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17/10/2024 | FRANCE | N°23MA03085

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 3ème chambre, 17 octobre 2024, 23MA03085


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée (SAS) François Perrino Holding a demandé au tribunal administratif de Bastia de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016.



Par un jugement n° 1900948 du 15 avril 2021, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour avant renvoi :



Par une requête et des mémoires enregistrés le 4 juin 2021, le 4 février 2022 et le 4 mai 2022, la SAS François Perrino Hold...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) François Perrino Holding a demandé au tribunal administratif de Bastia de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016.

Par un jugement n° 1900948 du 15 avril 2021, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour avant renvoi :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 4 juin 2021, le 4 février 2022 et le 4 mai 2022, la SAS François Perrino Holding, représentée par Me Albert, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 15 avril 2021 du tribunal administratif de Bastia ;

2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé en ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance des principes de sécurité juridique et de confiance légitime ;

- le jugement est fondé sur les dispositions de l'article 13 C de la sixième directive du 17 mai 1977 en matière de taxe sur la valeur ajoutée, qui a été abrogée et modifiée par la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;

- l'administration a formellement pris position sur la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée en lui accordant partiellement le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée par une décision du 20 juin 2017 ;

- en raison des réponses différentes données par l'administration à l'issue de deux contrôles, les principes de sécurité juridique et de confiance légitime ont été méconnus ;

- le refus de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux dépenses antérieures à la lettre du 15 décembre 2016 par laquelle elle a opté pour l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée est contraire à la loi et à la directive 2006/112/CE ;

- ce refus méconnaît le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 22 décembre 2021 et le 28 avril 2022 et le 16 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la SAS François Perrino Holding ne sont pas fondés.

Par un arrêt n° 21MA02119 du 10 mars 2023, la Cour a prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui ont été réclamés à la SAS François Perrino Holding au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016 et mis à la charge de l'Etat, au profit de la société, une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une décision n° 474 042 du 21 décembre 2023, le Conseil d'Etat a, sur pourvoi du ministre, annulé l'arrêt du 10 mars 2023 et renvoyé l'affaire à la Cour.

Procédure devant la Cour après renvoi :

Par des mémoires enregistrés le 1er février 2024 et le 28 mai 2024, la SAS François Perrino Holding, représentée par Me Albert, conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens, et porte à 4 000 euros la somme qu'elle demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient en outre que la taxe initialement déduite pouvait faire l'objet d'une régularisation sur le fondement de l'article 207, III-1-4° de l'annexe II au code général des impôts.

Par des mémoires enregistrés le 9 février 2024, le 13 mai 2024 et le 20 juin 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut aux mêmes fins que précédemment.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Mastrantuono,

- et les conclusions de M. Ury, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS François Perrino Holding, a, par un courrier du 15 décembre 2016, informé le service des impôts des entreprises d'Ajaccio (Corse-du-Sud) de ce qu'elle entendait opter avec " effet rétroactif au 1er janvier 2016 " pour la soumission à la taxe sur la valeur ajoutée de ses opérations au titre d'une activité de location de locaux nus qu'elle entendait exercer. Cette activité a effectivement débuté le 1er janvier 2017. A la suite d'un examen de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses que la SAS François Perrino Holding avait exposées, antérieurement à la date de l'exercice de l'option, pour les besoins de l'activité de location qu'elle entendait exercer. Par un arrêt n° 21MA02119 du 10 mars 2023, la Cour a fait droit à l'appel de la SAS François Perrino Holding contre le jugement du tribunal administratif de Bastia n° 1900948 du 15 avril 2021 ayant rejeté sa demande de décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés en conséquence au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016. Par une décision du 21 décembre 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé, sur le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, cet arrêt du 10 mars 2023, et renvoyé à la Cour le jugement de l'affaire.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, le tribunal administratif a expressément statué, au point 5 du jugement contesté, sur les moyens tirés de ce que l'administration aurait méconnu les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, en relevant notamment qu'il ne résultait pas de l'instruction que la décision du 20 juin 2017 admettant partiellement la demande de la SAS François Perrino Holding tendant au remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée au titre du mois de février 2017 comporterait une motivation qui pourrait être regardée comme constituant une prise de position formelle sur une situation de fait. Ainsi, le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments présentés par la requérante, a répondu de manière suffisante au moyen invoqué, alors même qu'il a également répondu au même point au moyen tiré de ce que l'administration aurait formellement pris position sur la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée en lui accordant partiellement le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée par la décision du 20 juin 2017.

3. En deuxième lieu, la circonstance que les premiers juges ont mentionné au point 2 de leur jugement l'article 13 C de la sixième directive du 17 mai 1977, qui a été abrogée et remplacée par la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée a trait au bien-fondé du raisonnement suivi par le tribunal et est donc sans incidence sur la régularité du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 261 D du code général des impôts : " Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) 2° Les locations de terrains non aménagés et de locaux nus (...) ". Aux termes de l'article 260 du même code : " Peuvent sur leur demande acquitter la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) 2° Les personnes qui donnent en location des locaux nus pour les besoins de l'activité d'un preneur assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée ou, si le bail est conclu à compter du 1er janvier 1991, pour les besoins de l'activité d'un preneur non assujetti. / L'option ne peut pas être exercée : / (...) b. Si le preneur est non assujetti, sauf lorsque le bail fait mention de l'option par le bailleur (...) " Le troisième alinéa de l'article 194 de l'annexe II à ce code, pris pour l'application de ces dispositions, précise que : " L'option ou sa dénonciation prend effet à compter du premier jour du mois au cours duquel elle est formulée auprès du service des impôts ". Il résulte de ces dispositions, prises dans l'exercice de la faculté ouverte aux Etats membres par l'article 137 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée de déterminer les modalités de l'option pour la taxe sur la valeur ajoutée, que la validité d'une option formulée par le propriétaire de locaux qu'il destine à la location n'est assurée, et que, par suite, cette option ne peut emporter d'effets qu'à compter du premier jour du mois au cours duquel l'option est formulée ou, si elle est postérieure, de la date à laquelle sont souscrits, aux fins de location, immédiate ou future, de ces locaux, des engagements contractuels de nature à établir la conformité de l'opération aux prévisions ci-dessus rappelées.

