Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon, en premier lieu d'enjoindre au garde des sceaux, ministère de la justice de produire le rapport le concernant établi en 2016 par le procureur de Mamoudzou, en deuxième lieu d'annuler la décision du
23 mai 2019 par laquelle le ministre de la justice a rejeté sa demande indemnitaire préalable et sa demande de protection fonctionnelle, en troisième lieu d'enjoindre au ministre de la justice de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, en quatrième lieu de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 70 000 euros en réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral dont il dit avoir été victime, avec intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2019, en cinquième lieu de condamner l'Etat à lui verser une somme de 4 340 euros au titre des frais d'avocat qui auraient dû être pris en charge au titre de la protection fonctionnelle et enfin de réserver l'indemnisation définitive de son préjudice moral dans l'attente de sa consolidation.
Par un jugement n° 2001382 du 29 avril 2022, le tribunal administratif de Toulon a, d'une part admis l'intervention de l'union syndicale des magistrats, d'autre part annulé la décision du 23 mai 2019 en tant qu'elle rejette la demande de protection fonctionnelle de
M. B..., et enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de réexaminer cette demande et de lui adresser à ce titre une réponse motivée en droit et en fait, et enfin rejeté le surplus des conclusions de M. B....
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 juin 2022 et 9 janvier 2024,
M. B..., représenté par Me Zandotti, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 29 avril 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 23 mai 2019 lui refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle pour un motif de légalité interne ;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de lui accorder le bénéfice de cette protection sur le fondement de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 140 000 euros en réparation du préjudice moral, de la perte d'une chance de poursuivre une carrière longue et d'accéder aux fonctions et grades supérieurs et de son préjudice corporel, qu'il estime avoir subis du fait du harcèlement dont il dit avoir été victime ;
5°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 7 000 euros au titre des frais d'avocat qui auraient dû être pris en charge au titre de la protection fonctionnelle ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il a droit à la protection fonctionnelle de l'Etat en raison des agissements de harcèlement moral dont il a été victime de la part du procureur de Mamoudzou et des présidents des tribunaux de grande instance de Mamoudzou et de Saint-Denis, les éléments de harcèlement ayant été avancés au soutien de sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie à laquelle a fait droit son administration ;
- la décision de refus en litige a été prise par une autorité qui ne peut être considérée comme impartiale ;
- l'Etat engage sa responsabilité d'employeur à son égard, en raison des fautes personnelles mais non dépourvues de lien avec le service commises par certains de ses agents à son encontre et en raison de faute de service consistant en une méconnaissance de l'obligation de sécurité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 février 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête, en faisant valoir que les moyens d'appel ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 31 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 17 juin 2024, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me France, substituant Me Zandotti, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., magistrat judiciaire depuis 2002, a été nommé par décret du président de la République du 1er juillet 2013 en qualité de vice-président, auprès de la première présidente de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion. A compter du début de l'année 2015 il est délégué auprès du tribunal de grande instance de Mamoudzou afin de traiter les litiges relatifs aux rectifications d'état civil. Le 13 décembre 2016 il est nommé vice-président du tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion. Après un arrêt de travail du 16 octobre au
16 novembre 2017, il est placé en position de congé de maladie ordinaire, du 30 décembre 2017 au 18 janvier 2018, puis du 12 avril 2018 au 31 janvier 2019, en raison d'un syndrome
anxio-dépressif dont l'imputabilité au service a été reconnue, à compter du 7 octobre 2017, par une décision du 2 novembre 2018 prise conjointement par le premier président de la cour d'appel de Saint-Denis et le procureur général près cette cour. Le 24 avril 2019, il présente au premier président de la cour d'appel de Saint-Denis une demande tendant d'une part à l'octroi de la protection fonctionnelle au titre des agissements de harcèlement dont il se dit victime, et d'autre part au versement par l'Etat d'une somme de 60 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de ces agissements. Par une décision du 23 mai 2019, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande. Par un jugement du 29 avril 2022, dont
M. B... relève appel, le tribunal administratif de Toulon, après avoir admis l'intervention volontaire en demande de l'union syndicale des magistrats, a annulé cette décision de refus de protection fonctionnelle pour défaut de motivation, a enjoint au ministre de réexaminer cette demande, mais a rejeté les conclusions de M. B... tendant à l'octroi de la protection fonctionnelle, et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 70 000 euros en réparation des préjudices qu'il dit avoir subis du fait du harcèlement moral dont il estime avoir été victime. M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ces deux prétentions.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. B... tendant à l'octroi de la protection fonctionnelle :
S'agissant du cadre juridique applicable :
2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, désormais codifié aux articles L. 133-2 et suivants du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.(...) / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés ". En vertu de l'article 2 de cette même loi, celle-ci ne s'applique pas aux magistrats judiciaires.
