Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner solidairement la Société des Eaux de Marseille Métropole (SEMM), la société Veolia Eau Méditerranée et la société Allianz Global Corporate et Specialty à lui payer la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité provisionnelle à valoir sur l'indemnisation des préjudices qu'elle a subis suite à la chute dont elle a été victime le 6 février 2020 et de désigner un expert afin de déterminer les conséquences médico-légales de l'accident.
Par un jugement n° 2101992 du 30 mai 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la requête de Mme B....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 juillet 2023 et 8 septembre 2023, Mme B..., représentée par Me Manent, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 30 mai 2023 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de condamner solidairement la SEMM, la société Veolia Eau Méditerranée et la société Allianz Global Corporate et Specialty à lui payer la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité provisionnelle à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices ;
3°) de désigner un expert afin de déterminer les conséquences médico-légales de son accident ;
4°) de mettre à la charge solidaire de la SEMM, la société Veolia Eau Méditerranée et la société Allianz Global Corporate et Specialty les dépens et la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les circonstances de sa chute et le lien de causalité entre sa chute et la plaque d'égout sont établis ;
- la charge de la preuve de l'entretien normal incombe à la personne publique et non à l'usager ;
- aucune faute d'imprudence ne lui est imputable ;
- la SEMM, la société Veolia Eau Méditerranée et leur assureur ne peuvent utilement lui opposer les stipulations d'un contrat d'abonnement au service de l'eau potable conclu avec la société Sephora ;
- elle est fondée à ce qu'une provision de 3 000 euros lui soit versée et à ce qu'un expert soit désigné.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er septembre 2023, la SEMM, la société Veolia Eau Méditerranée et la société Allianz Global Corporate et Specialty, représentées par Me de Angelis, demandent à la cour :
1°) de rejeter la demande de Mme B... en toutes ses conclusions ;
2°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 1 500 euros à leur payer respectivement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles font valoir que :
- la matérialité des faits et le lien de causalité entre l'ouvrage public et les préjudices subis ne sont pas établis ;
- l'entretien du regard relève de la responsabilité de la société Sephora en vertu du contrat de fourniture d'eau potable souscrit auprès de la SEMM.
La requête a été communiquée à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône qui n'a pas présenté d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Danveau,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me Segond, représentant la SEMM, la société Veolia Eau Méditerranée et la société Allianz Global Corporate et Specialty.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... relève appel du jugement du 30 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de la société des Eaux de Marseille (SEMM), de la société Veolia Eau Méditerranée et de leur assureur, la société Allianz Global Corporate et Specialty, à lui payer une provision de 3 000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices qu'elle a subis suite à la chute dont elle a été victime le 6 février 2020 à Marseille et à la désignation d'un expert afin de déterminer les conséquences médico-légales de son accident.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité :
2. La plaque d'égout, incorporée à la voie publique et sur laquelle Mme B... indique avoir chuté, appartient à la SEMM, filiale de la société Veolia. Dans ces conditions, Mme B..., qui avait, lors de son accident, la qualité d'usagère de la voie publique, pouvait, en cette qualité, rechercher la responsabilité de la SEMM, de la société Veolia eau Méditerranée et de leur assureur, lesquelles ne peuvent utilement se prévaloir de ce que seule la responsabilité de la société Sephora, titulaire d'un contrat d'abonnement au service de l'eau potable, et dont le compteur est situé au niveau de la plaque d'égout en cause, serait susceptible d'être recherchée.
3. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre celui-ci et le préjudice invoqué. La collectivité en charge de l'ouvrage public ne peut être exonérée de l'obligation d'indemniser la victime qu'en rapportant, à son tour, la preuve soit que cet ouvrage faisait l'objet d'un entretien normal, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.
4. Mme B... soutient que les blessures qu'elle a subies le 6 février 2020 ont été causées par une plaque d'égout dont le couvercle a basculé à son passage, alors qu'elle marchait aux alentours de 8 heures 20 à hauteur du numéro 56 de la rue Saint-Ferréol à Marseille où se situe un magasin de vente de produits cosmétiques. Les pièces qu'elle verse au dossier, en particulier l'attestation des marins pompiers intervenus après l'accident, ainsi que les deux attestations de témoins oculaires, doivent être regardés comme établissant que la chute dont elle a été victime est intervenue à l'endroit décrit de manière identique dans sa déclaration de sinistre du 26 février 2020 adressée à son assureur, en raison du descellement du couvercle de la plaque d'égout. A cet égard, les attestations des témoins oculaires établies en février et mars 2020, soit, contrairement à ce soutiennent les défenderesses, peu de temps après l'accident, apparaissent concordantes et sont de nature à établir les circonstances dans lesquelles s'est produite la chute. Le premier témoin ayant porté secours à Mme B... mentionne que celle-ci s'est pris le pied dans " le trou " d'une plaque d'égout " qui ne tenait pas en place " et que " la plaque a basculé sous son pied ". La seconde attestation, établie par une employée du magasin précité, indique que le pied de l'intéressée " s'est pris dans une plaque d'égout SEM ", que cette dernière " est tombée sur le côté gauche " et qu'une personne l'a aidée " à se relever " et " à sortir son pied de la bouche d'égout ". Dans ces conditions, et contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, Mme B... établit la matérialité des faits et le lien de causalité entre les dommages dont elle demande réparation et l'ouvrage public.
