Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2009 et 2010.
Par un jugement n° 1903186 du 10 octobre 2022, le tribunal administratif de Toulon a constaté qu'il n'y avait plus lieu à statuer à concurrence d'une somme de 28 984 euros et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 9 décembre 2022, 4 janvier, 7 mai et 24 mai 2024, ainsi qu'un mémoire enregistré le 6 juin 2024 et non communiqué, M. B..., représenté par Me Mundet, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 10 octobre 2022 en tant qu'il a rejeté le surplus de la demande ;
2°) de faire droit au surplus de la demande de première instance, subsidiairement en prononçant une réduction des cotisations d'impositions litigieuses ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 7 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les dispositions de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales n'ont pas été respectées lors du contrôle de la SARL Tropicana ; il n'est pas établi qu'un avis de vérification aurait été remis le jour du contrôle inopiné, et l'administration a débuté la vérification de comptabilité dès ce jour ; il est fondé à se prévaloir de ces irrégularités dès lors que les impositions rappelées résultent de cette vérification ;
- il n'est pas justifié que la SARL a bénéficié du recours hiérarchique qu'elle avait pourtant sollicité ;
- il ne supporte pas la charge de la preuve de l'exagération des impositions dès lors qu'il a répondu à la proposition de rectification ;
- la seule absence de pièces justificatives des recettes ne suffit pas à justifier du rejet de la comptabilité de la société, alors qu'aucune anomalie significative n'a été relevée ; contrairement à ce qu'a relevé l'administration, il n'y a pas d'incohérence entre les achats-revendus et les tickets Z, ni d'absence d'enregistrement de vente de certains produits, laquelle au demeurant ne concerne que l'activité très mineure de " boutique " ; les soldes créditeurs du compte-caisse, qui est un compte de centralisation comptable vérifié annuellement, ne sont qu'épisodiques et de montants peu importants ;
- la référence aux exercices postérieurs, alors que les conditions d'exploitation étaient similaires et qu'un logiciel de caisse sauvegardant les données était utilisé, justifie le caractère exagéré des recettes telles qu'établies par la reconstitution administrative ; ce caractère ressort également de la comparaison avec les coefficients de marge moyens établis par les centres de gestion agréés ;
- le chiffre d'affaires reconstitué de façon très théorique devrait être, a minima, pondéré avec la moyenne de chiffre d'affaires des quatre années postérieures ;
- il n'a pas contre-signé la désignation faite par la société quant au bénéficiaire des revenus distribués, sur le fondement de l'article 117 du code général des impôts ; cette désignation était au demeurant imprécise et hypothétique ; elle ne pouvait être retenue par l'administration ;
- l'administration ne justifie pas qu'il aurait la qualité de maître de l'affaire ;
- il n'est pas justifié qu'il aurait appréhendé les sommes en cause ; aucun accroissement significatif de son patrimoine n'a été constaté ;
- la sanction prononcée sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts est insuffisamment motivée ;
- l'intention d'éluder l'impôt n'est pas établie.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 4 mai 2023, 22 avril et 15 mai 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné Mme Aurélia Vincent, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Poullain,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Mundet, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. A la suite de la vérification de comptabilité de la SARL Tropicana, qui exploite un bar-restaurant et une plage à Ramatuelle, l'administration fiscale a procédé à l'imposition des revenus réputés distribués au titre des années 2009 et 2010 entre les mains de son gérant, M. B.... L'intéressé relève appel du jugement du tribunal administratif de Toulon ayant rejeté sa demande tendant à obtenir la décharge, en droits et pénalités, des impositions demeurant en litige, dont le montant s'élève à la somme totale de 555 254 euros.
Sur la procédure d'imposition :
2. En vertu du principe d'indépendance des procédures, les moyens relatifs à la régularité de la procédure d'imposition suivie à l'encontre d'une société soumise au régime d'imposition des sociétés de capitaux sont sans influence sur les impositions personnelles mises à la charge des bénéficiaires des revenus de capitaux mobiliers distribués par cette société. Par suite, M. B... ne peut utilement faire valoir, pour contester les impositions en litige, que la procédure de vérification de comptabilité de la SARL Tropicana était irrégulière au regard des dispositions de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, que cette société aurait été privée de la possibilité d'effectuer un recours hiérarchique ou que la proposition de rectification qui lui a été adressée serait insuffisamment motivée. Ces moyens doivent, dès lors, être écartés.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne le rehaussement des bénéfices de la SARL Tropicana :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 54 du code général des impôts, rendu applicable en matière d'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " Les contribuables mentionnés à l'article 53 A sont tenus de représenter à toute réquisition de l'administration tous documents comptables, inventaires, copies de lettres, pièces de recettes et de dépenses de nature à justifier l'exactitude des résultats indiqués dans leur déclaration. (...) ".
4. Il résulte de l'instruction que, lors du contrôle dont elle a fait l'objet, la SARL Tropicana a présenté les " tickets Z " de l'activité du restaurant, édités de façon quotidienne, qui se limitent à globaliser les recettes. Dès lors que la société n'a jamais édité de bandes de contrôle, qui récapitulent chaque opération de vente, ni n'a conservé la totalité des doubles des notes des clients, les pièces produites ne permettent pas de justifier l'exactitude des résultats indiqués dans les déclarations fiscales de la société. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres anomalies relevées dans cette comptabilité, l'administration établit qu'elle présente de graves irrégularités et n'est pas probante.
