Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association Mountain Bikers Foundation et le syndicat national des moniteurs du cyclisme français ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la délibération n° CA 2021-07.05 du conseil d'administration de l'établissement public du Parc national des Calanques, du 13 juillet 2021, réglementant la circulation des cycles en cœur de parc.
Par un jugement n° 2108511, 2108509 du 16 novembre 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour :
I°) Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 janvier et 14 août 2024 sous le n° 24MA00106, l'association Mountain Bikers Foundation, représentée par la SELARL Lexio, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 novembre 2023 ;
2°) d'annuler la délibération du 13 juillet 2021 ;
3°) de mettre à la charge de l'établissement public du Parc national des Calanques une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal n'a pas répondu à l'argument tiré de ce qu'aucune solution moins attentatoire à la liberté de circulation n'a été considérée ;
- le conseil d'administration était incompétent pour adopter la réglementation en litige qui relève de la compétence du directeur de l'établissement, conformément aux articles L. 331-10 du code de l'environnement et L. 161-5 du code rural et de la pêche maritime ;
- le conseil scientifique aurait dû être consulté préalablement ; les dispositions de l'article 15 du décret du 18 avril 2012 et de l'article L. 331-23 du code de l'environnement ont été méconnues, ce qui constitue un vice substantiel ;
- la réglementation en litige méconnaît les objectifs de la charte du parc qui prévoient que l'établissement doit favoriser les pratiques sportives douces et durables dont relève le vélo tout-terrain (VTT) ;
- elle porte atteinte à la liberté d'aller et venir, garantie par la Constitution et l'article 2 du 4ème protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; les troubles liés, de façon exclusive, à la pratique du VTT ne sont pas établis ; il en est de même des conflits d'usage ; a minima, l'interdiction de circuler sur un périmètre aussi large est disproportionnée et entraine des effets négatifs ;
- elle méconnait le principe d'égalité de traitement des usagers ; il n'est pas établi que le VTT aurait un impact différent des autres activités comparables, dont les pratiquants sont bien plus nombreux et qui ne sont pourtant pas réglementées.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 juillet et 2 septembre 2024, l'établissement public du Parc national des Calanques, représenté par Me Mabile et Me Philippe, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'association Mountain Bikers Foundation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.
II°) Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 janvier et 14 août 2024 sous le n° 24MA00111, le syndicat national des moniteurs du cyclisme français, représenté par la SELARL Lexio, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 novembre 2023 ;
2°) d'annuler la délibération du 13 juillet 2021 ;
3°) de mettre à la charge de l'établissement public du Parc national des Calanques une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il présente les mêmes moyens que ceux exposés par l'association Mountain Bikers Foundation dans l'instance n° 24MA00106 et soutient en outre que la réglementation litigieuse porte une atteinte illégale à la liberté du commerce et de l'industrie.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 juillet et 2 septembre 2024, l'établissement public du Parc national des Calanques, représenté par Me Mabile et Me Philippe, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge du syndicat national des moniteurs du cyclisme français au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'environnement ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n° 2012-507 du 18 avril 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Poullain,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Bleykasten, représentant l'association Mountain Bikers Foundation et le syndicat national des moniteurs du cyclisme français, et de Me Mabile, représentant l'établissement public du Parc national des Calanques.
Considérant ce qui suit :
1. Par sa délibération n° CA 2021-07.05 du 13 juillet 2021, le conseil d'administration de l'établissement public du Parc national des Calanques a réglementé la circulation des cycles en cœur de parc. Il n'y a autorisé l'accès, la circulation et le stationnement de ceux-ci, hors domaine public routier et chemins ruraux, que sur l'emprise des pistes, chemins carrossables et sentiers listés. L'association Mountain Bikers Foundation et le syndicat national des moniteurs du cyclisme français relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Marseille ayant rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette délibération. Leurs requêtes tendant au même objet, il y a lieu de les joindre pour statuer par le même arrêt.
