Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris, lequel a, par une ordonnance en date du 25 février 2020, transmis la requête au tribunal administratif de Marseille, qui l'a enregistrée sous le n° 2001784, d'annuler la décision par laquelle le ministre des armées a rejeté son recours administratif préalable obligatoire, enregistré devant la commission des recours des militaires le 8 juillet 2019, à l'encontre de la décision du 9 mai 2019 par laquelle le ministre des armées a sollicité le remboursement des frais de formation à hauteur de 103 686, 96 euros et de mettre à la charge de l'Etat la somme 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une seconde requête, enregistrée sous le n° 2202071, M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 20 janvier 2022 par laquelle le directeur des ressources humaines de l'armée de l'air a rejeté le recours administratif préalable obligatoire formé le 4 octobre 2021 contre le titre de perception émis le 16 septembre 2021 pour un montant de 189 972,49 euros, ensemble ce titre de perception, de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme de 189 972,49 euros réclamée au titre du remboursement prévu par l'article R. 4139-51 du code de la défense et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2001784, 2202071 du 17 mars 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté les requêtes de M. B....
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 12 mai 2023 et 31 janvier 2024, M. A... B..., représenté par Me Moumni, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler la décision du 20 janvier 2022 par laquelle le directeur des ressources humaines de l'armée de l'air a rejeté le recours administratif préalable obligatoire formé le 4 octobre 2021 à l'encontre du titre de perception émis le 16 septembre 2021 pour un montant de 189 972,49 euros, ensemble ledit titre de perception ;
3°) de lui accorder la décharge de ladite somme ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 7 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le titre de perception ne comporte pas de signature ; le nom de l'ordonnateur figurant sur le titre exécutoire est distinct du nom figurant sur l'état récapitulatif des créances du 28 octobre 2021 ;
- le titre de perception est insuffisamment motivé, ne précise pas les bases de la liquidation et ne renvoie à aucun document de référence ;
- il n'est pas redevable de la somme mise à sa charge dès lors qu'on ne lui a pas délivré, s'agissant d'une part, de la formation de brevet militaire de pilote d'avion 1er degré et, d'autre part, de la formation de navigateur officier systèmes d'armes spécialité transport (NOSA), une information écrite relative à la durée d'engagement à servir ; il a été mis fin à sa formation de brevet militaire de pilote d'avion de second degré par l'autorité militaire elle-même ; enfin, il n'a pas obtenu de diplôme ;
- la somme mise à sa charge est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et révèle une méconnaissance des stipulations de l'article 4.2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prohibant tout travail forcé ou obligatoire ; elle doit être modulée.
Par mémoires en défense enregistrés les 12 janvier 2024 et 7 février 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le ministre des armées demande à la Cour de rejeter la requête de M. B....
Il soutient que les moyens relatifs à la régularité du titre de perception sont nouveaux en appel et, par suite, irrecevables et que les autres moyens de la requête sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vincent,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Moumni pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a souscrit, le 19 novembre 2012, un contrat d'engagement de servir d'une durée de dix ans en qualité d'élève pilote. Il a alors commencé à suivre la formation de brevet militaire de pilote d'avion 1er degré puis 2nd degré. Toutefois, à la suite d'un conseil d'instruction du 30 mars 2016 ayant proposé la suspension de l'instruction de l'intéressé et sa réorientation, M. B... a, par une décision du 18 août 2016, été reclassé dans la spécialisation de navigateur officier systèmes d'armes spécialité (NOSA) de transport à compter du 1er septembre 2016 et a débuté la formation y afférente. Par une décision du 11 avril 2017 faisant suite à une demande de M. B... du 28 mars 2017, le ministre de la défense a décidé l'arrêt de son instruction de NOSA. Par une décision du 30 octobre 2017, M. B... a été radié des contrôles à compter du 1er novembre 2017. Par courrier du 9 mai 2019, la ministre des armées l'a informé qu'il était tenu au remboursement de sa formation spécialisée pour un montant de 103 686,96 euros et lui a indiqué que la direction départementale des finances publiques lui adresserait à cet effet un commandement de payer accompagné d'un titre de perception. Le 16 septembre 2021, la direction départementale des finances publiques a émis à l'encontre de M. B... un titre de perception d'un montant de 189 972,49 euros. M. B... demande à la Cour d'annuler le jugement en date du 17 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la ministre des armées a rejeté son recours administratif préalable obligatoire, enregistré devant la commission des recours des militaires le 8 juillet 2019, à l'encontre de la décision du 9 mai 2019 et, d'autre part, également rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de la décision du 20 janvier 2022 par laquelle le directeur des ressources humaines de l'armée de l'air a rejeté le recours administratif préalable obligatoire formé le 4 octobre 2021 à l'encontre du titre de perception émis le 16 septembre 2021 pour un montant de 189 972,49 euros, ensemble ledit titre de perception ainsi que les conclusions tendant à la décharge de cette somme.