5. En deuxième lieu, l'administration a reconstitué le chiffre d'affaires de l'activité " bar restaurant " de la SARL Tropicana, hors organisation d'événements pour lesquels le restaurant est " privatisé ", en utilisant la méthode des liquides, qui n'est pas seulement théorique ainsi que le soutient la requérante mais s'appuie sur les conditions réelles de son exploitation, particulièrement les quantités d'achats revendus comptabilisés et les prix de vente pratiqués par l'établissement. La circonstance que le chiffre d'affaires reconstitué par l'administration excèderait d'environ 30 % celui constaté au cours des années 2011 à 2014 alors que, durant cette période, la caisse utilisée enregistrait l'ensemble des opérations et la société conservait la totalité des doubles des notes des clients n'est pas de nature à remettre en cause le bien-fondé de la méthode de reconstitution dès lors que la requérante ne justifie pas, en se bornant à se référer à des données comptables, que les conditions d'exploitation de l'établissement auraient concrètement été, durant cette période postérieure, similaires à celles des années en litige. Au demeurant, l'administration fait valoir que les chiffres des exercices suivants, à partir de l'année 2015, étaient nettement supérieurs. De même, et eu égard particulièrement aux spécificités de cet établissement de plage, le fait que les coefficients de marge ressortant des déclarations fiscales de la société pour les années en litige et pour les années ultérieures soient identiques aux coefficients moyens pour la profession établis par les centres de gestion agréés, contrairement aux coefficients résultant de la reconstitution opérée par l'administration, est également, en lui-même, sans incidence sur l'appréciation de la méthode de reconstitution.
6. Pour les mêmes motifs que ceux qui viennent d'être exposés, une méthode assise pour moitié sur l'utilisation du chiffre d'affaires moyen des exercices 2011 à 2014 ne saurait être substituée à la méthode utilisée par l'administration. L'administration, à qui incombe la charge de la preuve ainsi que le soutient à bon droit le requérant, établit ainsi le bien-fondé de la reconstitution et M. B... n'est pas fondé à soutenir que les bénéfices de la SARL Tropicana au titre des exercices en litige auraient été exagérés.
En ce qui concerne les revenus distribués :
7. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109 les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés (...) ". Aux termes de l'article 117 du même code : " Au cas où la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu'il résulte des déclarations de la personne morale visées à l'article 116, celle-ci est invitée à fournir à l'administration, dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l'excédent de distribution (...) ".
8. D'une part, la lettre du 20 février 2012 par laquelle la SARL Tropicana, tout en niant l'existence de revenus distribués, a désigné M. B... comme en étant, le cas échant, le bénéficiaire, n'était signée que par le conseil de la société, et non par M. B.... Toutefois, il est constant que, dans sa réponse à la proposition de rectification qui lui a été personnellement adressée le 3 septembre 2012, M. B..., par la voie de son conseil, a confirmé qu'il était le bénéficiaire des revenus qui pourraient être réputés distribués.
9. D'autre part, et au demeurant, alors même que le nombre de parts sociales détenues par M. B... ne lui permet pas, aux termes des statuts de la société, d'arrêter seul les décisions collectives extraordinaires, il détient 91 % du capital social de la SARL La Tarte Tropézienne, laquelle détient elle-même 70 % de la SARL Tropicana, ce qui l'autorise à prendre seul l'ensemble des autres décisions. Il est, par ailleurs, gérant de la société, la représente seul vis-à-vis des tiers et est présent quasi-quotidiennement au sein de l'établissement exploité, quand bien même un directeur salarié l'est également. Dès lors, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, il est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et doit ainsi être regardé comme le maître de l'affaire. Il est ainsi, de ce fait également, présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle.
10. L'appelant ne se prévaut d'aucun élément susceptible de rapporter la preuve, qui lui incombe, de ce qu'il ne serait pas, en dépit de ces circonstances, le bénéficiaire effectif des revenus distribués par la SARL Tropicana.
Sur les pénalités :
11. D'une part, aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées (...) ". Ces dispositions imposent à l'administration d'énoncer les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision d'infliger une sanction fiscale. D'autre part, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ".
12. En l'espèce, la proposition de rectification cite ces dispositions et fait référence à l'importance, à la nature et au caractère répétitif des manquements, et précisément à la minoration volontaire du chiffre d'affaires de la SARL Tropicana, conduisant à retenir la notion de manquement délibéré à l'encontre de ses associés. Elle est, dès lors, suffisamment motivée.
13. Ainsi que le fait valoir l'administration, M. B..., en qualité de gérant de la société, n'a conservé aucun justificatif des recettes et les a minorées dans des proportions conséquentes. Dès lors qu'il est reconnu bénéficiaire des revenus correspondants, son intention d'éluder l'impôt est établie et il n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que la majoration pour manquement délibéré a été appliquée.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a, par le jugement attaqué, rejeté le surplus de sa demande.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est.
Délibéré après l'audience du 28 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Vincent, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Marchessaux, première conseillère,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 juillet 2024.
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N° 22MA03010
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