Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Danveau,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me Saint-Pierre, représentant Mme A..., et de Me Demailly, représentant le centre hospitalier de Briançon et la société Relyens Mutual Insurance.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., qui souffrait d'une instabilité de l'épaule droite faisant suite à plusieurs luxations, a été opérée le 8 novembre 2012 au centre hospitalier de Briançon. L'intervention consistait à mettre en place une butée osseuse fixée avec une vis afin de stabiliser l'épaule. Les suites de l'opération sont marquées par des douleurs et une raideur articulaire. Un scanner réalisé le 15 avril 2013 révèle que la longueur de la vis implantée est excessive. L'explantation de la vis a été réalisée le lendemain. Par une ordonnance du 21 juillet 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a désigné, suite à une saisine de Mme A..., un expert afin de procéder à l'examen médical de Mme A... et de rechercher notamment si les soins prodigués à Mme A... révélaient une faute commise au cours de son hospitalisation. L'expert a déposé son rapport le 23 janvier 2019. Par un jugement du 25 mai 2023, le tribunal administratif de Marseille a jugé que le centre hospitalier de Briançon avait commis une faute résultant des actes de soins dispensés et que sa responsabilité ne pouvait être engagée qu'à raison des seuls dommages directement et uniquement causés par la mise en place de cette vis trop longue de 15 millimètres. Il a condamné solidairement le centre hospitalier de Briançon et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à payer, d'une part, à Mme A... la somme 9 873 euros en réparation de ses préjudices, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes la somme de 4 598,16 euros au titre de ses débours et une somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Mme A... demande à la cour de réformer ce jugement en ce qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande.
Sur la responsabilité :
2. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé (...), ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
3. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise établi par le docteur B..., chirurgien orthopédiste et traumatologue nommé par ordonnance du 21 juillet 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille, que Mme A..., née le 6 juillet 1982, a subi, le 8 novembre 2012, une intervention chirurgicale visant à traiter une instabilité de son épaule droite après luxation, consistant à mettre en place une butée fixée avec une vis à triple verrouillage. Cependant, un scanner réalisé le 15 avril 2013 a mis en évidence que la vis installée dépassait " en arrière de 15 mm environ s'impactant dans le muscle sous-épineux ". Une intervention d'ablation de la vis a ainsi été réalisée le 16 mai 2013.
4. L'expert désigné par le tribunal souligne que la chirurgie de type butée coracoïdienne pratiquée sur Mme A... était parfaitement adaptée au traitement de l'instabilité articulaire chronique dont la patiente souffrait, eu égard aux luxations récidivantes et très fréquentes survenues. Toutefois, il a relevé que le geste technique n'avait pas été correctement réalisé du fait de l'utilisation, non conforme aux règles de l'art, d'une vis trop longue qui a dû être explantée. Le centre hospitalier de Briançon, qui ne le conteste pas, a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
5. La requérante soutient que la faute chirurgicale ainsi commise, résultant de la présence d'une vis trop longue qu'il a fallu retirer mais aussi d'une butée mal positionnée, est à l'origine de complications psychologiques qualifiées de troubles psychogènes. Cependant, il résulte de ce qui a été dit que l'indication opératoire était conforme aux données acquises de la science et adaptée à son état. L'expert souligne que le positionnement imparfait de la butée n'a entraîné aucune conséquence médicale ou fonctionnelle, le verrouillage ligamentaire et musculaire ayant été correctement réalisé et la patiente n'ayant subi aucune nouvelle luxation suite à l'opération. Si la requérante soutient que les suites chirurgicales ont été marquées par des douleurs directement à l'origine de sa décompensation psychologique, il est relevé que Mme A..., qui exerçait la pratique du judo à un haut niveau au sein du pôle France judo, présentait avant cette intervention un état antérieur résultant de la pratique de son activité sportive, marqué, à partir de l'année 2004, par des luxations à répétition ayant donné lieu en 2005 à une première chirurgie arthroscopique sans résultat concluant. L'expert indique également que les douleurs dont souffre Mme A... proviennent essentiellement d'une arthropathie dégénérative débutante de la scapulo humérale, identifiée selon un scanner réalisé le 15 avril 2013, liée à son état antérieur et favorisée par les luxations répétées subies depuis 2004, et non de la vis mal positionnée qui n'a eu que peu de conséquences sur les douleurs ressenties, sauf à exercer une palpation appuyée sur le bout de la vis. Il ajoute que les phénomènes douloureux du nerf cubital se sont nécessairement aggravés avec le temps mais n'ont pas pour origine la mise en place de la vis trop longue, dont l'explantation est intervenue le 16 mai 2013. Le rapport du sapiteur, neurologue, met de surcroît en évidence l'absence d'atteinte neurologique périphérique en dépit de l'ancienneté de l'impotence fonctionnelle. Par ailleurs, le rapport d'expertise psychiatrique, établi non contradictoirement à l'initiative de Mme A..., s'il souligne la prise en charge fautive du 8 novembre 2012, évoque l'incidence, dans l'apparition des troubles psychiatriques, du parcours global de soins suivi par la patiente, particulièrement long et marqué des échecs thérapeutiques, et ne saurait ainsi suffire à remettre en cause les conclusions de l'expert judiciaire. Il n'apparaît ainsi pas établi que les troubles psychogènes dont souffre Mme A..., certes apparus postérieurement à l'intervention litigieuse, seraient la conséquence directe de la pose fautive de la vis, compte tenu des antécédents qu'elle présentait, et de la circonstance qu'elle a subi, postérieurement à l'intervention litigieuse du 8 novembre 2012, des reprises chirurgicales, sans rapport avec la faute commise, à la polyclinique des Alpes du sud et au centre orthopédique Alpes Annecy entre 2014 et 2016, et au demeurant non justifiées selon l'expert.