3. En outre, l'article 11 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature dispose, dans sa rédaction applicable au litige, que : " Indépendamment des règles fixées par le Code pénal et les lois spéciales, les magistrats sont protégés contre les menaces, attaques de quelque nature que ce soit, dont ils peuvent être l'objet dans l'exercice ou à l'occasion de leurs fonctions. L'Etat doit réparer le préjudice direct qui en résulte, dans tous les cas non prévus par la législation des pensions ". Ces dispositions législatives établissent à la charge de l'Etat et au profit des magistrats, lorsqu'ils ont été victimes d'attaques relatives au comportement qu'ils ont eu dans l'exercice de leurs fonctions, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général.
4. Indépendamment des dispositions de l'article 6 quinquiès de la loi du
13 juillet 1983, il appartient à un magistrat judiciaire qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
S'agissant du vice propre à la décision en litige :
5. Le moyen de M. B... tiré de ce que la décision en litige n'a pas été prise par une autorité impartiale est en tout état de cause dépourvu de toute précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.
S'agissant des agissements allégués de harcèlement moral :
6. M. B... affirme également avoir subi des agissements de harcèlement moral, du début de l'année 2016 jusqu'à la fin de l'année 2019, de la part du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Mamoudzou, du président de cette juridiction, ainsi que des deux présidents successifs du tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion.
7. En premier lieu, la seule circonstance que la maladie dépressive affectant M. B... depuis le 7 octobre 2017 a été reconnue imputable au service, depuis cette date, par une décision du 2 novembre 2018, n'est pas de nature à accréditer son affirmation qu'il a été victime d'une série d'agissements de harcèlement moral sur la période de trois années évoquée au point précédent.
8. En deuxième lieu, s'agissant du comportement du procureur de Mamoudzou, d'une part il résulte de l'instruction, et plus particulièrement du rapprochement d'échanges de courriels entre les magistrats affectés au tribunal de grande instance de Mamoudzou au traitement des affaires d'état civil, dont M. B..., en avril 2016, au sujet d'une réunion organisée le 11 avril à l'initiative de la première présidente de la cour d'appel, et de la réponse de celle-ci le 28 mars 2018 à une demande de M. B..., et contrairement aux dénégations du ministre de la justice, que le procureur de la République de Mamoudzou a établi un rapport, dont le requérant a eu connaissance de l'existence au début de l'année 2016, qui se livre à une critique de ces magistrats dans le traitement quantitatif des affaires d'état civil dont ils avaient la charge. Néanmoins, alors même que malgré la mesure d'instruction ordonnée par la Cour, le ministre n'a pas produit ce rapport, M. B..., qui soutient pourtant en avoir eu connaissance, se borne à le décrire comme comportant des allégations et insinuations graves, relevant de la dénonciation calomnieuse, sans
apporter ce faisant d'éléments suffisamment précis et circonstanciés, propres à faire présumer
qu'il constitue un agissement de harcèlement moral. Il est en outre constant que la
première présidente de la cour d'appel, qui est le chef hiérarchique des magistrats du siège de son ressort, a apporté son soutien aux magistrats ainsi mis en cause par ce rapport, dont
M. B.... Par suite, bien que deux jours après la discussion de ce rapport, au cours de la réunion du 11 avril 2016, M. B... ait fait savoir à la première présidente être souffrant depuis plusieurs semaines, craindre un nouvel épisode de dépression et solliciter son affectation au tribunal de grande instance de Saint-Denis, celui-ci n'est pas fondé à soutenir que ce rapport devrait être considéré comme un élément de fait susceptible de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.
9. D'autre part, pour soutenir avoir été l'objet, au cours d'une réunion organisée en mai 2016 à l'initiative du président du tribunal de grande instance de Mamoudzou, d'un " accueil odieux " de la part du procureur de la République, M. B... se borne à produire un courriel qu'il a adressé le 17 mai 2016 à la première présidente de la cour d'appel pour lui rendre compte de cette réunion, précisant que le procureur a insinué qu'il ne connaissait pas le magistrat du parquet en charge de l'état civil. Une telle remarque, par sa teneur, ne constitue cependant pas un agissement de harcèlement moral.
10. En troisième lieu, s'agissant du comportement du président du tribunal de grande instance de Mamoudzou, si d'une part M. B... affirme que celui-ci a organisé la réunion de
mai 2016 à seule fin de le déstabiliser, il ne livre à cet effet aucune indication précise sur les conditions de cette réunion qui relèverait selon lui du harcèlement moral, alors qu'il résulte de l'instruction qu'il y a participé sur incitation de la première présidente de la cour d'appel, compte tenu de ses compétences et de son expérience, ainsi de ses collègues du siège affectés au traitement des affaires d'état civil.
