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28/06/2024 | FRANCE | N°23MA03163

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 28 juin 2024, 23MA03163


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante, assorties des intérêts et de leur capitalisation.



Par un jugement n° 1903176 du 2 novembre 2023, le tribunal administratif de Toulon a rej

eté cette demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête, enregistrée le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante, assorties des intérêts et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1903176 du 2 novembre 2023, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 28 décembre 2023, sous le n° 23MA03163, M. C..., représenté par la Selarl Teissonnière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et Associés, demande à la Cour :

1°) de sursoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil d'Etat sur la prescription de l'action des ouvriers d'Etat ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 2 novembre 2023 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral et de 15 000 euros en réparation des troubles dans ses conditions d'existence, assorties des intérêts à compter de la date de la première demande d'indemnisation et de leur capitalisation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le point de départ du délai de prescription quadriennale a commencé à courir au 1er janvier 2021, sa demande n'est ainsi pas prescrite ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la prescription quadriennale ne pouvait lui être valablement opposée dès lors que la plainte pénale avec constitution de partie civile déposée le 10 février 2005 par les consorts A... devant le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Brest a interrompu le délai de prescription quadriennale à l'égard de tout ouvrier d'Etat ayant été exposé à l'amiante au sein des locaux de la DCN de Brest, de Lorient ou de toute autre DCN et que dans son avis du 19 avril 2022, le Conseil d'Etat n'a pas remis en cause cette position ;

- l'Etat a commis une faute dès lors qu'il a travaillé au sein du groupement de la base de défense de Toulon (ex direction du commissariat de la marine) en tant qu'ouvrier d'Etat, exerçant la profession de conducteur de transport de munitions du 1er janvier 2011 au 31 janvier 2016, puis au LASEM en qualité de préleveur du laboratoire à compter du 1er février 2016 et a été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante sans protection adaptée ;

- il a subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence en lien avec son exposition à l'amiante ;

- il bénéficie d'une présomption de préjudice d'anxiété dès lors qu'il bénéficie du droit à un départ au titre du dispositif de cessation anticipée d'activité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mai 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête de M. C....

Il fait valoir que :

- les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés ;

- si la créance n'est pas regardée comme prescrite, il y a lieu de procéder à la minoration des sommes demandées en ce qu'au regard des périodes d'activité, le requérant a nécessairement bénéficié de protections contre l'inhalation des poussières d'amiante.

Le mémoire complémentaire, présenté pour M. C... représenté par la Selarl Teissonnière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et Associés, enregistré le 5 juin 2024 n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 ;

- l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense ;

- l'avis du Conseil d'Etat n° 457560 du 19 avril 2022 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marchessaux,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ouvrier d'Etat a été employé au sein du groupement de soutien de la base de défense de Toulon (GSBdD), ex commissariat de la Marine, en qualité de conducteur de transport de munitions du 1er janvier 2011 au 31 janvier 2016, puis au LASEM de Toulon en qualité de préleveur du laboratoire du 1er février 2016 au 31 janvier 2023. Par une réclamation préalable du 3 juin 2019, reçue le 5 juin suivant, il a demandé au ministre des armées de lui verser la somme totale de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence résultant des carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. M. C... relève appel du jugement du 2 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme totale de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Aux termes de l'article 6 du même texte : " Les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription qui découle de la présente loi ". Aux termes, enfin, du premier alinéa de son article 7 : " L'Administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 21 décembre 2001 relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (ASCAA) à certains ouvriers de l'Etat relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat : " Une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité est versée, sur leur demande, aux ouvriers ou anciens ouvriers de l'Etat relevant ou ayant relevé du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat qui sont ou ont été employés dans des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : / 1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements ou parties d'établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté du ministre intéressé et des ministres chargés du budget, du travail et de la sécurité sociale, pendant des périodes fixées dans les mêmes conditions, au cours desquelles étaient traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; / 2° Avoir exercé, pendant les périodes mentionnées au 1°, une profession figurant sur une liste établie par arrêté du ministre intéressé et des ministres chargés du budget, du travail et de la sécurité sociale ; / 3° Avoir atteint l'âge prévu à l'article 3. / (...) ". Ces dispositions instaurent un régime particulier de cessation anticipée d'activité permettant à certains ouvriers d'Etat ayant travaillé dans des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales figurant sur une liste établie par arrêté interministériel, de percevoir, sous certaines conditions, une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (ASCAA), sous réserve de cesser toute activité professionnelle.

4. Ainsi que l'a estimé le Conseil d'Etat dans son avis n° 457560 du 19 avril 2022, lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions citées au point 2, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à une année court, sous réserve des cas visés à l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, à compter du 1er janvier de l'année suivante, à la condition qu'à cette date le préjudice subi au cours de cette année puisse être mesuré.

