Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge, en droits et majorations, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2013.
Par un jugement n° 1900968 du 29 avril 2022, le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 4 juillet 2022, 5 mars 2023 et 19 mars 2024, M. et Mme B..., représentés par Me Maillard, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1900968 du 29 avril 2022 du tribunal administratif de Toulon ;
2°) de prononcer la décharge demandée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- l'administration fiscale n'établit pas le caractère excessif de l'indemnité d'éviction que la société 2 CNV Invest a versée à la société Acier Tubes et Profils en 2013 ;
- le bailleur avait un intérêt à verser cette indemnité d'éviction ;
- les dispositions du 1° du 7 de l'article 158 du code général des impôts méconnaissent l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les stipulations combinées de cet article et de l'article 14 de la convention ;
- la majoration pour manquement délibéré n'est pas fondée.
Par des mémoires en défense enregistrés les 9 novembre 2022, 22 mars 2023 et 17 avril 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au non-lieu à statuer à concurrence du dégrèvement prononcé en cours d'instance et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par M. et Mme B... à l'encontre des impositions restant en litige ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Platillero,
- et les conclusions de M. Ury, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... et Mme C... B..., née D..., associée à hauteur de 25 % de la société à responsabilité limitée 2 CNV Invest, holding de gestion en patrimoine immobilier qui a opté pour le régime des sociétés de personnes, ont fait l'objet d'un contrôle sur pièces, à l'issue duquel une proposition de rectification du 8 décembre 2015 leur a été notifiée, tirant les conséquences de la vérification de comptabilité dont a fait l'objet cette société. Au terme de la procédure, ils ont été assujettis à une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2013, assortie des intérêts de retard et de la majoration pour manquement délibéré. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 29 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande tendant à la décharge, en droits et majorations, de cette imposition.
Sur l'étendue du litige :
2. Par une décision du 17 avril 2024, postérieure à l'introduction de la requête, l'administration a prononcé un dégrèvement de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle M. et Mme B... ont été assujettis, à concurrence de 21 058 euros en droits et de 8 285 euros en majorations, correspondant à l'application des dispositions du 1° du 7 de l'article 158 du code général des impôts. Les conclusions de la requête sont ainsi devenues, dans cette mesure, sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
4. Le tribunal, après avoir exposé au point 5 du jugement attaqué le montant du préjudice subi par la société ATP admis par l'administration, a suffisamment précisé aux points 6 et 7 du même jugement les motifs pour lesquels il a écarté l'argumentation de M. et Mme B... tirée de ce que l'indemnité versée à cette société par la société 2 CNV Invest à la suite de la résiliation du bail commercial liant ces deux sociétés aurait correspondu en totalité à une indemnité d'éviction compensant la perte d'un droit au bail. M. et Mme B... ne sont ainsi pas fondés à soutenir que ce jugement serait insuffisamment motivé, faute pour les premiers juges d'avoir examiné le moyen tiré de ce que l'indemnité versée par la société 2 CNV Invest à la société ATP à raison de la résiliation du bail commercial avait pour contrepartie la perte de son droit au bail.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
5. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.
6. La société 2 CNV Invest était propriétaire d'un ensemble immobilier situé au 168 avenue Antoine Becquerel à La Garde dans le Var, qu'elle louait à la société Acier Tubes et Profils (ATP) depuis le 1er août 2007 en vertu d'un bail commercial de neuf ans renouvelable, ces deux sociétés ayant les mêmes associés et dirigeants. La société 2 CNV Invest a cédé ce bien, qui comportait notamment des ateliers et des bureaux, à la société Cambridge Realty de France pour une valeur de 1 700 000 euros, à la suite d'une promesse de vente conclue le 16 avril 2013 et d'un acte de vente signé le 27 juin 2013. Les sociétés 2 CNV Invest et ATP ont en parallèle signé le 23 mai 2013 un protocole de résiliation conventionnelle du bail commercial, qui stipulait une libération des locaux au 31 décembre 2013 et le versement par le bailleur au locataire d'une indemnité de résiliation anticipée d'un montant de 1 000 000 euros non soumise à la taxe sur la valeur ajoutée. Dans le cadre du débat oral et contradictoire mené durant le contrôle dont elle a fait l'objet, la société 2 CNV Invest a exposé que cette indemnité comprenait une première partie fondée sur la durée du bail restant à courir mais ne retenant qu'une durée de dix-huit mois, d'un montant de 111 000 euros compte tenu du prix du loyer mensuel fixé à 6 200 euros hors taxes, et une seconde partie calculée sur la base du pourcentage de la marge brute réalisée par la société ATP dans ses sites de l'agglomération toulonnaise, au prorata de la surface du terrain cédé, d'un montant de 897 000 euros, le montant total de l'indemnité ayant été arrondi à 1 000 000 euros. Au stade de la proposition de rectification, le vérificateur, estimant que l'indemnité versée était disproportionnée par rapport au préjudice subi par la société ATP, a retenu un montant d'indemnité déductible de 111 000 euros et a regardé le versement de la somme de 889 000 euros comme procédant d'une gestion commerciale anormale. A la suite de l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du 21 février 2017, l'administration a admis de porter l'indemnité déductible à 229 400 euros, correspondant à 37 mois de loyers à courir multipliés par le montant du loyer mensuel. Au stade du recours hiérarchique, elle a également admis de retenir une somme supplémentaire de 205 555 euros au titre de la perte de chiffre d'affaires, soit un total de 434 955 euros, la rectification au titre de la part excessive de l'indemnité versée étant réduite à un montant arrondi à 565 000 euros.
