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02/07/2024 | FRANCE | N°23MA01737

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 4ème chambre, 02 juillet 2024, 23MA01737


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par cinq requêtes distinctes, M. A... Spanos a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler les arrêtés des 12 juillet 2019, 18 octobre 2019, 22 janvier 2020, 3 juin 2020 et 15 octobre 2020 par lesquels le garde des sceaux, ministre de la justice a renouvelé sa suspension de fonctions à titre conservatoire.



Par un jugement n° 1904406, 1906155, 2001356, 203056 et 2005331 du 10 mai 2023, le tribunal administratif de Nice a annulé les arrêtés précit

és et enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder rétroactivement, dans un d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par cinq requêtes distinctes, M. A... Spanos a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler les arrêtés des 12 juillet 2019, 18 octobre 2019, 22 janvier 2020, 3 juin 2020 et 15 octobre 2020 par lesquels le garde des sceaux, ministre de la justice a renouvelé sa suspension de fonctions à titre conservatoire.

Par un jugement n° 1904406, 1906155, 2001356, 203056 et 2005331 du 10 mai 2023, le tribunal administratif de Nice a annulé les arrêtés précités et enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder rétroactivement, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, à la réintégration juridique de M. Spanos et à la reconstitution de sa carrière et des droits sociaux dont il aurait bénéficié s'il n'avait pas été illégalement suspendu par ces mêmes arrêtés.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 juillet et 1er décembre 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1904406, 1906155, 2001356, 203056 et 2005331 du 10 mai 2023 du tribunal administratif de Nice et de rejeter l'ensemble des demandes présentées par M. Spanos.

Il soutient que le jugement du tribunal administratif de Nice est entaché d'une erreur de droit dès lors qu'il ne résulte d'aucune disposition ni d'aucun principe qu'il y a lieu, pour l'administration, de saisir le conseil de discipline préalablement à la prolongation de la suspension de fonction d'un agent.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2024, M. Spanos, représenté par Me Carmier, conclut :

1°) au rejet de la requête du garde des sceaux, ministre de la justice ;

2°) à ce qu'il soit enjoint au ministère de la justice de réexaminer sa situation et de reconstruire sa carrière de manière rétroactive ;

3°) à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.

Il fait valoir que :

- le moyen soulevé par le garde des sceaux, ministre de la justice n'est pas fondé ;

- les décisions annulées par le tribunal administratif de Nice à raison du défaut de consultation du conseil de discipline sont également entachées d'une incompétence de leurs signataires, d'une insuffisance de motivation, d'une violation du principe du contradictoire tel que fixé par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une disproportion de la mesure, ainsi que d'une violation des articles 6 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Un courrier du 15 avril 2024, adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.

Par une ordonnance du 6 mai 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Par décision du 31 mai 2024, M. Spanos a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Par lettre du 11 juin 2024, les parties ont été informées que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'annulation de la décision du 15 octobre 2020 par voie de conséquence de l'annulation éventuelle des décisions des 12 juillet 2019, 18 octobre 2019, 22 janvier 2020 et 3 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le décret n° 2006-441 du 14 avril 2006 ;

- l'arrêté du 29 mai 2019 fixant l'organisation de la direction de l'administration pénitentiaire ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Martin,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Me Carmier, représentant M. Spanos.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 29 avril 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé la suspension de M. Spanos, conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation affecté à la maison d'arrêt de Grasse, à titre conservatoire, pour une durée de quatre mois. Cette décision a été prolongée le 22 décembre 2016 pour une même durée de quatre mois.

A la suite d'un jugement du 5 avril 2019, par lequel le tribunal administratif de Nice a annulé l'arrêté du 22 décembre 2016 et enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de réintégrer M. Spanos, après, le cas échéant, saisine du conseil de discipline, l'administration a de nouveau prolongé la suspension de l'intéressé, par décisions des 12 juillet 2019,

18 octobre 2019, 22 janvier 2020 et 3 juin 2020, pour une durée, à chaque fois, de

quatre mois. Puis, par une décision du 15 octobre 2020, la suspension de fonctions de

M. Spanos a été renouvelée pour une durée indéterminée. Dans la présente instance, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1904406, 1906155, 2001356, 203056 et 2005331 du 10 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Nice a annulé les décisions des 12 juillet 2019, 18 octobre 2019, 22 janvier 2020, 3 juin 2020 et 15 octobre 2020.

