Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille du 13 août 2019 en tant qu'il exclut le maintien de son plein traitement sur les périodes du 15 mai au 13 juin 2018 et du 17 juillet au 15 septembre 2019, et retient un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 0 %, ensemble la décision implicite portant rejet de son recours gracieux, d'autre part, d'enjoindre au directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille de prendre une nouvelle décision de reconnaissance de l'imputabilité au service de l'accident dont il a été victime le 1er juillet 2016, avec une prise en charge continue à compter de cette date jusqu'au 16 septembre 2019, date à laquelle il a repris ses fonctions, et arrêtant un taux d'IPP de minimum 8 % et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2001133 du 26 janvier 2023, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision du directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille du 13 août 2019 en tant qu'elle porte refus de maintenir le plein traitement de M. D... sur la période du 17 juillet au 15 septembre 2019 et en tant qu'elle fixe son taux d'IPP à 0 %, a enjoint au directeur interrégional de placer ce dernier dans une situation statutaire régulière, permettant le maintien de son plein traitement, sur cette même période, et de fixer son taux d'IPP à 8 %, dans un délai de trois mois à compter de la notification de ce jugement, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de première instance.
Procédure devant la Cour :
Par un recours, enregistré le 27 mars 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la Cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 26 janvier 2023.
Il soutient que :
- les premiers juges ont, en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative, insuffisamment motivé leur jugement pour considérer que la décision du 13 août 2019 avait été adoptée au terme d'une procédure irrégulière ;
- en estimant que les conclusions de l'expertise du docteur A..., qui a examiné M. D... le 18 mai 2019, permettaient de contester les conclusions du docteur C... du 17 juillet 2019, les premiers juges ont entaché ce jugement d'une erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 février 2024, M. D..., représenté par Me Leturcq, conclut, d'une part, au rejet du recours, d'autre part, et par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 13 août 2019 en ce qu'elle porte refus de maintenir son plein traitement du 15 mai au 13 juin 2018, à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de prendre une nouvelle décision de reconnaissance de l'imputabilité au service de son accident, avec une prise en charge continue du 1er juillet 2016 au 16 septembre 2019, et de procéder au versement des traitements afférents, et, enfin, à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- sur l'appel principal du garde des sceaux, ministre de la justice :
. les moyens du recours ne sont pas fondés ;
. en se bornant à rejeter implicitement son recours gracieux sans saisir la commission de réforme, l'administration a commis une erreur de droit et de procédure ;
- sur son appel incident : en excluant la période du 15 mai au 13 juin 2018, sans aucune explication, et en arrêtant sa prise en charge au 17 juillet 2019, date de consolidation, l'autorité administrative a entaché sa décision d'une erreur de droit et d'une erreur de fait.
Par une ordonnance du 16 février 2024, la clôture de l'instruction, initialement fixée au 1er mars 2024, a été reportée au 29 mars 2024, à 12 heures.
Le 28 mai 2024, M. D..., représenté par Me Leturcq, a produit une copie de l'arrêt de travail qui lui a été délivré pour la période du 15 mai au 13 juin 2018, en réponse à une mesure d'instruction qui lui a été adressée par la Cour, le 24 mai 2024, par application des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Revert, président assesseur, pour présider la formation de jugement de la 4ème chambre, en application des dispositions de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lombart,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me Leturcq, représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. Depuis le 18 juin 2009, M. D..., surveillant de l'administration pénitentiaire, est en poste à la maison d'arrêt d'Aix-Luynes. Le 1er juillet 2016, il a été victime d'un accident de trajet que le directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille a reconnu comme imputable au service. Par une décision du 13 août 2019, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille a maintenu, au bénéfice de M. D..., l'intégralité de son traitement pour les périodes courant du 1er juillet 2016 au 2 avril 2017 inclus, du 4 avril au 4 novembre 2017 inclus, du 7 novembre 2017 au 14 mai 2018 inclus et du 14 juin 2018 au 17 juillet 2019 inclus, et a fixé la date de consolidation au 17 juillet 2019, sans taux d'incapacité permanente partielle (IPP). Par un jugement du 26 janvier 2023, le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, annulé cette décision en tant qu'elle porte refus de maintenir ce plein traitement du 17 juillet au 15 septembre 2019 et en tant qu'elle fixe ce taux d'IPP à 0 % et a, d'autre part, enjoint au directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille de placer M. D... dans une situation statutaire régulière, permettant le maintien de son plein traitement sur cette période du 17 juillet au 15 septembre 2019 et de fixer son taux d'IPP à 8 %, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement. Compte tenu de son argumentation devant la Cour, le garde des sceaux, ministre de la justice, doit être regardé comme relevant appel de ce jugement en tant seulement qu'il annule la décision du 13 août 2019 en tant qu'elle fixe le taux d'IPP de M. D... à 0% et en tant qu'il lui enjoint de prendre une nouvelle décision pour fixer ce taux à 8%. Par la voie de l'appel incident, M. D... demande à la Cour d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de cette décision du 13 août 2019 en tant qu'elle refuse de maintenir son plein traitement du 15 mai au 13 juin 2018.