Sur la régularité du jugement :
2. Il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Marseille a expressément répondu au moyen tiré de l'atteinte portée à la liberté de circulation par la délibération litigieuse, en relevant notamment que des pistes carrossables ainsi que certains chemins et sentiers restaient accessibles à l'ensemble des utilisateurs et permettaient de relier plusieurs sites entre eux. Par suite, alors qu'il n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties et que les requérants n'indiquaient pas quelles mesures moins attentatoires à cette liberté auraient pu être prises, ces derniers ne sont pas fondés à soutenir que le jugement serait à cet égard entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En application de l'article L. 331-2 du code de l'environnement, le décret portant création d'un parc national : " 1° Délimite le périmètre du ou des cœurs du parc national et fixe les règles générales de protection qui s'y appliquent ; / (...) / 3° Approuve la charte de ce parc ; / (...) ". Cette charte, aux termes de l'article L. 331-3 du même code : " définit un projet de territoire traduisant la solidarité écologique entre le cœur du parc et ses espaces environnants. / (...) / 1° Pour les espaces du cœur, elle définit les objectifs de protection du patrimoine naturel, culturel et paysager et précise les modalités d'application de la réglementation prévue au 1° de l'article L. 331-2 ; / (...) ". Aux termes de son article L. 331-4-1 : " La réglementation du parc national et la charte prévues par l'article L. 331-2 peuvent, dans le cœur du parc : / (...) / 2° Soumettre à un régime particulier et, le cas échéant, interdire (...) la circulation du public quel que soit le moyen emprunté, (...), toute action susceptible de nuire au développement naturel de la faune et de la flore et, plus généralement, d'altérer le caractère du parc national ".
4. En l'espèce, aux termes du IV de l'article 15 du décret du 18 avril 2012 créant le Parc national des Calanques : " L'accès, la circulation et le stationnement des personnes, à l'exception de l'escalade mentionnée au 2° du III, des animaux domestiques et des véhicules en dehors des voies mentionnées à l'article 21 sont réglementés par le conseil d'administration et, le cas échéant, soumis à autorisation du directeur de l'établissement public, sans préjudice de l'article L. 331-10 du code de l'environnement, en tenant compte des nécessités de l'exercice des activités légalement exercées et de la desserte des propriétés. / (...) ". Aux termes des dispositions du X de la modalité 29 du volume 2 de la charte du parc relatif aux modalités d'application de la réglementation en cœur du parc : " Le conseil d'administration réglemente et, le cas échéant, soumet à autorisation du directeur de l'établissement public, sur les sites et, le cas échéant, pendant les périodes qu'il détermine, l'accès, la circulation et le stationnement des cycles : / 1° sur les pistes carrossables et sentiers existants, à faible pente, qu'il identifie, afin de limiter, entre autres, la vitesse et les freinages responsables de l'érosion du sol et de l'élargissement des sentiers ; / 2° de manière à ce que le cyclisme réponde aux conditions de pratique douce ne nécessitant pas de technicité particulière mais comme moyen de déplacement et de découverte de la nature ; / 3° de manière à ce que toute pratique extrême de cyclisme et notamment le " Freeride " et le " FreeStyle ", soit interdite ; / 4° la circulation des véhicules non motorisés (bicyclettes, cycles etc.) est interdite dans les espaces correspondant au biotope de la " Muraille de Chine " classé par arrêté en date du 30 mars 1993. / Le conseil d'administration prend en compte notamment la réduction ou la prévention de l'érosion du sol, des atteintes au milieu naturel notamment et les autres usagers ".
5. Il résulte de ces dispositions que le conseil d'administration du parc national était bien compétent pour prendre la délibération litigieuse qui réglemente l'accès, la circulation et le stationnement des cycles dans le cœur du parc selon les principes fixés par la charte, hors le domaine public routier et les chemins ruraux. L'association et le syndicat requérants ne sauraient dès lors contester cette compétence au motif que le directeur de l'établissement tient de l'article L. 331-10 du code de l'environnement les compétences générales de police de la circulation et du stationnement prévue aux articles L. 2213-1 à L. 2213-6 du code général des collectivités territoriales et de police des chemins ruraux prévue à l'article L. 161-5 du code rural et de la pêche maritime.
6. Par ailleurs, le 5° du II de l'article R. 331-23 du code de l'environnement concerne les " travaux ou mesures permettant de restaurer des écosystèmes dégradés ou de prévenir une évolution préjudiciable des milieux naturels dans le cœur du parc " dont ne relève pas directement la règlementation de l'usage des cycles qui fait l'objet des dispositions spécifiques citées ci-dessus au point 4, et particulièrement de l'article 15 du décret du 18 avril 2012 qui ne prévoit aucune consultation préalable du conseil scientifique. La délibération litigieuse n'avait dès lors pas à être précédée d'une telle consultation, ni d'un rapport du président du conseil scientifique.
