Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... C... B... a demandé au Tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 18 décembre 2023 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays de sa destination et lui interdisant le retour sur le territoire pour une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2400666 du 22 avril 2024, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire et rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée le 4 juillet 2024, sous le n° 24MA01723, et un mémoire enregistré le 24 septembre 2024, M. C... B..., représenté par Me Gilbert, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 22 avril 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 18 décembre 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'un défaut de motivation en ce qu'il n'a pas répondu distinctement à deux de ses moyens ;
- l'arrêté est entaché d'un vice de procédure tiré de l'absence de saisine préalable de la commission du titre de séjour ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il remplit l'ensemble des conditions pour bénéficier d'un titre de séjour sur un tel fondement ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il justifie de sa présence en France depuis 1997 ;
- il ne constitue pas une menace à l'ordre public ;
- l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 octobre 2024, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. C... B... ne sont pas fondés.
II. Par une requête, enregistrée le 4 juillet 2024, sous le n° 24MA01725, et un mémoire enregistré le 24 septembre 2024, M. C... B..., représenté par Me Gilbert, demande à la Cour :
1°) de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Marseille du 22 avril 2024 ;
2°) de condamner le préfet des Bouches-du-Rhône à verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'exécution du jugement du tribunal administratif risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables ;
- il fait valoir des moyens sérieux d'annulation de ce jugement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 octobre 2024, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. C... B... ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la Cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tenant à l'irrecevabilité du moyen de légalité externe relatif au vice de procédure tiré de l'absence de saisine préalable de la commission du titre de séjour, invoqué dans un mémoire complémentaire du 24 septembre 2024, après l'expiration du délai d'appel, alors que sa requête ne comportait que des moyens de légalité interne.
Des observations en réponse au moyen d'ordre public ont été produites le 14 novembre 2024, dans ces deux instances, par Me Gilbert pour M. C... B..., et communiquées le même jour.
M. C... B... a été admis à l'aide juridictionnelle totale dans ces deux instances par des décisions du 26 juillet 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chenal-Peter ;
- et les observations de Me Gicquel, substituant Me Gilbert, représentant M. C... B....
Considérant ce qui suit :
1. M. C... B..., de nationalité capverdienne, né le 3 novembre 1994, déclare être entré en France en 1997 et s'y être maintenu depuis lors. Il a demandé, le 21 avril 2023, un titre de séjour en qualité de " parent d'enfant français ". Par un arrêté du 18 décembre 2023, le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de sa destination et lui a interdit le retour sur le territoire pour une durée de deux ans. L'intéressé a demandé au tribunal administratif de Marseille l'annulation de cet arrêté. Par un jugement du 22 avril 2024, le tribunal a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire et rejeté le surplus de sa demande. M. C... B... doit être regardé comme demandant l'annulation de ce jugement et qu'il soit sursis à son exécution, en tant seulement qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande.
2. Les deux requêtes susvisées, présentées pour le même requérant, sont dirigées contre le même jugement. Par suite, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1- Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
4. Il est constant que M. C... B... est père d'une enfant française mineure, A..., née le 7 mai 2017 à Marseille de son union avec une ressortissante française, Mme D.... Le couple s'étant séparé, le juge aux affaires familiales près le tribunal judiciaire de Marseille a rendu, le 17 janvier 2023, un jugement homologuant la convention portant règlement amiable des modalités d'organisation des droits parentaux, signée le 24 octobre 2022, aux termes de laquelle, d'une part, l'autorité parentale sera exercée conjointement par les deux parents, d'autre part, la résidence habituelle sera fixée au domicile de la mère avec un droit de visite et d'hébergement du père une fin de semaine sur deux, les mercredis, ainsi que la moitié des vacances scolaires et enfin, en raison de l'impécuniosité de M. C... B..., a dispensé provisoirement ce dernier de verser une contribution à l'entretien de son enfant. Il ressort en tout état de cause des pièces du dossier, et notamment des attestations d'un médecin et d'un directeur d'école, de factures produites par le requérant, relatives en particulier à des frais de cantine, de garderie en centre de loisirs, que M. C... B... contribue à l'éducation et à l'entretien de sa fille depuis, à tout le moins, le début de l'année 2021. Enfin, il résulte d'une main courante déposée par le requérant à la gendarmerie le 7 octobre 2023, corroborée par une attestation de Mme D..., un certificat de scolarité de leur fille pour l'année 2023-2024, des factures de garderie périscolaire et de cantine, et une attestation de la CAF, que la jeune A... vit désormais avec le requérant et sa nouvelle compagne, de nationalité française, à Saint Zacharie dans le Var depuis le mois de juillet 2023. Dans ces conditions, M. C... B... doit être regardé comme contribuant à l'entretien et à l'éducation de sa fille de nationalité française.
5. Si le préfet des Bouches-du-Rhône relève, dans son arrêté, que le requérant constituerait une menace à l'ordre public, dès lors qu'il a été condamné à plusieurs reprises par le tribunal correctionnel de Marseille, de 2014 à 2022, à des peines d'emprisonnement pour des faits de conduite d'un véhicule sans permis, de vol aggravé, pour faux dans un document administratif constatant un droit, une identité ou une qualité ou accordant autorisation, pour détention, offre, acquisition et transport non autorisés de stupéfiants, en février 2022 à six mois d'emprisonnement et pour prise de nom d'un tiers pouvant déterminer des poursuites pénales contre lui, il ressort des pièces du dossier que, par un jugement du 14 juin 2023, le juge de l'application des peines l'a admis au bénéfice de la libération conditionnelle jusqu'à la fin de sa peine au motif qu'il avait manifesté des efforts de réadaptation sociale et qu'il justifie en outre exercer une activité professionnelle depuis avril 2023. Alors que l'exécution de l'arrêté préfectoral aurait pour effet de séparer durablement le requérant de son enfant française, âgée de six ans à la date de la décision attaquée, qui réside avec lui et qui n'a pas vocation à l'accompagner au Cap Vert, cette séparation, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, doit être regardée comme portant une atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant. Le requérant est ainsi fondé à soutenir que l'arrêté du 18 décembre 2023 méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 décembre 2023 du préfet des Bouches-du-Rhône, en tant qu'il rejette sa demande de titre de séjour, l'oblige à quitter le territoire dans un délai de trente jours et fixe le pays de destination.
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :
7. Par le présent arrêt, la Cour se prononce sur la demande d'annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille du 22 avril 2024. La demande de sursis à exécution de ce même jugement est donc devenue sans objet. Il n'y a dès lors plus lieu d'y statuer.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une décision dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
9. En raison du motif qui la fonde, l'annulation de l'arrêté du 18 décembre 2023 du préfet des Bouches-du-Rhône, en tant qu'il rejette la demande de titre de séjour de M. C... B..., l'oblige à quitter le territoire dans un délai de trente jours et fixe le pays de destination, implique nécessairement qu'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " soit délivrée à M. C... B.... Il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer ce titre, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
10. M. C... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Gilbert, avocate de M. C... B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cette dernière de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24MA01725 de M. C... B... à fin de sursis à exécution du jugement du 22 avril 2024 du tribunal administratif de Marseille.
Article 2 : L'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 18 décembre 2023, en tant qu'il rejette la demande de titre de séjour de M. C... B..., l'oblige à quitter le territoire dans un délai de trente jours et fixe le pays de destination est annulé.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 22 avril 2024 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " à M. C... B... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 5 : L'Etat versera à Me Gilbert une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Gilbert renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C... B..., à Me Gilbert et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au Procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2024, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 décembre 2024.
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N° 24MA01723, 24MA01725
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