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28/06/2024 | FRANCE | N°23MA02415

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 28 juin 2024, 23MA02415


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :





M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante, assorties des intérêts et de leur capitalisation.





Par un jugement n° 1901405 du 20 juillet 2023, le tribunal admin

istratif de Toulon a rejeté cette demande.





Procédure devant la Cour :





Par une requête et un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante, assorties des intérêts et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1901405 du 20 juillet 2023, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 et 29 septembre 2023, sous le n° 23MA02415, M. B..., représenté par la Selarl Teissonnière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et Associés, demande à la Cour :

1°) de sursoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil d'Etat sur la prescription de l'action des ouvriers d'Etat ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 20 juillet 2023 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral et de 15 000 euros en réparation des troubles dans ses conditions d'existence, assorties des intérêts à compter de la date de la première demande d'indemnisation et de leur capitalisation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la prescription quadriennale ne pouvait lui être valablement opposée dès lors que la plainte pénale avec constitution de partie civile déposée le 10 février 2005 par les consorts C... devant le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Brest a interrompu le délai de prescription quadriennale à l'égard de tout ouvrier d'Etat ayant été exposé à l'amiante au sein des locaux de la DCN de Brest, de Lorient ou de toute autre DCN et que dans son avis du 19 avril 2022, le Conseil d'Etat n'a pas remis en cause cette position ;

- il a travaillé au sein de la DCN de Toulon puis à l'atelier industriel de l'aéronautique (AIA) de Cuers-Pierrefeu en tant qu'ouvrier d'Etat et a été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante sans protection adaptée ni information des risques encourus, ce qui renforce la responsabilité de l'Etat et la gravité de sa faute ;

- l'arrêté du 25 août 1977, pris en application du décret du 17 août 1977, relatif au contrôle de l'empoussièrement dans les établissements où le personnel est exposé fixait des obligations très précises dont le ministre des armées ne démontre pas le respect ;

- le lien de causalité entre la carence fautive de l'Etat et les préjudices allégués est constitué ;

- il a subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence en lien avec son exposition à l'amiante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mai 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête de M. B....

Il fait valoir que :

- la créance est prescrite ;

- les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Le mémoire complémentaire, présenté pour M. B..., représenté par la Selarl Teissonnière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et Associés, enregistré le 29 mai 2024 n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;

- le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 ;

- l'arrêté du 21 décembre 2001 relatif à la liste des professions et établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat du ministère de la défense ;

- l'avis du Conseil d'Etat n° 457560 du 19 avril 2022 ;

- la décision n° 474885 en date du 22 décembre 2023 du Conseil d'Etat ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marchessaux,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ouvrier d'Etat a été employé au sein de la Direction des Constructions Navales (DCN) de Toulon du 15 septembre 1975 au 31 décembre 1991 en qualité de charpentier tôlier, puis à l'atelier industriel de l'aéronautique (AIA) de Cuers-Pierrefeu, du 1er janvier 1992 au 1er février 2017 en qualité de mécanicien aéronautique Structures. Par une réclamation préalable du 19 février 2019 reçue le 21 février suivant, il a demandé au ministre des armées de lui verser la somme totale de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence en raison de son exposition à l'amiante lors de l'exercice de son activité professionnelle résultant des carences fautives de l'Etat dans la protection de ses agents contre l'exposition aux poussières d'amiante. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. M. B... relève appel du jugement du 20 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme totale de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Aux termes de l'article 6 du même texte : " Les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription qui découle de la présente loi ". Aux termes, enfin, du premier alinéa de son article 7 : " L'Administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 21 décembre 2001 relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (ASCAA) à certains ouvriers de l'Etat relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat : " Une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité est versée, sur leur demande, aux ouvriers ou anciens ouvriers de l'Etat relevant ou ayant relevé du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat qui sont ou ont été employés dans des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : / 1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements ou parties d'établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté du ministre intéressé et des ministres chargés du budget, du travail et de la sécurité sociale, pendant des périodes fixées dans les mêmes conditions, au cours desquelles étaient traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; / 2° Avoir exercé, pendant les périodes mentionnées au 1°, une profession figurant sur une liste établie par arrêté du ministre intéressé et des ministres chargés du budget, du travail et de la sécurité sociale ; / 3° Avoir atteint l'âge prévu à l'article 3. / (...) ". Ces dispositions instaurent un régime particulier de cessation anticipée d'activité permettant à certains ouvriers d'Etat ayant travaillé dans des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales figurant sur une liste établie par arrêté interministériel, de percevoir, sous certaines conditions, une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, sous réserve de cesser toute activité professionnelle.

