Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Toweo a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'annuler l'arrêté du 19 juillet 2021 par lequel le maire d'Eccica-Suarella s'est opposé à sa déclaration préalable en vue de l'implantation d'un pylône de télécommunication, d'une zone technique en pied de pylône et d'une clôture de portail sur la parcelle cadastrée section OD n° 194, lieudit " Arellola ", et, d'autre part, d'enjoindre à la commune d'Eccica-Suarella de prendre une décision de non-opposition à sa déclaration préalable dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir.
Par un jugement n° 2101472 du 7 juillet 2023, le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté du 19 juillet 2021 et enjoint au maire de la commune d'Eccica-Suarella de décider de ne pas s'opposer à la déclaration préalable de la société Toweo, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 6 septembre 2023, la commune d'Eccica-Suarella, représentée par Me Cesari, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2101472 du 7 juillet 2023 du tribunal administratif de Bastia ;
2°) de mettre à la charge de la société Toweo la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la décision attaquée était entachée d'un vice de forme ;
- si la Cour devait ne pas retenir ce moyen, elle sollicite une substitution de motifs et une substitution de base légale tirée de la méconnaissance du PADDUC, dès lors que le projet consiste à implanter un pylône de télécommunication dans une zone agricole inconstructible, la parcelle du projet devant être regardée comme un espace stratégique agricole.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2023, la société Toweo, représentée par la SARL Martin avocats, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour, d'une part, de prononcer à l'encontre de la commune d'Eccica-Suarella, à défaut pour elle de justifier de l'exécution du jugement n° 2101472 rendu le 7 juillet 2023 par le tribunal administratif de Bastia dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, une astreinte de 200 euros par jour jusqu'à la date à laquelle ce jugement aura reçu exécution, et, d'autre part, de mettre à la charge de la requérante la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés ;
- la commune ne peut utilement solliciter une substitution de motifs ;
- il y a lieu, en application de l'article L. 911-3 du code de justice administrative, de prononcer une astreinte à l'encontre de la commune d'Eccica-Suarella, l'injonction prononcée par le tribunal administratif de Bastia n'ayant pas été suivie d'effet.
Un courrier du 5 avril 2024 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la date à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.
Par une ordonnance du 25 avril 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Martin,
- et les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 19 juillet 2021, le maire de la commune d'Eccica-Suarella s'est opposé à la déclaration préalable de la société Toweo en vue de l'implantation d'un pylône de télécommunication de 25 mètres de hauteur, d'une zone technique en pied de pylône et d'une clôture de portail, sur la parcelle cadastrée section OD n° 194, lieudit " Arellola ". Par la présente requête, la commune d'Eccica-Suarella demande à la Cour d'annuler le jugement du 7 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté du 19 juillet 2021 et enjoint à son maire de prendre une décision de non-opposition à la déclaration préalable de la société Toweo, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Sur la légalité de l'arrêté du 19 juillet 2021 :
2. En premier lieu et d'une part, aux termes de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme : " Lorsque la décision rejette la demande ou s'oppose à la déclaration préalable, elle doit être motivée. (...) ". Le deuxième alinéa de l'article R. 424-5 du même code dispose que : " Si la décision comporte rejet de la demande (...) elle doit être motivée ". Enfin, l'article A. 424-4 du code dispose que : " (...) l'arrêté précise les circonstances de droit et de fait qui motivent la décision (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ".
4. Pour s'opposer à la déclaration préalable de la société Toweo, le maire de la commune d'Eccica-Suarella a opposé un seul motif tiré non pas d'une méconnaissance du plan d'aménagement et de développement durable de Corse (PADDUC), qu'il s'est borné à viser sans préciser celles de ses dispositions dont il aurait entendu faire application ni en tirer de conséquences, mais de la violation des seules dispositions de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme citées au point précédent. Ainsi, il a relevé que le projet poursuivi par la société pétitionnaire portait atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. Mais, en se bornant à reprendre les termes de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme, sans préciser les éléments de fait qui constituent le fondement de sa décision, en particulier en quoi et dans quelle mesure le projet porterait, au regard de ses caractéristiques propres, atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains, l'autorité administrative n'a pas mis à même la société Toweo de comprendre les motifs de sa décision.
Par suite, elle a méconnu l'obligation de motivation qui lui incombe en application des dispositions du code de l'urbanisme citées aux points 2, ainsi que les premiers juges l'ont estimé à bon droit.
5. Il résulte de ce qui précède que la commune requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige était suffisamment motivée en droit comme en fait.
