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28/06/2024 | FRANCE | N°23MA03016

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 28 juin 2024, 23MA03016


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :





M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante, assorties des intérêts et de leur capitalisation.





Par un jugement n° 1903317 du 19 octobre 2023, le tribunal admin

istratif de Toulon a rejeté cette demande.





Procédure devant la Cour :





Par une requête, enre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante, assorties des intérêts et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1903317 du 19 octobre 2023, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 18 décembre 2023, sous le n° 23MA03016, M. A..., représenté par la Selarl Teissonnière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et Associés, demande à la Cour :

1°) de sursoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil d'Etat sur la prescription de l'action des ouvriers d'Etat ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 19 octobre 2023 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral et de 15 000 euros en réparation des troubles dans ses conditions d'existence, assorties des intérêts à compter de la date de la première demande d'indemnisation et de leur capitalisation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, le requérant n'a jamais été rattaché à la DCN de Toulon ;

- la prescription quadriennale ne pouvait lui être valablement opposée dès lors que l'établissement dans lequel il a travaillé n'étant pas inscrit sur la liste de l'ASCAA, il a eu connaissance de l'étendue de son préjudice le jour de la délivrance d'une attestation d'exposition ;

- il a travaillé au sein du centre interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'Information (CIRISI) de Toulon en tant qu'ouvrier d'Etat et a été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante sans protection adaptée ni information des risques encourus, ce qui renforce la responsabilité de l'Etat et la gravité de sa faute ;

- l'arrêté du 25 août 1977, pris en application du décret du 17 août 1977, relatif au contrôle de l'empoussièrement dans les établissements où le personnel est exposé fixait des obligations très précises dont le ministre des armées ne démontre pas le respect ;

- le lien de causalité entre la carence fautive de l'Etat et les préjudices allégués est constitué ;

- il a subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence en lien avec son exposition à l'amiante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mai 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête de M. A....

Il fait valoir que :

- la créance est prescrite ;

- les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Le mémoire complémentaire, présenté pour M. A..., représenté par la Selarl Teissonnière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et Associés, enregistré le 5 juin 2024, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;

- le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 ;

- l'avis du Conseil d'Etat n° 457560 du 19 avril 2022 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marchessaux,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ouvrier d'Etat a été employé au sein du service des transmissions d'infrastructure de la Marine (SERTIM) de Toulon du 1er novembre 1990 au 1er octobre 2003, puis au service des systèmes d'information de la marine (SERSIM) de la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information (DIRISI) de Toulon du 1er octobre 2003 au 1er janvier 2009 et au CIRISI de la DIRISI du 1er janvier 2009 au 1er décembre 2015, en qualité de technicien Télécom. Par une réclamation préalable du 3 juin 2019 reçue le 5 juin suivant, il a demandé au ministre des armées de lui verser la somme totale de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence en raison de son exposition à l'amiante lors de l'exercice de son activité professionnelle résultant des carences fautives de l'Etat dans la protection de ses agents contre l'exposition aux poussières d'amiante. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. M. A... relève appel du jugement du 19 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme totale de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ". Aux termes de l'article 3 de la loi précitée : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Aux termes de l'article 6 du même texte : " Les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription qui découle de la présente loi ". Aux termes, enfin, du premier alinéa de son article 7 : " L'Administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 21 décembre 2001 relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (ASCAA) à certains ouvriers de l'Etat relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat : " Une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité est versée, sur leur demande, aux ouvriers ou anciens ouvriers de l'Etat relevant ou ayant relevé du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat qui sont ou ont été employés dans des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : / 1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements ou parties d'établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté du ministre intéressé et des ministres chargés du budget, du travail et de la sécurité sociale, pendant des périodes fixées dans les mêmes conditions, au cours desquelles étaient traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; / 2° Avoir exercé, pendant les périodes mentionnées au 1°, une profession figurant sur une liste établie par arrêté du ministre intéressé et des ministres chargés du budget, du travail et de la sécurité sociale ; / 3° Avoir atteint l'âge prévu à l'article 3. / (...) ". Ces dispositions instaurent un régime particulier de cessation anticipée d'activité permettant à certains ouvriers d'Etat ayant travaillé dans des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales figurant sur une liste établie par arrêté interministériel, de percevoir, sous certaines conditions, une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (ASCAA), sous réserve de cesser toute activité professionnelle.

4. Ainsi que l'a estimé le Conseil d'Etat dans son avis n° 457560 du 19 avril 2022, lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions citées au point 2, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à une année court, sous réserve des cas visés à l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, à compter du 1er janvier de l'année suivante, à la condition qu'à cette date le préjudice subi au cours de cette année puisse être mesuré.

