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28/06/2024 | FRANCE | N°23MA03160

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 28 juin 2024, 23MA03160


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :





M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante, assorties des intérêts et de leur capitalisation.





Par un jugement n° 1903178 du 2 novembre 2023, le tribunal admin

istratif de Toulon a rejeté cette demande.





Procédure devant la Cour :





Par une requête, enre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante, assorties des intérêts et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1903178 du 2 novembre 2023, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 28 décembre 2023, sous le n° 23MA03160, M. A..., représenté par la Selarl Teissonnière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et Associés, demande à la Cour :

1°) de sursoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil d'Etat sur la prescription de l'action des ouvriers d'Etat ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 2 novembre 2023 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral et de 15 000 euros en réparation des troubles dans ses conditions d'existence, assorties des intérêts à compter de la date de la première demande d'indemnisation et de leur capitalisation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a commis une erreur de fait dès lors qu'il a estimé qu'il a travaillé à la DCN de Toulon alors qu'il a exercé la profession d'électromécanicien en qualité d'ouvrier d'Etat au sein de l'atelier industriel de l'aéronautique (AIA) de Cuers-Pierrefeu ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la prescription quadriennale ne pouvait lui être valablement opposée dès lors qu'il n'a été en mesure de connaître et mesurer l'étendue de ces préjudices qu'au jour où une attestation d'exposition aux poussières d'amiante lui a été délivrée par l'administration, à savoir le 8 novembre 2018 par le chef du département des ressources humaines ;

- il a travaillé au sein de l'atelier industriel de l'aéronautique (AIA) de Cuers-Pierrefeu en tant qu'ouvrier d'Etat et a été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante sans protection adaptée ni information des risques encourus, ce qui renforce la responsabilité de l'Etat et la gravité de sa faute ;

- l'arrêté du 25 août 1977, pris en application du décret du 17 août 1977, relatif au contrôle de l'empoussièrement dans les établissements où le personnel est exposé fixait des obligations très précises dont le ministre des armées ne démontre pas le respect ;

- le lien de causalité entre la carence fautive de l'Etat et les préjudices allégués est constitué ;

- il a subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence en lien avec son exposition à l'amiante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mai 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête de M. A....

Il fait valoir que :

- la créance est prescrite dès lors que M. A... en a nécessairement eu connaissance par sa consultation du 5 décembre 2005 avec le médecin de prévention ;

- les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Le mémoire complémentaire, présenté pour M. A..., représenté par la Selarl Teissonnière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et Associés, enregistré le 29 mai 2024 n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;

- le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 ;

- l'avis du Conseil d'Etat n° 457560 du 19 avril 2022 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marchessaux,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ouvrier d'Etat a été employé à la DCN de Toulon du 24 septembre 1970 au 31 décembre 1979 puis au sein de l'atelier industriel de l'aéronautique (AIA) de Cuers-Pierrefeu, du 1er janvier 1980 au 2 novembre 2005 en qualité de metteur au point super étendard modernisé. Par une réclamation préalable du 3 juin 2019 reçue le 5 juin suivant, il a demandé au ministre des armées de lui verser la somme totale de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence en raison de son exposition à l'amiante lors de l'exercice de son activité professionnelle résultant des carences fautives de l'Etat dans la protection de ses agents contre l'exposition aux poussières d'amiante. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. M. A... relève appel du jugement du 2 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme totale de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante durant sa période d'emploi à l'AIA de Cuers-Pierrefeu.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ". Aux termes de l'article 3 de la loi précitée : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Aux termes de l'article 6 du même texte : " Les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription qui découle de la présente loi ". Aux termes, enfin, du premier alinéa de son article 7 : " L'Administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 21 décembre 2001 relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (ASCAA) à certains ouvriers de l'Etat relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat : " Une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité est versée, sur leur demande, aux ouvriers ou anciens ouvriers de l'Etat relevant ou ayant relevé du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat qui sont ou ont été employés dans des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : / 1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements ou parties d'établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté du ministre intéressé et des ministres chargés du budget, du travail et de la sécurité sociale, pendant des périodes fixées dans les mêmes conditions, au cours desquelles étaient traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; / 2° Avoir exercé, pendant les périodes mentionnées au 1°, une profession figurant sur une liste établie par arrêté du ministre intéressé et des ministres chargés du budget, du travail et de la sécurité sociale ; / 3° Avoir atteint l'âge prévu à l'article 3. / (...) ". Ces dispositions instaurent un régime particulier de cessation anticipée d'activité permettant à certains ouvriers d'Etat ayant travaillé dans des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales figurant sur une liste établie par arrêté interministériel, de percevoir, sous certaines conditions, une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (ASCAA), sous réserve de cesser toute activité professionnelle.

4. Ainsi que l'a estimé le Conseil d'Etat dans son avis n° 457560 du 19 avril 2022, lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions citées au point 2, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à une année court, sous réserve des cas visés à l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, à compter du 1er janvier de l'année suivante, à la condition qu'à cette date le préjudice subi au cours de cette année puisse être mesuré.