6. Il suit de là que c'est à bon droit que, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise médicale, les premiers juges ont considéré que la responsabilité du centre hospitalier de Briançon ne pouvait être engagée sur le fondement de la faute médicale qu'à raison des seuls dommages directement et uniquement causés par la mise en place d'une vis trop longue, et non à raison des troubles psychogènes dont elle se prévaut.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les préjudices temporaires :
7. Mme A... demande le remboursement de frais de santé restés à sa charge et produit à cet effet plusieurs factures sur la période allant du 9 novembre 2012 au 23 janvier 2017. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les préjudices auxquels la requérante peut prétendre à une indemnisation ne peuvent s'entendre que de ceux qui sont en lien avec l'acte chirurgical fautif commis lors de l'intervention litigieuse du 8 novembre 2012. Il suit de là que la requérante est seulement fondée à réclamer le remboursement des dépenses de santé exposées à la suite de l'ablation de la vis litigieuse le 16 mai 2013, soit la somme de 13,70 euros correspondant à une facture datée du 30 mai 2013. Il y a lieu dès lors de condamner solidairement le centre hospitalier de Briançon et la société Relyens Mutual Insurance à verser à Mme A... la somme de 13,70 euros au titre de ces dépenses.
8. Il résulte de l'instruction, en particulier des factures émises les 24 février 2017, 7 juin 2017, 18 juin 2018 et 27 novembre 2018, que Mme A... a exposé la somme totale de 6 180 euros au titre des frais d'assistance à expertise, qu'il y a donc lieu de mettre à la charge solidaire du centre hospitalier de Briançon et de la société Relyens Mutual Insurance, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal.
9. Les honoraires d'expertise psychiatrique, dont le rapport, établi non contradictoirement à l'initiative de la requérante, n'apporte, ainsi qu'il est dit au point 5, pas d'élément de nature à remettre utilement en cause l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, ne sauraient donner lieu à indemnisation. Par suite, la demande présentée par Mme A... au titre de ce chef de préjudice doit être rejetée.
10. Il résulte de l'instruction que Mme A... justifie avoir exposé des frais de constitution de son dossier médical et de reprographie en lien avec la faute commise par le centre hospitalier de Briançon, au vu des quittances produites par les établissements de santé, d'une facture d'un centre d'impression numérique et de frais liés aux envois postaux et à l'achat de timbres et de fournitures diverses, pour un montant total de 715,85 euros. Si la requérante réclame également l'indemnisation de frais de cartouches d'encre, il n'est pas démontré que ces dépenses auraient servi à la constitution de ce dossier alors que la requérante fait état de la dépense évoquée dans un centre d'impression numérique, prise en compte pour un montant de 615,45 euros. Par ailleurs, les frais de déplacement concernant la tenue d'une réunion préparatoire avec son conseil et son médecin à Marseille dont la réalité n'est établie par aucune pièce ne sont pas justifiés. Il en va de même des frais de transport pour se rendre aux rendez-vous médicaux, la requérante, qui précise avoir été conduite par ses parents ou par des proches, n'établissant pas avoir pris en charge personnellement ses dépenses. Enfin, le seul document issu d'un site internet de comparateur d'itinéraires ne peut suffire à justifier, en l'absence de toute autre pièce, les frais exposés pour se rendre à trois réunions d'expertise à Lyon, le rapport d'expertise ne faisant au demeurant état que de deux réunions. Par suite, ce poste de préjudice doit être évalué à la somme totale de 715,85 euros.
11. La requérante sollicite l'indemnisation d'un préjudice d'assistance par une tierce personne temporaire sur la période du 8 novembre 2012 au 30 septembre 2016, pour un montant, à parfaire, de 184 860 euros. Toutefois, le droit à réparation de Mme A... doit, ainsi qu'il est dit aux points précédents, être limité aux seules conséquences résultant de l'acte chirurgical fautif commis le 8 novembre 2012, et non être étendu à l'ensemble des préjudices subis du fait de sa pathologie ou des autres interventions pratiquées. Ainsi, et alors que l'expert n'a pas retenu ce préjudice dont le lien de causalité direct et certain avec la seule intervention litigieuse n'est en tout état de cause pas établi, la requérante n'est pas fondée à en demander l'indemnisation.
