Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 30 novembre 2022 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n°2206109 du 21 mars 2023, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 21 août 2023, 12 janvier 2024 et 10 mars 2024, M. A..., représenté par Me Capdefosse, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 21 mars 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 30 novembre 2022 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision a été prise par une autorité incompétente ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, ainsi que les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
La procédure a été communiquée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui, en sa qualité d'observateur, a produit des observations le 12 février 2024.
La requête a été communiquée au préfet des Alpes-Maritimes qui n'a pas produit de mémoire.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 13 juillet 2023.
Par courrier du 14 juin 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative, que la cour était susceptible d'enjoindre d'office au préfet des Alpes-Maritimes de délivrer à M. A... un titre de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente de ce titre, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.
M. A... a présenté des observations sur cette lettre d'information par un mémoire enregistré le 14 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord modifié du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Danveau,
- et les observations de Me Capdefosse, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant tunisien né le 29 juin 1987, a fait l'objet d'un arrêté du 30 novembre 2022 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné. Il relève appel du jugement du 21 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa requête dirigée contre cet arrêté.
2. Aux termes de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 : " Sans préjudice des dispositions du b et du d de l'article 7 ter, les ressortissants tunisiens bénéficient, dans les conditions prévues par la législation française, de la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" ". Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'Office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. / Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée. (...) ".
3. Pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
4. Pour refuser de délivrer à M. A... le titre de séjour sollicité en raison de son état de santé, le préfet s'est approprié l'avis du collège de médecins en date du 28 mai 2021 selon lequel si l'état de santé du requérant nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, toutefois, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, et vers lequel il peut voyager sans risque médical, il peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est suivi depuis l'année 2010 pour des troubles psychiatriques, diagnostiqués comme étant une schizophrénie paranoïde, pour laquelle il avait obtenu une autorisation provisoire de séjour d'une durée de dix-huit mois. Il bénéficie d'un traitement mensuel par injection de Xeplion 150 mg. Son traitement médical nécessite également la prise de plusieurs médicaments, tels que le bipéridène, le lormétazépam, l'oxazépam et l'amisulpride. Il ressort des pièces du dossier, et il n'est pas contesté, que le Xeplion 150 mg, dont le principe actif est la palipéridone, n'est pas commercialisé en Tunisie. Si l'Office français de l'immigration et de l'intégration fait valoir qu'il existe en Tunisie un établissement spécialisé en soins psychiatriques et qu'un médicament de substitution, la rispéridone, est disponible dans ce pays et présente des effets pharmacologiques équivalents à la palipéridone, le certificat médical du 9 septembre 2014 du docteur B..., psychiatre au centre hospitalier spécialisé de Saint-Cyr au Mont d'Or, mentionne que M. A... " est intolérant à une classe thérapeutique (rispéridone) et aussi résistant malgré les associations des neuroleptiques ". Les certificats médicaux du docteur D..., psychiatre au centre hospitalier de Sainte-Marie, datés respectivement du 4 mars 2024 et du 4 avril 2024, certes postérieurs à l'arrêté attaqué mais révélant une situation de fait préexistante, confirment, en mentionnant la complexité de la pathologie psychiatrique de M. A..., qui a fait deux tentatives de suicide en 2012 et 2013, et la stabilisation de son état de santé grâce au traitement par Xeplion 150 mg, que le traitement par rispéridone administré initialement ne s'était pas révélé efficace. Le préfet des Alpes-Maritimes, qui n'a défendu ni en première instance ni en appel, n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause la teneur de ces éléments médicaux. Dans ces conditions, les éléments produits pour la première fois en appel par M. A... sont de nature à remettre en cause l'appréciation de l'administration en ce qui concerne l'existence d'un traitement approprié en Tunisie. Par suite, celui-ci est fondé à soutenir qu'en refusant de lui délivrer le titre de séjour demandé et en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet des Alpes-Maritimes a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement et les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande. Il est dès lors fondé à demander l'annulation de ce jugement ainsi que celle de la décision du préfet des Alpes-Maritimes du 30 novembre 2022.
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, en l'absence d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, la délivrance à M. A... d'un titre de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer ce titre de séjour dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente de ce titre, en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.
8. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Capdefosse, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Capdefosse de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2206109 du 21 mars 2023 du tribunal administratif de Nice et l'arrêté du 30 novembre 2022 du préfet des Alpes-Maritimes sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de délivrer à M. A... un titre de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Capdefosse, avocate de M. A..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Me Capdefosse et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes et à l'OFII
Délibéré après l'audience du 27 juin 2024, où siégeaient :
- Mme Fedi, présidente de chambre,
- Mme Rigaud, présidente assesseure,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juillet 2024.
N° 23MA02183 2