Sur l'étendue du litige :
2. Si M. B... demande à la Cour d'annuler le jugement précité du 17 mars 2023, il résulte de ses écritures qu'il ne dirige plus ses conclusions contre la décision implicite de rejet née à la suite du recours exercé devant la commission des recours des militaires à l'encontre de la lettre du 9 mai 2019 et ne conteste pas l'irrecevabilité desdites conclusions retenue à cet égard par les premiers juges. Dès lors, M. B... doit être regardé comme ne demandant l'annulation du jugement attaqué qu'en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision du 20 janvier 2022, le titre de perception du 16 septembre 2021 ainsi que ses conclusions aux fins de décharge.
Sur la régularité du titre de perception :
3. Après l'expiration du délai de recours contre un acte administratif, sont irrecevables, sauf s'ils sont d'ordre public, les moyens soulevés par le demandeur qui relèvent d'une cause juridique différente de celle à laquelle se rattachent les moyens invoqués dans sa demande avant l'expiration de ce délai. Il en va de même s'agissant des moyens soulevés pour la première fois en appel et relevant d'une cause juridique différente de celle à laquelle se rattachent les moyens invoqués avant l'expiration du délai de recours devant le tribunal administratif.
4. M. B... n'a invoqué devant le tribunal administratif que des moyens tirés de l'illégalité interne du titre exécutoire du 16 septembre 2021. S'il soutient que cette décision ne comporte pas de signature, est insuffisamment motivée et ne mentionne pas les bases de la liquidation, ces moyens, fondés sur une cause juridique distincte et qui ne sont pas d'ordre public, sont nouveaux et, par suite, irrecevables en appel.
Sur le bien-fondé du titre de perception et de la décision du 20 janvier 2022 :
En ce qui concerne le principe de la dette :
5. D'une part, aux termes de l'article L. 4139-13 du code de la défense : " La démission du militaire de carrière ou la résiliation du contrat du militaire servant en vertu d'un contrat, régulièrement acceptée par l'autorité compétente, entraîne la cessation de l'état militaire. / La démission ou la résiliation du contrat, que le militaire puisse bénéficier ou non d'une pension de retraite dans les conditions fixées au II de l'article L. 24 et à l'article L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite, ne peut être acceptée que pour des motifs exceptionnels, lorsque, ayant reçu une formation spécialisée ou perçu une prime liée au recrutement ou à la fidélisation, le militaire n'a pas atteint le terme du délai pendant lequel il s'est engagé à rester en activité (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 4139-50 du même code : " Pour l'application du deuxième alinéa de l'article L. 4139-13 un arrêté conjoint du ministre de la défense et du ministre de l'intérieur fixe la liste des formations spécialisées et la durée du lien au service qui leur est attachée. / Le militaire admis à une formation spécialisée s'engage à servir en position d'activité ou en détachement d'office, pour la durée fixée par l'arrêté mentionné au premier alinéa, à compter de la date d'obtention du titre validant la formation ou, à défaut, de la date de la fin de la formation (...) ". En vertu de l'article R. 4139-51 dudit code : " Le militaire admis à suivre une formation spécialisée est tenu à un remboursement : 1o Lorsqu'il ne satisfait pas à