Sur l'appel principal du garde des sceaux, ministre de la justice :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. "
3. Pour annuler la décision en litige en tant qu'elle fixe le taux d'IPP de M. D...
à 0%, les premiers juges se sont bornés, d'une part, à constater, au point 6 de leur jugement, que, à l'appui de sa critique des conclusions médicales du 17 juillet 2019, sur lesquelles le directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille s'est fondé pour fixer ce taux, M. D... produisait le rapport de l'expert missionné par le juge judiciaire, qui concluait à un taux de déficit fonctionnel permanent (DFP) de 8 %, au vu de son " syndrome algo-fonctionnel du rachis cervical, gonalgies gauches résiduelles sur état antérieur chirurgical, et syndrome algo-fonctionnel de l'épaule gauche sur tendinopathie ", et, d'autre part, à déduire de ces constatations qu'il " résult[ait] donc de l'ensemble des pièces médicales produites au débat " que la décision en litige était entachée d'une erreur d'appréciation. Toutefois en s'abstenant de faire état de leur appréciation de ces pièces médicales et de répondre, même succinctement, au moyen de défense du garde des sceaux, ministre de la justice, faisant valoir que M. D..., qui n'avait pas demandé de contre-expertise, ne produisait aucun élément de nature à remettre en cause les conclusions rendues le 17 juillet 2019, pourtant postérieures à celles de l'expert judiciaire, le tribunal administratif de Marseille a insuffisamment motivé son jugement. Par suite, celui-ci doit être annulé en tant qu'il annule la décision du 13 août 2019 en ce qu'elle fixe le taux d'IPP de M. D... à 0 % et en tant qu'il enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de fixer ce taux à 8 %. Il y a lieu néanmoins pour la Cour de se prononcer immédiatement sur ces conclusions par la voie de l'évocation.
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 13 août 2019 en tant qu'elle fixe le taux d'IPP de M. D... à 0 % :
4. Pour fixer la date de consolidation de l'accident de trajet dont a été victime M. D... le 1er juillet 2016, au 17 juillet 2019, et le taux d'IPP à 0%, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille s'est fondé sur les conclusions médicales du 17 juillet 2019 selon lesquelles " [a]ctuellement il ne présente plus de projet thérapeutique. /
Il est déjà consolidé sur le plan costal, thoracique et genou gauche, sans séquelle attribuable à l'accident. / L'épaule gauche est également consolidée, sans séquelle avec retour à l'état antérieur ". Toutefois, il ressort des pièces du dossier, non seulement que l'expert désigné par une ordonnance du 25 juillet 2018 du juge des référés du tribunal de grande instance de Marseille, a, après avoir examiné M. D... et pris en compte son état antérieur, proposé, dans son rapport du 18 mai 2019 particulièrement circonstancié, un taux de DFP, équivalent à l'IPP, de 8 %, en lien, selon lui, avec l'accident de service du 1er juillet 2016, contrairement à ce que prétend le ministre, et au vu des syndromes algo-fonctionnels du rachis cervical et de l'épaule gauche sur tendinopathie algo-fonctionnelle, et des gonalgies gauches résiduelles dont souffre M. D..., mais encore que le 26 août 2019, quelques jours seulement après la décision en litige, l'intéressé a vu son arrêt de travail prolongé pour des séquelles de cet accident de trajet du 1er juillet 2016. Dans ces conditions qui, contrairement à ce qu'affirme le ministre, ne permettent pas d'écarter l'expertise judiciaire du 18 mai 2019 au seul motif que M. D... n'a pas sollicité de contre-expertise à la suite du rapport du 17 juillet 2019, M. D... est fondé à soutenir qu'en fixant son taux d'IPP à 0%, au lieu de 8 %, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille a entaché sa décision du 13 août 2019 d'une erreur d'appréciation. Il y a donc lieu pour ce motif d'annuler cette décision, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés à son encontre.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ".