5. En se bornant à faire valoir que rien ne permet d'établir que le couvercle de la plaque d'égout était mal scellé, les défenderesses ne rapportent pas la preuve, qui leur incombe, de l'entretien normal de l'ouvrage public mis en cause.
6. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à ce que la SEMM, la société Veolia Eau Méditerranée et la société Allianz Global Corporate et Specialty soient déclarées responsables des conséquences dommageables de l'accident survenu le 6 février 2020.
Sur l'évaluation des préjudices :
7. Il résulte de l'instruction que Mme B... a subi en particulier, du fait de la chute dont elle a été victime le 6 février 2020, un traumatisme à l'épaule gauche. Plusieurs arrêts de travail lui ont été accordés et des médicaments anti-inflammatoires et antalgiques et des séances de massage et de rééducation fonctionnelle lui ont été prescrits. Le médecin qui l'a examinée relève par ailleurs qu'elle souffre d'une névralgie cervico-brachiale et de douleurs lombaires qui se seraient aggravées suite à son accident. En l'état des informations dont elle dispose, la cour n'est pas en mesure d'apprécier l'ampleur des préjudices subis par Mme B... qui sont la conséquence de l'accident litigieux. Il y a donc lieu d'ordonner une expertise aux fins qui seront précisées dans le dispositif de la présente décision et de réserver jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt.
S'agissant de la demande d'allocation d'une somme provisionnelle :
8. Si Mme B... demande l'octroi d'une provision de 3 000 euros à valoir sur la réparation de ses préjudices, elle n'apporte aucun justificatif de nature à permettre d'évaluer au moins une partie de ceux-ci et seule l'expertise ordonnée avant-dire droit par le présent arrêt permettra de déterminer le quantum exact de ceux-ci. Par suite, les conclusions tendant à l'octroi d'une provision doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2101992 du 30 mai 2023 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : Les conclusions de Mme B... tendant au versement d'une somme provisionnelle sont rejetées.
Article 3 : Il sera, avant de statuer sur les autres conclusions de la requête, procédé à une expertise médicale.
Article 4 : L'expert aura pour mission de :
1°) se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de Mme B... ; convoquer et entendre les parties et tous sachants ; procéder à l'examen sur pièces du dossier médical de Mme B... ainsi qu'éventuellement à son examen clinique ;
2°) décrire l'état de santé de Mme B... avant et après l'accident survenu le 6 février 2020 ;
3°) indiquer à quelle date l'état de santé de Mme B... peut être considéré comme consolidé ; le cas échéant, dire si cet état est susceptible de modification en amélioration ou en aggravation ; dans l'affirmative, fournir toutes précisions utiles sur cette évolution, sur son degré de probabilité et, dans le cas où un nouvel examen serait nécessaire, mentionner dans quel délai ;
4°) décrire la nature et l'étendue des préjudices résultant de l'accident survenu le 6 février 2020, non imputables à l'état antérieur de la victime ni aux conséquences prévisibles de l'évolution de celui-ci, en distinguant les préjudices patrimoniaux (en particulier, dépenses de santé déjà engagées et futures, frais liés au handicap, pertes de gains professionnels et incidence professionnelle, autres dépenses liées au dommage corporel) et les préjudices extrapatrimoniaux (en particulier, déficit fonctionnel, souffrances endurées, préjudice esthétique, préjudice d'agrément, préjudice sexuel, préjudice d'établissement) et, pour chaque poste de préjudice, les préjudices temporaires avant consolidation et les préjudices permanents après consolidation.
Article 5 : L'expertise aura lieu en présence de Mme B..., de la SEMM, de la société Veolia Eau Méditerranée, de la société Allianz Global Corporate et Specialty et de la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Article 6 : L'expert sera désigné par la présidente de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Article 7 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à la Société des Eaux de Marseille Métropole, à la société Veolia Eau Méditerranée, à la société Allianz Global Corporate et Specialty et à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2024, où siégeaient :
- Mme Fedi, présidente de chambre,
- Mme Rigaud, présidente assesseure,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juillet 2024.
N° 23MA01750