Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 12 novembre 2023 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a assorti cette mesure d'éloignement d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, et d'autre part, d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation et de lui délivrer un titre de séjour et enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2310728 du 12 janvier 2024, la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et a rejeté le surplus des conclusions.
Procédure devant la Cour :
I - Par une requête, enregistrée le 12 février 2024 sous le n° 24MA00295, M. B..., représenté par Me Gilbert, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2310728 du tribunal administratif de Marseille du
12 janvier 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 12 novembre 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer sa situation, de l'admettre au séjour et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour durant le réexamen ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté en litige est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- les dispositions de l'article 6-1 alinéa 5 de l'accord franco-algérien du
27 décembre 1968 modifié ont été méconnues ;
- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ;
- l'arrêté en litige a été pris au mépris de l'intérêt supérieur de ses enfants, tel que protégé par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire est illégale ;
- la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français est disproportionnée.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 mars 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2024, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête, en faisant valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
II - Par une requête, enregistrée le 12 février 2024 sous le n° 24MA00296, M. B..., représenté par Me Gilbert, demande à la Cour :
1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement n° 2310728 du 12 janvier 2024 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- il justifie de conséquences difficilement réparables en cas d'exécution de la décision administrative et que les moyens énoncés dans la requête sont sérieux ;
- la décision attaquée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît également l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2024, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant signée à New York le
26 janvier 1990 ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Revert, président assesseur, pour présider la formation de jugement de la 4ème chambre, en application des dispositions de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Revert a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant algérien né en 1977 et entré en France en décembre 2016 selon ses dires, a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du
12 novembre 2023 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par un jugement du 12 janvier 2024, dont
M. B... relève appel par sa requête n° 24MA00295 et demande le sursis à exécution par sa requête n° 24MA00296, la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la jonction :
2. Les requêtes enregistrées sous les n° 24MA00295 et n° 24MA00296 sont dirigées contre le même jugement et présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est présent de manière habituelle en France depuis décembre 2016 avec sa conjointe et leur fille aînée, née en Algérie le
4 juillet 2014, leurs deux autres enfants étant nés en France le 3 janvier 2017 et le
14 janvier 2024. Ses deux premiers enfants, dont l'aînée a effectué en France l'intégralité de sa scolarité primaire, obtiennent de très bons résultats scolaires, leurs enseignants soulignant leur rôle moteur en classe ainsi que l'implication de leurs parents qui assurent notamment la mission de parent délégué. Si M. B..., qui a été l'objet deux mesures d'éloignement en 2018 et en 2021, n'a pas entrepris de régulariser sa situation après le rejet de sa demande d'asile le
9 mars 2018, il justifie depuis le 1er janvier 2023 d'un contrat à durée indéterminée qui fait suite aux renouvellements de contrats à durée déterminée. Compte tenu de la durée et des conditions de leur séjour en France, la scolarisation des deux jeunes enfants de M. B... fait obstacle à la poursuite de la vie familiale hors de France, malgré la situation irrégulière de son épouse qui, néanmoins, exerce depuis 2018 des activités bénévoles. Dans les circonstances particulières de l'espèce, l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 12 novembre 2023 a donc porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. M. B... est donc fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, il y a lieu d'annuler ce jugement ainsi que l'arrêté en litige.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". L'article L. 911-2 du même code dispose que " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé./La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ".
6. Le présent arrêt implique nécessairement, compte tenu de son motif, non pas la délivrance à M. B... d'un titre de séjour, mais le réexamen de sa situation et dans l'attente d'une nouvelle décision du préfet le concernant, que l'intéressé soit muni d'une autorisation provisoire de séjour, en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a donc lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, d'une part, qu'il procède au réexamen de la situation de M. B... et qu'il prenne, dans le respect des motifs énoncés au point 4, une nouvelle décision le concernant, dans un délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt, et d'autre part que, durant ce délai, il le munisse d'une autorisation provisoire de séjour.
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :
7. Le présent arrêt se prononçant sur l'appel formé par M. B... contre le jugement du 12 janvier 2024, ses conclusions tendant au sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Il n'y a donc plus lieu d'y statuer.
Sur les frais liés au litige :
8. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Gilbert, avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des deux instances.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. B... tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2310728 rendu le 12 janvier 2024 par le tribunal administratif de Marseille.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 2310728 du 12 janvier 2024 et l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 12 novembre 2023 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône, d'une part, de procéder au réexamen de la situation de M. B... et de prendre une nouvelle décision le concernant, dans un délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt et d'autre part, durant ce délai, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'Etat versera à Me Gilbert la somme de 1 500 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat dans l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Gilbert et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 2 juillet 2024, où siégeaient :
- M. Revert, président,
- M. Martin, premier conseiller,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juillet 2024.
N° 24MA00295, 24MA002962