Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... doit être regardée comme ayant demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision de la ministre des armées du 26 avril 2021, rejetant le recours administratif préalable obligatoire formé contre la décision du 28 juillet 2020, lui accordant un congé de longue durée pour maladie à compter du 27 juin 2020 et pour une durée de six mois, en tant que cette décision précise que l'affection dont elle souffre n'est pas survenue du fait ou à l'occasion de l'exercice des fonctions.
Par un jugement n° 2101723 du 19 décembre 2023, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 février et 12 septembre 2024, Mme A..., représentée par Me Casanova, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 décembre 2023 ;
2°) d'annuler la décision du 26 avril 2021 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les décisions des 28 juillet 2020 et 26 avril 2021 ne visent pas le certificat médical sur le fondement duquel elles ont été prises conformément à l'article R. 4138-48 du code de la défense ; ce certificat n'est pas joint et son existence n'est pas justifiée ; l'instruction du ministre non régulièrement publiée et prévoyant un avis émis par un inspecteur du service de santé n'est pas applicable ; au demeurant cet avis n'a pas davantage été visé ou joint ;
- la maladie est survenue du fait de l'exercice des fonctions ; elle a été mal reçue par ses collègues et son supérieur à son retour d'un long arrêt et a été mutée directement, sans explication.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 août 2024, et deux autres mémoires enregistrés les 19 septembre et 9 octobre 2024 mais non communiqués, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il renvoie à ses écritures de première instance et soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Poullain,
- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... est infirmière en soins généraux de 1er grade au sein du service de santé des armées, affectée au 9ème centre médical des armées. Placée en congé pour maladie ordinaire du 6 décembre 2019 au 13 mai 2020, elle a repris le travail le 14 mai 2020 avant de bénéficier d'un nouvel arrêt pour maladie à partir du 4 juin 2020. Par décision du 28 juillet 2020, la ministre des armées l'a placée en congé de longue durée pour maladie à compter du 27 juin 2020 pour une période de six mois, en précisant que l'affection ouvrant droit à ce congé n'était pas survenue du fait ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions. Mme A... a formé un recours préalable obligatoire contre cette décision en tant qu'elle n'admettait pas le lien entre sa pathologie et l'exercice de ses fonctions. Elle relève appel du jugement du tribunal administratif de Toulon ayant rejeté sa demande qui doit être regardée comme tendant à l'annulation de la décision de la ministre du 26 avril 2021 rejetant ce recours.
2. Aux termes de l'article L. 4138-12 du code de la défense : " Le congé de longue durée pour maladie est attribué, après épuisement des droits de congé de maladie (...), pour les affections dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat. / Lorsque l'affection survient du fait ou à l'occasion de l'exercice des fonctions (...), ce congé est d'une durée maximale de huit ans. Le militaire perçoit, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, sa rémunération pendant cinq ans, puis une rémunération réduite de moitié les trois années qui suivent. / Dans les autres cas, ce congé est d'une durée maximale de cinq ans et le militaire de carrière perçoit, dans les conditions définies par décret en Conseil d'Etat, sa rémunération pendant trois ans, puis une rémunération réduite de moitié les deux années qui suivent. (...) ". En vertu de l'article R. 4138-47 du même code : " Le congé de longue durée pour maladie est la situation du militaire, qui est placé, (...), dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions pour l'une des affections suivantes : 1° Affections cancéreuses ; 2° Déficit immunitaire grave et acquis ; 3° Troubles mentaux et du comportement présentant une évolution prolongée et dont le retentissement professionnel ou le traitement sont incompatibles avec le service ". En outre, l'article R. 4138-48 précise que : " Le congé de longue durée pour maladie est attribué, sur demande ou d'office, dans les conditions fixées à l'article L. 4138-12, par décision du ministre de la défense, (...), sur le fondement d'un certificat médical établi par un médecin des armées, par périodes de six mois renouvelables. " Enfin, aux termes de l'article R. 4138-49 dudit code : " La décision mentionnée à l'article R. 4138-48 précise si l'affection ouvrant droit à congé de longue durée pour maladie est survenue ou non du fait ou à l'occasion de l'exercice des fonctions (...) ".
