Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le centre hospitalier d'Arles à lui verser, d'une part en sa qualité d'ayant-droit de sa mère, Mme A..., la somme de 35 000 euros en réparation des préjudices que celle-ci a subis du fait des fautes commises par cet établissement, d'autre part en son nom propre, la somme de 30 000 euros en réparation de ses préjudices propres du fait du décès de sa mère.
La caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône a, par une intervention, indiqué ne pas formuler de demande.
La caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Garonne, mise en cause, n'a pas produit de mémoire.
Par un jugement n° 2104238 du 17 octobre 2023, le tribunal administratif de Marseille a :
- condamné le centre hospitalier d'Arles à verser à M. A..., en tant qu'ayant-droit de sa mère, la somme de 720 euros en réparation des préjudices subis par Mme A...,
- condamné le centre hospitalier d'Arles à verser à M. A... la somme de 600 euros en réparation de ses préjudices propres,
- déclaré son jugement commun à la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes agissant pour la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône et à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Garonne,
- mis à la charge définitive du centre hospitalier d'Arles les frais d'expertise taxés et liquidés à hauteur de 1 400 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 décembre 2023, M. B... A..., représenté par la SELARL COREM, agissant par Me Knispel, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du 17 octobre 2023 en condamnant le centre hospitalier d'Arles à lui payer les sommes de 15 000 euros au titre des souffrances endurées, de 2 000 euros au titre du préjudice d'angoisse de mort imminente, de 1 000 euros au titre du préjudice d'affection, de 248 euros au titre des frais d'obsèques et de confirmer le surplus des condamnations prononcées par le tribunal ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Arles la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges ont à juste titre engagé la responsabilité du centre hospitalier d'Arles en raison des fautes que celui-ci a commises lors de la prise en charge de sa mère ;
- en ce qui concerne les préjudices subis par sa mère : le tribunal a insuffisamment évalué les souffrances endurées par sa mère ; il est recevable à solliciter pour la première fois la réparation du préjudice d'angoisse de mort imminente qui ouvre droit au paiement de la somme de 2 000 euros ;
- en ce qui concerne ses préjudices propres : le tribunal a insuffisamment évalué son préjudice d'affection ; il a supporté la somme totale de 2 480,99 euros au titre des frais d'obsèques de sa mère.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 février 2024, le centre hospitalier d'Arles, représenté par Me Zandotti, conclut à la confirmation du jugement attaqué et au rejet de la requête de M. A....
Il fait valoir que :
- le tribunal a fait une évaluation suffisante des souffrances endurées par la mère de M. A... ;
- le requérant, ne reprenant pas ses écritures tendant à la réparation d'un préjudice de perte de chance de survie, doit être réputé s'en être désisté en appel, outre que sa demande à ce titre est en tout état de cause infondée ;
- la demande d'indemnisation du préjudice d'angoisse de mort imminente est nouvelle en appel et n'est pas fondée ;
- le jugement attaqué sera confirmé en ce qu'il a alloué M. A... la somme de 600 euros au titre de son préjudice d'affection après application du taux de perte de chance ;
- le requérant, ne reprenant pas ses écritures tendant à la réparation d'un préjudice d'accompagnement de fin de vie, doit être réputé s'en être désisté en appel et, en tout état de cause, cette demande n'est pas fondée ;
- la demande faite par le requérant au titre des frais d'obsèques de sa mère est nouvelle en appel et, de ce fait, irrecevable ;
- aucune créance de la caisse primaire d'assurance maladie ne pourra être retenue.
Par un mémoire, enregistré le 8 août 2024, la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes, agissant pour la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, indique ne pas entendre intervenir à l'instance.
La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Garonne, qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mahmouti,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me Florysiak, représentant M. A..., et de Me Bellanger, représentant le centre hospitalier d'Arles.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... A... a été transportée aux urgences du centre hospitalier d'Arles le 5 septembre 2018 à la suite d'une chute sur la voie publique. Autorisée à retourner à son domicile le jour-même, elle a fait l'objet d'une nouvelle hospitalisation à la clinique Paoli le 8 septembre suivant où elle est décédée le 10 suivant. Par un jugement du 17 octobre 2023, le tribunal administratif de Marseille, saisi par son fils, M. B... A..., a estimé que le centre hospitalier d'Arles avait, à cette occasion, commis des fautes médicales, puis a engagé la responsabilité de celui-ci à hauteur de 10 %, correspondant au taux de perte de chance d'éviter le décès de Mme A... et condamné le centre hospitalier d'Arles à verser à M. A..., en tant qu'ayant-droit de sa mère, la somme de 720 euros en réparation des préjudices subis par Mme A... et, au titre de ses préjudices propres, la somme de 600 euros. M. A..., relève appel de ce jugement en sollicitant une meilleure et plus ample indemnisation.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle.