5. Le préjudice d'anxiété dont peut se prévaloir un salarié éligible à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante mentionnée au point 3 naît de la conscience prise par celui-ci qu'il court le risque élevé de développer une pathologie grave, et par là même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante. La publication de l'arrêté qui inscrit l'établissement en cause, pour une période au cours de laquelle l'intéressé y a travaillé, sur la liste établie par arrêté interministériel dans les conditions mentionnées au point 3, est par elle-même de nature à porter à la connaissance de l'intéressé, s'agissant de l'établissement et de la période désignés dans l'arrêté, la créance qu'il peut détenir de ce chef sur l'administration au titre de son exposition aux poussières d'amiante. Le droit à réparation du préjudice en question doit donc être regardé comme acquis, au sens des dispositions citées au point 2, pour la détermination du point de départ du délai de prescription, à la date de publication de cet arrêté. Lorsque l'établissement a fait l'objet de plusieurs arrêtés successifs étendant la période d'inscription ouvrant droit à l'ASCAA, la date à prendre en compte est la plus tardive des dates de publication d'un arrêté inscrivant l'établissement pour une période pendant laquelle le salarié y a travaillé. Enfin, dès lors que l'exposition a cessé, la créance se rattache, en application de ce qui a été dit au point 4, non à chacune des années au cours desquelles l'intéressé souffre de l'anxiété dont il demande réparation, mais à la seule année de publication de l'arrêté, lors de laquelle la durée et l'intensité de l'exposition sont entièrement révélées, de sorte que le préjudice peut être exactement mesuré. Par suite la totalité de ce chef de préjudice doit être rattachée à cette année, pour la computation du délai de prescription institué par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968.

6. Il résulte de l'instruction que M. C... a été employé au sein du groupement de soutien de la base de défense de Toulon (GSBdD), ex commissariat de la marine), en qualité de conducteur de transport de munitions du 1er janvier 2011 au 31 janvier 2016, puis au LASEM de Toulon en qualité de préleveur du laboratoire du 1er février 2016 au 31 janvier 2023. Par ailleurs, si l'annexe III de l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions et établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution de l'ASCAA mentionne la DCM, le LASEM et les professions de conducteur et d'analyses de laboratoire, elle ne prévoit aucune date de fin d'exposition. Ainsi, M. C... doit être regardé comme ayant eu connaissance de l'étendue du risque à l'origine du préjudice moral et des troubles dans les conditions de l'existence dont il demande la réparation, dans lesquels est incorporé le préjudice d'anxiété, à compter de la date de délivrance de l'attestation d'exposition du 28 novembre 2018 qui précise qu'il a été exposé aux poussières d'amiante du 1er janvier 2011 au 31 janvier 2016. Par suite, le délai de prescription quadriennale de la créance de M. C... à l'encontre de l'Etat ayant débuté le 1er janvier 2019, cette créance n'était pas prescrite à la date du 5 juin 2019, à laquelle le ministre des armées a reçu sa réclamation préalable. Dès lors, le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande au motif qu'elle était prescrite en application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968.

7. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Toulon et devant la Cour.

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat en qualité d'employeur :

8. La responsabilité de l'administration, notamment en sa qualité d'employeur, peut être engagée à raison de la faute qu'elle a commise, pour autant qu'il en résulte un préjudice direct et certain. A le caractère d'une faute, le manquement à l'obligation de sécurité à laquelle l'employeur est tenu envers son agent, lorsqu'il a ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé ce dernier et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Il n'est pas contesté que la nocivité de l'amiante et la gravité des maladies dues à son exposition étaient pour partie déjà connues avant 1977 et que le décret susvisé du 17 août 1977 relatif aux mesures d'hygiène particulières applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, a imposé des mesures de protection de nature à réduire l'exposition des agents aux poussières d'amiante ainsi que des contrôles de la concentration en fibres d'amiante dans l'atmosphère des lieux de travail.

9. M. C... soutient qu'il a été exposé pendant toutes ses années d'activité à la DCN, en tant qu'ouvrier d'Etat, à l'inhalation de poussières d'amiante et lors de détachements dans plusieurs services et au sein de groupement de la base de défense de Toulon et à LASEM, sans protection adaptée ni information.