3. Une maladie contractée par un militaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel du militaire ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a souffert d'un lymphome de type B entre la fin de l'année 2014 et le printemps de l'année 2015, à raison duquel elle a reçu un traitement par chimiothérapie. Demeurée sous surveillance, elle a souffert de diverses difficultés de santé de la sphère ORL, avec un volumineux ganglion latéro-cervical, conduisant à son arrêt de travail du 6 décembre 2019 au 13 mai 2020. Cependant, au mois de mai 2020, son lymphome était toujours en rémission et son hématologue admettait qu'elle reprenne le travail comme elle le souhaitait, sous réserve d'un " confinement hors de masse " et d'une " distanciation d'au moins 1 m ". Le 14 mai 2020, le médecin du service de santé des armées la considérait apte à la reprise avec les mêmes réserves. Le 15 mai 2020, à sa reprise, elle était reçue par le commandant du 9ème centre médical des armées qui lui faisait savoir qu'à raison de faits de harcèlement moral rapportés à son encontre par certains membres de son équipe, elle ne pouvait être maintenue sur son emploi de responsable de la 148ème antenne médicale à Hyères. Il lui suggérait de demander une permission afin de réfléchir à une demande de mutation. En permission, Mme A... acceptait une mutation au sein de la 150ème antenne médicale à Toulon. Par décision du 3 juin 2020, elle n'était pas mutée conformément à sa demande mais était placée en formation de mise pour emploi au sein de la 151ème antenne médicale, à Saint-Mandrier, plus loin de son domicile. Le 4 juin 2020, son médecin généraliste indiquait, qu'alors qu'elle avait fortement insisté auprès des professionnels de santé pour reprendre ses fonctions, elle se plaignait ce jour d'un " syndrome anxieux consécutif à un conflit au travail " et indiquait " ne plus pouvoir retrouver les conditions de travail qu'elle avait auparavant " et ne pas accepter " les méthodes employées à son retour au travail ". Le médecin du service de santé des armées vu le même jour mentionnait pour sa part " un effondrement thymique suite à une remise en cause de son management et allégation d'harcèlement moral quand elle était IRA à la 148ème AM ". Il relevait que la signification à Mme A... de ce qu'elle devait quitter cette antenne avait généré chez elle d'importants troubles. Renvoyée par ce médecin au service de psychiatrie de l'hôpital d'instruction des armées Sainte-Anne, Mme A... se voyait prescrire des psychotropes les 11 et 18 juin 2020, et était arrêtée pour un mois avant de demander un congé de longue durée. Le certificat médical produit à l'appui de sa demande, établi par le médecin de ce service et produit dans l'instance, s'il ne se prononce pas sur le lien de la pathologie avec le service, mentionne notamment " un vécu douloureux de rejet de ses pairs et de sa hiérarchie, dans une sensibilité accrue à l'atmosphère de conflictualité relationnelle ". S'il ressort d'un certificat de l'endocrinologue qui la prend en charge, qu'au cours du dernier trimestre de l'année 2020, Mme A... a présenté des signes d'hyperthyroïdie avec une grande fatigue musculaire et un amaigrissement conséquent notamment, en rapport avec une maladie de Basedow, ces éléments sont postérieurs à la décision litigieuse et ne peuvent être à l'origine de l'état de santé ayant conduit à son arrêt de travail trois mois plus tôt. En revanche, cette maladie, qui ne relève pas de celles listées à l'article R. 4138-47 du code de la défense susceptibles d'ouvrir droit à un congé de longue durée, peut être déclenchée par un stress important.
5. Ainsi, la maladie ayant nécessité l'octroi du congé de longue durée en cause est d'ordre psychiatrique et présente un lien direct avec les conditions dans lesquelles la reprise de fonctions de Mme A..., si brève fût-elle, s'est déroulée, c'est-à-dire avec ses conditions de travail. Celles-ci étaient de nature à susciter le développement de cette maladie. Si le ministre soutient que la requérante se trouvait dans un état de fragilité du fait du lymphome dont elle avait souffert et des traitements qu'elle recevait, connus pour avoir des effet secondaires sur l'humeur des malades, ni ces éléments, ni aucune autre circonstance particulière, ne sont de nature à détacher la survenance de sa maladie du service.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 19 décembre 2023 et la décision de la ministre des armées du 26 avril 2021 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre des armées et des anciens combattants.
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 novembre 2024.
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N° 24MA00405
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