Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... Rigo a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 6 juillet 2020 par laquelle le président de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) Provence-Alpes-Côte-d'Azur lui a infligé la sanction disciplinaire de la révocation, d'enjoindre à la chambre de commerce et d'industrie de procéder à la reconstitution de sa carrière et de mettre à la charge de la compagnie consulaire une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2006143 du 25 mai 2023, le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, annulé cette décision de révocation, d'autre part enjoint au président de la
CCI Provence-Alpes-Côte-d'Azur de procéder à la réintégration de Mme Rigo, avec reconstitution de sa carrière, dans le délai d'un mois à compter de sa notification et a mis à la charge de la CCI de région la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 26 juin 2023, 11 mars 2024 et
15 avril 2024, la CCI Marseille-Provence et la CCI Provence-Alpes-Côte d'Azur, représentées par Me Grimaldi, demandent à la Cour,
1°) d'annuler ce jugement n° 2006143 du 25 mai 2023 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de mettre à la charge de Mme Rigo une somme de 6 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé la révocation en litige au motif de sa disproportion, alors que la condamnation prononcée contre l'agent en première instance a été aggravée en appel, que compte tenu du niveau de son emploi, elle ne pouvait ignorer la situation de conflit d'intérêts dans laquelle elle s'était placée, que l'avis défavorable du conseil de discipline est sans incidence sur la gravité de la faute commise, qu'il n'existe pas de circonstances atténuantes et qu'au contraire cette faute a porté atteinte à l'image et à la réputation de la compagnie consulaire.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 mars, 30 avril et 4 mai 2024,
Mme Rigo, représentée par Me Ceccaldi, conclut au rejet de la requête et, dans le dernier état de ses écritures, à ce que soit mise à la charge de la CCI Provence-Alpes-Côte d'Azur et de la CCI Marseille-Provence la somme de 18 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- l'argumentation des appelantes n'est pas fondée ;
- la sanction en litige est intervenue au terme d'une procédure irrégulière, faute pour l'agent d'avoir été informée de son droit à se taire, tel que consacré par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 ;
- la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010 ;
- la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 ;
- le décret n° 2019-1317 du 9 décembre 2019 ;
- l'arrêté du 25 juillet 1997 relatif au statut du personnel de l'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie, des chambres régionales de commerce et d'industrie, des chambres de commerce et d'industrie et des groupements consulaires ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Revert, président assesseur, pour présider la formation de jugement de la 4ème chambre, en application des dispositions de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me Schwing, substituant Me Grimaldi, représentant les chambres de commerce et d'industrie, de Me Muller, substituant Me Ceccaldi, représentant
Mme Rigo et de Mme Rigo.
Une note en délibéré présentée par Me Grimaldi, pour les chambres de commerce et d'industrie, a été enregistrée le 10 juillet 2024.
Une note en délibéré présentée par Me Ceccaldi, pour Mme Rigo, a été enregistrée le
11 juillet 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Mme Rigo, cheffe de projet en poste à la CCI Provence-Alpes-Côte d'Azur, de niveau 7, et exerçant les fonctions de responsable de communication et de coordonnatrice du programme dénommé " 4-Hélix ", a été révoquée à titre disciplinaire par une décision du président de la chambre du 6 juillet 2020, après avis défavorable du conseil de discipline du
30 juin 2020. Par un jugement du 25 mai 2023, dont la CCI Provence-Alpes-Côte d'Azur et la CCI Marseille-Provence relèvent appel, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision de révocation et enjoint au président de la CCI Provence-Alpes-Côte d'Azur de réintégrer Mme Rigo, ainsi que de reconstituer sa carrière, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Pour prononcer la révocation de Mme Rigo, le président de la CCI Provence-Alpes-Côte-d'Azur s'est fondé sur la situation de conflit d'intérêts dans laquelle l'intéressée s'est placée dans le cadre d'une procédure d'attribution d'assistance financée dont a pu bénéficier l'entreprise de son conjoint, et sur l'atteinte à l'image et à la réputation de l'organisme consulaire qui en est résultée.
3. En premier lieu, l'autorité absolue de la chose jugée par les juridictions répressives ne s'attache qu'aux constatations de fait qui sont le soutien nécessaire des jugements définitifs et statuent sur le fond de l'action publique. Une décision rendue en dernier ressort présente à cet égard un caractère définitif, même si elle peut encore faire l'objet d'un pourvoi en cassation ou est effectivement l'objet d'un tel pourvoi et si, par suite, elle n'est pas irrévocable.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme Rigo a exercé les fonctions de cheffe de projet du programme " 4-Hélix " consistant à subventionner des initiatives commerciales et industrielles dans l'économie bleue, au moyen de fonds provenant à 80% de l'Union européenne, et piloté par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, la CCI Provence-Alpes-Côte d'Azur ayant été chargée de diriger le comité de pilotage du projet. L'exécution de ce programme a impliqué en 2019, au sein de la chambre de commerce, la mise en place d'une procédure d'évaluation et de sélection des candidatures à ces aides. Il ressort également des pièces du dossier, et il est d'ailleurs constant, qu'au terme de cette procédure, la société du conjoint de Mme Rigo a figuré parmi les six entreprises sélectionnées et a pu bénéficier d'une assistance subventionnée à hauteur de 10 000 euros.