l'engagement prévu au deuxième alinéa de l'article R. 4139-50 ; 2o En cas de réussite à un concours de l'une des fonctions publiques, si, conformément aux dispositions du 8o de l'article L. 4139-14, il ne bénéficie pas d'un détachement au titre du premier alinéa de l'article L. 4139-1. / A moins qu'il en soit disposé autrement dans les statuts particuliers, le montant du remboursement est égal au total des rémunérations perçues pendant la période de formation spécialisée, affecté d'un coefficient multiplicateur dont le taux est fixé par l'arrêté mentionné au premier alinéa de l'article R. 4139-50. Ce montant décroît proportionnellement au temps obligatoire de service accompli à l'issue de cette formation spécialisée. " Et aux termes de l'article R. 4139-52 : " Le militaire admis à suivre une formation spécialisée n'est pas tenu à un remboursement en cas: 1o D'interruption de la formation ou de l'inexécution totale ou partielle de l'engagement de servir résultant d'une inaptitude médicale dûment constatée par un médecin ou un chirurgien des hôpitaux des armées ; 2o De non-renouvellement ou de résiliation du contrat par l'autorité militaire ; 3o De cessation d'office de l'état militaire, en application du 1o de l'article L. 4139-14. ".
6. D'autre part, en vertu de l'annexe V de l'arrêté du 27 juillet 2012 fixant la liste des formations spécialisées et la durée du lien au service qui leur est attachée, seul applicable à la situation du requérant à la date de signature de son engagement, à l'exclusion de celui du 8 août 2011 qui a été abrogé à compter du 1er septembre 2012, la durée de l'engagement prévue au titre de la formation " brevet du personnel navigant air du 2ème degré (BNP Air) (Pilote ou Navigateur) " est d'une durée de 8 ans avec un coefficient multiplicateur de 3. Enfin, l'annexe IX dudit arrêté prévoit la signature par l'engagé d'un formulaire de reconnaissance.
7. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées des articles R. 4139-50 et R. 4139-51 du code de la défense, précisées par l'arrêté du 27 juillet 2012, que la délivrance préalable, au militaire admis à une formation spécialisée, de l'information écrite relative à la durée pour laquelle il sera engagé à servir, à compter de la date d'obtention du titre validant la formation ou, à défaut, de la date de la fin de la formation, constitue une formalité substantielle de son consentement à ne pas rompre prématurément cet engagement et de l'obligation de remboursement à laquelle il est tenu en cas de rupture anticipée de celui-ci.
8. M. B... fait valoir que s'il a signé un formulaire de reconnaissance le 20 novembre 2012 qui portait la mention " brevet personnel navigant air du 2nd degré pilote ", celui-ci ne concernait ni la formation de brevet militaire de pilote d'avion de 1er degré ni celle de navigateur officier système d'armes spécialité transport pour lesquelles il ne peut donc être tenu à remboursement. Toutefois, la mention " brevet du personnel navigant air du 2ème degré (BNP Air) (Pilote ou Navigateur) " prévue alors à l'annexe V précitée devait être entendue comme se référant, d'une part, à l'ensemble du cursus permettant d'obtenir le diplôme de brevet du personnel navigant air du 2ème degré, dont celui de 1er degré, ainsi que, du fait de la mention " Navigateur ", à la formation de navigateur officier système d'armes. Par suite, le moyen précité doit être écarté.