5. L'option pour la taxe sur la valeur ajoutée exercée par la SAS François Perrino Holding le 15 décembre 2016, alors même qu'elle mentionnait un " effet rétroactif au 1er janvier 2016 " était insusceptible, en vertu des règles rappelées au point 4, de produire des effets, au titre de l'exercice par la société de son droit à déduction, antérieurement au 1er décembre 2016. Est sans incidence à cet égard la circonstance que la taxe serait afférente à des dépenses en lien avec l'activité taxable développée à compter du 1er janvier 2017. Ainsi, alors qu'il n'est ni démontré ni même allégué que la taxe sur la valeur ajoutée dont la déduction a été remise en cause par l'administration serait afférente à des dépenses engagées à compter du 1er décembre 2016, doivent être écartés les moyens tirés de ce que le refus de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée serait contraire à la loi et à la directive 2006/112/CE.

6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que les conditions d'exercice du droit d'option pour la taxe sur la valeur ajoutée résultant de l'article 260 du code général des impôts sont identiques pour tous les assujettis, indépendamment de leur capacité ou de leur forme juridique. Ainsi la SAS François Perrino Holding, à laquelle il appartenait de souscrire l'option au cours du mois d'engagement des premières dépenses nécessaires à l'exercice de son activité, n'est pas fondée à soutenir que le refus de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée afférente à ces dépenses méconnaîtrait le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée.

7. En troisième lieu, la demande présentée par la SAS François Perrino Holding, tendant au remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 100 000 euros au titre du mois de février 2017, constitue une réclamation au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales. Si le " pôle contrôle expertise " d'Ajaccio a adressé à la société, le 11 mai 2017, une demande de renseignements complémentaires, une telle demande, qui relève de l'instruction de la réclamation réalisée par les agents de la direction générale des finances publiques, ne saurait être assimilée à la mise en œuvre d'un contrôle. Ainsi, alors même qu'à l'issue de cette instruction, le service des impôts et des entreprises d'Ajaccio a partiellement fait droit à la demande présentée par la SAS François Perrino Holding tendant au remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée par une décision non motivée, l'administration a ensuite pu, sans méconnaître les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, remettre en cause la déduction de la taxe afférente aux dépenses engagées antérieurement au 1er décembre 2016 à l'issue d'un examen de comptabilité.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 207 de l'annexe II au code général des impôts : " I. - Sous réserve des dispositions qui suivent, la déduction opérée dans les conditions mentionnées aux articles 205 et 206 est définitivement acquise à l'entreprise. / (...) III. - 1. Une régularisation de la taxe initialement déduite et grevant un bien immobilisé est également opérée : / (...) 4° Lorsqu'il vient en cours d'utilisation à être utilisé à des opérations ouvrant droit à déduction (...) ".

9. La circonstance que la SAS François Perrino Holding aurait pu, sur le fondement des dispositions citées au point précédent de l'article 207 de l'annexe II au code général des impôts, régulariser la taxe sur la valeur ajoutée en raison de l'utilisation, à compter du 1er janvier 2017, des biens immobilisés à des opérations ouvrant droit à déduction est sans incidence sur le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant de la remise en cause de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux dépenses antérieures au 1er décembre 2016.

10. En cinquième lieu, aux termes aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales ". Aux termes de l'article L. 80 B du même livre : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : / 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal ; (...) ".

11. Si, le 20 juin 2017, le service des impôts et des entreprises d'Ajaccio a partiellement fait droit à la demande présentée par la SAS François Perrino Holding tendant au remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée au titre du mois de février 2017, cette décision, qui ne comporte aucune motivation quant à l'admission du remboursement, ne constitue pas une prise de position formelle de l'administration au sens de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales. Est en tout état de cause sans incidence à cet égard la circonstance que la demande de renseignements complémentaires lui a été adressée par le " pôle contrôle expertise " d'Ajaccio, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, l'envoi d'une telle demande ne saurait être regardée comme révélant la mise en œuvre d'un contrôle. Par suite, le moyen tiré de ce que l'administration ne pouvait procéder aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée contestés sans méconnaître la garantie résultant de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales doit être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS François Perrino Holding n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la SAS François Perrino Holding la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS François Perrino Holding est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée (SAS) François Perrino Holding et au ministre chargé du budget et des comptes publics.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024, où siégeaient :

- Mme Paix, présidente,

- M. Platillero, président assesseur,

- Mme Mastrantuono, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 octobre 2024.

2

N° 23MA03085


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA03085
Date de la décision : 17/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Textes fiscaux - Opposabilité des interprétations administratives (art - L - 80 A du livre des procédures fiscales).

Contributions et taxes - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées - Taxe sur la valeur ajoutée - Options.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Florence MASTRANTUONO
Rapporteur public ?: M. URY
Avocat(s) : L.A. SELARL

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-17;23ma03085 ?
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