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06/12/2024 | FRANCE | N°23MA02965

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 2ème chambre, 06 décembre 2024, 23MA02965


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner le département des Alpes-Maritimes à lui payer la somme de 66 121 euros en réparation du harcèlement moral dont il estime avoir été l'objet.



Par un jugement n° 2200034 du 24 octobre 2023, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.





Procédure devant la Cour :



Par une requête, enregistrée le 12 décembre 2023, M. A..., repr

ésenté par Me Persico, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement du 24 octobre 2023 ;



2°) de condamner le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner le département des Alpes-Maritimes à lui payer la somme de 66 121 euros en réparation du harcèlement moral dont il estime avoir été l'objet.

Par un jugement n° 2200034 du 24 octobre 2023, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 12 décembre 2023, M. A..., représenté par Me Persico, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 24 octobre 2023 ;

2°) de condamner le département des Alpes-Maritimes à lui payer la somme de 66 121 euros ;

3°) de mettre à la charge du département des Alpes-Maritimes la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a analysé un à un les faits qu'il invoquait et omis de se livrer à leur appréciation globale ;

- il a été victime d'un harcèlement moral ;

- il justifie de la dégradation de son état de santé ;

- il a droit à réparation comme suit : 11 121 euros au titre du préjudice financier, 5 000 euros au titre des troubles dans ses conditions d'existence et 50 000 euros au titre du préjudice moral.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 août 2024, le département des Alpes-Maritimes, représenté par la SELARL Bazin et Associés, agissant par Me Bazin, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés ;

- M. A... a fait preuve d'un comportement inapproprié tant dans sa pratique professionnelle que dans son attitude vis-à-vis de ses supérieurs hiérarchiques.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mahmouti,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me Nogaret, substituant Me Bazin, représentant le département des Alpes-Maritimes.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... relève appel du jugement du 24 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département des Alpes-Maritimes à lui payer la somme 66 121 euros en réparation du harcèlement moral dont il estime avoir été l'objet.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. La circonstance que le jugement attaqué serait entaché d'une erreur de droit en ce que le tribunal a analysé un à un les faits que M. A... invoquait devant lui et omis de se livrer à leur appréciation globale, est, en tout état de cause, sans incidence sur sa régularité dès lors que cette erreur n'affecterait, si elle était établie, que le bien fondé du jugement et non sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version alors applicable au litige : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ".

4. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

5. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

6. En l'espèce, M. A..., adjoint principal de 1ère classe depuis 2008, affecté d'abord à la Direction départementale de l'équipement (DDE) en 2004 puis transféré au département des Alpes-Maritimes en 2012 en qualité d'hydrocureur à la section d'exploitation du service du parc des véhicules techniques de la direction des routes et des infrastructures de transport du département, soutient qu'à compter du mois d'octobre 2020, divers évènements, pris globalement, révèlent qu'il a subi un harcèlement moral de la part de sa hiérarchie, l'ayant notamment conduit à un arrêt maladie débuté le 31 mai 2021.

7. Toutefois, si M. A... expose, en premier lieu, avoir été arbitrairement privé, lors de ses interventions dans la vallée de la Roya, du paiement des indemnités dites " de panier " au motif qu'il a été nourri par une association d'aide aux sinistrés alors même que, selon lui, ces indemnités seraient versées de manière automatique et sans justificatifs de frais exposés, il résulte au contraire de ses propres écritures que tout agent doit, chaque mois, produire un état de frais pour obtenir paiement de ces indemnités et que, précisément, l'état de frais d'octobre 2020 a montré qu'il avait effectué 17 déplacements sur 22 jours. Par suite et dès lors que ces indemnités de paniers ne sont payées que sur justificatifs, ce que le tribunal avait déjà mentionné dans le jugement attaqué et ce que le requérant ne conteste pas sérieusement en appel, le grief qu'il invoque n'est en rien de nature à révéler un fait susceptible de lui nuire.

