Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Toulon :
- par une requête, enregistrée sous le n° 2302570, de suspendre l'arrêté du 6 juillet 2023 par lequel le préfet du Var a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
- par une requête, enregistrée sous le n° 2303229, d'annuler cet arrêté.
Par un jugement n° 2302570 et 2303229 du 7 décembre 2023, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les deux requêtes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 janvier 2024, Mme C..., représentée par Me Barriol, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 7 décembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Var du 6 juillet 2023 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté a été pris par une autorité incompétente ;
- l'arrêté du préfet du Var est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, comme l'a reconnu le tribunal ;
- l'arrêté méconnaît les dispositions des articles L. 423-1, L. 611-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'article 10 de l'accord franco-tunisien et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le tribunal, qui a considéré qu'elle ne justifiait pas d'une entrée régulière sur le territoire français ou de la régularité de son séjour, a ajouté une condition non prévue par l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 10 de l'accord franco-tunisien et a donc commis une erreur de droit en procédant à cette substitution de motifs.
La requête a été transmise au préfet du Var qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 mars 2023.
Par courrier du 31 octobre 2024, les parties ont été informées en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen d'ordre public tiré de l'irrégularité du jugement dès lors que le tribunal, qui s'est estimé saisi, par la requête enregistrée sous le n° 2302570, d'un recours pour excès de pouvoir alors qu'il était saisi d'un recours en référé-suspension, s'est mépris sur l'étendue de son office.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la cour a désigné Mme Rigaud, présidente assesseure de la 2ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Danveau.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... épouse B..., ressortissante de nationalité tunisienne née le 8 février 1965, a présenté le 21 juillet 2022 une demande de titre de séjour en sa qualité de conjointe de français. Par un arrêté du 6 juillet 2023, le préfet du Var a rejeté sa demande de titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours. La requérante relève appel du jugement du 7 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Devant le tribunal administratif, Mme C... a demandé, par une requête enregistrée sous le n° 2302570, de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de l'arrêté du 6 juillet 2023 par lequel le préfet du Var a rejeté sa demande de titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par une requête enregistrée sous le n° 2303229, celle-ci a demandé d'annuler, au fond, cet arrêté. Par le jugement attaqué, le tribunal, qui a joint les deux requêtes pour statuer par un seul jugement, a regardé celles-ci comme tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 juillet 2023. Ce faisant, le tribunal, en n'exerçant pas son office de juge des référés, a entaché son jugement d'irrégularité. Ce jugement doit, par suite, être annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions présentées par Mme C... à l'appui de sa requête enregistrée sous le n° 2302570. Il y a lieu pour la cour de se prononcer sur cette partie de la demande par la voie de l'évocation et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions.
Sur la légalité de l'arrêté du 6 juillet 2023 :
3. Par un arrêté n° 2023/47/MCI du 21 août 2023, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Var du 21 août 2023, qui était, contrairement à ce que soutient la requérante, joint aux écritures en défense produites en première instance, le préfet du Var a donné délégation de signature à M. Lucien Guidicelli, secrétaire général de la préfecture du Var, à l'effet de signer tous les arrêtés et décisions relevant des attributions de l'Etat dans le département, à l'exception de certains actes dont ne font pas partie les arrêtés portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit, par suite, être écarté.
4. D'une part, aux termes de l'article 10 de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 : " 1. Un titre de séjour d'une durée de dix ans, ouvrant droit à l'exercice d'une activité professionnelle, est délivré de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour sur le territoire français : / a) Au conjoint tunisien d'un ressortissant français, marié depuis au moins un an, à condition que la communauté de vie entre époux n'ait pas cessé, que le conjoint ait conservé sa nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français (...) ". Aux termes de l'article 7 quater du même accord : " Sans préjudice des dispositions du b et du d de l'article 7 ter, les ressortissants tunisiens bénéficient, dans les conditions prévues par la législation française, de la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ".
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vigueur à la date de l'arrêté en litige : " L'étranger marié avec un ressortissant français se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an lorsque les conditions suivantes sont réunies : 1° La communauté de vie n'a pas cessé depuis le mariage ; 2° Le conjoint a conservé la nationalité française ; 3° Lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, il a été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ". Aux termes de l'article L. 412-1 du même code : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues aux articles L. 412-2 et L. 412-3, la première délivrance de la carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 411-1 ".
6. Il résulte de l'ensemble de ces stipulations et dispositions que, dès lors que la délivrance d'un titre de séjour d'une durée de dix ans à un ressortissant tunisien en qualité de conjoint de français est prévue au a) du 1 de l'article 10 de l'accord franco-tunisien, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est pas applicable à l'appui d'une telle demande d'admission au séjour, s'agissant d'un point déjà traité par cet accord. En revanche, la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", d'une durée de validité d'un an, en ce qu'elle n'est pas prévue à cet accord, intervient dans les conditions prévues par les dispositions de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... s'est mariée le 4 mai 2022 avec M. B..., ressortissant de nationalité française. Pour rejeter la demande de titre de séjour présentée par Mme C... en sa qualité de conjointe de français, le préfet du Var s'est fondé, dans l'arrêté contesté, sur l'absence de communauté de vie effective entre les époux.
