Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon, en premier lieu, d'annuler la décision par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a implicitement rejeté sa demande tendant au versement d'une somme de 32 000 euros correspondant au traitement qu'il aurait dû percevoir du 19 décembre 2015 au 12 janvier 2017, en deuxième lieu, de condamner l'Etat à lui verser cette somme, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de cette demande préalable, ainsi qu'une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il estime avoir subis, en troisième lieu, d'enjoindre à l'Etat de procéder à la reconstitution de sa carrière dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir et, en quatrième et dernier lieu, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2100761 du 10 juillet 2023, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 septembre 2023 et 19 septembre 2024, M. A..., représenté par Me Caillouet-Canet, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 10 juillet 2023 ;
2°) d'annuler cette décision implicite de rejet du garde des sceaux, ministre de la justice ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser cette somme de 32 000 euros correspondant au traitement qu'il aurait dû percevoir du 19 décembre 2015 au 12 janvier 2017, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de sa réclamation préalable et de leur capitalisation ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser cette somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il estime avoir subis ;
5°) d'enjoindre à l'Etat, sur le fondement des articles L. 911-1 et L. 911-3 du code de justice administrative, de procéder à la reconstitution de sa carrière, y incluant le paiement des cotisations salariales et patronales dues aux différentes caisses ainsi que le rétablissement dans ses droits à pension, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en jugeant qu'il n'était pas fondé à solliciter le versement d'une somme de 32 000 euros au titre des rémunérations dont il a été privé et que l'administration n'avait pas commis de faute dans la gestion de sa situation administrative, le tribunal administratif de Toulon a entaché son jugement attaqué d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation ;
- la procédure pénale s'étant achevée par une ordonnance de non-lieu, il a rétroactivement droit, en application des dispositions de l'article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, au versement de l'intégralité de son traitement, pour la période allant du 19 décembre 2015 au 12 janvier 2017, avec intérêts à compter de sa demande ;
- en tout état de cause, s'agissant d'un droit résultant de l'application directe de la loi, et non de la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique dans le cadre d'un litige de plein contentieux, il ne saurait lui être opposé l'absence de service fait ;
- la privation de son traitement pendant plusieurs mois est la cause de son préjudice moral et de ses troubles dans ses conditions d'existence ; il y a lieu de réparer ces préjudices à hauteur de 15 000 euros ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée à son égard pour faute résultant de la méconnaissance des dispositions des articles 20 et 30 de la loi du 13 juillet 1983, et erreur de droit ;
- la décision d'interrompre le versement de son traitement repose sur une erreur manifeste d'appréciation et est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat ;
- il lui a été causé un préjudice anormal et spécial ;
- il appartenait à l'administration de le placer dans une position statutaire régulière ; le garde des sceaux, ministre de la justice, qui reconnaît dans ses écritures ne pas l'avoir suspendu de ses fonctions, ne saurait utilement soutenir qu'il était dans l'impossibilité de l'affecter dans un emploi correspondant à son grade ; l'administration a commis une illégalité fautive en s'abstenant de toute démarche à son égard en vue de rechercher puis de lui proposer une affectation compatible avec les prescriptions de son contrôle pendant la durée de ce dernier, et ce alors qu'aucune impossibilité d'y procéder ne résulte de l'instruction ;
- l'administration doit procéder au paiement auprès des caisses des cotisations salariales et patronales en rapport avec les traitements qu'il aurait dû percevoir, afin qu'il puisse bénéficier de ses droits à pension de retraite.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- c'est sans commettre d'erreur de droit, ni d'erreur d'appréciation que le tribunal administratif de Toulon a considéré que le moyen tiré de ce que M. A... aurait fait l'objet d'une mesure de suspension et, qu'à ce titre, l'administration aurait méconnu les dispositions applicables aux mesures de suspension et à la régularisation de leurs conséquences financières était inopérant ;
- s'agissant de l'examen du litige par la Cour, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, il s'en remet à ses écritures de première instance ;
- les conclusions principales devant être rejetées, les conclusions accessoires présentées par M. A... devront également l'être par voie de conséquence.
