Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SCP BTSG², mandataire judiciaire de la SARL Montmelian Distribution a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat à lui verser la somme de 501 310 euros en réparation de son préjudice financier résultant des fautes commises par la commune qui a laissé perdurer un bail commercial sur le domaine public et a donné son accord aux différentes cessions dudit bail.
Par un jugement n° 1901066 du 14 février 2023, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 avril 2023 et 5 janvier 2024, sous le n° 23MA00888, la SCP BTSG2, liquidateur judiciaire de la SARL Montmelian Distribution, représentée par Me Millet, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 14 février 2023 ;
2°) de condamner la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat à lui verser, à titre principal, la somme de 285 749 euros et, à titre subsidiaire, la somme de 126 820 euros en réparation du préjudice financier subi ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a estimé à tort, par une appréciation inopérante et erronée en droit, que la SARL Montmelian Distribution ne pouvait ignorer que le bail commercial avait été conclu sur le domaine public de la commune étant donné qu'il existait une convention d'occupation du domaine public concernant la terrasse ;
- la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat a commis une faute en consentant un bail commercial pour un local appartenant au domaine public ;
- elle a commis une faute en négligeant, lors de la conclusion du bail commercial, le 1er juin 2007, de mentionner les éventuelles conséquences de la procédure contentieuse pendante devant le tribunal administratif de Nice et en ne tirant pas les conséquences du jugement de ce tribunal du 7 juillet 2009 ;
- elle a commis une faute en laissant le bail se poursuivre et en donnant son accord aux différentes cessions du fonds de commerce ;
- la mention à l'acte de cession du fonds de commerce d'un droit de terrasse sur le domaine public n'est pas de nature à exonérer la responsabilité de la commune ;
- elle a subi, à titre principal, un préjudice financier évalué à la somme de 285 749 euros ;
- à titre subsidiaire, ce préjudice sera évalué à 126 820 euros au titre des immobilisations corporelles.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 décembre 2023, la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat, représentée par Me Rouillot, conclut au rejet de la requête de la SCP BTSG2 et, par la voie de l'appel incident, demande à la Cour :
1°) d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a jugé que la commune a pu induire en erreur la société Montmelian Distribution sur l'existence d'un bail commercial ;
2°) de rejeter l'ensemble des demandes indemnitaires de la SCP BTSG2 ;
3°) de mettre à sa charge la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- à titre principal, elle n'a commis aucune faute ;
- les moyens soulevés par la SCP BTSG2 ne sont pas fondés ;
- à titre subsidiaire, elle ne peut avoir qu'une responsabilité partielle dans le préjudice allégué ;
- le montant du préjudice allégué est disproportionné et se chiffre entre 5 780 euros et 14 220 euros.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions incidentes de la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat tendant à l'infirmation du jugement en ce qu'il a jugé que la commune a pu induire en erreur la société Montmelian Distribution sur l'existence d'un bail commercial dès lors qu'elles ne sont pas dirigées contre le dispositif du jugement mais contre ses motifs.
Des observations en réponse au moyen d'ordre public ont été produites le 2 septembre 2024 par la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat, et communiquées le même jour.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marchessaux ;
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public ;
- et les observations de Me Bosetti, substituant Me Rouillot, représentant la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat est propriétaire d'un ensemble immobilier, situé sur le port de plaisance de Saint-Jean-Cap-Ferrat, correspondant aux parcelles cadastrées section AI n° 567 et 544. Elle a conclu, le 31 mai 2007, un bail commercial avec Mme B... épouse A..., portant sur cinq alvéoles numérotées 211 à 215 situées sur une partie déclassée de la parcelle cadastrée n° AI 567, pour une durée de neuf ans, à compter du 1er juin 2007. Toutefois, les délibérations du conseil municipal du 1er septembre et 6 septembre 2005, ayant procédé au déclassement du domaine public de la place du Centenaire et des parcelles concernées par un projet de réaménagement, ont été annulées par un jugement n° 0505594 et 0506446 du tribunal administratif de Nice du 7 juillet 2009, confirmé par un arrêt n° 09MA03473 du 22 novembre 2011 de la cour administrative d'appel de Marseille. Le fonds de commerce concernant le local faisant l'objet du bail commercial, qui a été cédé à plusieurs reprises, avec droit au bail, a été acquis en dernier lieu par la SARL Montmelian Distribution, le 22 juin 2015. A la suite de difficultés financières, cette société a été placée en redressement judiciaire, par un jugement du tribunal de commerce de Nice du 2 février 2017, puis en liquidation judiciaire, par un jugement du 17 février 2018. Dans le cadre de cette procédure, la SCP BTSG², en sa qualité de liquidateur judiciaire, a souhaité céder le fonds de commerce. Par courrier du 27 février 2018, la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat s'y est opposée au motif que le local était situé sur son domaine public. Par un courrier du 30 juillet 2018, la société requérante a formulé une demande préalable indemnitaire qui a été implicitement rejetée par la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat. La SCP BTSG2 relève appel du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat à lui verser la somme de 501 310 euros en réparation de son préjudice financier qu'elle évalue désormais à la somme de 285 749 euros.
