentionnellement des espèces protégées, en méconnaissance de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, d'une part, elles ne l'établissent pas, d'autre part, elles n'allèguent pas avoir déposé auprès du préfet, comme il leur appartient de le faire si cela est nécessaire, un dossier sollicitant une dérogation à cette interdiction ainsi que prévu par l'article L. 411-2 du même code.

14. Les prétendues difficultés à déterminer l'étendue exacte de la partie de la terrasse qui est implantée sur le domaine public, qui représente au demeurant l'essentiel de l'ouvrage, n'empêchent pas les requérantes de procéder à la remise en état des lieux.

15. Enfin, l'exercice de recours contre le jugement du 29 avril 2021 et l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille le confirmant ne sont pas de nature à expliquer l'absence d'exécution en litige.

En ce qui concerne l'astreinte :

16. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de liquider l'astreinte, pour la période du 17 juin 2021 au 23 janvier 2024, date de l'audience devant le tribunal administratif, représentant 952 jours. Il y a lieu toutefois, eu égard à l'importance du montant de l'astreinte prononcée et aux caractéristiques de la SARL Ingénierie touristique hôtelière d'en modérer le montant en la fixant à la somme journalière de 200 euros, représentant la somme globale de 190 400 euros.

Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :

17. Le présent arrêt statuant sur les conclusions aux fins d'annulation du jugement contesté, il n'y a plus lieu pour la Cour de statuer sur les conclusions aux fins de sursis à exécution dudit jugement.

Sur les frais liés au litige :

18. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au bénéfice de la SARL Ingénierie touristique hôtelière et de Mme D....

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24MA00758 tendant au sursis à l'exécution du jugement n° 2101516, 2200164 du 30 janvier 2024 du président du tribunal administratif de Bastia.

Article 2 : Le jugement n° 2101516, 2200164 du 30 janvier 2024 du président du tribunal administratif de Bastia est annulé.

Article 3 : L'astreinte prononcée à l'encontre de Mme B... par le jugement n° 1900283 du 17 octobre 2019 du magistrat désigné près le tribunal administratif de Bastia est supprimée.

Article 4 : Il n'y a pas lieu de liquider l'astreinte prononcée à l'encontre de la SARL Ingénierie touristique hôtelière par le jugement n° 1900283 du 17 octobre 2019 du magistrat désigné près le tribunal administratif de Bastia.

Article 5 : La SARL Ingénierie touristique hôtelière et Mme D... sont condamnées à verser la somme de 190 400 euros au titre de la liquidation de l'astreinte prononcée par le jugement n° 2001283 du 29 avril 2021 pour la période du 17 juin 2021 au 23 janvier 2024.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête n° 24MA00378 est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Ingénierie touristique hôtelière, à Mme A... D..., à Mme C... B... et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.

Copie en sera adressée au préfet de la Corse-du-Sud.

Délibéré après l'audience du 6 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Vincent, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Marchessaux, première conseillère,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 décembre 2024.

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N° 24MA00378, 24MA00758

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24MA00378
Date de la décision : 20/12/2024
Type de recours : Contentieux répressif

Analyses

Domaine - Domaine public - Protection du domaine - Contraventions de grande voirie - Poursuites - Condamnations - Remise en état du domaine.

Procédure - Jugements - Exécution des jugements - Astreinte - Liquidation de l'astreinte.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINCENT
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS GENTY

Origine de la décision
Date de l'import : 05/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-20;24ma00378 ?
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