8. En deuxième lieu, M. A... expose, que, " fin 2020 ", il s'est vu refuser l'accès aux douches du centre d'exploitation de Mandelieu alors qu'il exerce une activité très salissante, l'hydrocurage, et avance sans être contesté qu'il avait jusqu'alors pu accéder aux douches sans difficulté durant quatorze ans. Il résulte cependant de l'instruction que ce refus a immédiatement été suivi d'un message adressé par sa hiérarchie et rappelant à l'ensemble des chefs de centre que les agents intervenant sur les chantiers d'hydrocurage devaient bénéficier d'un accès prioritaire aux douches. S'il lui a, malgré cela, été demandé, le 4 mai 2021, de différer sa douche, il résulte néanmoins de l'instruction que cette demande était objectivement justifiée par des raisons d'agenda de l'équipe à laquelle il appartenait. D'ailleurs, in fine, il a pu accéder aux douches, même s'il est vrai qu'il a dû insister. Par suite, ces faits, isolés et de portée mineure, ne révèlent aucune volonté de lui nuire.

9. En troisième lieu, M. A... fait état de ce que son planning a été modifié en dernière minute, par deux fois, en mai 2021. Toutefois, outre qu'il ne disposait pas d'un droit acquis aux plannings alors que ceux-ci doivent évoluer au gré des nécessités du service, il résulte de l'instruction que ces modifications étaient justifiées par ses retards répétés les jours précédents, son équipe ne pouvant se permettre de l'attendre régulièrement. Il s'en suit que les faits que le requérant considère comme dirigés à son encontre ne résultent que des mesures prises en conséquence de son comportement et des nécessités du service.

10. M. A... se plaint, en quatrième lieu, de subir des accusations mensongères de la part de ses supérieurs hiérarchiques. Mais s'agissant des retards répétés qui lui sont reprochés par sa hiérarchie, le requérant formule des critiques très peu précises. En tout état de cause les griefs ne portent que sur une seule semaine, celle du 17 au 21 mai 2021 déjà évoquée, au cours de laquelle, en outre, sa prise de poste devait s'effectuer à Carros à 7h48, d'où il suit que son argumentation selon laquelle il lui était impossible d'être en poste à Mandelieu à 7h30 n'est pas pertinente. De plus, le département verse aux débats la preuve de ce que le chef de service a notifié ces retards à M. A... qui n'en contredit pas sérieusement la réalité. Ce grief n'est donc pas établi. S'agissant de l'utilisation de la machine à laver située au sein du poste de Mandelieu, s'il se plaint de ce que le chef de ce site lui a refusé l'accès à la machine, l'obligeant à se rendre à Carros pour laver ses affaires alors qu'il en a besoin le vendredi soir pour disposer d'affaires propres le lundi matin, il résulte cependant de l'instruction que cette consigne avait été édictée par une note de service qui ne le visait pas personnellement et qui prévoyait, en tout état de cause, le cas où, en cas de besoin, il était possible d'utiliser une autre machine, sous réserve de prévenir la hiérarchie en amont. S'agissant des injures que son chef lui reproche de lui avoir adressées en pleine réunion, si aucune pièce du dossier ne tend à établir leur matérialité, le requérant ne conteste cependant pas avoir, en tout état de cause, été particulièrement véhément à l'égard de son supérieur hiérarchique. S'agissant des pauses café et le non-port de la tenue réglementaire qui lui seraient reprochés, les faits invoqués sont peu précis et le requérant cite au mieux un mail qu'il a lui-même adressé pour se plaindre de ce qu'on lui aurait reproché, une seule fois, de ne pas porter la tenue réglementaire. Par suite, la série de faits que M. A... considère comme des accusations mensongères concernent des éléments pour la plupart non établis ou justifiés par l'intérêt du service.