Sur la recevabilité des conclusions incidentes de la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat :
2. Les conclusions incidentes de la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat tendant à l'infirmation du jugement attaqué en ce qu'il a jugé qu'elle a pu induire en erreur la société Montmelian Distribution sur l'existence d'un bail commercial sont irrecevables dès lors qu'elles ne sont pas dirigées contre le dispositif du jugement mais contre ses motifs.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat :
3. En raison du caractère précaire et personnel des titres d'occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d'un bail commercial, un tel bail ne saurait être conclu sur le domaine public. Lorsque l'autorité gestionnaire du domaine public conclut un " bail commercial " pour l'exploitation d'un bien sur le domaine public ou laisse croire à l'exploitant de ce bien qu'il bénéficie des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux, elle commet une faute de nature à engager sa responsabilité. Cet exploitant peut alors prétendre, sous réserve, le cas échéant, de ses propres fautes, à être indemnisé de l'ensemble des dépenses dont il justifie qu'elles n'ont été exposées que dans la perspective d'une exploitation dans le cadre d'un bail commercial ainsi que des préjudices commerciaux et, le cas échéant, financiers qui résultent directement de la faute qu'a commise l'autorité gestionnaire du domaine public en l'induisant en erreur sur l'étendue de ses droits.
4. Si, en outre, l'autorité gestionnaire du domaine met fin avant son terme au bail commercial illégalement conclu en l'absence de toute faute de l'exploitant, celui-ci doit être regardé, pour l'indemnisation des préjudices qu'il invoque, comme ayant été titulaire d'un contrat portant autorisation d'occupation du domaine public pour la durée du bail conclu. Il est à ce titre en principe en droit, sous réserve qu'il n'en résulte aucune double indemnisation, d'obtenir réparation du préjudice direct et certain résultant de la résiliation unilatérale d'une telle convention avant son terme, tel que la perte des bénéfices découlant d'une occupation conforme aux exigences de la protection du domaine public et des dépenses exposées pour l'occupation normale du domaine, qui auraient dû être couvertes au terme de cette occupation.
5. En revanche, eu égard au caractère révocable et personnel, déjà rappelé, d'une autorisation d'occupation du domaine public, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d'un fonds de commerce dont l'occupant serait propriétaire. Si la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises a introduit dans le code général de la propriété des personnes publiques un article L. 2124-32-1, aux termes duquel " Un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l'existence d'une clientèle propre ", ces dispositions ne sont, dès lors que la loi n'en a pas disposé autrement, applicables qu'aux fonds de commerce dont les exploitants occupent le domaine public en vertu de titres délivrés à compter de son entrée en vigueur. Par suite, l'exploitant qui occupe le domaine public ou doit être regardé comme l'occupant en vertu d'un titre délivré avant cette date, qui n'a jamais été légalement propriétaire d'un fonds de commerce, ne peut prétendre à l'indemnisation de la perte d'un tel fond.