6. Eu égard au motif d'annulation retenu par la Cour au point 4, il y a lieu d'enjoindre au directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille de fixer le taux d'IPP de M. D... à 8 %, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur l'appel incident présenté par M. D... :
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :
7. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévus en application de l'article 35. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...) ".
8. En réponse à la mesure d'instruction diligentée par la Cour, M. D... a produit, pour la première fois en appel, le duplicata de la prolongation de son arrêt de travail, en rapport avec son accident de trajet, établi le 15 mai 2018, pour la période du 15 mai au 13 juin 2018.
Ce faisant, l'intéressé, dont l'imputabilité au service de son accident de trajet du 1er juillet 2016 a été reconnue par la décision du 13 août 2019, démontre avoir droit au maintien intégral de son traitement du 15 mai au 13 juin 2018 en application des dispositions citées au point précédent. Par conséquent, la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille du 13 août 2019 doit, en tant qu'elle exclut la période du 15 mai au 13 juin 2018 pour la détermination du droit de M. D... au maintien intégral de son traitement, être annulée pour erreur de fait et erreur de droit.
9. Il résulte de ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille du 13 août 2019 en tant qu'elle refuse le maintien de son plein traitement pour la période du 15 mai au 13 juin 2018.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :
10. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 8, le présent arrêt implique non seulement que le directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille reprenne une décision d'imputabilité intégrant la période du 15 mai au 13 juin 2018, à la période ouvrant droit à M. D... au versement de l'intégralité de son traitement, mais encore que son administration procède à ce versement au titre de cette période. Il y a donc lieu d'enjoindre à cette autorité de reprendre une décision d'imputabilité intégrant la période du 15 mai au 13 juin 2018, à la période ouvrant droit à M. D... au versement de l'intégralité de son traitement, et de procéder à ce versement au titre de cette période, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "
12. Dans les circonstances de l'espèce, et au titre de ces dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. D....
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2001133 du 26 janvier 2023 est annulé en tant qu'il annule la décision du 13 août 2019 en ce qu'elle fixe le taux d'IPP de M. D... à 0 %, en tant qu'il enjoint au directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille de le fixer à 8 % et en tant qu'il rejette les conclusions de M. D... tendant à l'annulation de cette décision du
13 août 2019 en ce qu'elle refuse de maintenir son plein traitement sur la période du
15 mai au 13 juin 2018.
Article 2 : La décision du directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille du 13 août 2019 est annulée en ce qu'elle fixe le taux d'IPP de M. D... à 0 % et en ce qu'elle refuse de maintenir son plein traitement sur la période du 15 mai au 13 juin 2018.
Article 3 : Il est enjoint au directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille de fixer le taux d'IPP de M. D... à 8 %, de reprendre une décision d'imputabilité intégrant la période du 15 mai au 13 juin 2018, à la période ouvrant droit à M. D... au versement de l'intégralité de son traitement, et de procéder à ce versement au titre de cette période, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat (garde des sceaux, ministre de la justice) versera une somme de 1 500 euros à M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par M. D... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, et à M. B... D....
Délibéré après l'audience du 4 juin 2024, où siégeaient :
- M. Revert, président,
- M. Martin, premier conseiller,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juin 2024.
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No 23MA00753
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