9. En second lieu toutefois, il résulte de l'instruction qu'à la suite d'un échec de M. B... au test AH Bis, le conseil d'instruction a proposé, dans sa séance du 30 mars 2016, la suspension de l'instruction de l'intéressé alors en formation au titre du BNP Air second degré. Le 24 mai 2016, le général de corps aérien a décidé l'arrêt de la progression de M. B... en qualité de pilote à compter du 30 mars 2016. Le conseil d'orientation, réuni le 7 juin 2016, a proposé à l'intéressé une réorientation en tant que navigateur officier système d'armes spécialité transport. Cette réorientation, acceptée et sollicitée ensuite par l'intéressé le 11 août 2016, a été agréée par décision du ministre de la défense du 18 août 2016 avec reclassement de M. B.... Il résulte par ailleurs de l'instruction, et notamment de la décision contestée du 20 janvier 2022, que cette réorientation ne résultait ni d'un dilettantisme ni d'une volonté manifeste de l'intéressé mais de difficultés d'apprentissage de sa part. Dans les circonstances très particulières de l'espèce, M. B... ne saurait être regardé, sa demande de réorientation ayant été proposée et agréée par l'administration à la suite de l'arrêt, par sa hiérarchie, de son instruction pour des raisons indépendantes de sa volonté, comme n'ayant pas satisfait, s'agissant de la formation BPN Air 1er et 2nd degré, à l'engagement prévu au deuxième alinéa de l'article R. 4139-50 du code de la défense. En revanche, il résulte de l'instruction que M. B... a, par lettre du 28 mars 2017, demandé de sa propre initiative et alors qu'une autre réorientation lui avait été proposée, l'arrêt de son instruction en qualité de NOSA et la résiliation de son contrat d'engagement et doit dès lors, s'agissant de la formation NOSA, et bien qu'il n'ait pas obtenu le diplôme correspondant, être regardé comme n'ayant pas satisfait à l'engagement auquel il était tenu de se conformer. Il suit de là que la créance dont se prévaut l'administration à l'égard de M. B... n'est fondée que pour la période correspondant à la formation NOSA.
En ce qui concerne le montant de la dette :
10. Aux termes de l'article 4.2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire ". Par ailleurs, aux termes de l'article 4.3 de ladite convention : " N'est pas considéré comme " travail forcé ou obligatoire " au sens du présent article : (...) b) tout service de caractère militaire ou, dans le cas d'objecteurs de conscience dans les pays où l'objection de conscience est reconnue comme légitime, à un autre service à la place du service militaire obligatoire ".
11. Si le paragraphe 3 b) précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'exclut pas du champ d'application de l'article 4.2 le travail des militaires de carrière, à la différence du service militaire obligatoire au sens strict, il résulte de ce qui est jugé au point 9 du présent arrêt, au regard du montant de la décharge qui sera en conséquence accordée au requérant, que le moyen tiré de la disproportion de la somme restant due doit être écarté.
12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que le jugement attaqué doit être annulé en tant que les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la décision du 20 janvier 2022, ensemble le titre de perception du 16 septembre 2021, ainsi que celles tendant, dans la mesure mentionnée au point 9, à la décharge des sommes mises à sa charge au titre de la formation BNP Air 1er et 2nd degré, ont été rejetées.
Sur les frais d'instance :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2001784, 2202071 du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions aux fins d'annulation dirigées contre la décision 20 janvier 2022 par laquelle le directeur des ressources humaines de l'armée de l'air a rejeté le recours administratif préalable obligatoire formé le 4 octobre 2021 à l'encontre du titre de perception émis le 16 septembre 2021 pour un montant de 189 972,49 euros, ensemble ledit titre de perception ainsi que, dans la mesure mentionnée aux points 9 et 12 du présent arrêt, les conclusions aux fins de décharge.
Article 2 : La décision du 20 janvier 2022 et le titre de perception du 16 septembre 2021 sont annulés.
Article 3 : M. B... est déchargé du paiement du remboursement des frais de la formation BNP Air 1er et 2nd degré et est renvoyé devant son administration pour le calcul de ladite somme.
Article 4 : L'Etat versera à M. B... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées et des anciens combattants.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente-assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 décembre 2024.
N° 23MA01154 2
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