7. Il résulte de l'instruction que, alors que le protocole de résiliation conventionnelle du bail commercial du 23 mai 2013, qui prévoyait une indemnité d'un montant de 1 000 000 euros, était muet quant aux modalités d'établissement de cette indemnité en ce qui concerne les chefs de préjudice indemnisés et leur évaluation, l'administration, ainsi qu'il a été dit précédemment, a néanmoins admis d'accueillir les motifs exposés par la société 2 CNV Invest dans le cadre du débat oral et contradictoire, tirés de la perte du droit au maintien dans les lieux, dont elle a d'ailleurs majoré l'évaluation faite par la société, et de la perte de chiffre d'affaires, dont les modalités de calcul retenues au stade du recours hiérarchique ne sont pas contestées. Elle a ainsi admis les chefs de préjudice exposés selon les justifications avancées par la société 2 CNV Invest, alors même que le fonds de commerce de la société ATP n'a pas disparu, que cette société n'a pas reloué de locaux à la suite de la résiliation du bail commercial en continuant à bénéficier de locaux situés sur un terrain attenant, n'a procédé à aucun licenciement et n'a justifié d'aucun frais de déménagement et que, ainsi que le rappelle d'ailleurs le compte-rendu de l'entretien avec l'interlocuteur interrégional, aucun élément ne permet d'établir l'existence d'une perte de marge directement liée à la résiliation du bail commercial. En effet, la perte de chiffre d'affaires constatée sur l'établissement peut également trouver son origine dans une opération de restructuration par laquelle la société ATP a cédé le 30 septembre 2013 ses trois branches d'activité dans le cadre d'un apport partiel d'actifs auprès des sociétés ATP Toulon, ATP Cuers et ATP Dry et, le même jour par acte séparé, l'intégralité du stock à ces sociétés, la cession de l'immeuble s'inscrivant chronologiquement dans le cadre de cette opération de restructuration.
8. M. et Mme B..., qui, dès lors que l'administration s'est fondée sur les chefs de préjudice que la société 2 CNV Invest a indiqué elle-même avoir entendu indemniser dans les conditions précédemment exposées, ne sont pas fondés à soutenir qu'elle se serait fondée sur une " méthode radicalement viciée dans son principe " pour déterminer la part excessive de l'indemnité accordée à la société ATP, font toutefois valoir qu'elle n'a pas tenu compte de l'indemnisation de la perte du droit au bail subie par la société ATP, qui devrait être calculée comme en matière d'indemnité d'éviction en cas de non-renouvellement d'un bail commercial, ainsi qu'il a été invoqué à compter de la demande de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires.
9. Toutefois, d'une part, si M. et Mme B... soutiennent que, pour déterminer le préjudice subi par la société ATP et son montant, il conviendrait d'ajouter aux chefs de préjudice mentionnés au point 6 l'indemnisation de la perte du droit au bail, ils n'apportent aucun élément qu'eux seuls sont en mesure d'apporter de nature à justifier d'un cumul d'une indemnité calculée comme en matière d'indemnité d'éviction avec les autres chefs de préjudice admis par l'administration dans les conditions susmentionnées. D'autre part, ils soutiennent que l'indemnisation du droit au bail constitue une méthode " corrective " de celle exposée au cours du débat oral et contradictoire, en se fondant sur un rapport d'expertise du 5 février 2018, produit à l'occasion de l'entretien avec l'interlocuteur interrégional et procédant à un calcul comme en matière d'indemnité d'éviction, fixée à 950 000 euros à partir de la moyenne de deux méthodes. La première méthode, qui aboutit à une valeur du droit au bail de 1 100 000 euros, est toutefois insusceptible de justifier du préjudice effectivement subi par la société ATP, dès lors qu'elle résulte de la simple différence entre la valeur de cession du bien, dont M. et Mme B... reconnaissent d'ailleurs qu'elle était très supérieure à la valeur de marché, et la valeur du bien occupé, au demeurant fondée sur une rentabilité nette appuyée sur un montant de charges alléguées non justifiées. La seconde méthode d'évaluation exposée est fondée sur le différentiel de loyers, consistant à calculer la différence entre le montant du loyer tel qu'il aurait été si le bail avait été renouvelé et la valeur locative de marché des locaux, différence capitalisée selon un coefficient multiplicateur dépendant de l'intérêt de l'emplacement par rapport à l'activité exercée par le locataire, et aboutit à une valeur de 788 000 euros. Toutefois, si l'expert estime la valeur locative de marché à la date de résiliation du bail à 100 euros annuel par m², cette valeur, qui ne résulte pas de la moyenne des comparables mentionnés dans le rapport, n'est pas justifiée, pas plus que le coefficient multiplicateur de 8 retenu pour évaluer la commercialité des locaux constitués notamment d'ateliers et de bureaux situés dans une zone industrielle et commerciale de La Garde. Dans ces conditions, il ne résulte pas de ces éléments que le préjudice causé à la société ATP du fait de la résiliation du bail commercial, calculé comme en matière d'indemnité d'éviction, serait supérieur au montant admis par l'administration, calculé à partir des éléments dont s'est prévalue la société 2 CNV Invest pour justifier du versement de l'indemnité en litige.