12. Mme A..., qui exerçait une activité d'architecte d'intérieur au sein de la société AB6, demande à être indemnisée des pertes de revenus subies au cours de la période d'incapacité temporaire de travail, qu'elle évalue à la somme, à parfaire, de 29 084,48 euros. Toutefois, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 11, la requérante, qui était au demeurant en arrêt maladie depuis le 8 octobre 2012, soit avant la réalisation de l'intervention litigieuse, n'est pas fondée à demander l'indemnisation de ce chef de préjudice.
13. Il résulte de l'instruction, particulièrement du rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif de Marseille, que Mme A... a subi un déficit fonctionnel temporaire total le 16 mai 2013, correspondant à son hospitalisation au centre hospitalier de Briançon afin de procéder à l'explantation de la vis, et à 15 % du 17 mai 2013 au 5 juin 2013, la date de consolidation de son état de santé ayant été fixée au 6 juin 2013. Si la requérante soutient avoir subi un déficit fonctionnel temporaire du fait des interventions pratiquées au sein de la polyclinique des Alpes du sud et au centre orthopédique Alpes Annecy entre 2014 et 2016, il n'est pas établi que ces opérations postérieures, dont l'utilité n'était en outre pas justifiée selon l'expert judiciaire, seraient la conséquence directe de celle pratiquée de manière fautive le 8 novembre 2012 au centre hospitalier de Briançon. Par suite, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme A... au titre du déficit fonctionnel temporaire en l'évaluant à la somme de 65 euros.
14. Il résulte de l'instruction que l'expert désigné par le tribunal administratif de Marseille a évalué à 2 sur une échelle allant de 1 à 7 les souffrances endurées par Mme A..., suite à l'intervention litigieuse du 8 juin 2012. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, il n'y a pas lieu de retenir des souffrances, physiques et morales, que la requérante aurait subies en conséquence des interventions pratiquées au sein de la polyclinique des Alpes du sud et au centre orthopédique Alpes Annecy entre 2014 et 2016. Par suite, les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation de ce poste de préjudice, en l'évaluant à la somme de 1 800 euros.
15. L'expert n'a retenu aucun préjudice esthétique. L'intéressée, qui ne justifie d'ailleurs pas de la réalité de son préjudice en lien avec la faute commise par le centre hospitalier, se borne à soutenir que celui-ci est établi " depuis l'opération du docteur D... ", subie en juin 2015 au centre orthopédique Alpes Annecy. Par suite, sa demande présentée au titre de ce chef de préjudice ne peut qu'être rejetée.
En ce qui concerne les préjudices permanents :
16. La requérante sollicite l'indemnisation de préjudices permanents, patrimoniaux et extrapatrimoniaux, tels que le déficit fonctionnel permanent, le préjudice esthétique permanent, le préjudice d'agrément, le préjudice sexuel, le préjudice d'établissement, les besoins en aide humaine à la fois pour elle-même et pour s'occuper de ses enfants nés en 2018 et en 2020, les pertes de revenus futures, le préjudice d'incidence professionnelle et celui lié aux dépenses en matière d'aides techniques et domotiques et d'adaptation du véhicule. Toutefois, le droit à réparation de Mme A... doit, ainsi qu'il est dit aux points précédents, être limité aux seules conséquences résultant de l'acte chirurgical fautif commis le 8 novembre 2012. Ainsi, et alors que l'expert n'a retenu aucun de ces préjudices dont le lien de causalité direct et certain avec l'intervention litigieuse n'est en tout état de cause pas établi, la requérante n'est pas fondée à en demander l'indemnisation.
17. Il résulte de tout ce qui précède que les préjudices de Mme A... s'établissent à la somme de 8 774,55 euros. Dès lors que ce montant est inférieur à celui retenu par le tribunal administratif de Marseille et en l'absence de conclusions incidentes du centre hospitalier de Briançon, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a condamné le centre hospitalier de Briançon à payer la somme de 9 873 euros. Par suite, la requête de Mme A... doit être rejetée.
Sur les frais liés au litige :
18. Dans les circonstances de l'espèce, les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 900 euros par ordonnance de la première vice-présidente du tribunal administratif de Marseille du 18 juillet 2019, sont laissés à la charge définitive du centre hospitalier de Briançon et de la société Relyens Mutual Insurance.
19. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de Mme A... et de la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 900 euros sont laissés à la charge définitive et solidaire du centre hospitalier de Briançon et de la société Relyens Mutual Insurance.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., au centre hospitalier de Briançon, à la société Relyens Mutual Insurance et à la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes.
Délibéré après l'audience du 30 mai 2024, où siégeaient :
- Mme Fedi, présidente de chambre,
- Mme Rigaud, présidente assesseure,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 juin 2024.
N° 23MA01434 2