Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) la somme de 502 603,60 euros, en réparation des préjudices résultant de l'accident médical qu'il a subi.
Par un jugement avant dire droit du 29 mars 2021, le tribunal administratif de Marseille a demandé un avis technique au docteur B... afin de préciser le pourcentage de risque d'atteinte du nerf spinal avec troubles au niveau du plexus brachial de même nature que ceux présentés par M. D..., dans le cadre de la prise en charge d'un cancer du cavum par radiothérapie et curage ganglionnaire cervical en tenant compte du caractère itératif de ces traitements.
L'avis technique du docteur B... a été déposé au greffe du tribunal le 17 septembre 2021.
Avant de statuer sur l'appel formé par M. D... contre le jugement n°1907591 du 18 juillet 2022 du tribunal administratif de Marseille, la cour a, par un arrêt avant dire droit n° 22MA02324 du 12 janvier 2024, demandé au docteur B... un avis technique complémentaire sur le fondement des dispositions de l'article R. 626-2 du code de justice administrative, afin de déterminer, à partir d'un état actualisé des connaissances scientifiques à la date de l'avis qui sera rendu, un pourcentage du risque d'atteinte du nerf spinal avec troubles au niveau du plexus brachial de même nature que ceux présentés par M. D... dans le cadre de la prise en charge d'un cancer du cavum par radiothérapie et curage ganglionnaire cervical, en tenant compte du caractère itératif de ces traitements.
L'avis technique du docteur B... a été déposé au greffe de la cour le 16 février 2024, complété par des observations complémentaires enregistrées le 4 avril 2024.
Par trois mémoires enregistrés les 18 mars 2024, 10 avril 2024 et 22 avril 2024, M. D..., représenté par Me Saint-Pierre, conclut aux mêmes fins qui tendaient à ce que soit mise à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) la somme de 502 603,60 euros, en réparation des préjudices résultant de l'accident médical qu'il a subi par les mêmes moyens et ajoute que :
- il a effectué le 12 janvier 2024 une imagerie par résonance magnétique mettant en évidence non seulement une atteinte plexique post-radique mais aussi une atteinte de la moëlle épinière post-radique, nécessitant, compte tenu de l'aggravation de son état, qu'une nouvelle expertise soit ordonnée ;
- les conclusions de l'expert indiquant que M. D... avait 40 % de chances de développer une atteinte plexique reposent sur un graphique erroné et ne sont pas justifiées ;
- le risque de développer une atteinte plexique entraînant une invalidité grave doit en l'espèce être évalué à 2,85 %.
Par un mémoire, enregistré le 22 avril 2024, l'ONIAM, représenté par Me De La Grange, conclut au rejet de la demande de M. D....
Il maintient ses écritures précédentes et fait valoir en outre que :
- l'avis technique complémentaire de l'expert permet de confirmer que la condition d'anormalité du dommage n'est pas démontrée ;
- la demande de nouvelle expertise est dépourvue d'utilité.
Vu :
- l'ordonnance du 12 octobre 2021 de la première vice-présidente du tribunal administratif de Marseille liquidant et taxant à la somme de 501,08 euros les frais et honoraires de l'avis technique confié au docteur B... ;
- l'ordonnance de la présidente de la cour du 28 février 2024 liquidant et taxant à la somme de 1 200 euros les frais et honoraires de l'avis technique confié au docteur B... ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Danveau,
- et les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me Saint-Pierre, représentant M. D..., et de Me Yagour, représentant l'ONIAM.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêt avant dire droit du 12 janvier 2024, la cour a, avant de statuer sur l'appel formé par M. D... à l'encontre du jugement du 18 juillet 2022 du tribunal administratif de Marseille, sollicité un avis technique complémentaire confié au docteur B..., médecin spécialisé en oncologie et radiothérapie, afin de déterminer, à partir d'un état actualisé des connaissances scientifiques à la date de l'avis qui sera rendu, un pourcentage du risque d'atteinte du nerf spinal avec troubles au niveau du plexus brachial de même nature que ceux présentés par M. D... dans le cadre de la prise en charge d'un cancer du cavum par radiothérapie et curage ganglionnaire cervical, en tenant compte du caractère itératif de ces traitements. L'avis technique de l'expert a été enregistré au greffe de la cour le 16 février 2024 et a été complété, en réponse aux observations présentées par M. D..., par une note complémentaire enregistrée le 4 avril 2024.
Sur la responsabilité au titre de la solidarité nationale :
2. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. " Selon le premier alinéa de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. (...) ".
3. La condition d'anormalité du dommage prévue par les dispositions précitées du II de l'article L. 1142-1 doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.
4. Comme il a été jugé par l'arrêt avant dire droit du 12 janvier 2024, il résulte du rapport d'expertise que la condition de gravité du dommage prévue au II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique est remplie, et que les conséquences de l'acte médical subi par M. D... ne peuvent être regardées comme notablement plus graves que celles auxquelles il était exposé du fait de son cancer épidermoïde du cavum diagnostiqué à un stade avancé.
