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14/06/2024 | FRANCE | N°23MA02888

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 14 juin 2024, 23MA02888


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 23 janvier 2023 par lequel le préfet des Alpes-de-Haute-Provence a refusé de lui renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée d'un an, d'autre part, d'enjoindre à l'administrat

ion de lui délivrer un titre de séjour ou de réexaminer sa situation.



Par un juge...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 23 janvier 2023 par lequel le préfet des Alpes-de-Haute-Provence a refusé de lui renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée d'un an, d'autre part, d'enjoindre à l'administration de lui délivrer un titre de séjour ou de réexaminer sa situation.

Par un jugement n° 2306906 du 8 novembre 2023, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 23 janvier 2023 et enjoint au préfet de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire d'un an, portant la mention " vie privée et familiale ".

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 5 décembre 2023, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 8 novembre 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- les premiers juges auraient dû solliciter l'avis de l'Office français de l'immigration et de l'intégration sur la disponibilité du traitement nécessaire alors que le collège des médecins ne s'était pas prononcé sur cette question ;

- l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration constitue un avis d'expert qui s'impose ; le préfet n'a pas d'appréciation à porter ni n'a à effectuer une contre-expertise qu'il n'a pas les moyens d'exercer ;

- au regard des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 4 de l'arrêté du 5 janvier 2017, le défaut de traitement de l'état de santé de M. A... n'est pas susceptible d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; son pronostic vital n'est pas engagé ; il a en outre été dûment pris en charge en France, de sorte que son état est stabilisé et le risque qu'il encourrait en cas d'arrêt de traitement n'est pas même expliqué ;

- en outre, M. A... pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine ; les pièces produites par l'intéressé en sens inverse sont anciennes, trop générales, peu probantes ou non pertinentes ; certaines ne peuvent être prises en compte dès lors qu'elles sont postérieures à la décision attaquée ;

- aucun des autres moyens présentés par M. A... devant le tribunal administratif n'est fondé ; il est à cet égard renvoyé aux écritures de première instance ;

- la situation de M. A... ne justifie en aucun cas la délivrance d'un titre " vie privée et familiale ", qu'il n'avait d'ailleurs nullement sollicitée.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 et 23 mai 2024, M. A..., représenté par Me Candon, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 800 euros soit mise à la charge de l'Etat, au bénéfice de son conseil, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève et qu'il ne s'oppose pas à ce que le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration soit de nouveau saisi pour avis.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 31 mai 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de 1'Office français de 1'immigration et de 1'intégration, de leurs missions ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Poullain,

- et les observations de Me Candon, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 23 janvier 2023, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence a refusé de renouveler le titre de séjour dont M. A..., ressortissant gambien né en 1986, était titulaire, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée d'un an. Le préfet des Alpes-de-Haute-Provence relève appel du jugement du 8 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire d'un an, portant la mention " vie privée et familiale ".

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si le préfet soutient que les premiers juges ne pouvaient attendre de lui qu'il exerce un pouvoir d'appréciation sur la situation de santé de M. A... ou réalise une contre-expertise à cet égard et qu'ils auraient dû solliciter la communication du dossier de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et l'avis du collège des médecins de l'établissement sur la disponibilité des traitements dans le pays d'origine de l'intéressé, les erreurs que le tribunal administratif aurait pu commettre à cet égard ne sont, en tout état de cause, pas de nature à entacher le jugement d'une irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...) / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...) ". Aux termes de l'article R. 425-11 du même code : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale" au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'office et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. / Les orientations générales mentionnées au troisième alinéa de l'article L. 425-9 sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé ". Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 5 janvier 2017 : " Les conséquences d'une exceptionnelle gravité (...), sont appréciées sur la base des trois critères suivants : degré de gravité (mise en cause du pronostic vital de l'intéressé ou détérioration d'une de ses fonctions importantes), probabilité et délai présumé de survenance de ces conséquences. / Cette condition des conséquences d'une exceptionnelle gravité résultant d'un défaut de prise en charge doit être regardée comme remplie chaque fois que l'état de santé de l'étranger concerné présente, en l'absence de la prise en charge médicale que son état de santé requiert, une probabilité élevée à un horizon temporel qui ne saurait être trop éloigné de mise en jeu du pronostic vital, d'une atteinte à son intégrité physique ou d'une altération significative d'une fonction importante. / (...) ". Aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 5 janvier 2017 : " Les possibilités de prise en charge dans ce pays des pathologies graves sont évaluées, comme pour toute maladie, individuellement, en s'appuyant sur une combinaison de sources d'informations sanitaires. / L'offre de soins s'apprécie notamment au regard de l'existence de structures, d'équipements, de médicaments et de dispositifs médicaux, ainsi que de personnels compétents nécessaires pour assurer une prise en charge appropriée de l'affection en cause. / L'appréciation des caractéristiques du système de santé doit permettre de déterminer la possibilité ou non d'accéder effectivement à l'offre de soins et donc au traitement approprié. /Afin de contribuer à l'harmonisation des pratiques suivies au plan national, des outils d'aide à l'émission des avis et des références documentaires présentés en annexe II et III sont mis à disposition des médecins de l'office ".

4. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de deux avis positifs émis par le collège de médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration les 11 juin 2020 et 8 septembre 2021, le préfet avait délivré à M. A... une carte de séjour temporaire, renouvelée en dernier lieu le 25 octobre 2021 et valable jusqu'au 7 juin 2022. Il résulte des termes de l'arrêté attaqué qu'au vu de l'avis du 21 novembre 2022 émis par ce même collège estimant que le défaut de prise en charge de l'état de santé de M. A... ne devrait plus entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité, et en relevant, en outre, qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, le préfet a refusé de renouveler, pour la deuxième fois, la carte de séjour temporaire dont l'intéressé bénéficiait.

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A..., âgé de 36 ans à la date de la décision attaquée, souffre d'un glaucome sévère bilatéral juvénile. Il a bénéficié en France de plusieurs interventions chirurgicales dont une sclérectomie des deux yeux, au cours des mois de janvier et juillet 2020, la seconde n'ayant pas permis de sauvegarder la vision de l'œil droit. Son œil gauche lui offre, quant à lui, un champ visuel tubulaire d'une acuité de 2/10 sans correction. Il résulte des certificats établis par les médecins spécialistes qui assurent son suivi, et notamment de celui du 1er février 2024 qui rend compte de ce qu'était déjà son état à la date de l'arrêté attaqué, d'une part, qu'une absence de traitement par collyre sur l'œil droit entrainerait une hypertonie, source non seulement de douleurs, mais également d'une décompensation de la cornée, d'autre part et surtout, que " l'absence de suivi ophtalmologique significatif pourrait aboutir en cas d'aggravation à une perte de temps et une perte de chance par déperdition accélérée des fibres du nerf optique déjà très abimé à gauche par montée pressionnelle éventuelle ", alors qu'il " est à peu près certain que M. A... perdra sa vision au fil du temps dans un délai qui est difficile de définir mais que l'on peut estimer à 10 à 15 ans en l'absence de montée pressionnelle significative d'ici là qui accélérerait bien sûr le processus défavorable ". Il ressort donc de ces constatations qu'un défaut de prise en charge adéquate de M. A... lui ferait courir un risque réel élevé de cécité complète, dans un délai substantiellement accéléré par rapport à l'évolution naturelle de son état. Par suite, et alors même que le pronostic vital de l'intéressé n'est pas engagé, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, à sa suite, le préfet ont commis une erreur d'appréciation en estimant qu'à compter du 7 juin 2022, le défaut de prise en charge médicale de M. A... n'était plus susceptible d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité au sens des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. En second lieu, il ressort des deux avis émis les 11 juin 2020 et 8 septembre 2021 par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, soit la Gambie, M. A... ne pourrait y bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état. Le collège des médecins n'a pas infirmé cette appréciation, aux termes de son avis du 21 novembre 2022, puisqu'ainsi qu'il a été dit au point 4, il s'est borné à constater que le défaut de prise en charge de l'état de santé de M. A... ne devrait plus entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité. Ainsi qu'il vient d'être exposé au point 5, l'état de santé du requérant requiert, outre un traitement continu par administration combinée de deux collyres, dont il est établi que l'un au moins n'est pas disponible en Gambie et qui requièrent tous deux des conditions de conservation rigoureuses, un suivi spécialisé attentif et diligent à même de gérer une éventuelle augmentation de la pression oculaire, particulièrement de l'œil gauche. Il ressort par ailleurs du parcours de soins du requérant qu'il n'a manifestement pas été pris en charge en temps utile dans son pays d'origine. L'établissement qui en assurait le suivi a d'ailleurs indiqué avoir atteint la limite de ses possibilités d'investigation. Si le préfet produit une fiche établie par l'agence de l'Union européenne pour l'asile donnant les références d'un centre spécialisé en Gambie, aucun élément n'est accessible en ligne quant aux soins prodigués par cet établissement qui n'a répondu à aucune des sollicitations du conseil et des soignants du requérant à cet égard. Dès lors, le préfet a commis une erreur d'appréciation en estimant que M. A... pouvait bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de mettre en cause l'Office français de l'immigration et de l'intégration, que le préfet des Alpes-de-Haute-Provence n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a annulé l'arrêté en litige et lui a enjoint, en conséquence, de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", en application de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur les frais liés au litige :

8. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans la présente instance. Par suite, son avocat, Me Candon, peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Candon de la somme de 1 500 euros à ce titre.

D É C I D E :

Article 1er : La requête du préfet des Alpes-de-Haute-Provence est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Candon la somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Benoît Candon et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet des Alpes-de-Haute-Provence.

Délibéré après l'audience du 31 mai 2024, où siégeaient :

- Mme Helmlinger, présidente de la Cour,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 juin 2024.

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N° 23MA02888

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA02888
Date de la décision : 14/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme HELMLINGER
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : CANDON

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-14;23ma02888 ?
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