4. En premier lieu, ainsi que l'a estimé le Conseil d'Etat dans son avis n° 457560 du 19 avril 2022, lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions citées au point 2, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à une année court, sous réserve des cas visés à l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, à compter du 1er janvier de l'année suivante, à la condition qu'à cette date le préjudice subi au cours de cette année puisse être mesuré.

5. Le préjudice d'anxiété dont peut se prévaloir un salarié éligible à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante mentionnée au point 3 naît de la conscience prise par celui-ci qu'il court le risque élevé de développer une pathologie grave, et par là même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante. La publication de l'arrêté qui inscrit l'établissement en cause, pour une période au cours de laquelle l'intéressé y a travaillé, sur la liste établie par arrêté interministériel dans les conditions mentionnées au point 3, est par elle-même de nature à porter à la connaissance de l'intéressé, s'agissant de l'établissement et de la période désignés dans l'arrêté, la créance qu'il peut détenir de ce chef sur l'administration au titre de son exposition aux poussières d'amiante. Le droit à réparation du préjudice en question doit donc être regardé comme acquis, au sens des dispositions citées au point 2, pour la détermination du point de départ du délai de prescription, à la date de publication de cet arrêté. Lorsque l'établissement a fait l'objet de plusieurs arrêtés successifs étendant la période d'inscription ouvrant droit à l'ASCAA, la date à prendre en compte est la plus tardive des dates de publication d'un arrêté inscrivant l'établissement pour une période pendant laquelle le salarié y a travaillé. Enfin, dès lors que l'exposition a cessé, la créance se rattache, en application de ce qui a été dit au point 4, non à chacune des années au cours desquelles l'intéressé souffre de l'anxiété dont il demande réparation, mais à la seule année de publication de l'arrêté, lors de laquelle la durée et l'intensité de l'exposition sont entièrement révélées, de sorte que le préjudice peut être exactement mesuré. Par suite la totalité de ce chef de préjudice doit être rattachée à cette année, pour la computation du délai de prescription institué par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968.

6. En second lieu, d'une part, les recours formés à l'encontre de l'Etat par des tiers tels que d'autres salariés victimes, leurs ayants droit ou des sociétés exerçant une action en garantie fondée sur les droits d'autres salariés victimes ne peuvent être regardés comme relatifs au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, dont ils ne peuvent dès lors interrompre le délai de prescription en application de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968.

7. D'autre part, les dispositions de cet article subordonnant l'interruption du délai de prescription qu'elles prévoient en cas de recours juridictionnel à la mise en cause d'une collectivité publique, les actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur formées devant les juridictions judiciaires ne peuvent, en tout état de cause, en l'absence d'une telle mise en cause, davantage interrompre le cours du délai de prescription de la créance le cas échéant détenue sur l'Etat.

8. Enfin, lorsque la victime d'un dommage causé par des agissements de nature à engager la responsabilité d'une collectivité publique dépose contre l'auteur de ces agissements une plainte avec constitution de partie civile, ou se porte partie civile afin d'obtenir des dommages et intérêts dans le cadre d'une instruction pénale déjà ouverte, l'action ainsi engagée présente, au sens des dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, le caractère d'un recours relatif au fait générateur de la créance que son auteur détient sur la collectivité et interrompt par suite le délai de prescription de cette créance. En revanche, ne présentent un tel caractère ni une plainte pénale qui n'est pas déposée entre les mains d'un juge d'instruction et assortie d'une constitution de partie civile, ni l'engagement de l'action publique, ni l'exercice par le condamné ou par le ministère public des voies de recours contre les décisions auxquelles cette action donne lieu en première instance et en appel.

