Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Litsea SARL a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2016, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par une ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Nice prise en application des dispositions de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, la demande a été transmise au tribunal administratif de Toulon.
Le tribunal administratif de Toulon, par l'article 1er du jugement n° 2001942 du 30 décembre 2022, a prononcé la décharge des impositions et pénalités en litige, par son article 2 a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et par son article 3 a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 avril 2023 le 20 septembre 2023 et le 13 novembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Toulon du 30 décembre 2022 ;
2°) de remettre à la charge de la société Litsea SARL les rappels de taxe sur la valeur ajoutée dégrevés à tort.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier, dès lors que le tribunal administratif aurait dû relever d'office l'inopposabilité du § 30 de la doctrine administrative référencée BOI-TVA-CHAMP-10-20-20, dans sa version publiée le 6 mai 2015 ;
- l'interprétation de la loi résultant du § 30 de la doctrine administrative référencée BOI-TVA-CHAMP-10-20-20, dans sa version publiée le 6 mai 2015, était caduque à la date du fait générateur des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, dès lors qu'elle était relative à une version antérieure de l'article 257 du code général des impôts.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 juin 2023, le 4 octobre 2023 et le 31 octobre 2024, la société Litsea SARL, représentée par Me Duchemin, conclut au rejet de la requête et demande que les entiers dépens soient mis à la charge de l'Etat, ainsi qu'une somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mastrantuono,
- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,
- et les observations de Me Duchemin, représentant la société Litsea SARL.
Considérant ce qui suit :
1. La société de droit luxembourgeois Litsea SARL, qui a fait l'acquisition d'un ensemble immobilier situé à Saint-Tropez au cours de l'année 2011, a démoli l'existant avant de reconstruire une villa avec piscine. Après que les travaux ont été achevés en 2015, elle a conclu avec son associé, le 1er janvier 2016, un accord de location de vacances de la propriété meublée. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016, l'administration fiscale a notamment estimé que la société Litsea SARL aurait dû constater une livraison à elle-même à raison de l'affectation de la propriété à son activité de location meublée sur le fondement du 2° du 1 du II de l'article 257 du code général des impôts. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève appel du jugement du tribunal administratif de Toulon du 30 décembre 2022 en tant qu'il a prononcé la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui ont ainsi été réclamés à la société Litsea SARL pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2016, et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
2. D'une part, aux termes de l'article 257 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010 : " I. - Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions qui suivent. / (...) 3. Sont également soumises à la taxe sur la valeur ajoutée : / 1° Lorsqu'elles sont réalisées par des personnes assujetties au sens de l'article 256 A : / a) Sans préjudice des dispositions du II, les livraisons à soi-même d'immeubles neufs lorsque ceux-ci ne sont pas vendus dans les deux ans qui suivent leur achèvement ; / b) Les livraisons à soi-même des travaux immobiliers mentionnés au III de l'article 278 sexies ; / 2° Lorsqu'elles sont réalisées, hors d'une activité économique visée à l'article 256 A, par toute personne, dès lors assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à ce titre : / a) La livraison d'un immeuble neuf lorsque le cédant avait au préalable acquis l'immeuble cédé comme immeuble à construire ; / b) La livraison à soi-même des logements visés aux 9 et 11 du I de l'article 278 sexies. / II. - Les opérations suivantes sont assimilées, selon le cas, à des livraisons de biens ou à des prestations de services effectuées à titre onéreux. / 1. Sont assimilés à des livraisons de biens effectuées à titre onéreux : / (...) 2° L'affectation par un assujetti aux besoins de son entreprise d'un bien produit, construit, extrait, transformé, acheté, importé ou ayant fait l'objet d'une acquisition intracommunautaire dans le cadre de son entreprise lorsque l'acquisition d'un tel bien auprès d'un autre assujetti, réputée faite au moment de l'affectation, ne lui ouvrirait pas droit à déduction complète parce que le droit à déduction de la taxe afférente au bien fait l'objet d'une exclusion ou d'une limitation ou peut faire l'objet d'une régularisation ; cette disposition s'applique notamment en cas d'affectation de biens à des opérations situées hors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée ; (...) ". Aux termes de cet article 257, dans sa rédaction issue de l'article 32 de la loi du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives : " I.-Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions qui suivent. / (...) 3. Sont également soumises à la taxe sur la valeur ajoutée : / 1° Les livraisons à soi-même de travaux immobiliers (...) ; / 2° Les livraisons à soi-même d'immeubles mentionnés au II de l'article 278 sexies réalisées hors d'une activité économique, au sens de l'article 256 A, par toute personne dès lors assujettie à ce titre. / II.-Les opérations suivantes sont assimilées, selon le cas, à des livraisons de biens ou à des prestations de services effectuées à titre onéreux. / 1. Sont assimilés à des livraisons de biens effectuées à titre onéreux : / (...) 2° L'affectation par un assujetti aux besoins de son entreprise d'un bien produit, construit, extrait, transformé, acheté, importé ou ayant fait l'objet d'une acquisition intracommunautaire dans le cadre de son entreprise lorsque l'acquisition d'un tel bien auprès d'un autre assujetti, réputée faite au moment de l'affectation, ne lui ouvrirait pas droit à déduction complète (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / (...) Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales ".