6. En second lieu, lorsque le juge, saisi d'un moyen en ce sens, constate qu'une décision administrative est insuffisamment motivée, l'administration ne peut utilement lui demander de procéder à une substitution de motifs, laquelle ne saurait, en tout état de cause, remédier au vice de forme résultant de l'insuffisance de motivation.
7. Si, pour établir que l'arrêté en litige est légal, la commune d'Eccica-Suarella, qui ne conteste pas le second motif d'annulation retenu par les premiers juges, tiré de l'inexacte application des dispositions de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme, soutient néanmoins que le projet de la société Toweo porte atteinte aux dispositions du PADDUC relatives aux espaces stratégiques agricoles, et sollicite de la Cour qu'elle procède à une substitution de motifs, il résulte de ce qui a été dit point précédent qu'une telle demande ne peut, en tout état de cause, être accueillie.
Sur le bien-fondé de l'injonction prononcée par le tribunal administratif de Bastia :
8. Lorsque le juge annule un refus d'autorisation d'urbanisme après avoir censuré l'ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu'elle a pu invoquer en cours d'instance, il doit, s'il est saisi de conclusions à fin d'injonction, ordonner à l'autorité compétente de délivrer l'autorisation. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction soit que les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée, qui, eu égard aux dispositions de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme, demeurent applicables à la demande, interdisent de l'accueillir pour un motif que l'administration n'a pas relevé, ou que, par suite d'un changement de circonstances, la situation de fait existant à la date de la décision juridictionnelle y fait obstacle.
9. La commune d'Eccica-Suarella, qui soutient que les dispositions du PADDUC s'opposent à la réalisation du projet poursuivi par l'intimée et demande l'annulation totale du jugement attaqué, doit être regardée comme ayant entendu contester l'injonction prononcée par ce jugement, tendant à ce qu'elle délivre à la société Toweo une décision de non-opposition à déclaration préalable. A cet égard, elle soutient, sans citer expressément les dispositions du PADDUC qui s'opposeraient au projet en cause, que le terrain d'assiette de celui-ci est inconstructible, dès lors qu'il correspond à un espace stratégique agricole au sens du PADDUC, de sorte qu'il ne peut accueillir aucun projet autres que des constructions ou installations nécessaires aux activités agricoles ou aux services publics. Toutefois, à la supposer même établie, cette seule circonstance ne suffit pas, en tout état de cause, à établir qu'à la date à laquelle la décision annulée par le tribunal administratif de Bastia a été prise, un tel motif aurait justifié une décision d'opposition, dès lors que le projet, qui prévoit l'implantation d'un pylône de radiotéléphonie mobile, d'équipements techniques au sol sur dalle et d'une clôture, constitue une installation nécessaire au service public de télécommunication au sens du PADDUC.
Au surplus, la commune ne conteste pas le respect par le projet, à la date de l'arrêté, de la triple condition posée par le livre IV - Orientations Réglementaires - du PADDUC, qui prévoit que de telles installations ne doivent pas être incompatibles avec l'exercice d'une activité agricole et pastorale, qu'elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, et qu'aucun autre emplacement ou aucune autre solution technique n'est envisageable, à un coût économique ou environnemental acceptable.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Eccica-Suarella n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté du 19 juillet 2021 du maire de la commune d'Eccica-Suarella et a enjoint à son maire de prendre une décision de non opposition à la déclaration préalable de la société Toweo, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Par suite, ses conclusions aux fins d'annulation de ce jugement doivent être rejetées.
Sur les conclusions d'appel incident de la société Toweo :
11. Eu égard aux motifs de leur jugement, les premiers juges ont, à bon droit, enjoint à la commune d'Eccica-Suarella de prendre une décision de non-opposition à déclaration préalable au bénéfice de la société Toweo, dans le délai d'un mois suivant la notification de ce jugement. En tout état de cause, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de compléter cette mesure d'injonction en prononçant une astreinte. Par suite, les conclusions de la société Toweo doivent être rejetées.
Sur les frais du litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Toweo, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune d'Eccica-Suarella demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de cette commune le versement de la somme de 2 000 euros à la société Toweo au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la commune d'Eccica-Suarella est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident présentées par la société Toweo et tendant au prononcé d'une astreinte à l'encontre de la commune d'Eccica-Suarella sont rejetées.
Article 3 : La commune d'Eccica-Suarella versera une somme de 2 000 euros à la société Toweo en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Eccica-Suarella et à la société Toweo.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er octobre 2024.
N° 23MA02317 2