5. Enfin, le préjudice d'anxiété dont peut se prévaloir un ouvrier d'Etat naît de la conscience prise par celui-ci qu'il court le risque élevé de développer une pathologie grave, et par là même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante.

6. Il résulte de l'instruction que M. A... a été employé en qualité d'ouvrier d'Etat au sein de l'atelier industriel de l'aéronautique de Cuers-Pierrefeu lequel n'est pas inscrit sur la liste des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales établie par arrêté interministériel permettant de percevoir, sous certaines conditions, l'ASCAA. Il résulte des mentions de l'attestation d'exposition aux poussières d'amiante le concernant, établie le 8 novembre 2018 par le chef du département des ressources humaines de l'atelier industriel de l'aéronautique de Cuers-Pierrefeu, qu'il a été affecté dans des installations renfermant des matériaux contenant de l'amiante durant la période du 1er janvier 1994 au 2 novembre 2005, au cours de laquelle il a exercé les fonctions de metteur au point super étendard modernisé. Ainsi, M. A... doit être regardé comme ayant eu connaissance de l'étendue du risque à l'origine du préjudice moral et des troubles dans les conditions de l'existence dont il demande la réparation, dans lesquels est incorporé le préjudice d'anxiété, à compter du 8 novembre 2018, dès lors que l'attestation en question énumère précisément ses périodes d'affectation dans des installations renfermant des matériaux contenant de l'amiante au cours de sa carrière dans l'atelier industriel de l'aéronautique de Cuers-Pierrefeu. Si le ministre des armées fait valoir que M. A... a nécessairement eu connaissance de sa créance par sa consultation avec le médecin de prévention de l'AIA Cuers le 5 décembre 2005, cette date correspond en réalité à un courrier du chef du service de pneumologie de l'hôpital de Sainte-Anne adressée au médecin de prévention de l'AIA de Cuers, qui ne permet pas d'établir que M. A... a eu une connaissance suffisante de ses conditions personnelles d'exposition à l'amiante à cette date. Par suite, le délai de prescription quadriennale de la créance de M. A... à l'encontre de l'Etat ayant débuté le 1er janvier 2019 et expiré le 31 décembre 2022, cette créance n'était pas prescrite à la date du 5 juin 2019, à laquelle le ministre des armées a reçu la réclamation préalable du requérant. Dès lors, ce dernier est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande au motif qu'elle était prescrite en application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968.

7. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Toulon et devant la Cour.

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat en qualité d'employeur :

8. La responsabilité de l'administration, notamment en sa qualité d'employeur, peut être engagée à raison de la faute qu'elle a commise, pour autant qu'il en résulte un préjudice direct et certain. A le caractère d'une faute, le manquement à l'obligation de sécurité à laquelle l'employeur est tenu envers son agent, lorsqu'il a ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé ce dernier et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Il n'est pas contesté que la nocivité de l'amiante et la gravité des maladies dues à son exposition étaient pour partie déjà connues avant 1977 et que le décret susvisé du 17 août 1977 relatif aux mesures d'hygiène particulières applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, a imposé des mesures de protection de nature à réduire l'exposition des agents aux poussières d'amiante ainsi que des contrôles de la concentration en fibres d'amiante dans l'atmosphère des lieux de travail.

9. M. A... soutient que les ouvriers d'Etat de la DCN ont été massivement exposés à l'inhalation de poussières d'amiante sans protection adaptées ni information des risques encourus par le seul ministère de la défense dont la DCN dépendait et que l'Etat a commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité à plus forte raison après l'édiction du décret de 1977 dans la mesure où il n'apporte pas le moindre début de preuve de ce que ses dispositions ont bien été respectées.

10. Il résulte de l'instruction et notamment de l'attestation d'exposition aux poussières d'amiante, établie le 8 novembre 2018 par le chef du département des ressources humaines de l'atelier industriel de l'aéronautique de Cuers-Pierrefeu que M. A... n'était plus affecté à la DCN, à compter du 1er janvier 1980, mais à l'atelier industriel de l'aéronautique de Cuers-Pierrefeu où il exerçait les fonctions de metteur au point super étendard modernisé. Cette attestation mentionne, en outre, qu'il a été exposé à l'amiante durant la période du 1er janvier 1994 au 2 novembre 2005. Ainsi, M. A... a été exposé aux risques présentés par l'inhalation de poussières d'amiante en contact avec des matériaux renfermant cette substance. Le ministre des armées qui se borne à faire valoir que seul " un relevé de carrière du plan amiante " indiquant l'état exact des services ayant pu risquer d'exposer les ouvriers au cours de leur carrière permet d'établir la réalité de l'exposition et du risque qui en découle, ne produit aucun élément de nature à remettre en cause les mentions claires et précises de cette attestation qui récapitule le poste de travail occupé par le requérant et sa période d'exposition à l'amiante, les examens réalisés dans le cadre d'une surveillance médicale spéciale à savoir des radios pulmonaires et préconise une surveillance par scanner thoracique. Si cette attestation mentionne qu'il a été mis en œuvre, d'une part, des équipements de protection individuelle et, d'autre part, des mesures organisationnelles concernant les équipements de protection collective, le ministre des armées n'établit pas que des mesures de protection et de prévention auraient été effectivement mises en œuvre et reçu concrètement exécution au sein de l'atelier industriel de l'aéronautique de Cuers-Pierrefeu où a été employé M. A... durant sa carrière. Par suite, l'Etat employeur doit être regardé comme ayant fait preuve d'une carence fautive dans la mise en œuvre effective, obligation qui lui incombait, des mesures de protection contre les poussières d'amiante auxquelles M. A... a pu être exposé au cours de la période du 1er janvier 1994 au 2 novembre 2005. Cette carence est de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne les préjudices :