En ce qui concerne la période d'emploi à la DCN du 15 septembre 1975 au 31 décembre 1991 :

9. Il résulte de l'instruction que M. B... a été employé au sein de la Direction des Constructions Navales (DCN) de Toulon en qualité qu'ouvrier d'Etat et y a exercé la profession de charpentier tôlier pour la période du 15 septembre 1975 au 31 décembre 1991. Compte tenu de ce qui a été dit au point 5, le délai de prescription quadriennale de la créance de M. B... à l'encontre de l'Etat a commencé à courir à compter du 1er janvier 2002, à la suite de la publication au Journal Officiel le 28 décembre 2001 de l'arrêté du 21 décembre 2001 relatif à la liste des professions et établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution de l'ASCAA à certains ouvriers de l'Etat du ministère de la défense, incluant dans cette liste la DCN de Toulon. Ainsi, il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5 que le requérant a eu connaissance de l'étendue du risque à l'origine du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence dont il demande réparation, dans lesquels est incorporé le préjudice d'anxiété, à compter de la date de publication de cet arrêté intervenue le 28 décembre 2001. Si M. B... se prévaut d'une plainte pénale avec constitution de partie civile introduite en 2005 par les consorts C..., affectés à la DCN de Lorient, il ne résulte pas de l'instruction que l'appelant aurait lui-même déposé une plainte avec constitution de partie civile, ou se serait porté partie civile afin d'obtenir des dommages et intérêts dans le cadre d'une instruction pénale déjà ouverte. Dès lors, le délai de prescription quadriennale opposable à M. B..., qui n'a pas été interrompu par cette action pénale, était expiré à la date à laquelle il a formé sa réclamation préalable le 19 février 2019 et reçue le 21 février suivant. Par suite, sa demande était prescrite pour cette période.

En ce qui concerne la période d'emploi à l'atelier industriel de l'aéronautique (AIA) de Cuers- Pierrefeu, du 1er janvier 1992 au 1er février 2017 :

10. Il résulte de l'instruction que, pour cette période du 1er janvier 1992 au 1er janvier 2017, M. B... a travaillé au sein de l'atelier industriel de l'aéronautique (AIA) de Cuers-Pierrefeu, lequel n'est pas inscrit sur la liste des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales établie par arrêté interministériel permettant de percevoir, sous certaines conditions, l'ASCAA. Il résulte des mentions de l'attestation d'exposition aux poussières d'amiante le concernant, établie le 28 octobre 2016 par le chef du département des ressources humaines de l'atelier industriel de l'aéronautique de Cuers-Pierrefeu, qu'il a été affecté dans des installations renfermant des matériaux contenant de l'amiante durant cette période, au cours de laquelle il a exercé les fonctions de mécanicien aéronautique Structures. Ainsi, M. B... doit être regardé comme ayant eu connaissance de l'étendue du risque à l'origine du préjudice moral et des troubles dans les conditions de l'existence dont il demande la réparation, dans lesquels est incorporé le préjudice d'anxiété, à compter du 28 octobre 2016, dès lors que l'attestation en question énumère précisément ses périodes d'affectation dans des installations renfermant des matériaux contenant de l'amiante au cours de sa carrière dans l'atelier industriel de l'aéronautique de Cuers-Pierrefeu. Si le ministre des armées fait valoir que la victime peut également être regardé comme ayant eu connaissance de l'étendue de ce risque à compter de la date à laquelle elle a effectué un examen médical spécifique au diagnostic d'une éventuelle pathologie liée à son exposition à l'amiante, le seul fait de passer un examen spécifique n'est pas suffisant à établir qu'elle a eu une connaissance suffisante de ses conditions personnelles d'exposition à l'amiante à cette date. Par suite, le délai de prescription quadriennale de la créance de M. B... à l'encontre de l'Etat ayant débuté le 1er janvier 2017 et expiré le 31 décembre 2020, cette créance n'était pas prescrite à la date du 21 février 2019, à laquelle le ministre des armées a reçu la réclamation préalable du requérant. Dès lors, ce dernier est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande pour cette période au motif qu'elle était prescrite en application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968.

11. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif de Toulon et devant la Cour.

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat en qualité d'employeur :

12. La responsabilité de l'administration, notamment en sa qualité d'employeur, peut être engagée à raison de la faute qu'elle a commise, pour autant qu'il en résulte un préjudice direct et certain. A le caractère d'une faute, le manquement à l'obligation de sécurité à laquelle l'employeur est tenu envers son agent, lorsqu'il a ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé ce dernier et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Il n'est pas contesté que la nocivité de l'amiante et la gravité des maladies dues à son exposition étaient pour partie déjà connues avant 1977 et que le décret susvisé du 17 août 1977 relatif aux mesures d'hygiène particulières applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, a imposé des mesures de protection de nature à réduire l'exposition des agents aux poussières d'amiante ainsi que des contrôles de la concentration en fibres d'amiante dans l'atmosphère des lieux de travail.

13. M. B... soutient que les ouvriers d'Etat de la DCN ont été massivement exposés à l'inhalation de poussières d'amiante sans protection adaptées ni information des risques encourus par le seul ministère de la défense dont la DCN dépendait et que l'Etat a commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité à plus forte raison après l'édiction du décret de 1977 dans la mesure où il n'apporte pas le moindre début de preuve de ce que ses dispositions ont bien été respectées.

14. Il résulte de l'instruction et notamment de l'attestation d'exposition aux poussières d'amiante, établie le 28 octobre 2016 par le chef du département des ressources humaines de l'atelier industriel de l'aéronautique de Cuers-Pierrefeu que pour la période du 1er janvier 1992 au 1er février 2017, M. B... n'était pas affecté à la DCN mais à l'atelier industriel de l'aéronautique de Cuers-Pierrefeu où il exerçait les fonctions de mécanicien aéronautique Structures. Cette attestation mentionne, en outre, qu'il a été exposé à l'amiante durant la période précitée. Ainsi, M. B... a été exposé aux risques présentés par l'inhalation de poussières d'amiante en contact avec des matériaux renfermant cette substance. Le ministre des armées qui se borne à faire valoir que seul " un relevé de carrière du plan amiante " indiquant l'état exact des services ayant pu risquer d'exposer les ouvriers au cours de leur carrière permet d'établir la réalité de l'exposition et du risque qui en découle, ne produit aucun élément de nature à remettre en cause les mentions claires et précises de cette attestation qui récapitule le poste de travail occupé par le requérant et sa période d'exposition à l'amiante, les examens réalisés dans le cadre d'une surveillance médicale spéciale à savoir des radios pulmonaires et préconise une surveillance par scanner thoracique. Si cette attestation mentionne qu'il a été mis en œuvre, d'une part, des équipements de protection individuelle et, d'autre part, des mesures organisationnelles et une extraction par air pulsé concernant les équipements de protection collective, le ministre des armées n'établit pas que des mesures de protection et de prévention auraient été effectivement mises en œuvre et reçu concrètement exécution au sein de l'atelier industriel de l'aéronautique de Cuers-Pierrefeu où a été employé M. B... durant sa carrière. Par suite, l'Etat employeur doit être regardé comme ayant fait preuve d'une carence fautive dans la mise en œuvre effective, obligation qui lui incombait, des mesures de protection contre les poussières d'amiante auxquelles M. B... a pu être exposé au cours de la période du 1er janvier 1992 au 1er février 2017. Cette carence est de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne les préjudices :

S'agissant du préjudice moral :

15. La personne qui recherche la responsabilité d'une personne publique en sa qualité d'employeur et qui fait état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition effective aux poussières d'amiante susceptible de l'exposer à un risque élevé de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée, peut obtenir réparation du préjudice moral tenant à l'anxiété de voir ce risque se réaliser. Dès lors qu'elle établit que l'éventualité de la réalisation de ce risque est suffisamment élevée et que ses effets sont suffisamment graves, la personne a droit à l'indemnisation de ce préjudice, sans avoir à apporter la preuve de manifestations de troubles psychologiques engendrés par la conscience de ce risque élevé de développer une pathologie grave.