5. Il résulte des constatations de faits opérées par la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel d'Aix-en-Provence dans son arrêt du 17 octobre 2023, qui en sont le soutien nécessaire et qui s'imposent à la Cour avec l'autorité absolue de la chose jugée, que Mme Rigo, ainsi condamnée par le juge pénal pour prise illégale d'intérêts à une peine d'emprisonnement de deux ans avec sursis, à une amende de 2 000 euros et à une peine complémentaire de deux ans d'inéligibilité, a assuré en 2019 un rôle de coordination du projet " 4 Helix ", l'identifiant comme l'interlocutrice privilégiée en charge de ce projet, a signé le rapport d'évaluation des candidatures en tant que membre du comité local d'évaluation et a participé à la réunion du comité de sélection attribuant la note finale à chaque candidat, dont l'entreprise de son conjoint, sans prendre part au vote. L'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence constate aussi que l'une des collègues de Mme Rigo, également en charge du programme, lui a signalé la situation d'interférence entre les intérêts publics afférents à ce programme et les intérêts de son conjoint dans laquelle elle s'était placée et que l'intéressée n'a pas informé de cette situation les membres du comité de sélection.
6. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article 2 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, applicable notamment aux personnes chargées d'une mission de service public en vertu de l'article 1er de cette loi : " I. - Au sens de la présente loi, constitue un conflit d'intérêts toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction.// Lorsqu'ils estiment se trouver dans une telle situation : (...) 4° Les personnes chargées d'une mission de service public placées sous l'autorité d'un supérieur hiérarchique le saisissent ; ce dernier, à la suite de la saisine ou de sa propre initiative, confie, le cas échéant, la préparation ou l'élaboration de la décision à une autre personne placée sous son autorité hiérarchique.//(...) ". En outre, l'article 36 du statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie dispose : " Les mesures disciplinaires applicables aux agents titulaires sont :/ 1° L'avertissement, / 2° Le blâme avec inscription au dossier,/ 3° L'exclusion temporaire sans rémunération d'un à quinze jours, / 4° L'exclusion temporaire sans rémunération pour une durée de seize jours à six mois maximum (...),/ 5° La rétrogradation (avec baisse de l'indice de qualification et/ou de la rémunération) sous réserve du respect simultané des deux conditions suivantes : A - que le positionnement de l'emploi occupé par l'agent déterminé par la classification nationale des emplois le permette, B - que la baisse de la rémunération brute totale n'excède pas 10%./ En tout état de cause, la rétrogradation ne peut avoir pour effet une baisse de la rémunération en deçà du SMIC légal./ 6° la révocation ".
7. D'autre part, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
8. En se maintenant dans la situation d'interférence entre les intérêts publics poursuivis par son employeur public et ceux de son conjoint, décrite aux points 4 et 5 et constitutive d'un conflit d'intérêts au sens des dispositions législatives citées au point 6, qu'elle ne pouvait ignorer compte tenu de son rôle et de son niveau de responsabilités et que le juge pénal a par ailleurs qualifiée de prise illégale d'intérêts, et en s'abstenant de signaler cette situation au comité de sélection et à sa hiérarchie, dans le cadre de la procédure d'examen et de sélection des candidatures à l'attribution d'une assistance subventionnée, Mme Rigo a manqué à son devoir d'impartialité et à son obligation de loyauté à l'égard de son employeur. De telles fautes sont de nature à justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire.
9. Néanmoins, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme Rigo aurait tiré parti de ses fonctions pour favoriser la candidature de l'entreprise de son conjoint, tant au stade de l'évaluation que lors de la phase de sélection et d'attribution des aides. En outre, s'il ne peut être exclu que les manquements commis par Mme Rigo ont pu nuire à l'image de la chambre de commerce et d'industrie tant à l'égard du tribunal de commerce qui a reçu la dénonciation de ces faits du 7 janvier 2020, qu'à l'égard de ses partenaires dont les représentants ayant siégé dans le comité de sélection ont dû être entendus par les services de police lors de la procédure pénale, ainsi qu'envers la région, les appelantes, qui n'affirment pas que leurs relations avec ces interlocuteurs auraient pâti de ces circonstances, ne justifient pas d'une publicité qui leur aurait été donnée. Leur double affirmation, contredite par l'intimée, selon laquelle elles sont identifiées par les institutions européennes sur la liste des partenaires ayant généré une fraude et que le comportement de Mme Rigo a nui au bon fonctionnement de leurs services n'est étayée par aucun élément de l'instruction. Ainsi, compte tenu du caractère isolé des manquements ainsi commis par Mme Rigo, dont la manière de servir a été avant ces faits considérée comme satisfaisante, et malgré les conséquences financières de ceux-ci pour son employeur et la nature des fonctions de Mme Rigo au sein de la chambre de commerce et des missions de son service, le président de la CCI Provence-Alpes-Côte d'Azur a pris une sanction disproportionnée en décidant de la révoquer, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal.
10. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de l'appel en tant qu'il a été présenté par la CCI Marseille-Provence, celle-ci et la CCI Provence-Alpes-Côte d'Azur ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du 6 juillet 2020 du président de la
CCI Provence-Alpes-Côte d'Azur prononçant la révocation de Mme Rigo et a enjoint à la compagnie consulaire de réintégrer cet agent et de reconstituer sa carrière.
Sur les frais liés au litige :
11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à chaque partie la charge de ses frais d'instance.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la CCI Marseille-Provence et de la CCI Provence-Alpes-Côte d'Azur est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de Mme Rigo tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la chambre de commerce et d'industrie Marseille-Provence, à la chambre de commerce et d'industrie Provence-Alpes-Côte d'Azur et à
Mme A... Rigo.
Délibéré après l'audience du 2 juillet 2024, où siégeaient :
- M. Revert, président,
- M. Martin, premier conseiller,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juillet 2024.
N° 23MA015922