7. Au demeurant, cette délibération fait suite à l'adoption, le 10 février 2021, avec l'avis favorable du conseil scientifique et après la conduite d'une large concertation, d'un schéma de cohérence des sports et loisirs de nature. Ce schéma distingue les activités historiques et patrimoniales majeures du territoire, que sont la plongée, l'escalade et la randonnée, des autres activités en présence, dont le cycle, moins développé du fait même de la difficulté d'accès et de la qualité du terrain, y rendant la discipline technique. Afin de maintenir la qualité des expériences, de réduire les impacts, notamment sur des sites hyper fréquentés, le schéma s'est notamment donné pour orientation d'intégrer durablement les trois pratiques historiques majeures, tout en reconnaissant et faisant cohabiter de manière cohérente d'autres groupes de pratiques. S'agissant du cycle, l'objectif a ainsi été fixé, conformément à la modalité 29 d'application de la réglementation citée ci-dessus au point 4, de permettre une pratique douce, familiale, contemplative, en définissant notamment un itinéraire de traversée via des pistes et sentiers autorisés ainsi que quelques boucles de randonnée, et d'interdire en cœur de parc, notamment en fonds de calanques, les pratiques engagées susceptibles de générer des conflits d'usage, d'augmenter l'érosion, les piétinements de la flore et le dérangement de la faune.
8. Si l'association et le syndicat requérants soutiennent que la pratique du VTT est considérée comme douce aux termes du document d'objectifs de la zone Natura 2000 et de la modalité 29 d'application de la réglementation, il ressort de cette dernière que seul l'usage du cycle sur les pistes carrossables et sentiers existants, à faible pente, sans technicité particulière, comme simple moyen de déplacement et de découverte de la nature, est considéré comme une pratique douce. Alors que la réglementation en litige autorise aux cycles, selon les requérants, 33 pistes de type " défense des forêts contre l'incendie ", 4 chemins carrossables et 3 sentiers, potentiellement plus ludiques, et qu'il n'est pas allégué que d'autres voies à faible pente et sans technicité, garantissant des pratiques douces, auraient pu être ouvertes, les requérants ne sauraient sérieusement soutenir que les objectifs ainsi définis par la charte auraient à cet égard été méconnus.
9. Le cœur du parc concentre une biodiversité méditerranéenne riche et rare, fragilisée par de nombreuses menaces, liées notamment à sa proximité urbaine et sa sur-fréquentation. Or, les requérants ne contestent pas que, même pratiqué dans des conditions qui ne relèvent pas de disciplines extrêmes, tel le " free ride ", hors sentier, ou le " free style ", dont l'interdiction n'est pas en litige, le VTT participe à l'érosion des sols et à l'élargissement des chemins, particulièrement sur des sentiers étroits, pentus et accidentés tels ceux essentiellement présents dans le massif des calanques, au détriment de la préservation de la faune et de la flore. Par ailleurs, il ne saurait être sérieusement contesté que la pratique du VTT, sur de tels sentiers, est engagée et peu compatible avec l'un des caractères essentiels du parc, souligné par les termes du premier volume de la charte, d'être un lieu " d'isolement et de silence, d'apaisement et de resourcement " et de " contemplation ". Elle est d'ailleurs susceptible de ce fait de générer des conflits d'usage. Le développement du vélo à assistance électrique est en outre de nature à rendre ces sentiers accessibles à un plus grand nombre. Ainsi qu'il a été dit précédemment, il n'est pas allégué que des voies de circulation, permettant une pratique douce de l'activité, auraient été interdites par la délibération litigieuse. Dès lors, et alors même que l'encadrement par un moniteur permet la diffusion de bons comportements tandis que l'interdiction en cause peut à l'inverse générer des pratiques " clandestines ", cette délibération ne porte une atteinte disproportionnée et illégale ni au principe constitutionnel et conventionnel de la liberté d'aller et venir, ni au principe de la liberté du commerce et de l'industrie.
10. Si les requérants soutiennent que la pratique du VTT ne nuirait pas davantage que la randonnée ou la chasse à la préservation des chemins et de la tranquillité du parc, ces activités n'ont en tout état de cause pas le même ancrage historique et patrimonial sur le territoire, mis en valeur par la charte du parc elle-même, de telle sorte que leurs pratiquants ne se trouvent pas dans la même situation eu égard à l'objet de la réglementation en cause et pouvaient faire l'objet d'un traitement différencié.
11. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Mountain Bikers Foundation et le syndicat national des moniteurs du cyclisme français ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'établissement public du Parc national des Calanques qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions au bénéfice dudit établissement.
D É C I D E :
Article 1er : : Les requêtes de l'association Mountain Bikers Foundation et du syndicat national des moniteurs du cyclisme français sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'établissement public du Parc national des Calanques au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Mountain Bikers Foundation, au syndicat national des moniteurs du cyclisme français et à l'établissement public du Parc national des Calanques.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Poullain, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2024.
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N° 24MA00106, 24MA00111
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