16. Doivent ainsi être regardées comme faisant état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir qu'elles ont été exposées à un risque élevé de pathologie grave et de diminution de leur espérance de vie, dont la conscience suffit à justifier l'existence d'un préjudice d'anxiété indemnisable, les personnes qui justifient avoir été, dans l'exercice de leurs fonctions, conduites à intervenir sur des matériaux contenant de l'amiante et, par suite, directement exposées à respirer des quantités importantes de poussières issues de ces matériaux.

17. Le montant de l'indemnisation du préjudice d'anxiété prend notamment en compte, parmi les autres éléments y concourant, la nature des fonctions exercées par l'intéressé et la durée de son exposition aux poussières d'amiante.

18. Il ne résulte pas de l'instruction que M. B... ait bénéficié de l'ASCAA. Il lui appartient donc d'apporter devant le juge des éléments complémentaires probants relatifs à sa situation personnelle. Il résulte à cet égard de l'instruction, et notamment de l'attestation mentionnée au point 14 que le requérant a été exposé aux poussières d'amiante sur une période suffisamment longue de 25 ans, des conditions pouvant lui faire craindre légitimement d'être exposé à une maladie grave. Les études dont se prévaut l'intéressé démontrent que les poussières d'amiante inhalées sont définitivement absorbées par les poumons sans que l'organisme puisse les éliminer et peuvent de ce fait provoquer à terme, outre des atteintes graves à la fonctionnalité respiratoire, des pathologies cancéreuses particulièrement difficiles à guérir en l'état des connaissances médicales, et enfin qu'eu égard notamment à la circonstance que certains de ses collègues exposés aux poussières d'amiante ont contracté des maladies ayant entraîné leur décès, l'intéressé vit dans la crainte de découvrir subitement qu'il est atteint d'une pathologie grave, même si son état de santé ne s'accompagne pour l'instant d'aucun symptôme clinique ou manifestation physique. Il produit également un certificat médical du 9 octobre 2018 mentionnant qu'il présente des troubles anxieux en lien avec son exposition à l'amiante. Par suite, M. B... justifie de l'existence d'un préjudice en lien direct et certain avec son exposition aux poussières d'amiante sans protection, tenant à l'anxiété due au risque élevé de développer une pathologie grave.

19. Au regard de son exposition quotidienne au risque d'inhalation de poussières d'amiante et de la durée de son affectation pendant 25 ans, il serait fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en fixant à 12 500 euros l'évaluation du préjudice moral subi par M. B....

S'agissant des troubles dans les conditions d'existence :

20. Les comptes rendus de scanner thoracique réalisés en 2008, 2013, 2014 et 2015 ne permettent pas d'établir que M. B... est astreint du fait de son exposition à l'amiante à un suivi médical d'une fréquence telle qu'il subit des troubles dans ses conditions d'existence. S'il se fonde sur des attestations de proches relatant l'angoisse qu'il ressent du fait de son exposition à l'amiante, ces éléments se bornent à faire état de l'anxiété de l'intéressé pour laquelle il a déjà été indemnisé. Ainsi, les conclusions de l'intéressé tendant à son indemnisation au titre des troubles dans les conditions d'existence allégués ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

21. M. B... a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 12 500 euros à compter du 21 février 2019, date de réception de sa demande par le ministre des armées.

22. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 2 mai 2019. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 21 février 2020, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

23. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante.

Sur les frais liés au litige :

24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 20 juillet 2023 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. B... la somme de 12 500 euros avec intérêts au taux légal à compter du 21 février 2019. Les intérêts échus à la date du 21 février 2020 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 14 juin 2024, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 juin 2024.

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N° 23MA02415

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