Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) La Part des Anges a demandé au tribunal administratif de Bastia de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 septembre 2013, 2014 et 2015 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2015.
Par un jugement n° 2001361 du 16 décembre 2022, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 15 février 2023, la société La Part des Anges, représentée par Me Gaillot-Bartoli, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2001361 du 16 décembre 2022 du tribunal administratif de Bastia ;
2°) de prononcer la décharge demandée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la procédure d'imposition est irrégulière, dès lors que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a refusé d'entendre ses représentants puis de convoquer la nouvelle séance demandée par son liquidateur judiciaire, ce qui constitue une erreur substantielle au sens de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales ;
- la méthode de reconstitution est excessivement sommaire et aboutit à des résultats incohérents et exagérés ;
- la procédure d'établissement de la majoration pour manquement délibéré a méconnu le principe du contradictoire, à défaut de pouvoir être entendu par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;
- l'administration n'établit pas l'existence de manquements délibérés.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 juillet 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par la société La Part des Anges ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 29 août 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Platillero,
- et les conclusions de M. Ury, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société La Part des Anges, qui exerçait l'activité de restauration, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, à l'issue de laquelle une proposition de rectification du 10 juin 2016 lui a été notifiée. Au terme de la procédure, elle a notamment été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos les 30 septembre 2013, 2014 et 2015 et à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2015, assortis de la majoration pour manquement délibéré. La société La Part des Anges relève appel du jugement du 16 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et majorations, des impositions restant en litige à la suite de l'admission partielle de sa réclamation.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable : " Lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis (...) de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 du code général des impôts (...) Les commissions peuvent également être saisies à l'initiative de l'administration ". Aux termes de l'article R. 60-1 de ce livre : " Lorsque le litige est soumis à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, en application de l'article L. 59 A (...) le contribuable est convoqué trente jours au moins avant la date de la réunion ". Aux termes de l'article R. 60-2 du même livre : " Devant la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 du code général des impôts (...) le contribuable peut se faire assister par deux conseils de son choix ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 641-9 du code de commerce, dans sa rédaction applicable : " I. Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur (...) ".
4. Il résulte de l'instruction qu'alors que la société La Part des Anges n'a pas demandé la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires à la suite de la notification de la réponse aux observations du contribuable du 18 juillet 2016, l'administration l'a informée par un courrier du 27 septembre 2016 qu'elle entendait saisir la commission du différend, la convocation, mentionnant la possibilité de se faire représenter par un mandataire dûment habilité, ayant été adressée à son liquidateur judiciaire, compte tenu de la procédure de liquidation judiciaire ouverte le 16 janvier 2017 par le tribunal de commerce d'Ajaccio, avec copie au gérant. Lors de sa séance du 3 avril 2017, à laquelle le liquidateur judiciaire n'était pas présent, la commission a refusé d'entendre le gérant et l'expert-comptable de la société La Part des Anges, en l'absence de mandat du liquidateur judiciaire, et a émis un avis favorable au maintien des rectifications. Par un courrier du 11 avril 2017, le liquidateur judiciaire a demandé un nouvel examen du différend par la commission, qui lui a été refusé.
5. Contrairement à ce que soutient la société La Part des Anges, les actes de la procédure d'imposition entrent dans le champ d'application du dessaisissement du débiteur au profit du liquidateur prévu par les dispositions précitées de l'article L. 641-9 du code de commerce. Ainsi, c'est à bon droit que la convocation devant la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a été adressée au liquidateur judiciaire et que le gérant n'a pas été entendu en l'absence de mandat du liquidateur. En outre, aucune disposition ni aucun principe n'obligeaient l'administration à donner suite à la demande de seconde réunion présentée par le liquidateur judiciaire, qui avait été régulièrement convoqué, à la suite du premier avis de la commission. Par suite, la société La Part des Anges n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir que la procédure d'imposition est irrégulière. En l'absence d'irrégularité, elle n'est pas plus fondée à se prévaloir de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne la charge de la preuve :
6. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge (...) ".