5. Enfin, le préjudice d'anxiété dont peut se prévaloir un ouvrier d'Etat naît de la conscience prise par celui-ci qu'il court le risque élevé de développer une pathologie grave, et par là même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante.

6. Il résulte de l'instruction que M. A... a été employé au sein du service des transmissions d'infrastructure de la Marine (SERTIM) de Toulon du 1er novembre 1990 au 1er octobre 2003, puis au service des systèmes d'information de la marine (SERSIM) de la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des système d'information (DIRISI) de Toulon du 1er octobre 2003 au 1er janvier 2009 et au CIRISI de la DIRISI du 1er janvier 2009 au 1er décembre 2015, en qualité de technicien Télécom, lesquels services ne sont pas inscrits sur la liste des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales établie par arrêté interministériel permettant de percevoir, sous certaines conditions, l'ASCAA. Il résulte des mentions de la fiche d'exposition aux poussières d'amiante le concernant, établie le 30 octobre 2017 par le chef de subdivision des systèmes de communication, que M. A... a été affecté dans des installations renfermant des matériaux contenant de l'amiante durant la période du 1er novembre 1990 au 1er décembre 2015, au cours de laquelle il a exercé les fonctions de technicien Télécom. Ainsi, M. A... doit être regardé comme ayant eu connaissance de l'étendue du risque à l'origine du préjudice moral et des troubles dans les conditions de l'existence dont il demande la réparation, dans lesquels est incorporé le préjudice d'anxiété, à compter du 30 octobre 2017, dès lors que l'attestation en question énumère précisément ses périodes d'affectation dans des installations renfermant des matériaux contenant de l'amiante au cours de sa carrière au SERTIM et à la DIRISI. Par suite, le délai de prescription quadriennale de la créance de M. A... à l'encontre de l'Etat ayant débuté le 1er janvier 2018 et expiré le 31 décembre 2021, cette créance n'était pas prescrite à la date du 5 juin 2019, à laquelle le ministre des armées a reçu la réclamation préalable du requérant. Dès lors, ce dernier est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande au motif qu'elle était prescrite en application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968.

7. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Toulon et devant la Cour.

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat en qualité d'employeur :

8. La responsabilité de l'administration, notamment en sa qualité d'employeur, peut être engagée à raison de la faute qu'elle a commise, pour autant qu'il en résulte un préjudice direct et certain. A le caractère d'une faute, le manquement à l'obligation de sécurité à laquelle l'employeur est tenu envers son agent, lorsqu'il a ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé ce dernier et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Il n'est pas contesté que la nocivité de l'amiante et la gravité des maladies dues à son exposition étaient pour partie déjà connues avant 1977 et que le décret susvisé du 17 août 1977 relatif aux mesures d'hygiène particulières applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, a imposé des mesures de protection de nature à réduire l'exposition des agents aux poussières d'amiante ainsi que des contrôles de la concentration en fibres d'amiante dans l'atmosphère des lieux de travail.

9. M. A... soutient qu'il a été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante dans des conditions similaires à celles des ouvriers de la DCN, sans protection ni information, lesquels dépendaient du ministère de la défense et que l'Etat a commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité à plus forte raison après l'édiction du décret de 1977 dans la mesure où il n'apporte pas le moindre début de preuve de ce que ses dispositions ont bien été respectées.

10. Il résulte de l'instruction et notamment de la fiche d'exposition aux poussières d'amiante, établie le 30 octobre 2017 par le chef de subdivision des systèmes de communication que M. A... n'était pas affecté à la DCN mais au service des transmissions d'infrastructure de la Marine (SERTIM) de Toulon, puis au service des systèmes d'information de la marine (SERSIM) de la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des système d'information (DIRISI) de Toulon et au CIRISI de la DIRISI, en qualité de technicien Télécom. Cette fiche mentionne, en outre, qu'il a été exposé à l'amiante durant la période du 1er novembre 1990 au 1er décembre 2015. Ainsi, M. A... a été exposé aux risques présentés par l'inhalation de poussières d'amiante en contact avec des matériaux renfermant cette substance. Le ministre des armées qui se borne à faire valoir que, cette attestation d'exposition est lacunaire, ne produit aucun élément de nature à remettre en cause les mentions claires et précises de cette attestation qui récapitule le poste de travail occupé par le requérant et sa période d'exposition à l'amiante, les examens réalisés dans le cadre d'une surveillance médicale spéciale à savoir des radios pulmonaires et préconise une surveillance par scanner thoracique. Si cette fiche mentionne qu'il a été mis en œuvre des mesures préventives, le ministre des armées n'établit pas que des mesures de protection et de prévention auraient été effectivement mises en œuvre et reçu concrètement exécution au sein des services précités où a été employé M. A... durant sa carrière. Par suite, l'Etat employeur doit être regardé comme ayant fait preuve d'une carence fautive dans la mise en œuvre effective, obligation qui lui incombait, des mesures de protection contre les poussières d'amiante auxquelles M. A... a pu être exposé au cours de la période du 1er novembre 1990 au 1er décembre 2015. Cette carence est de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne les préjudices :