8. L'administration peut faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
9. Le préfet du Var a soutenu, dans son mémoire en défense enregistré le 17 octobre 2023 au greffe du tribunal administratif de Toulon, qui a été communiqué à Mme C..., que cette dernière ne justifiait pas de la régularité de son séjour sur le territoire français et en particulier du visa de long séjour nécessaire pour obtenir un titre de séjour en qualité de conjoint de ressortissant français. Ce motif n'étant pas au nombre de ceux qui fondent la décision litigieuse, le préfet du Var doit être regardé comme ayant, ce faisant, sollicité une substitution de motifs. Mme C... a été mise à même de présenter ses observations sur cette demande de substitution.
10. En l'espèce, à défaut de détenir un visa de long séjour, Mme C... ne remplit pas les conditions pour pouvoir prétendre à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La requérante, qui ne séjourne ainsi pas sur le territoire français de façon régulière, n'est pas plus fondée à soutenir que la décision de refus de séjour méconnaît les stipulations précitées de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988. Il suit de là que le préfet du Var, qui n'a, contrairement à ce soutient la requérante, pas ajouté une condition non prévue par la loi, aurait pris la même décision s'il s'était fondé initialement sur ce nouveau motif. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont fait droit à la demande de substitution de motifs formulée par le préfet du Var, laquelle ne prive la requérante d'aucune garantie procédurale.
11. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, Mme C... n'est pas davantage fondée à soutenir que le préfet du Var aurait méconnu les dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoyant les cas dans lesquels l'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français.
12. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ".
13. Il ressort des pièces du dossier que Mme C..., si elle se prévaut de sa résidence en France depuis 2019, n'établit ni même n'allègue avoir demandé son admission au séjour antérieurement au 21 juillet 2022, alors qu'elle était soumise à l'obligation de régulariser sa situation. Son mariage, le 4 mai 2022, avec un ressortissant français demeure récent à la date de l'arrêté contesté. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier qu'une vie commune aurait débuté avant la célébration du mariage, la requérante se bornant à produire un contrat de bail conclu en septembre 2022 et quelques documents établis au nom des époux, soit un avis d'imposition sur les revenus de l'année 2022, un relevé d'identité bancaire et une attestation d'abonnement à un contrat de fourniture d'eau potable datant de juillet 2023. La requérante, qui n'a pas de charge de famille, ne fait pas état d'obstacle à ce qu'elle retourne en Tunisie afin d'accomplir les démarches permettant son entrée régulière en France. Dans ces conditions, Mme C... ne peut être regardée comme disposant en France, à la date de l'arrêté, des liens personnels et familiaux tels que l'arrêté attaqué porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, l'arrêté en cause n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de la requérante.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Var du 6 juillet 2023.
Sur la demande de suspension :
15. D'une part, aux termes de l'article L. 523-1 du code de justice administrative : " Les décisions rendues en application des articles L. 521-1 (...) sont rendues en dernier ressort. (...) ". D'autre part, aux termes de l'article R. 351-4 du code de justice administrative : " Lorsque tout ou partie des conclusions dont est saisi un tribunal administratif, une cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat relève de la compétence d'une de ces juridictions administratives, le tribunal administratif, la cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat, selon le cas, est compétent, nonobstant les règles de répartition des compétences entre juridictions administratives, pour rejeter les conclusions entachées d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance, pour constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur tout ou partie des conclusions ou pour rejeter la requête en se fondant sur l'irrecevabilité manifeste de la demande de première instance. ".
16. Ainsi qu'il est dit au point 2, Mme C... a demandé au tribunal, par une requête enregistrée sous le n° 2302570, de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de l'arrêté du 6 juillet 2023 litigieux. Le présent arrêt statue au fond sur la demande d'annulation de l'arrêté du 6 juillet 2023 du préfet du Var. Par suite, il y a lieu de prononcer immédiatement un non-lieu par application des dispositions précitées de l'article R. 351-4 du code de justice administrative.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme C... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2302570 et 2303229 du 7 décembre 2023 du tribunal administratif de Toulon est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions présentées par Mme C... tendant à la suspension de l'arrêté du 6 juillet 2023 du préfet du Var.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Toulon tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 6 juillet 2023 du préfet du Var.
Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme C... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... épouse B..., à Me Barriol et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Var.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme L. Rigaud, présidente assesseure, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. J. Mahmouti, premier conseiller,
- M. N. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 novembre 2024.
N° 24MA00011 2