10. Par ailleurs, M. et Mme B... font valoir que l'indemnité versée à la société ATP était assortie de contreparties, résultant de la possibilité pour la société 2 CNV Invest de vendre le terrain au prix de 1 700 000 euros très supérieur au prix du marché, d'assurer la sécurité juridique de l'opération de restructuration de la société ATP, dès lors que son repreneur aurait recherché la responsabilité de la société 2 CNV Invest en l'absence d'indemnité, et d'améliorer la situation de trésorerie de la société ATP. Toutefois, outre que l'administration n'a pas estimé que l'indemnité versée était dépourvue de toute contrepartie, dès lors que M. et Mme B... ont constamment exposé que l'indemnité versée à la société ATP avait pour seul objet de compenser les préjudices subis par cette société du fait de la résiliation du bail commercial, ce que confirme l'absence de soumission à la taxe sur la valeur ajoutée, ils ne sauraient utilement soutenir, au demeurant sans l'établir en se bornant à faire état du prix de vente du bien, que cette indemnité aurait eu pour contrepartie la rémunération d'un service rendu par la société ATP pour permettre une vente par la société 2 CNV Invest à un prix avantageux ou un service rendu par la société 2 CNV Invest à la société ATP pour améliorer les conditions de sa restructuration.
11. Il résulte de ce qui précède que l'administration établit que l'indemnité versée en réparation des préjudices subis par la résiliation du bail commercial à la société ATP par la société 2 CNV Invest, alors que ces deux sociétés ont les mêmes associés et sont liées par une communauté d'intérêts, était excessive et que son montant ne pouvait excéder la somme de 434 955 euros, la société 2 CNV Invest ayant décidé de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt en versant une somme de 1 000 000 euros.
Sur les pénalités :
12. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration (...) entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
13. Pour justifier l'application de la majoration pour manquement délibéré à la rectification précédemment décrite, l'administration s'est fondée sur les circonstances, d'une part, que l'indemnité de 1 000 000 euros, d'un montant excessif au regard du préjudice effectivement subi ainsi qu'il a été dit précédemment, représentait 58,82 % du prix de la vente du bien et avait pour effet de diminuer de manière très importante la plus-value réalisée au titre de cette vente et par suite l'imposition sur les bénéfices à répartir entre les associés à raison de leur quote-part, les sociétés 2 CNV Invest et ATP ayant les mêmes associés et dirigeants, et, d'autre part, que la plus-value réalisée par la société ATP sur l'apport partiel d'actif à la suite de sa restructuration avait été déduite de son résultat fiscal, créant un déficit fiscal malgré la comptabilisation en produit de l'indemnité, les résultats des deux sociétés étant ajustés de manière délibérée afin de limiter leur imposition, notamment celle de la société 2 CNV Invest. Dans ces conditions, l'administration établit l'existence d'un manquement délibéré et, par suite, justifie de l'application de la majoration prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté le surplus des conclusions de leur demande. Leurs conclusions aux fins d'annulation de ce jugement et de décharge, en droits et majorations, des impositions restant en litige doivent dès lors être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que M. et Mme B... demandent au titre des frais qu'ils ont exposés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1 : Il n'y a pas lieu de statuer à concurrence du dégrèvement prononcé en cours d'instance.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme B... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 5 septembre 2024, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- M. Platillero, président assesseur,
- Mme Mastrantuono, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 septembre 2024.
Le rapporteur,
signé
F. PLATILLEROLa présidente de la 3ème chambre,
signé
E. PAIXLa greffière,
signé
C. PONS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 22MA01895