5. Cependant, il résulte de l'instruction que les troubles neurologiques de M. D... sont dus aux curages cervicaux réalisés et à la répétition des irradiations subies, notamment à deux reprises du côté gauche entre avril 2009 et septembre 2011, puis du côté droit entre mai et juin 2013, lesquelles sont de nature à augmenter le risque de neurotoxicité. Il résulte du rapport d'expertise, ainsi que des avis techniques complémentaires respectivement produits à la demande du tribunal et de la cour par l'expert spécialisé en oncologie et en radiothérapie, que la survenue de la plexite radique du plexus brachial a également été favorisée par les doses d'irradiation reçues par le patient, nécessaires au traitement de sa pathologie cancéreuse localement avancée. L'avis technique remis le 16 février 2024 précise à cet égard que le plexus brachial gauche de l'intéressé a reçu des doses de radiation supérieures à la dose maximale possible qui est, au vu d'une étude Rulach et al. de 2021, comprise entre 80 Gray et 95 Gray lorsqu'un intervalle de plus de deux ans est respecté entre deux radiothérapies. En l'espèce, M. D... a reçu une dose cumulée comprise entre 102 Gray et 123 Gray au vu des deux irradiations subies entre 2009 et 2011 sur une période de 26 mois, et présentait ainsi un risque important de plexite radique, accru par ailleurs par les interventions de curages ganglionnaires. L'expert se fonde également sur une étude Chen et al. de 2017, concernant la tolérance du plexus brachial à la réirradiation à haute dose subie par 43 patients, qui montre que le risque d'atteinte plexique post-radique est de 40 % pour un patient comme M. D... qui a subi une dose d'irradiation supérieure à 95 gray et présente l'ensemble des symptômes de la plexite tels que douleurs neuropathiques, déficit moteur et troubles de la sensibilité. Il est ajouté que le seul risque d'atteinte motrice est, sur la base de cette étude, déterminé selon un taux compris entre 6 % et 10 %. Ces éléments ne sont pas sérieusement remis en cause par le requérant, qui estime, sans l'établir, que le graphique utilisé par l'expert pour évaluer le taux de risque de survenue d'une atteinte plexique, issu de l'étude Chen et al. publiée en 2017 dans le journal international de radiothérapie, serait erroné. Par ailleurs, l'expert justifie, pour définir le taux de risque, avoir tenu compte d'un délai d'apparition des symptômes de deux ans, dès lors qu'il permet d'apprécier plus précisément l'ensemble des séquelles neurologiques susceptibles de toucher le patient sur une période plus étendue que celle d'un an retenue par le requérant. Dans ces conditions, le risque de développer une atteinte plexique dans le cadre des radiothérapies et chirurgies suivies par M. D... pour traiter son cancer ne pouvait être regardé comme faible et ne saurait être utilement remis en cause par les seules circonstances que M. D... n'ait pas rencontré les mêmes complications du côté droit et que les techniques d'irradiation ont depuis plusieurs années progressé. La condition d'anormalité du dommage telle que prévue au II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique n'est pas davantage établie par l'étude Gu et al. de 2014 sur laquelle s'appuie le requérant, portant sur un échantillon de 1209 patients traités par radiochimiothérapie pour un cancer du cavum, et qui n'ont eu à subir ni curage cervical ni ré-irradiation cervicale. Enfin, si le requérant se prévaut de ce qu'il souffre désormais, en plus d'une lésion du plexus brachial, d'une atteinte de la moëlle épinière post-radique, les pièces médicales produites, qui demeurent incertaines sur son diagnostic, ne permettent en tout état de cause d'établir aucun lien avec la répétition des irradiations subies entre 2009 et 2013.
6. ll résulte de l'ensemble de ces éléments que la survenance des complications neurologiques subies par M. D... ne saurait être regardée comme présentant une probabilité faible. Par suite, et sans qu'ait d'incidence à l'encontre de l'ONIAM la circonstance, même à la supposer établie, que l'AP-HM n'aurait pas délivré au requérant une information complète sur les risques des traitements suivis, les séquelles neurologiques subies par ce dernier ne sauraient être regardées comme ayant eu des conséquences anormales au sens des dispositions précitées du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique et ne sauraient ainsi donner lieu à une indemnisation au titre de la solidarité nationale.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Sur la déclaration d'arrêt commun :
8. Il y a lieu de déclarer le présent arrêt commun à la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes et à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône qui, régulièrement mises en cause dans la présente instance, n'ont pas produit de mémoire.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu de laisser les frais et honoraires de l'avis technique du Dr B..., taxés et liquidés à la somme de 501,08 euros par ordonnance de la première vice-présidente du tribunal du 12 octobre 2021, à la charge définitive de M. D.... Par ailleurs, il y a lieu de mettre à la charge définitive de M. D... les frais et honoraires de l'avis technique confié au même expert par ordonnance de la présidente de la cour du 28 février 2024, taxés et liquidés à hauteur de 1 200 euros.
10. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'ONIAM, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. D... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme totale de 501,08 euros par ordonnance de la première vice-présidente du tribunal du 12 octobre 2021, et à la somme de 1 200 euros par ordonnance de la présidente de la cour du 28 février 2024, sont mis à la charge définitive de M. D....
Article 3 : Le présent arrêt est déclaré commun à la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes et à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône et à la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes.
Copie du présent arrêt sera adressée à Mme C... B..., expert.
Délibéré après l'audience du 13 juin 2024, où siégeaient :
- Mme Fedi, présidente de chambre,
- Mme Rigaud, présidente assesseure,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 juin 2024.
N° 22MA02324 2