S'agissant du préjudice moral :

11. La personne qui recherche la responsabilité d'une personne publique en sa qualité d'employeur et qui fait état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition effective aux poussières d'amiante susceptible de l'exposer à un risque élevé de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée, peut obtenir réparation du préjudice moral tenant à l'anxiété de voir ce risque se réaliser. Dès lors qu'elle établit que l'éventualité de la réalisation de ce risque est suffisamment élevée et que ses effets sont suffisamment graves, la personne a droit à l'indemnisation de ce préjudice, sans avoir à apporter la preuve de manifestations de troubles psychologiques engendrés par la conscience de ce risque élevé de développer une pathologie grave.

12. Doivent ainsi être regardées comme faisant état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir qu'elles ont été exposées à un risque élevé de pathologie grave et de diminution de leur espérance de vie, dont la conscience suffit à justifier l'existence d'un préjudice d'anxiété indemnisable, les personnes qui justifient avoir été, dans l'exercice de leurs fonctions, conduites à intervenir sur des matériaux contenant de l'amiante et, par suite, directement exposées à respirer des quantités importantes de poussières issues de ces matériaux.

13. Le montant de l'indemnisation du préjudice d'anxiété prend notamment en compte, parmi les autres éléments y concourant, la nature des fonctions exercées par l'intéressé et la durée de son exposition aux poussières d'amiante.

14. Il ne résulte pas de l'instruction que M. A... ait bénéficié de l'ASCAA. Il lui appartient donc d'apporter devant le juge des éléments complémentaires probants relatifs à sa situation personnelle. Il résulte à cet égard de l'instruction, et notamment de l'attestation mentionnée au point 10 que le requérant a été exposé aux poussières d'amiante sur une période suffisamment longue de 11 ans et 10 mois, des conditions pouvant lui faire craindre légitimement d'être exposé à une maladie grave. Les études dont se prévaut l'intéressé démontrent que les poussières d'amiante inhalées sont définitivement absorbées par les poumons sans que l'organisme puisse les éliminer et peuvent de ce fait provoquer à terme, outre des atteintes graves à la fonctionnalité respiratoire, des pathologies cancéreuses particulièrement difficiles à guérir en l'état des connaissances médicales, et enfin qu'eu égard notamment à la circonstance que certains de ses collègues exposés aux poussières d'amiante ont contracté des maladies ayant entraîné leur décès, l'intéressé vit dans la crainte de découvrir subitement qu'il est atteint d'une pathologie grave, même si son état de santé ne s'accompagne pour l'instant d'aucun symptôme clinique ou manifestation physique. Il produit également un certificat médical du 27 septembre 2018 mentionnant qu'il présente des troubles anxieux en lien avec son exposition à l'amiante. Par suite, M. A... justifie de l'existence d'un préjudice en lien direct et certain avec son exposition aux poussières d'amiante sans protection, tenant à l'anxiété due au risque élevé de développer une pathologie grave.

15. Au regard de son exposition quotidienne au risque d'inhalation de poussières d'amiante et de la durée de son affectation pendant plus de 11 ans et 10 mois, il serait fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en fixant à 6 000 euros l'évaluation du préjudice moral subi par M. A....

S'agissant des troubles dans les conditions d'existence :

16. Il résulte de l'instruction que M. A... ne verse au dossier qu'un compte rendu de scanner thoracique réalisé le 22 avril 2016. Ce seul élément qui ne démontre pas qu'il a dû subir des examens médicaux à une fréquence telle qu'elle aurait généré des perturbations de sa vie quotidienne ni qu'il souffrirait d'une perte d'élan vital, ne permet pas d'établir que la carence fautive de l'Etat dans la protection de ses agents aux poussières d'amiante est à l'origine chez l'intéressé de troubles dans les conditions d'existence.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

17. M. A... a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 6 000 euros à compter du 5 juin 2019, date de réception de sa demande par le ministre des armées.

18. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 21 août 2019. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 5 juin 2020, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

19. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante.

Sur les frais liés au litige :

20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 2 novembre 2023 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. A... la somme de 6 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 juin 2019. Les intérêts échus à la date du 5 juin 2020 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 14 juin 2024, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 juin 2024.

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N° 23MA03160

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