3. Si M. A... invoque pour la première fois en appel la réparation de deux nouveaux chefs de préjudice, à savoir le préjudice d'angoisse de mort imminente subi par sa mère et les frais d'obsèques consécutifs au décès de celle-ci, ils se rattachent cependant au même fait générateur que celui dont il avait saisi les premiers juges. En outre, il avait, devant ces derniers, chiffré à 65 000 euros le montant total de l'indemnité qu'il sollicitait. S'il ne chiffre pas en appel le montant total de ses prétentions, il résulte toutefois de ses écritures qu'il a implicitement renoncé à la réparation du chef de préjudice de perte de chance de survie pour lesquels il demandait en première instance la somme de 15 000 euros et ne demande en appel que le versement des sommes de 2 000 et 248 euros au titre des nouveaux préjudices qu'il invoque, de sorte que sa demande en appel demeure dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance. Il suit de là que les deux nouveaux chefs de préjudice dont M. A... demande pour la première fois en appel la réparation sont recevables.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier d'Arles :
4. Aux termes de l'article L. 1142-1 de ce code : "Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".
5. Il résulte de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas contesté en défense, que les services du centre hospitalier d'Arles ont commis deux séries de fautes à l'occasion de la prise en charge de Mme A....
6. Ainsi, d'une part, alors que Mme A..., qui était âgée de 81 ans, présentait une fracture des côtes, les services du centre hospitalier d'Arles ont omis de relever qu'elle était sous traitement anticoagulant qui exposait l'intéressée à un risque de saignements progressifs et insidieux dans la cavité thoracique. Ils n'ont pas non plus effectué un bilan biologique en dépit de l'état antérieur de la patiente, caractérisé par une fibrillation auriculaire chronique et une insuffisance cardiaque. Ils lui ont par ailleurs prescrit une dose excessive de paracétamol au regard de l'insuffisance rénale dont elle était atteinte. Enfin, ils lui ont indiqué de retourner à son domicile sans prendre en compte le fait qu'elle vivait seule et sans organiser les mesures de suivi spécifique à domicile. Il résulte également de l'instruction que Mme A... est décédée du fait d'un saignement diffus lié aux fractures traumatiques des côtes, majoré par un traitement anticoagulant au long cours, et que les fautes qui viennent d'être relevées lui ont fait perdre une chance de 10 % d'éviter la complication fatale de ses fractures initiales. M. A... est donc fondé à solliciter l'engagement de la responsabilité, à hauteur de 10 %, du centre hospitalier d'Arles en réparation des conséquences dommageables liées auxdites fautes.
7. D'autre part, il résulte également de l'instruction que les services de cet établissement ont prescrit à Mme A... une dose insuffisante d'antalgiques, le bilan d'entrée à la clinique Paoli le 8 septembre mentionnant une douleur de 7 sur une échelle de 10 du fait de ses douleurs liées aux fractures de ses côtes. Il en résulte encore, et notamment du rapport d'expertise qui indique que " le seul préjudice directement imputable à l'insuffisance prise en charge est constitué par les souffrances endurées estimées à 4/7 et caractérisé par un retour à domicile avec une prise en charge insuffisante de la douleur en lien avec les fractures des côtes ", que cette faute a fait perdre à Mme A... non pas seulement 10 % comme l'a jugé le tribunal mais 100 % de chances d'éviter la pleine intensité des douleurs liées directement à la fracture des côtes. Par suite et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, M. A... est fondé à solliciter l'engagement de la responsabilité, à hauteur de 100 %, du centre hospitalier d'Arles en réparation des conséquences dommageables liées à cette faute.