11. D'autre part, M. B... affirme que le président du tribunal de grande instance de Mamoudzou aurait formulé à son sujet des remarques vexatoires et blessantes en avril 2016. Mais il ne ressort pas des éléments versés à l'appui de ses affirmations, lesquels consistent en un courriel, non daté, par lequel M. B... relate une rencontre avec la première présidente de la
cour d'appel et le procureur général près cette cour sur la situation des magistrats affectés
et placés à Mamoudzou, et un document syndical du 21 juin 2016 relatif aux conditions
de travail des magistrats dans ce tribunal, que son président, qui s'est adressé à lui dans un courriel du 9 mai 2016 suivant un ton cordial et professionnel, aurait ciblé M. B... par
des propos ou remarques dont ni la nature ni la teneur ne sont précisées par l'intéressé.
La double circonstance que, sur sa demande du 13 avril 2016, M. B... a été affecté au tribunal de grande instance Saint-Denis de la Réunion, après préconisations médicales du 8 juillet du
23 août 2016, et a dû être placé en congé de maladie ordinaire et que le président du tribunal de grande instance de Mamoudzou n'a été avisé ni de sa demande de mutation ni de son congé de maladie, n'est pas de nature à révéler la commission par cette autorité d'agissements de harcèlement moral à l'encontre du requérant. Il en va de même des conditions difficiles d'exercice par les magistrats de leurs fonctions au tribunal de Mamoudzou, soulignées par l'union syndicale des magistrats en juin et juillet 2016, et alors même que ce syndicat a alors dénoncé le management au sein de cette juridiction.
12. En quatrième lieu, s'agissant du comportement de la présidente du tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion de septembre 2016 à septembre 2017, M. B... se plaint d'abord de la mauvaise qualité de l'accueil qui lui a été réservé et de ses conditions de travail et de l'inertie de cette présidente qui avait connaissance du caractère dégradé de ses conditions de travail à Mamoudzou. M. B... dénonce plus précisément les difficultés qu'il aurait rencontrées pour bénéficier d'un bureau aménagé, d'un système de dictée vocale, d'une place de stationnement, d'une clé personnelle lui permettant d'accéder au palais de justice les samedi, dimanche et jours fériés, d'un climatiseur et d'un ascenseur fonctionnels. Néanmoins,
M. B... n'apporte pas à l'appui de ses allégations de pièces ou d'éléments, pas même ses messages du 18 avril et du 31 mai 2017 à la présidente du tribunal, de nature à préciser le délai dans lequel il a pu finalement accéder à ces conditions matérielles, ni ne soutient avoir été dans l'impossibilité d'exercer effectivement ses fonctions. Si le requérant dénonce la charge de travail qu'il a dû supporter à sa prise de fonction à Saint-Denis, alors que, selon ses dires, il avait demandé sa mutation au regard de la nature et de la quantité des affaires qu'il devait traiter à Mamoudzou, il résulte de l'instruction qu'il avait été déclaré apte à l'exercice de ses missions par deux avis des 8 juillet et 23 août 2016 qui ne comportaient aucune contre-indication à la reprise de fonctions juridictionnelles, à l'exception d'une affectation à Mayotte. Aucune des pièces produites par le requérant n'est propre à rendre crédible son affirmation que la présidente du tribunal aurait cherché à alourdir sa charge de travail.
13. Ensuite, le courrier de M. B... du 31 mai 2017, reçu par la présidente du tribunal le 6 juin 2017, dans lequel il se plaignait des conditions d'exercice de ses fonctions, leur imputait la dégradation de son état de santé et évoquait la " prise en charge " de sa demande de bénéfice du " régime professionnel des assurances sociales " au titre du dispositif de prévention et de solution des risques psycho-sociaux mis en place par la direction des services judiciaires via le réseau " Eléas ", ne sollicitait pas de cette présidente un entretien à ces différents sujets, mais annonçait qu'il s'agirait de leur dernier échange. M. B... ne peut donc se plaindre de ce que celle-ci se serait volontairement abstenue de le recevoir en entretien à ce sujet.
14. Par ailleurs, en s'appuyant sur des échanges de courriels de mars 2017 relatifs aux conditions de prise en charge des frais de transport vers une formation continue sur le terrorisme à Bordeaux à laquelle il a été inscrit en décembre 2016, M. B... ne livre pas d'éléments suffisants pour considérer que la présidente de la juridiction aurait fait obstacle à la mise en œuvre de son droit à la formation continue.