Sur la légalité des décisions des 12 juillet 2019, 18 octobre 2019, 22 janvier 2020 et 3 juin 2020 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 67 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, alors applicable : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination (...) ". De plus, en application de l'article 3 du décret du 14 avril 2006 portant statut particulier des corps du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire, dans sa version applicable au litige, les membres du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire sont nommés par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. Il résulte de ces dispositions, combinées avec celles de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 citées au point 2, que l'autorité investie du pouvoir disciplinaire compétente pour suspendre à titre conservatoire un fonctionnaire relevant des corps du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire est le garde des sceaux, ministre de la justice.

3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... D..., adjoint à la

sous-directrice des ressources humaines et des relations sociales du service de l'administration de la direction de l'administration pénitentiaire, signataire de l'arrêté du 12 juillet 2019, a reçu délégation de signature par arrêté du 4 mars 2019 régulièrement publié au Journal officiel de la République française du 10 mars 2019 à l'effet de signer, au nom du garde des sceaux, ministre de la justice, les bons de commandes et les états de frais et, dans la limite de ses attributions, tous actes, arrêtés et décisions, à l'exclusion des décrets. Si le garde des sceaux, ministre de la justice a fait valoir devant le tribunal administratif de Nice, dans l'instance n° 1904406, que selon l'article 5 de l'arrêté du 30 juin 2015 fixant l'organisation en

sous-directions de la direction de l'administration pénitentiaire, la sous-direction des ressources humaines et des relations sociales, en liaison avec le secrétariat général, est compétente pour instruire les dossiers disciplinaires, une telle précision, qui figure au demeurant à l'article 6 de cet arrêté, a été abrogée par l'article 12 de l'arrêté du 29 mai 2019, entré en vigueur le 15 juin 2019, fixant l'organisation de la direction de l'administration pénitentiaire. Or, il ne résulte d'aucune des dispositions de cet arrêté, et notamment pas de son article 7, qui se borne à présenter l'organisation en cinq bureaux et une mission de la

sous-direction des ressources humaines et des relations sociales, que celle-ci demeurait compétente en matière disciplinaire en lieu et place de l'autorité investie du pouvoir de nomination. Par conséquent, dès lors que l'administration n'établit pas ni même n'allègue qu'elle était dans une situation d'urgence ou de circonstances exceptionnelles, M. Spanos est fondé à soutenir que l'arrêté du 12 juillet 2019 a été signé par une autorité incompétente.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : (...) / 2° Les chefs de service, directeurs adjoints, sous-directeurs, (...) ". Aux termes de l'article 3 du même décret : " Les personnes mentionnées aux 1° et 3° de l'article 1er peuvent donner délégation pour signer tous actes relatifs aux affaires pour lesquelles elles ont elles-mêmes reçu délégation : 1° Aux magistrats, aux fonctionnaires de catégorie A et aux agents contractuels chargés de fonctions d'un niveau équivalent, qui n'en disposent pas au titre de l'article 1er ; / (...) / La délégation prévue au présent article entre en vigueur le lendemain de la publication au Journal officiel de la République française (...) de l'arrêté désignant le ou les titulaires de la délégation et précisant les matières qui en font l'objet (...) ".

5. D'une part, par l'arrêté du 4 mars 2019 cité au point 2, le directeur de l'administration pénitentiaire a donné délégation à M. C..., chef du bureau des affaires statutaires et de l'organisation du dialogue social à la sous-direction des ressources humaines et des relations sociales, à l'effet de signer, au nom du ministre de la justice et dans la limite de ses attributions, tous actes, arrêtés et décisions, à l'exclusion des décrets. La délégation de signature a ainsi été consentie à M. C... dans la limite des attributions du bureau des affaires statutaires et de l'organisation du dialogue social. Toutefois, et ainsi qu'il a été dit, l'arrêté du 29 mai 2019 fixant l'organisation de l'administration pénitentiaire, en vigueur à la date de l'arrêté attaqué du 18 octobre 2019, ne prévoit nullement que la sous-direction des ressources humaines et des relations sociales de la direction de l'administration pénitentiaire était chargée, à cette date, des questions relatives aux procédures disciplinaires. Par suite, la délégation consentie à M. C... ne peut être regardée comme ayant porté sur les décisions portant prolongation de suspension de fonctions. Il en résulte, dès lors que l'administration n'établit pas ni même n'allègue qu'elle était dans une situation d'urgence ou de circonstances exceptionnelles, que M. Spanos est fondé à soutenir que l'arrêté du 18 octobre 2019 a été signé par une autorité incompétente.

6. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 13 décembre 2019, publié au Journal officiel de la République française le

18 décembre suivant, le directeur de l'administration pénitentiaire a donné délégation à

M. C..., chef du bureau des affaires statutaires et de l'organisation du dialogue social à la sous-direction des ressources humaines et des relations sociales, à l'effet de signer, au nom du ministre de la justice et dans la limite de ses attributions, tous actes, arrêtés et décisions, à l'exclusion des décrets. Si l'arrêté du 30 décembre 2019 relatif à l'organisation du secrétariat général et des directions du ministère de la justice, qui a abrogé l'arrêté du 29 mai 2019 et était en vigueur à la date des arrêtés signés par M. C... les 22 janvier et 3 juin 2020, prévoit que la sous-direction des ressources humaines et des relations sociales de la direction de l'administration pénitentiaire est chargée des questions relatives aux procédures disciplinaires, il ne précise toutefois pas la répartition des compétences entre les cinq bureaux et la mission composant la sous-direction, notamment le bureau des affaires statutaires et de l'organisation du dialogue social et le bureau de la gestion des personnels. Le ministre de la justice ne donne aucune précision sur ce point, en dépit d'une mesure d'instruction diligentée par la Cour. Dans ces conditions, en l'absence de dispositions réglementaires ou de tout autre texte définissant les attributions du bureau des affaires statutaires et de l'organisation du dialogue social, il n'est pas établi que les questions relatives aux procédures disciplinaires, incluant les mesures de prolongation de suspension en litige, relèveraient de ce bureau au sein de la sous-direction des ressources humaines et des relations sociales. Par suite, dès lors que l'administration n'établit pas ni même n'allègue qu'elle était dans une situation d'urgence ou de circonstances exceptionnelles, le moyen tiré de ce que M. C..., signataire des arrêtés des 22 janvier et 3 juin 2020, ne disposait pas d'une délégation de signature régulière, doit être accueilli.

7. Il résulte de ce qui précède que les arrêtés des 12 juillet 2019, 18 octobre 2019, 22 janvier 2020 et 3 juin 2020, sont entachés du vice d'incompétence de leurs signataires respectifs. Par suite, le garde des sceaux, ministre de la justice n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé ces arrêtés.

Sur la légalité de l'arrêté du 15 octobre 2020 :

8. En raison des effets qui s'y attachent, l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, emporte, lorsque le juge est saisi de conclusions recevables, l'annulation par voie de conséquence des décisions administratives consécutives qui n'auraient pu légalement être prises en l'absence de l'acte annulé ou qui sont en l'espèce intervenues en raison de l'acte annulé. Il en va ainsi, notamment, des décisions qui ont été prises en application de l'acte annulé et de celles dont l'acte annulé constitue la base légale.

Il incombe au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il est saisi de conclusions recevables dirigées contre de telles décisions consécutives, de prononcer leur annulation par voie de conséquence, le cas échéant en relevant d'office un tel moyen qui découle de l'autorité absolue de chose jugée qui s'attache à l'annulation du premier acte.

9. Par son arrêté du 15 octobre 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice, qui vise l'arrêté du 3 juin 2020 annulé par le présent arrêt, ne pouvait régulièrement prolonger à nouveau la suspension de fonctions de M. Spanos à compter du 18 octobre 2020 dès lors que les précédentes prolongations, dont l'annulation prononcée par le tribunal administratif de Nice est confirmée par le présent arrêt, sont réputées n'être jamais intervenues.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé les arrêtés des 12 juillet 2019, 18 octobre 2019, 22 janvier 2020, 3 juin 2020 et 15 octobre 2020.

Sur les frais liés au litige :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par M. Spanos en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête du garde des sceaux, ministre de la justice est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel de M. Spanos sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice,

à M. A... Spanos et à Me Carmier.

Délibéré après l'audience du 18 juin 2024, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition du greffe, le 2 juillet 2024.

N° 23MA01737 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA01737
Date de la décision : 02/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09-01 Fonctionnaires et agents publics. - Discipline. - Suspension.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Stéphen MARTIN
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : CARMIER

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-02;23ma01737 ?
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