10. Il résulte de l'instruction et notamment de l'attestation d'exposition aux poussières d'amiante, établie le 28 novembre 2018 par le chef du groupement de soutien de la base de défense de Toulon (GSBdD) que M. C... n'était pas affecté à la DCN mais au sein du groupement précité, en qualité de conducteur de transport de munitions du 1er janvier 2011 au 31 janvier 2016, puis au LASEM de Toulon en qualité de préleveur du laboratoire du 1er février 2016 au 31 janvier 2023. Cette attestation mentionne, en outre, qu'il a été exposé à l'amiante durant la seule période du 1er janvier 2011 au 31 janvier 2016. Ainsi, M. C... a été exposé aux risques présentés par l'inhalation de poussières d'amiante en contact avec des matériaux renfermant cette substance. Le ministre des armées qui se borne à faire valoir que, seul " un relevé de carrière du plan amiante " indiquant l'état exact des services ayant pu risquer d'exposer les ouvriers au cours de leur carrière permet d'établir la réalité de l'exposition et du risque qui en découle, ne produit aucun élément de nature à remettre en cause les mentions claires et précises de cette attestation qui récapitule le poste de travail occupé par le requérant et sa période d'exposition à l'amiante. Si cette attestation mentionne qu'il a été mis en œuvre le port du masque obligatoire depuis le 1er janvier 1996, le ministre des armées n'établit pas que des mesures de protection et de prévention auraient été effectivement mises en œuvre et reçu concrètement exécution au sein des établissements précitées où a été employé M. C... durant sa carrière. Par suite, l'Etat employeur doit être regardé comme ayant fait preuve d'une carence fautive dans la mise en œuvre effective, obligation qui lui incombait, des mesures de protection contre les poussières d'amiante auxquelles M. C... a pu être exposé au cours de la période du 1er janvier 2011 au 31 janvier 2016. Cette carence est de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne les préjudices :

S'agissant du préjudice moral :

11. La personne qui recherche la responsabilité d'une personne publique en sa qualité d'employeur et qui fait état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition effective aux poussières d'amiante susceptible de l'exposer à un risque élevé de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée, peut obtenir réparation du préjudice moral tenant à l'anxiété de voir ce risque se réaliser. Dès lors qu'elle établit que l'éventualité de la réalisation de ce risque est suffisamment élevée et que ses effets sont suffisamment graves, la personne a droit à l'indemnisation de ce préjudice, sans avoir à apporter la preuve de manifestations de troubles psychologiques engendrés par la conscience de ce risque élevé de développer une pathologie grave.

12. Doivent ainsi être regardées comme faisant état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir qu'elles ont été exposées à un risque élevé de pathologie grave et de diminution de leur espérance de vie, dont la conscience suffit à justifier l'existence d'un préjudice d'anxiété indemnisable, les personnes qui justifient avoir été, dans l'exercice de leurs fonctions, conduites à intervenir sur des matériaux contenant de l'amiante et, par suite, directement exposées à respirer des quantités importantes de poussières issues de ces matériaux.

13. Les personnes qui sont intégrées, compte tenu d'éléments personnels et circonstanciés tenant à des conditions de temps, de lieu et d'activité, dans le dispositif d'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, désormais régi par la loi du 29 décembre 2015, lequel vise à compenser un risque élevé de baisse d'espérance de vie des personnels ayant été effectivement exposés à l'amiante, doivent, de même, être regardées comme justifiant de ce seul fait d'un préjudice d'anxiété lié à leur exposition à l'amiante.

14. Le montant de l'indemnisation du préjudice d'anxiété prend notamment en compte, parmi les autres éléments y concourant, la nature des fonctions exercées par l'intéressé et la durée de son exposition aux poussières d'amiante.

15. Il résulte d'un arrêté du 28 novembre 2022 produit au dossier que M. C... bénéficie d'un droit à un départ au titre de la cessation anticipée d'activité à compter du 1er février 2023. Ainsi, compte tenu de ce qui a été dit au point 13, il justifie de ce seul fait d'un préjudice d'anxiété lié à son exposition à l'amiante. Il résulte à cet égard de l'instruction, et notamment de l'attestation mentionnée au point 10 que le requérant a été exposé aux poussières d'amiante sur une période de 5 ans. Par suite et compte tenu de son emploi de conducteur pendant la période d'exposition, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en fixant à 1 500 euros l'évaluation du préjudice moral subi par M. C....

S'agissant des troubles dans les conditions d'existence :

16. En se bornant à produire un seul scanner thoracique du 5 mars 2019, M. C... ne justifie pas être soumis à un suivi médical post-professionnel, dont la fréquence éventuelle des contrôles serait telle qu'elle entraînerait pour lui un trouble dans ses conditions d'existence, ni éprouver une détresse telle qu'elle témoigne d'une perte d'élan vital accompagnée de perturbation dans son projet de vie. Dans ces conditions, sa demande d'indemnisation au titre de ce préjudice doit être rejetée.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

17. M. C... a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 1 500 euros à compter du 5 juin 2019, date de réception de sa demande par le ministre des armées.

18. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 21 août 2019. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 5 juin 2020, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

19. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de sursoir à statuer que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante.

Sur les frais liés au litige :

20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 2 novembre 2023 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. C... la somme de 1 500 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 juin 2019. Les intérêts échus à la date du 5 juin 2020 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 14 juin 2024, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 juin 2024.

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N° 23MA03163

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