15. Enfin, il résulte de l'instruction qu'à quatre reprises, la présidente du tribunal, saisie de la demande de M. B... d'octroi de congés dits bonifiés du 19 au 21 août 2017, dont l'accord de principe avait été donné en décembre 2016, lui a demandé dès le 9 mars 2017 par l'intermédiaire de sa secrétaire de s'assurer, dans l'intérêt du service, de son remplacement par des collègues magistrats aux audiences déjà programmées. Il est constant qu'à la suite du refus de M. B... de solliciter des collègues à cette fin, opposé dès le 9 mars 2017, la présidente a finalement elle-même demandé à ses collègues, le 4 mai 2017, de se porter volontaire pour assurer ces remplacements, à défaut de quoi elle procéderait à des désignations d'office. Il ne résulte pas de ces circonstances que M. B... aurait été l'objet d'une décision de sa présidente prise dans le seul but de le mettre en difficulté à l'égard de ses collègues, en dehors de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, ni qu'elle aurait illégalement conditionné la prise de congés bonifiés à son remplacement effectif.
16. En dernier lieu, s'agissant du comportement du président du tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion, ni la date à laquelle cette autorité a tenu avec le requérant son entretien d'évaluation au titre de l'année 2016, soit cinq jours seulement après la reprise de fonction de l'intéressé à l'issue d'un congé de maladie, ni le contenu du compte rendu de cet entretien, au sujet duquel celui-ci se borne à évoquer sans précision des reproches ou accusations infondées, ne méconnaissent des dispositions législatives ou réglementaires applicables à l'évaluation des magistrats judiciaires, ni ne caractérisent un agissement de harcèlement moral.
Il en va de même de la mention, dans ce compte rendu, au titre des projets professionnels de
M. B..., du conflit l'opposant à l'institution judiciaire, dès lors, d'une part, que, bien que l'évaluation porte sur une période antérieure à son installation, le président était l'autorité compétente pour mener cet entretien en vertu de l'article 12-1 de l'ordonnance du
22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et, d'autre part, que cette mention est complétée de l'observation qu'il ne nourrit pas d'intérêt pour la matière traitée en tant que juge aux affaires familiales, qu'il cherche à quitter le métier sans démissionner et se préoccupe plus de la reconnaissance de sa maladie professionnelle, s'abstenant de produire des statistiques sur son activité. La circonstance, que le ministre de la justice ne conteste pas, que le président du tribunal a mené l'entretien d'évaluation de M. B... au titre de l'année 2016 en l'appelant par son prénom est sans incidence sur la régularité de cette opération, alors que le compte tenu de cet entretien désigne ce dernier par son seul patronyme.
17. En outre, aucune des pièces versées par M. B..., qui sont relatives aux échanges avec son administration lui demandant de se positionner avant le 17 novembre 2017 s'agissant de son placement en mi-temps thérapeutique, ne justifie que la chancellerie ou le président du tribunal l'auraient contraint à déposer une telle demande d'exercice de son activité avec effet rétroactif, qu'il ne nie pas avoir un temps souhaité présenter, et à laquelle il a renoncé le
31 janvier 2018. Contrairement à ce qu'affirme également M. B..., sa désignation par le président du tribunal pour siéger aux assises le 21 juin 2018, soit à son retour d'arrêt de travail et avant son départ en formation continue ne traduit pas, par elle-même, l'intention de l'empêcher de satisfaire à la condition de s'assurer de son remplacement pour les audiences maintenues au cours de son congé bonifié.
18. S'il est constant que, par erreur, les services du ministère de la justice n'ont pas pris en compte, dans la note de transparence du 14 juin 2019, la renonciation de M. B... à son souhait de mutation, formulé le 27 novembre 2018, en tant que conseiller à la cour d'appel de Douai, il n'est pas non moins constant que cette affectation n'a pas été prononcée. M. B... ne peut donc se plaindre d'avoir été l'objet d'une tentative de mutation d'office, en méconnaissance du principe d'inamovibilité des magistrats du siège. La seule circonstance que la conseillère mobilité du ministère lui aurait reproché de ne pas avoir formellement renoncé à son vœu de mutation, alors que la première présidente de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion l'avait incité à ne pas formaliser sa renonciation, n'est pas de nature à caractériser un agissement de harcèlement moral.