6. En l'espèce, la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat, propriétaire d'un ensemble immobilier, situé sur le port de plaisance de Saint-Jean-Cap-Ferrat, correspondant aux parcelles cadastrées section AI n° 567 et 544, a conclu, le 31 mai 2007, un " bail commercial " avec Mme B... épouse A..., portant sur cinq alvéoles numérotées 211 à 215 situées sur une partie de la parcelle cadastrée n° AI 567, pour une durée de neuf ans, à compter du 1er juin 2007. Ainsi qu'il a été dit au point 1, cette parcelle appartient au domaine public de la commune dès lors que les délibérations du conseil municipal du 1er septembre et 6 septembre 2005, ayant procédé au déclassement du domaine public de la place du Centenaire et des parcelles concernées par un projet de réaménagement, ont été annulées par un jugement du tribunal administratif de Nice du 7 juillet 2009, confirmé par un arrêt du 22 novembre 2011 de la Cour administrative d'appel de Marseille. Par ailleurs, ce " bail commercial " a ensuite été cédé entre des personnes privées à plusieurs reprises et en dernier lieu, le 22 juin 2015, par la SARL L'Esprit de Famille à la SARL Montmelian Distribution, au droit de laquelle vient la SCP BTSG², en sa qualité de liquidateur judiciaire. Or, il résulte de l'instruction que la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat a laissé le " bail commercial " précité se poursuivre postérieurement au jugement du tribunal administratif de Nice du 7 juillet 2009 alors que la conclusion d'un tel bail sur le domaine public communal était impossible comme dit au point 3. En particulier, il résulte d'un courrier du 15 avril 2015, que le maire de Saint-Jean-Cap-Ferrat a rappelé à la SARL L'Esprit de Famille que " le bail commercial " en date du 31 mai 2007 autorise exclusivement l'activité de " restaurant et de glacier " sans toutefois l'informer de ce qu'un tel bail ne pouvait être conclu sur son domaine public. Par suite, la SCP BTSG² est fondée à soutenir que la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
En ce qui concerne la responsabilité de la SARL Montmelian Distribution :
7. Il résulte de l'instruction que l'acte de cession du fonds de commerce signé, le 22 juin 2015, entre la société L'Esprit de Famille et la SARL Montmelian Distribution mentionnait que l'exploitation de la terrasse extérieure de 60 m² sur le port résultait d'une convention d'occupation du domaine public portuaire, et que " le cessionnaire déclare à ce titre être parfaitement informé de son obligation de formuler une demande de convention auprès de la société du Nouveau Port de Saint-Jean-Cap-Ferrat et des termes du règlement d'occupation du domaine public sur le port de Saint-Jean-Cap-Ferrat ". Toutefois, cette seule mention n'est pas de nature à établir que la SARL Montmelian Distribution avait connaissance de ce que le " bail commercial " avait été conclu sur le domaine public de la commune dès lors que la convention d'occupation du domaine public portuaire ne concernait que la terrasse. Il en va de même de la circonstance alléguée par la commune de ce que la configuration du port de Saint-Jean-Cap-Ferrat, sur lequel sont établies plusieurs alvéoles abritant des commerces, pose la même problématique pour chacun des commerçants. Par suite, il ne résulte pas de l'instruction que la SARL Montmelian Distribution aurait commis une faute de nature à exonérer la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat de sa responsabilité.
En ce qui concerne les préjudices subis par la SCP BTSG2 :
8. En premier lieu, la société BTSG2 soutient que pour acquérir le fonds de commerce le 22 juin 2015, pour le prix de 460 000 euros, elle a dû contracter un emprunt de 310 000 euros, auprès de la caisse régionale du Crédit Agricole et que dans le cadre de la liquidation judiciaire, la banque a produit une créance au passif d'un montant de 285 749 euros dont elle demande le remboursement. Toutefois, comme dit précédemment au point 3, eu égard au caractère révocable et personnel d'une autorisation d'occupation du domaine public, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d'un fonds de commerce dont l'occupant serait propriétaire. La SCP BTSG2 occupant le domaine public en vertu d'un titre délivré antérieurement à la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises qui a permis dans certaines conditions l'exploitation d'un fonds de commerce sur le domaine public, elle n'a dès lors jamais été légalement propriétaire d'un fonds de commerce et ne peut prétendre à l'indemnisation de la perte d'un tel fonds évaluée à la somme de 460 000 euros, ni à l'indemnisation de la somme restant due à la banque d'un montant de 285 749 euros dans le cadre de l'emprunt qu'elle a contracté pour l'acquisition de ce fonds de commerce.
9. En second lieu, la société BTSG2 demande subsidiairement l'indemnisation des immobilisations corporelles estimées à 126 820 euros dans le bilan actif dressé au 30 avril 2016. Cependant, il résulte de l'instruction que l'offre de vente du fonds de commerce rédigée le 28 janvier 2018, par la SCP BTSG2 mentionne, au titre des éléments corporels, du matériel en pleine propriété pour une valeur de 14 220 euros. Par suite, ces éléments font partie du fonds de commerce et sont destinés à être vendus. Il n'y a dès lors pas lieu de condamner la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat à lui verser cette somme à ce titre.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la SCP BTSG2 n'est pas fondée à se plaindre de ce que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat à lui verser la somme de 285 749 euros en réparation de son préjudice financier.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la SCP BTSG2 au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCP BTSG2 la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SCP BTSG2 est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel de la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCP BTSG2 et à la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat.
Délibéré après l'audience du 6 septembre 2024, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Marchessaux, première conseillère,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 septembre 2024.
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N° 23MA00888
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