En ce qui concerne les préjudices de la victime directe :
S'agissant du préjudice d'angoisse de mort imminente :
8. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, qu'alors que son état de santé était détérioré, Mme A... a refusé à plusieurs reprises le conseil de son fils qui lui proposait de consulter de nouveau son médecin traitant en lui expliquant, selon le récit qu'il en fait, que " les soins avaient été correctement mis en place à l'hôpital et qu'il n'était pas utile de déranger le médecin ". Il résulte également de l'instruction que l'expert relève uniquement l'état de fatigue intense et de douleurs aux côtes exprimées par la patiente lors de son séjour à la clinique Paoli du 8 au 10 septembre 2018. Dès lors, il ne résulte pas de l'instruction que Mme A... aurait éprouvé la conscience d'une espérance de vie réduite. Par suite, la demande faite par le requérant tendant à obtenir réparation du préjudice d'angoisse de mort imminente subi par sa mère ne peut qu'être rejetée.
S'agissant des souffrances endurées :
9. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise précité, que Mme A... a, durant une période de trois jours, enduré des souffrances aux côtes du fait d'un dosage insuffisant d'antalgiques et que l'expert a évaluées à 4 sur 7. Dans les circonstances de l'espèce et compte tenu néanmoins de la faible durée durant laquelle ces souffrances ont été subies, il y a lieu de faire une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 3 000 euros après application du taux de perte de chance de 100 % retenu au point 7.
En ce qui concerne les préjudices de la victime indirecte :
S'agissant du préjudice d'affection :
10. Compte tenu de ce que M. A... justifie de l'existence d'un lien intense entre lui et sa mère qu'il visitait quotidiennement et accompagnait faire ses courses, il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection qu'il a subi du fait du décès de sa mère en l'évaluant, non pas à 600 euros comme l'a fait le tribunal après application du taux de perte de chance de 10 %, mais à la somme de 650 euros après application de ce même taux.
S'agissant des frais d'obsèques :
11. M. A... justifie par la production de cinq factures avoir exposé la somme totale de 2 480,99 euros au titre des frais d'obsèques de sa mère. Ce préjudice étant directement lié au décès de sa mère, il sera fixé, après application du taux de perte de chance de 10 % retenu au point 6, à la somme de 248,10 euros.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a limité à la somme de 720 euros le montant de la réparation des préjudices subis par Mme A... et à la somme de 600 euros celui de la réparation de ses préjudices propres et qu'il y a lieu de condamner le centre hospitalier d'Arles à payer à M. A..., en sa qualité d'ayant-droit de Mme A..., la somme de 3 000 euros et à M. A... en son nom propre la somme de 898,10 euros. Il y a lieu de réformer le jugement attaqué en ce sens.
Sur la déclaration d'arrêt commun :
13. Il y a lieu de déclarer le présent arrêt commun à caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes, agissant pour le compte de la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, qui a indiqué ne pas formuler de demande à l'instance, et à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Garonne qui, régulièrement mise en cause dans la présente instance, n'a pas produit de mémoire.
Sur la charge des frais d'expertise :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal, de laisser à la charge du centre hospitalier d'Arles les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 400 euros par une ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Marseille du 6 mai 2021.
Sur les frais de procédure :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du centre hospitalier d'Arles la somme de 1 500 euros que M. A... sollicite à ce titre.
D É C I D E :
Article 1er : Le centre hospitalier d'Arles est condamné à verser à M. A..., en sa qualité d'ayant-droit de Mme A..., la somme de 3 000 euros.
Article 2 : Le centre hospitalier d'Arles est condamné à verser à M. A... la somme de 898,10 euros.
Article 3 : Le jugement n° 2104238 du 17 octobre 2023 rendu par le tribunal administratif de Marseille est réformé en ce qu'il est contraire à la présente décision.
Article 4 : Le présent arrêt est déclaré commun à la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes agissant pour la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône et à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Garonne.
Article 5 : Le centre hospitalier d'Arles versera la somme de 1 500 euros à M. A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au centre hospitalier d'Arles, à la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes agissant pour le compte de la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône et à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Garonne.
Copie en sera adressée à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 5 septembre 2024 où siégeaient :
- Mme Fedi, présidente de chambre,
- Mme Rigaud, présidente-assesseure,
- M. Mahmouti, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 septembre 2024.
2
N° 23MA03041