19. Enfin, il résulte certes de l'instruction que, pendant le congé de maladie de
M. B... du 16 octobre au 16 novembre 2017, ayant donné lieu à un arrêt de travail de son médecin mentionnant un " syndrome anxio-dépressif avec anxiété majeure ", le président du tribunal l'a démarché, par messages téléphoniques, courrier recommandé et courriels sur ses adresses postale et électronique personnelles, les 26 octobre et 31 octobre 2017, et le
10 novembre 2017, respectivement d'abord pour " faire le point sur certaines choses ", puis pour l'inviter à déposer sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie dépressive par courrier, et non par simple courriel, enfin pour convenir avec lui d'une date d'entretien professionnel. Il résulte également de l'instruction que, pendant le congé de maladie de M. B..., du mois d'avril au 20 juin 2018 inclus, le président du tribunal, par un courriel du
6 juin 2018 sur l'adresse électronique personnelle du magistrat, lui a refusé des congés bonifiés du 25 juin au 27 juillet 2017, au motif du retard dans le prononcé de certains jugements et de son refus de se faire remplacer par des collègues pour la tenue d'audiences prévues pendant cette période. Par un autre courriel envoyé le 16 décembre 2019 sur l'adresse personnelle de
M. B..., alors en arrêt de travail pour cause médicale, le président du tribunal lui a proposé de réaliser par téléphone son évaluation professionnelle au titre de l'année 2018 et de faire le point sur sa situation. Mais d'une part, le courriel du 10 novembre 2017 était adressé à tous les magistrats de la juridiction, et non pas seulement à M. B..., d'autre part, les autres démarches du président de juridiction à l'égard de M. B... d'octobre 2017, destinées à assurer le traitement de la demande d'imputabilité au service de sa maladie suivant les formes et procédures applicables, et adoptées dans son propre intérêt, ne sauraient être regardées comme ayant eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
La seule circonstance que le président de juridiction s'est abstenu de communiquer à M. B..., avant que ne le fasse le président par intérim le 22 janvier 2019, la décision du ministre de la justice du 2 novembre 2018 reconnaissant l'imputabilité au service de sa maladie dépressive, qui avait été pourtant communiquée au chef de juridiction dès le 9 novembre par le premier président de la cour d'appel, n'est pas de nature à conférer aux précédentes démarches le caractère d'agissements de harcèlement moral. Si enfin, aucun des congés de maladie de M. B... n'est remis en cause par son administration, et si sa maladie dépressive a été reconnue comme imputable au service à compter du 7 octobre 2017, le courriel du 16 décembre 2019, qui s'explique par l'éloignement géographique de M. B..., retourné en métropole et par son placement en congé de maladie ordinaire pour un autre motif que sa maladie dépressive, ne peut être vu comme ayant excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dans ces conditions, le message électronique du chef de juridiction de M. B... du 16 juin 2018, qui par son contenu et sa date de survenance non justifiés par des motifs graves liés à l'intérêt du service et malgré l'absence d'intention de nuire à l'agent, peut être vu comme un agissement ayant pu altérer la santé mentale du magistrat, présente néanmoins un caractère isolé. Ainsi l'ensemble de ces démarches et messages, même rapprochés les uns des autres, ne peuvent être qualifiés d'agissements méconnaissant le droit de M. B... de ne pas subir un harcèlement moral.
20. Il suit de là que les agissements évoqués aux points 7 à 19, pris ensemble ou isolément, n'étant pas de nature à faire présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral, M. B... n'était pas fondé à solliciter du garde des sceaux, ministre de la justice, le bénéfice de la protection fonctionnelle au titre de tels agissements. Il suit de là qu'il n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus du 23 juin 2019 pour méconnaissance des dispositions législatives citées au point 3 et de la règle énoncée au point 4, et à ce qu'il soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de lui accorder cette protection.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions de
M. B... tendant à la réparation des préjudices qu'il allègue :
S'agissant de la méconnaissance de l'obligation de sécurité :
21. Il ne résulte d'aucune des circonstances énoncées aux points 7 à 20 que le garde des sceaux, ministre de la justice, ou l'un des chefs de juridiction sous la présidence desquels
M. B... a exercé ses fonctions de 2016 à 2019, aurait manqué aux obligations d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et morale du magistrat. M. B... n'est donc pas fondé à demander à ce titre l'engagement à son égard de la responsabilité pour faute de l'Etat.
S'agissant des agissements fautifs de harcèlement moral :
22. Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 à 20 que M. B... n'a pas été victime d'agissements de harcèlement moral de la part de ses différents chefs de juridiction et collègues de travail, et que partant, il n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de l'Etat à ce titre.
Il n'est ainsi pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses conclusions indemnitaires.
Sur les frais liés au litige :
23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens. Ses conclusions tendant à l'application de ces dispositions ne peuvent donc qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2024, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2024.
N° 22MA016642