4. Le paragraphe nº 10 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 sous le nº BOI-TVA-CHAMP-10-20-20, relatifs aux livraisons à soi-même de biens et de services, repris à l'identique dans ceux qui ont été publiés le 6 mai 2015, énonce que " D'une manière plus générale, le II de l'article 257 du CGI prévoit que sont imposables à la TVA les opérations suivantes assimilées, selon le cas, à des livraisons de biens ou à des prestations de services effectuées à titre onéreux. / Sont assimilés à des livraisons de biens effectuées à titre onéreux : / (...) - l'affectation par un assujetti aux besoins de son entreprise d'un bien produit, construit, extrait, transformé, acheté, importé ou ayant fait l'objet d'une acquisition intracommunautaire dans le cadre de son entreprise lorsque l'acquisition d'un tel bien auprès d'un autre assujetti, réputée faite au moment de l'affectation, ne lui ouvrirait pas droit à déduction complète parce que le droit à déduction de la taxe afférente au bien fait l'objet d'une exclusion ou d'une limitation ou peut faire l'objet d'une régularisation ; cette disposition s'applique notamment en cas d'affectation de biens à des opérations situées hors du champ d'application de la TVA (...) ". Selon le paragraphe 30 des mêmes commentaires, dont la société Litsea SARL s'est prévalue, " L'imposition de la livraison à soi-même est exigible des assujettis dont l'activité comporte, pour tout ou partie, la réalisation soit d'opérations imposables, soit d'opérations exonérées ou non imposables mais ouvrant droit à déduction (opérations relevant du commerce extérieur). / En revanche, les personnes, qui réalisent exclusivement des opérations non imposables (opérations réalisées par des non-assujettis et donc placées en dehors du champ d'application de la TVA) ou des opérations exonérées autres que celles qui ouvrent droit à déduction, ne sont pas tenues de procéder à l'imposition des livraisons à soi-même. De même, ne sont pas imposables les livraisons à soi-même effectuées exclusivement dans le cadre d'une activité totalement non imposable et constituant un secteur distinct des autres activités d'un assujetti, au sens des dispositions de l'article 209 de l'annexe II au CGI ". Selon le paragraphe 260 de ces commentaires : " Les livraisons à soi-même d'immeubles bâtis sont imposables en vertu du I de l'article 257 du CGI, ce qui les exclut de l'imposition prévue au II de l'article 257 du CGI (...) ".
5. Il résulte de ces énonciations, en particulier du paragraphe n° 260, que le paragraphe nº 30 constitue un commentaire des dispositions de l'article 257 du code général des impôts dans sa rédaction issue de l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, qui permettait l'imposition des livraisons à soi-même des immeubles neufs affectés à la réalisation d'opérations exonérées et non revendus dans les deux ans de l'achèvement sur le seul fondement du I de l'article 257 du code général des impôts. Par conséquent, la société Litsea SARL ne pouvait s'en prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales pour soutenir qu'elle n'était pas tenue de procéder à l'imposition, sur le fondement de l'article 257 du code général des impôts dans sa rédaction issue de l'article 32 de la loi du 20 décembre 2014, de la livraison à soi-même de l'immeuble affecté à la réalisation de ses opérations exonérées.
6. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal a jugé que la société Litsea SARL était fondée à demander la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016 et des pénalités correspondantes au motif que selon le paragraphe n° 30 de l'instruction BOI-TVA-CHAMP-10-20-20 publiée le 6 mai 2015, elle n'avait pas à constater une livraison à soi-même de l'immeuble neuf qu'elle avait construit.
7. Il appartient à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen invoqué par la société Litsea SARL devant le tribunal administratif.
8. Aux termes de l'article 256 A du code général des impôts : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. (...) Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l'exploitation d'un bien meuble corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence ". Aux termes de l'article 261 D du même code : " Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : (...) 4° Les locations occasionnelles, permanentes ou saisonnières de logements meublés ou garnis à usage d'habitation (...) ".
9. Il résulte des dispositions de l'article 257 du code général des impôts dans sa rédaction issue de l'article 32 de la loi du 20 décembre 2014 citées au point 2 que les personnes assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée doivent constater une livraison à soi-même lors de la production d'un immeuble neuf lorsque l'immeuble est affecté à la réalisation d'opérations n'ouvrant pas droit à une déduction complète de la taxe sur la valeur ajoutée.
10. Il ressort des statuts de la société Litsea SARL que celle-ci a pour objet toutes les opérations se rapportant directement ou indirectement à la prise de participations sous quelque forme que ce soit, dans toute entreprise, ainsi que l'administration, la gestion, le contrôle et le développement de ces participations, et peut aussi accomplir toutes opérations commerciales, industrielles ou financières, ainsi que tout transfert de propriété immobiliers ou mobiliers. La société Litsea SARL, qui a fait l'acquisition en 2011 d'une villa dénommée A... ", située sur le territoire de la commune de Saint-Tropez, a procédé à la démolition de l'existant avant de construire une nouvelle villa avec piscine, dont les travaux se sont achevés le 30 novembre 2015. Ce bien a été donné en location meublée à son associé principal à compter du 1er janvier 2016, pour un loyer annuel de 390 000 euros. La société réalise à ce titre une activité de location d'une villa meublée. En l'espèce, se livrant à l'exploitation d'un bien immobilier en vue d'en tirer des recettes ayant un caractère de permanence, la société exerce de ce fait une activité économique et a, dès lors, la qualité d'assujettie au sens de l'article 256 A du code général des impôts, ce qu'elle ne conteste d'ailleurs pas, ayant elle-même déclaré aux services fiscaux être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée par une lettre du 22 mai 2015. L'activité de location exercée par la société requérante, laquelle, en tant que réalisation de prestations de service, entre dans le champ de la taxe sur la valeur ajoutée, est néanmoins exonérée de cette taxe en vertu des dispositions précitées du 4° de l'article 261 D du code général des impôts. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration fiscale a considéré que l'affectation du bien immobilier construit par la société à une activité de location exonérée était constitutive d'une livraison à soi-même imposable à la taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement du 2° du 1 du II de l'article 257 du code général des impôts, et a rappelé la taxe correspondant à cette livraison à soi-même.
11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement, que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels la société Litsea SARL a été assujettie au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016, ainsi que des pénalités correspondantes, et a condamné l'Etat à verser à cette société la somme de 1 500 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, par voie de conséquence, de faire droit aux conclusions du ministre tendant à ce que soit remise à la charge de la société Litsea SARL les impositions et pénalités dégrevées en exécution de ce même jugement.
Sur les frais liés au litige :
12. D'une part, aucun dépens n'ayant été exposé dans cette instance, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société Litsea SARL tendant à l'application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.
13. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par la société Litsea SARL et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels la société Litsea SARL a été assujettie au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016 ainsi que les pénalités correspondantes, sont remis à sa charge.
Article 2 : Les articles 1er et 2 du jugement n° 2001942 du 30 décembre 2022 du tribunal administratif de Toulon sont annulés.
Article 3 : Les conclusions de la société Litsea SARL tendant à l'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre chargé du budget et des comptes publics et à la société Litsea SARL.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
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N° 23MA00881