7. Le vérificateur a relevé qu'au titre de chacun des exercices vérifiés, seuls des tickets de caisse journaliers récapitulant les recettes totales par type de règlement et des relevés manuels regroupant ces mêmes données ont été présentés par la société La Part des Anges, à l'exclusion des bandes de caisse présentant le détail par type d'article vendu et le détail des recettes journalières. En outre, d'une part, des états d'inventaire de stocks incomplets ont été présentés au titre des exercices 2013 et 2014, comportant trois lignes sans quantité mais avec seulement une valorisation, et, d'autre part, à la suite de l'exercice du droit de communication auprès des fournisseurs, le vérificateur a constaté des discordances entre les achats effectués et comptabilisés. Dans ces conditions, l'administration justifie du bien-fondé du rejet de la comptabilité de la société La Part des Anges, la circonstance que le vérificateur a exploité le ticket historique statistique produit au titre de la période du 18 septembre 2014 au 9 février 2016 pour déterminer la part des recettes issues des liquides étant sans effet sur le constat des irrégularités relevées, notamment au titre de l'exercice 2015. Par ailleurs, les impositions ont été établies conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, qui, ainsi qu'il a été dit précédemment, est régulier. Par suite, la charge de la preuve incombe à la société La Part des Anges.
En ce qui concerne la reconstitution du chiffre d'affaires :
8. Il résulte de l'instruction que, pour reconstituer le chiffre d'affaires de la société La Part des Anges au titre de chacun des exercices vérifiés, le vérificateur, qui a utilisé la méthode dite " des liquides " a d'abord déterminé la proportion des recettes des vins et alcools dans le chiffre d'affaires total, à partir du dépouillement du ticket historique couvrant la période du 18 septembre 2014 au 9 février 2016, seul élément à sa disposition, pour aboutir à un pourcentage de 44 %. Il a ensuite reconstitué les recettes issues des ventes de vins et alcools toutes taxes comprises en appliquant aux achats revendus le coefficient de marge constaté dans l'entreprise, les achats revendus correspondant aux achats hors taxes obtenus dans l'exercice du droit de communication auprès des fournisseurs, avec des stocks réputés constants en l'absence d'inventaire détaillé, corrigés des pertes, offerts, consommations du personnel et utilisations des vins en cuisine d'un pourcentage fixé à 10 %. Il a ensuite déterminé les coefficients de bénéfice brut sur le vin et l'alcool, après calcul du chiffre d'affaires toutes taxes comprises des vins et alcools obtenu en multipliant les quantités achetées par le prix de vente unitaire pratiqué pour chaque produit, conformément aux tarifs fournis durant le contrôle, fixés à 3,76 pour l'exercice 2013, 3,57 pour l'exercice 2014 et 3,75 pour l'exercice 2015, les vins étant généralement valorisés à la bouteille et l'unité retenue pour les ventes au verre étant de 4 centilitres. Il a ensuite calculé les recettes toutes taxes comprises des vins et alcools en multipliant les achats revendus, déduction faite des 10 % précités, par les coefficients de bénéfice brut, auxquelles il a ajouté les recettes toutes taxes comprises des plats et autres boissons correspondant à un pourcentage de 56 %.
9. En premier lieu, la société La Part des Anges fait valoir que le vérificateur a exploité les données du ticket historique couvrant la période du 18 septembre 2014 au 9 février 2016 alors que sa comptabilité a été écartée comme dépourvue de valeur probante. Toutefois, dès lors qu'il est constant que le vérificateur ne disposait d'aucun autre document lui permettant de déterminer la part des liquides dans le chiffre d'affaires total, que l'échantillon ainsi retenu portait sur une durée significative, qu'il n'est pas allégué que les conditions d'exploitation antérieures auraient été différentes et que le pourcentage de 44 % n'est en lui-même pas contesté, le vérificateur pouvait régulièrement exploiter ce ticket alors même que la comptabilité avait été rejetée.