11. Par ailleurs, si M. A... soutient, en cinquième lieu, avoir été victime de trois agressions physiques et verbales de la part de son chef d'équipe, il décrit très peu les évènements en question et ne conteste pas les éléments versés au débat par le département. Certes, celui-ci admet que : " trois incidents ont effectivement eu lieu, les 19 février 2021, 4 mai 2021 et 6 mai 2021 entre Monsieur A... et Monsieur C... ". Mais il résulte de l'instruction que si, le 19 février 2021, il est établi qu'une vive altercation verbale a eu lieu entre M. A... et son chef, l'origine de la dispute n'est en rien établie et M. A... n'indique, en tout état de cause, pas les termes ou les actes qui l'auraient éventuellement dénigré à cette occasion. S'agissant du deuxième incident, il résulte encore de l'instruction que M. A... a refusé de se rendre, à la demande de son chef, au point de rendez-vous tel qu'il avait été fixé et a, au lieu de cela, pris sa douche, justifiant ainsi les reproches de son supérieur hiérarchique qui l'attendait sans qu'il soit toutefois établi qu'il l'ait alors agressé physiquement ou même l'ait menacé de le faire. Enfin, si, le 6 mai 2021, le chef de service a réveillé M. A..., alors endormi, en donnant un coup dans le banc sur lequel celui-ci était allongé, ce geste, certes disproportionné, peut s'expliquer par le fait que M. A... avait refusé de décaler sa pause méridienne, au contraire de tous ses collègues, pour ensuite dormir durant les horaires de service. Ainsi, le requérant ne démontre pas des agissements graves à son encontre tandis qu'en outre, et comme l'indique le département là encore sans être contesté, sa hiérarchie n'est jamais restée inerte et a soit saisi la cellule Préservation de la Santé des Agents au Travail (PSAT) du Département soit convoqué les agents concernés.

12. Le requérant soutient, en sixième lieu, avoir été mis en danger par son supérieur hiérarchique lors du chantier du 4 mai 2021 et explique avoir travaillé de 8 heures à 14 heures 30 sans faire de pause et, d'autre part, que le chantier en question n'aurait pas été sécurisé. Il résulte toutefois de l'instruction, et en particulier du rapport du service de protection des agents du département des Alpes-Maritimes, que M. A... a, ce jour-là, accepté de décaler sa pause déjeuner pour finir la journée plus tôt, qu'il n'a jamais été seul durant ce chantier et que deux agents du département assuraient la sécurité des agents vis-à-vis de la circulation sur la route départementale. Dès lors, le requérant ne démontre pas en quoi il existait alors une prétendue volonté de lui nuire alors en outre que son supérieur hiérarchique était lui aussi présent sur le chantier dans les mêmes conditions.

13. Enfin, si M. A... fait valoir que son chef de service lui a adressé, le 9 mars 2021, une note lui reprochant, selon ses termes, " son appartenance religieuse et son humour ", il résulte toutefois de l'instruction que l'intéressé avait reproduit des psaumes sur le camion de service qui lui était attribué, et par ailleurs, diffusé un dessin qui se voulait certes humoristique mais qui faisait clairement allusion au surpoids de ses supérieurs hiérarchiques. La note critiquée, qui employait du reste des termes mesurés et se bornait à rappeler à M. A... la nécessité de respecter ses collègues et les devoirs de tout agent public, ne saurait, dès lors, être regardée comme un acte susceptible de lui nuire.

14. Par conséquent et compte tenu de tout ce qui vient d'être dit, les faits soumis à la cour par M. A..., pris isolément ou même cumulativement, ne sauraient être regardés comme étant de nature à faire présumer l'existence d'agissements de harcèlement moral dont il aurait été victime de la part de sa hiérarchie au cours de ses fonctions. Par suite, il n'est pas fondé à demander la condamnation du département des Alpes-Maritimes à l'indemniser du préjudice moral qu'il estime avoir subi à ce titre.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Sur les frais de procédure :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le département des Alpes-Maritimes, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, supporte la charge des frais exposés par le requérant et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... le versement au département des Alpes-Maritimes de la somme de 1 500 euros en application de ces mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : M. A... versera au département des Alpes-Maritimes la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au département des Alpes-Maritimes.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- Mme Rigaud, présidente-assesseure,

- M. Mahmouti, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 décembre 2024.

2

N° 23MA02965


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA02965
Date de la décision : 06/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. - Contentieux de la fonction publique. - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Jérôme MAHMOUTI
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : PERSICO

Origine de la décision
Date de l'import : 15/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-06;23ma02965 ?
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