Par une ordonnance du 20 septembre 2024, la clôture de l'instruction, initialement fixée au 20 septembre 2024, a été reportée au 7 octobre 2024, à 12 heures.
Le 14 novembre 2024, M. A..., représenté par Me Caillouet-Ganet, a produit une copie de l'ordonnance par laquelle il a été placé sous contrôle judiciaire, en réponse à une mesure d'instruction qui lui a été adressée par la Cour, le 8 novembre 2024, par application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lombart,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations Me Caillouet-Ganet, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Le 10 décembre 2015, M. A..., surveillant et moniteur de sport en poste au centre pénitentiaire de Toulon - La Farlède, a été placé sous contrôle judiciaire et mis en examen par une ordonnance du juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Toulon. Après que, le 14 décembre 2015, le directeur de ce centre pénitentiaire a interdit à M. A... de pénétrer au sein de cet établissement, le directeur interrégional des services pénitentiaires Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA)/Corse a, par une décision du 16 décembre 2015, interrompu le versement de son traitement, à compter du 19 décembre 2015. Par une ordonnance du 12 janvier 2017,
le juge d'instruction a décidé la mainlevée de la mesure de contrôle judiciaire, avant qu'il ne prononce, par une ordonnance du 8 août 2017, un non-lieu. M. A... a été réintégré dans ses fonctions le 12 janvier 2017 et il a été parallèlement mis fin à l'interruption du versement de son traitement. Dans la présente instance, M. A... relève appel du jugement du 10 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant principalement à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une somme de 32 000 euros correspondant au traitement qu'il aurait dû percevoir entre le 19 décembre 2015 et le 12 janvier 2017, ainsi qu'une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il estime avoir subis consécutivement à cette situation.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :
2. La décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la réclamation indemnitaire préalable présentée par M. A... a eu pour seul effet de lier le contentieux, ce dont il résulte que l'appelant ne peut utilement demander l'annulation de cette décision et qu'il appartient à la Cour de statuer directement sur son droit à obtenir la réparation qu'il réclame.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'indemnisation :
S'agissant de la responsabilité pour faute :
3. D'une part, aux termes de l'article 20 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, applicable au présent litige, dont les dispositions sont désormais codifiées à l'article L. 115-1 du code général de la fonction publique : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire. (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, désormais codifié aux articles L. 531-1 et suivants du code
général de la fonction publique, dans sa version applicable jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi
du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires :
" En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut
être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions. / Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions peut subir une retenue qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée à l'alinéa précédent. Il continue, néanmoins,
à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille ". A compter de l'entrée en vigueur, le 22 avril 2016, de la loi du 20 avril 2016, la deuxième phrase du deuxième alinéa de cet article a été supprimée et le troisième alinéa remplacé par les dispositions suivantes : " Si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire, le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions. S'il fait l'objet de poursuites pénales et que les mesures décidées par l'autorité judicaire ou l'intérêt du service n'y font pas obstacle, il est également rétabli dans ses fonctions à l'expiration du même délai. Lorsque, sur décision motivée, il n'est pas rétabli dans ses fonctions, il peut être affecté provisoirement par l'autorité investie du pouvoir de nomination, sous réserve de l'intérêt du service, dans un emploi compatible avec les obligations du contrôle judiciaire auquel il est, le cas échéant, soumis. A défaut, il peut être détaché d'office, à titre provisoire, dans un autre corps ou cadre d'emplois pour occuper un emploi compatible avec de telles obligations. L'affectation provisoire ou le détachement provisoire prend fin lorsque la situation du fonctionnaire est définitivement réglée par l'administration ou lorsque l'évolution des poursuites pénales rend impossible sa prolongation. / (...) Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions, affecté provisoirement ou détaché provisoirement dans un autre emploi peut subir une retenue, qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée au deuxième alinéa. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille ".