S'agissant du préjudice moral :

11. La personne qui recherche la responsabilité d'une personne publique en sa qualité d'employeur et qui fait état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition effective aux poussières d'amiante susceptible de l'exposer à un risque élevé de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée, peut obtenir réparation du préjudice moral tenant à l'anxiété de voir ce risque se réaliser. Dès lors qu'elle établit que l'éventualité de la réalisation de ce risque est suffisamment élevée et que ses effets sont suffisamment graves, la personne a droit à l'indemnisation de ce préjudice, sans avoir à apporter la preuve de manifestations de troubles psychologiques engendrés par la conscience de ce risque élevé de développer une pathologie grave.

12. Doivent ainsi être regardées comme faisant état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir qu'elles ont été exposées à un risque élevé de pathologie grave et de diminution de leur espérance de vie, dont la conscience suffit à justifier l'existence d'un préjudice d'anxiété indemnisable, les personnes qui justifient avoir été, dans l'exercice de leurs fonctions, conduites à intervenir sur des matériaux contenant de l'amiante et, par suite, directement exposées à respirer des quantités importantes de poussières issues de ces matériaux.

13. Le montant de l'indemnisation du préjudice d'anxiété prend notamment en compte, parmi les autres éléments y concourant, la nature des fonctions exercées par l'intéressé et la durée de son exposition aux poussières d'amiante.

14. Il ne résulte pas de l'instruction que M. A... ait bénéficié de l'ASCAA. Il lui appartient donc d'apporter devant le juge des éléments complémentaires probants relatifs à sa situation personnelle. Il résulte à cet égard de l'instruction, et notamment de l'attestation mentionnée au point 10 que le requérant a été exposé aux poussières d'amiante sur une période suffisamment longue de 25 ans et un mois, des conditions pouvant lui faire craindre légitimement d'être exposé à une maladie grave. Les études dont se prévaut l'intéressé démontrent que les poussières d'amiante inhalées sont définitivement absorbées par les poumons sans que l'organisme puisse les éliminer et peuvent de ce fait provoquer à terme, outre des atteintes graves à la fonctionnalité respiratoire, des pathologies cancéreuses particulièrement difficiles à guérir en l'état des connaissances médicales, et enfin qu'eu égard notamment à la circonstance que certains de ses collègues exposés aux poussières d'amiante ont contracté des maladies ayant entraîné leur décès, l'intéressé vit dans la crainte de découvrir subitement qu'il est atteint d'une pathologie grave, même si son état de santé ne s'accompagne pour l'instant d'aucun symptôme clinique ou manifestation physique. Par suite, M. A... justifie de l'existence d'un préjudice en lien direct et certain avec son exposition aux poussières d'amiante sans protection, tenant à l'anxiété due au risque élevé de développer une pathologie grave.

15. Au regard de son exposition quotidienne au risque d'inhalation de poussières d'amiante et de la durée de son affectation pendant 25 ans et un mois, il serait fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en fixant à 12 500 euros l'évaluation du préjudice moral subi par M. A....

S'agissant des troubles dans les conditions d'existence :

16. En se bornant à produire un seul scanner thoracique du 8 août 2018, M. A... ne justifie pas être soumis à un suivi médical post-professionnel, dont la fréquence éventuelle des contrôles serait telle qu'elle entraînerait pour lui un trouble dans ses conditions d'existence, ni éprouver une détresse telle qu'elle témoigne d'une perte d'élan vital accompagnée de perturbation dans son projet de vie. Dans ces conditions, sa demande d'indemnisation au titre de ce préjudice doit être rejetée.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

17. M. A... a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 12 500 euros à compter du 5 juin 2019, date de réception de sa demande par le ministre des armées.

18. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 11 septembre 2019. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 5 juin 2020, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

19. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante.

Sur les frais liés au litige :

20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 19 octobre 2023 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. A... la somme de 12 500 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 juin 2019. Les intérêts échus à la date du 5 juin 2020 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 14 juin 2024, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 juin 2024.

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N° 23MA03016

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