10. En deuxième lieu, la société La Part des Anges soutient que l'unité pour les ventes au verre n'était pas de 4 mais de 5 centilitres et que les ventes à la bouteille n'ont pas été retenues. Toutefois, elle n'apporte aucun élément probant à l'appui de ses allégations, alors que le dosage figure sur la carte des tarifs des consommations produite et que les conditions d'exploitation ont été précisément débattues en cours de contrôle, ainsi qu'en attestent les comptes-rendus d'entretien également produits, et ne justifie ainsi pas de l'exagération des impositions.
11. En troisième lieu, la société La Part des Anges fait valoir que la reconstitution ne prend pas en compte la consommation des employés et les pertes. Toutefois, elle n'établit pas que le taux de 10 % retenu au titre des pertes, offerts, consommations du personnel et utilisations des vins en cuisine serait insuffisant, en se bornant à se prévaloir de l'avantage en nature quantifié par l'URSSAF et prévu par les conventions collectives.
12. En quatrième lieu, la société La Part des Anges se prévaut des incohérences qui résulteraient de l'évaluation de ses recettes hors alcools, aboutissant à une évolution du coefficient multiplicateur et des marges ne correspondant pas à l'exploitation. Toutefois, le vérificateur n'a pas mis en œuvre la méthode des solides et s'est borné à exposer dans la réponse aux observations du contribuable, en réponse aux observations selon lesquelles le taux de marge des solides serait incohérent, un tableau visant à exposer le calcul d'un taux de marge, qui ne fonde pas les rectifications. D'une part, la société La Part des Anges ne peut utilement soutenir, pour contester la reconstitution fondée sur les liquides dont les données ne sont pas sérieusement contestées, que ce tableau, dont il ne résulte d'ailleurs pas qu'il aurait une incidence sur la part des ventes d'alcool par rapport aux ventes totales, ne tiendrait pas compte de la consommation du personnel, des pertes, des condiments, des plats dont le prix de revient est le plus élevé, des aliments d'accompagnement et des produits mis au rebut. D'autre part, par ses seules allégations, elle ne propose pas de méthode alternative plus précise que celle mise en œuvre par le vérificateur.
13. En cinquième lieu, compte tenu de ce qui précède, la société La Part des Anges n'établit pas l'exagération des impositions en se bornant à affirmer que l'évolution de son activité ainsi reconstituée serait incohérente et que la méthode ne tiendrait pas compte des paramètres de l'exploitation et reposerait sur des données contradictoires quant aux achats et aux stocks.
14. Il résulte de ce qui précède que la société La Part des Anges n'apporte pas la preuve qui lui incombe que les bases d'imposition issues de la reconstitution de son chiffre d'affaires, résultant d'une méthode qui n'est ni radicalement viciée ni excessivement sommaire, seraient exagérées.
Sur les pénalités :
15. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration (...) entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
16. D'une part, la société La Part des Anges n'est pas fondée à soutenir que la procédure d'établissement de la majoration pour manquement délibéré est irrégulière, à défaut d'audition par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, dès lors que la commission n'est pas compétente pour donner son avis sur l'existence de tels manquements.
17. D'autre part, pour justifier l'application de la majoration, l'administration s'est fondée sur la circonstance que la société qui, au titre de chacun des exercices en litige, n'était pas en mesure de justifier du détail de ses recettes et ne tenait pas d'inventaire détaillé de ses stocks, a minoré ses recettes de façon récurrente pour des montants importants, représentant 48,78 %, 36,15 %, et 15,62 % du chiffre d'affaires déclaré pour les exercices clos respectivement les 30 septembre 2013, 2014 et 2015. Compte tenu de l'importance et du caractère répétitif des omissions, l'administration établit l'existence de manquements délibérés et justifie ainsi du bien-fondé de l'application de la majoration prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts.
18. Il résulte de tout ce qui précède que la société La Part des Anges n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'annulation de ce jugement et de décharge, en droits et majorations, des impositions en litige doivent dès lors être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société La Part des Anges demande au titre des frais qu'elle a exposés.
D E C I D E :
Article 1 : La requête de la société La Part des Anges est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée (SARL) La Part des Anges et au ministre chargé du budget et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- M. Platillero, président assesseur,
- Mme Mastrantuono, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 novembre 2024.
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N° 23MA00377