5. Il résulte de ces dispositions que l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire peut suspendre un fonctionnaire ayant commis une faute grave mais doit, à l'expiration d'un délai de quatre mois, le rétablir dans ses fonctions si aucune décision n'a été prise par elle à son encontre, sauf s'il fait l'objet de poursuites pénales. Lorsque tel est le cas, l'autorité administrative peut le rétablir dans ses fonctions si les mesures décidées par l'autorité judicaire ou l'intérêt du service n'y font pas obstacle, ou, depuis la modification issue de la loi du 20 avril 2016, lui attribuer provisoirement une autre affectation ou procéder à son détachement, ou encore prolonger la mesure de suspension en l'assortissant, le cas échéant, d'une retenue sur traitement. Ces mêmes dispositions ne font cependant pas obligation à l'administration de prononcer la suspension qu'elles prévoient à l'encontre d'un agent empêché de poursuivre ses fonctions du fait de mesures prises dans le cadre d'une enquête ou procédure pénales, ni de lui attribuer provisoirement une autre affectation ou de le détacher dans un autre corps ou cadre d'emploi, et ne l'empêchent pas d'interrompre, indépendamment de toute action disciplinaire, le versement de son traitement pour absence de service fait, notamment dans le cas où il fait l'objet d'une incarcération ou d'une mesure de contrôle judiciaire lui interdisant d'exercer ses fonctions.
6. Au cas particulier, dans sa décision du 16 décembre 2015 par laquelle il a interrompu le versement à M. A... de son traitement, à compter du 19 décembre 2015, sans prendre à son encontre de mesure de suspension sur le fondement des dispositions de l'article 30 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, le directeur interrégional des services pénitentiaires PACA/Corse vise l'article 20 de cette même loi, ainsi que l'ordonnance du juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Toulon du 10 décembre 2015 portant placement de l'appelant sous contrôle judiciaire. Or, il résulte de la mesure d'instruction diligentée par la Cour que, par cette ordonnance, ledit juge d'instruction a, notamment, décidé, dans le cadre de ce contrôle judiciaire, d'astreindre M. A... à l'obligation de " Ne pas se livrer à certaines activités de nature professionnelle ou sociale : surveillant pénitentiaire. " Ainsi, la décision litigieuse d'interruption du versement à l'appelant de son traitement a été prise en conséquence de cette ordonnance du juge d'instruction près tribunal de grande instance de Toulon. Dans ces conditions, et alors qu'il n'était tenu ni de prononcer une mesure de suspension sur le fondement de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, ni de lui attribuer provisoirement une autre affectation ou de le détacher dans un autre corps ou cadre d'emploi, le directeur interrégional des services pénitentiaires PACA/Corse a pu, par cette décision du 16 décembre 2015, légalement interrompre le versement à l'appelant de son traitement pour absence de service fait. Cette décision n'étant pas entachée d'illégalité, M. A... n'est pas fondé à rechercher à ce titre la responsabilité pour faute de l'Etat.
S'agissant de la responsabilité sans faute :
7. La responsabilité de la puissance publique peut se trouver engagée, même sans faute, sur le fondement du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques, lorsqu'une mesure légalement prise a pour effet d'entraîner, au détriment d'une personne physique ou morale, un préjudice grave et spécial, qui ne peut être regardé comme une charge lui incombant normalement.
8. En l'espèce, ainsi qu'il vient d'être dit, l'absence de service fait par M. A... n'est pas imputable à l'administration pénitentiaire qui n'a fait que tirer les conséquences du placement sous contrôle judiciaire de ce dernier décidé par le juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Toulon. Par suite, la responsabilité sans faute de l'Etat ne saurait être recherchée sur le terrain de la rupture d'égalité des citoyens devant les charges publiques du fait de l'action de l'administration pénitentiaire et, à supposer que M. A... entende rechercher cette responsabilité sans faute de l'Etat du fait du fonctionnement du service de la justice, il ne pourrait compétemment le faire que devant le juge judiciaire.
9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription quadriennale opposée en défense par le garde des sceaux, ministre de la justice, M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande. Sa requête doit dès lors être rejetée en son entier, y compris, et par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2024, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2024.
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No 23MA02363